C. DES ENJEUX DE SÉCURITÉ DOIVENT ÊTRE TRAITÉS À L'ÉCHELLE DU SAHEL

1. D'une région « menacée »...
a) Le défi démographique

Cette région du monde est confrontée à un gigantesque défi démographique.

Il y a aujourd'hui plus d'habitants à Nouakchott qu'il n'y en avait à l'indépendance dans toute la Mauritanie.

Le Niger, pays de 15 millions d'habitants, avec un taux de fécondité de 7,2 enfants par femme, le plus élevé du monde, passera à 53 millions d'habitants en 2050.

La population du Mali, 10 millions d'habitants en 2000, près de 15 millions aujourd'hui, passera à 50 millions en 2050.

Au Tchad, il y aura en 2050 30 millions d'habitants, contre 8,5 millions aujourd'hui. Au Burkina Faso, 37 millions contre 12 aujourd'hui.

Si la population va doubler dans les vingt prochaines années, la population urbaine va, quant à elle, tripler . Ces pays auront à faire face à de vastes « chaudrons » urbains où une jeunesse pléthorique et sans emploi est susceptible de poser des problèmes de sécurité d'une échelle inégalée.

Ces chiffres donnent le vertige et permettent de mesurer le défi, économique, urbain, alimentaire, qui attend ces pays.

Comment ces territoires fragiles supporteront-ils une telle charge démographique ?

Crise démographique et crise agraire nourrissent forcément l'instabilité politique dans des régions où l'État de droit est déjà fragilisé.

Elles constituent aussi un moteur de la pression migratoire pour des flux d'émigration qui se dirigent en premier lieu vers les autres pays africains, les pays du Maghreb, mais aussi vers les pays européens. Les estimations chiffrées pour la communauté des Maliens de France tournent autour de 80 000 à 100  000 personnes aujourd'hui.

b) Les impacts du réchauffement climatique

S'agissant d'une région où l'agriculture est essentiellement pluviale, la vulnérabilité des activités agricoles, au demeurant peu mécanisées et d'un rendement assez faible, aux effets du réchauffement climatique est particulièrement élevée.

Certaines projections montrent que le réchauffement climatique aura des effets majeurs sur les activités agricoles : baisse du rendement de certaines productions, céréales ou sorgho (- 10 % au Niger d'ici à 2050) ; réduction des pâturages et détérioration des conditions pastorales : déficit fourrager, problèmes d'abreuvement, augmentation des mouvements de transhumance, soit autant de facteurs qui concourent à exacerber les conflits entre exploitants agricoles et éleveurs, pour ne pas mentionner les conséquences régionales en termes de migrations, saisonnières ou durables.

Le problème de la faim, qui menace déjà structurellement 18 millions de personnes dans l'ensemble de la zone sahélienne, ne pourra qu'être aggravé par des perspectives climatiques et pluviométriques défavorables .

c) Une situation humanitaire à dimension régionale

Le regain de violence terroriste et les opérations militaires dans le centre et le nord du Mali n'ont fait qu'exacerber une situation humanitaire déjà dramatique, causant le déplacement de plus de 35 000 personnes supplémentaires et perturbant l'accès à la nourriture et à d'autres produits de base. Pour autant la situation était déjà alarmante avant janvier 2013.

Le dernier rapport de l'OCHA 34 ( * ) en date du 25 mars 2013 fait état de 470 000 personnes déplacées , qu'il s'agisse des presque 300 000 personnes déplacées internes ou de réfugiés maliens dans les pays voisins, estimés à 177 000 , dont 75 000 en Mauritanie, 54 000 au Niger et 49 000 au Burkina Faso.

Carte n° 12 : Situation humanitaire au Mali

D'après cette organisation humanitaire, des incidents sécuritaires affectant les civils continuent d'être rapportés dans le nord. Les nouveaux déplacements observés depuis janvier s'expliqueraient par l'insécurité que vivent des membres de certaines communautés accusées d'avoir soutenu les groupes armés. Cette situation serait considérée par de nombreux déplacés et réfugiés comme un élément décourageant leur retour. Toujours d'après ce rapport, la reprise de contrôle par l'armée des zones qui étaient occupées par les groupes armés terroristes dans les régions de Mopti, Tombouctou, Gao et Kidal a révélé le drame que les populations, et les femmes en particulier, ont vécu durant près de 10 mois . En plus des violations des libertés fondamentales, de nombreux cas de violences physiques, psychologiques, sexuelles ainsi qu'un manque d'accès aux ressources et aux services ont été rapportés.

Le village de Talhandak situé à 150 km au nord-est de Tessalit, dans la région de Kidal, à la frontière algérienne, a accueilli ces dernières semaines plusieurs centaines de familles déplacées. Des missions d'évaluation des besoins de ces familles, effectuées notamment par Médecins du Monde, montrent que 3 500 personnes auraient des besoins urgents en nourriture ainsi qu'en eau et assainissement. La précarité de la situation sanitaire et la promiscuité dans laquelle vivent les populations déplacées à Talhandak sont susceptibles d'entraîner des maladies diarrhéiques ainsi que des cas de conjonctivite et de rougeole. De plus, la zone est en proie à des tempêtes de sable incessantes, pouvant augmenter les cas d'affections respiratoires aiguës. Un récent rapport de Médecins sans frontières 35 ( * ) consacrés aux 75 000 maliens « échoués » dans le désert mauritanien, en particulier à Mbéra, sans eau, sous 50 degrés, dans une situation extrêmement précaire, constate qu'en moyenne, deux enfants de moins de deux ans meurent chaque jour dans le camp.

La région de Tombouctou reste enclavée, car les principaux axes routiers d'approvisionnement de l'Algérie et de la Mauritanie sont jusqu'à présents fermés et la sécurité sur les axes routiers venant du sud du pays (Douentza et Léré-Niafounké-Goundam-Tombouctou) est volatile. La décrue des eaux du fleuve Niger réduit les capacités de transport par pinasses des intrants et autres marchandises entre Mopti et Tombouctou.

La prévalence de la malnutrition aiguë (8,9 %) et celle de la malnutrition chronique (29,1 %) révèlent une situation d'alerte sur le plan national selon la classification de l'OMS. Ces résultats indiquent que 210 000 enfants de moins de 5 ans sont à risque de malnutrition aiguë sévère (MAS), et 450 000 autres à risque de malnutrition aiguë modérée (MAM).

Les humanitaires font état de centaines d'enfants séparés de leurs familles, ainsi que de l'utilisation d'enfants associés par les groupes armés. Des dizaines de milliers d'enfants ont aussi été déscolarisés et « cachés » par leurs familles au Nord, pendant la période où les populations subissaient le joug des terroristes.

Au 15 mars, d'après le rapport de l'OCHA, seulement 48 000 élèves sur 217 000 avaient accès à l'éducation dans les régions de Tombouctou et Gao. 209 écoles auraient été rouvertes à Tombouctou (69 écoles sur 461) et Gao (140 écoles sur 569), grâce à la présence de 969 enseignants. Le retour des autorités scolaires du gouvernement dans les régions du nord demeure une réelle priorité.

2. À une région « menace »...
a) La « question touarègue » ne doit pas devenir une « question kurde »

La zone de peuplement touarègue s'étend de l'Algérie à la Libye, au Niger, au Mali, et jusqu'aux confins du Burkina Faso et du Nigéria.

Carte n° 13 : L'espace touareg

Source : « Les Touaregs Kel Adagh. Dépendances et révoltes : du Soudan français au Mali contemporain », Pierre Boilley, 1999

À cet égard, l'analyse traditionnelle (des frontières artificielles, arbitrairement posées par le colonisateur), doit faire sa place à une observation plus tempérée suivant laquelle ces dernières ont toutefois respecté, sans doute dans l'optique d'en faciliter d'administration, des segmentations internes au monde touareg, qui était lui-même divisé en chefferies certes liées, mais distinctes. Ainsi, par exemple, la frontière entre le Mali et le Niger correspondrait à une séparation ancestrale de zones d'influences entre différents lignages. Il est toutefois indéniable que l'espace dans lequel ont été rassemblées les populations du Nord et celles du Sud demeure artificiel, et qu'il éclate entre plusieurs États la zone de peuplement touareg.

Il existe bel et bien une « question touarègue », à laquelle un éventuel pourrissement pourrait donner -nous en sommes loin heureusement- les dimensions de la question kurde.

Cette question est partagée par plusieurs Etats, et est particulièrement vive non seulement au Mali mais aussi au Niger, pays qui fut le théâtre de plusieurs rébellions touarègues (dont la dernière en 2006) mais dans lequel il semblerait que le sujet ait été mieux traité. En particulier, le premier ministre nigérien est aujourd'hui un Touareg.

b) L'Afrique de l'Ouest, plaque tournante du trafic de cocaïne

Le Sahel a toujours été une zone d'économie grise, où les frontières agissent comme des aimants, des « adjuvants » pour le développement de la contrebande et des trafics en tout genre.

Après l'essence, les cigarettes, les voitures volées, les pièces détachées, les cosmétiques, les migrants, sans oublier le haschisch et les armes (on compterait plus de 250 types de trafics !), c'est toutefois une autre dimension que prennent les trafics dans les années 2000 avec l'arrivée, en Afrique de l'Ouest, du transit de la cocaïne produite en Amérique du Sud.

Les premières saisies maritimes puis terrestres mettent en lumière un phénomène autour de deux pôles, le premier allant de la Mauritanie à la Guinée Conakry, (avec une zone particulièrement active en Guinée Bissau) et une zone secondaire allant du Ghana jusqu'au sud-est du Nigéria 36 ( * ) . Cette nouvelle route de la drogue va révéler son importance avec l'affaire d' « Air cocaïne » en 2009 , ces Boeings affrétés pour un trajet sans retour, bourrés de 5 à 10 tonnes de drogue, traversant l'Atlantique pour venir s'échouer dans le désert afin de rejoindre ensuite les marchés de consommation principalement européens et proche-orientaux.

L'Afrique de l'Ouest devient progressivement une zone de transit et de « dispatching », les activités de transformation et la consommation y étant pour l'instant limitées.

"Autoroute A-10" : c'est le surnom donné par les spécialistes à ce qui devient peu à peu la plus importante voie d'acheminement de la drogue, partant du Venezuela ou du Brésil vers l'Afrique de l'Ouest, le long du 10 e parallèle, avant de remonter à travers le désert vers l'Europe. Un rapport de 2009 de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) évaluait à quelque 250 tonnes la quantité de cocaïne qui avait déjà transité par cette voie. Près de 15 % de la production mondiale de cocaïne y transiterait.

Le dernier rapport de l'ONUDC de février 2013 a mis en valeur que les profits retirés du trafic de cocaïne excèdent à eux seuls les budgets cumulés de sécurité nationale des pays d'Afrique de l'Ouest concernés . D'après ce rapport, au moins 50 tonnes de cocaïne en provenance des pays andins transitent chaque année par l'Afrique de l'Ouest vers l'Europe, avec à la clé un chiffre d'affaires de deux milliards de dollars .

Ces chiffres sont sans aucune commune mesure avec les ressources budgétaires que les États de la région peuvent consacrer à leur sécurité et à leur défense.

D'après l'ONUDC, l'essentiel de la cocaïne passe par la Guinée-Bissau et le Ghana , deux plaques tournantes.

L'ONUDC souligne aussi que la production de méthamphétamine dans la région est également une préoccupation grandissante, deux laboratoires de méthamphétamine ayant été détectés au Nigéria en 2011-2012. Le marché principal pour la méthamphétamine produite en Afrique de l'Ouest se situe en Asie de l'Est et, dans une moindre mesure, en Afrique du Sud.

Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ce bouleversement la géo-économie de la cocaïne :

- La montée en puissance de la consommation sur le marché européen : jusque vers la fin des années 1990, le marché dominant est nord-américain. Puis l'Europe devient, en valeur (en raison de prix de vente plus élevés) un marché plus attractif pour les producteurs notamment colombiens, en raison notamment du coût d'intermédiation des cartels mexicains maîtrisant l'entrée sur le marché américain ;

- La traversée de l'Atlantique, en direction du sud européen, devient plus difficile en raison des efforts qui y sont réalisés pour lutter contre le narcotrafic, qui se déporte vers des routes plus longues mais plus « sûres » . La route la plus ancienne est une route « nord », qui passe par les Caraïbes, les Açores, puis la péninsule Ibérique ou le nord de l'Europe. La route centrale passe par le Cap-Vert ou Madère, puis les Canaries avant d'arriver en Europe. Ces deux routes sont de plus en plus dangereuses pour les trafiquants car la densité de bateaux et la capacité d'observation et d'interception de la part des Européens et des Américains y sont bien supérieures à ce qu'elles peuvent être plus au sud ;

- L'installation directe des cartels sud-américains dans certains états de la façade maritime occidentale de l'Afrique transforment certains états en véritables têtes de pont pour les narco-trafics.

Les impacts du trafic de drogue sur les structures économiques et sociales sont dévastateurs : la corruption et les protections offertes à tous les niveaux par les appareils sécuritaires et les tous premiers cercles du pouvoir gangrènent progressivement la gouvernance, criminalisent les structures économiques et font de la rente du narcotrafic une activité de premier plan dans ces zones déshéritées sur le plan économique. Outre la hausse de la criminalité et de la corruption, et les effets sanitaires associés à la consommation de drogue, l'arrivée de stupéfiants va généralement de pair avec une accélération de la circulation des armes au sein des populations 37 ( * ) .

La cocaïne génère des profits sans aucune commune mesure avec d'autres stupéfiants . Son introduction dans la zone et les cas de richesses « spontanées » qui lui sont liés créent des modèles d'identification pour des jeunes générations qui ont par ailleurs à affronter le marasme économique.

Les spécialistes mettent en lumière le fait que l'arrivée de ces produits, loin d'être combattue par les dirigeants a pu, au contraire, être tolérée, car l'apport de liquidités qui lui est lié permet de desserrer les contraintes macroéconomiques imposées au pays dans le cadre des programmes d'ajustement structurel.

Plusieurs personnes entendues ont cité des noms très haut placés dans la hiérarchie militaire et politique malienne .

Au Sahel, les acteurs qu'on retrouvait autrefois dans la contrebande de cigarette ou le convoiement de haschisch sont « naturellement » devenus des acteurs du transit de cocaïne, qui rapporte beaucoup plus. Trois degrés de participation se retrouvent pour le trafic de stupéfiants dans le Nord-Mali : prélever une dîme lorsqu'un convoi traverse le territoire du groupe (stratégie d'AQMI ?) ; être associé à la protection du convoiement sur un segment de la route parce que l'on connaît le terrain (cas notamment de certains Touaregs ?) ; être dans l'organisation du convoiement (on parle beaucoup notamment de jeunes chauffeurs recrutés par les narcotrafiquants pour acheminer des « pick ups » remplis de drogue).

Les conséquences sociales, politiques et économiques de l'arrivée de la cocaïne en Afrique de l'ouest n'ont pas fini de faire sentir leurs effets. Elles ont, sans nul doute, précipité le destin malien.

Puissance émergente disposant de capacités militaires en croissance et d'une politique d'influence sur l'Atlantique Sud et l'« Amazonie bleue », Le Brésil , candidat (soutenu par la France) comme membre permanent au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, pourrait se révéler un allié de poids pour lutter au départ contre les narco-trafics qui gangrènent l'Afrique de l'Ouest et dont la provenance est sud-américaine.

Vos rapporteurs estiment que le gouvernement doit explorer les voies et moyens d'une plus grande implication du Brésil sur cet enjeu.

c) Une menace terroriste qui se transfère vers le sud Libyen et le Nord Niger

Les terroristes (et en particulier AQMI) ont eu, depuis le lancement de l'intervention française, une stratégie d'évitement. Avant de livrer des combats sans merci dans leur sanctuaire de l'Adrar des Ifoghas, et en particulier dans la vallée de l'Amététaï où les forces françaises et tchadiennes les ont réduits, certains ont eu le temps de se disperser et de rejoindre d'autres bases arrière dans lesquelles ils disposent de liens et de complicités.

Il est certain que le coup qui leur a été porté est rude : 40 tonnes d'armes saisies, des neutralisations par centaines, c'est un bilan extrêmement positif qui témoigne de la réelle attrition d'une forteresse qu'ils avaient mis plus de 10 ans à construire. C'est la « colonne vertébrale » d'AQMI qui a été brisée.

Pour autant, en donnant un « coup de pied dans la fourmilière », et malgré la « fermeture » de ces immenses frontières sahariennes qui ont toujours été des lieux de passage, il est certain que le risque de dispersion existe et que la menace pourrait, demain, ressurgir.

L'assassinat des diplomates américains à Benghazi le 11 septembre dernier est un signe à prendre au sérieux.

Le nord Niger et le Sud Libyen apparaissent aujourd'hui comme des zones « molles » où la faiblesse des structures étatiques et l'existence d'irrédentismes et le développement de milices locales s'additionnent aux phénomènes de pauvreté et de trafics pour y favoriser un enkystement terroriste durable.

Au nord Niger , la région d'Agadez est à la confluence des circuits et trafics entre le Mali, l'Algérie, la Libye et le Tchad. Si elle a pour l'instant échappé aux développements violents qu'a connus le Nord-Mali, cette région reste une zone particulièrement sensible.

À l'instabilité provoquée par la crise malienne s'ajoutent les cicatrices de la crise libyenne. N'oublions pas que le Niger a connu des rébellions touarègues, même si ce risque paraît limité aujourd'hui par la fluidité des échanges entre Etat central et des communautés locales mieux intégrées qu'au Mali.

C'est aussi l'importation au Niger de tensions intercommunautaires arabo-touarègues ou entre les Toubous et les Arabes qui est à redouter. L a montée en puissance des Toubous sur le flanc est de la région d'Agadez, dans le cadre plus général de leur rivalité avec les Touaregs, laisse penser qu'on assiste à une évolution des rapports de force intercommunautaires, non pas en écho à la situation malienne mais bien à celle du sud libyen. Du Nord Est à Diffa, les Toubous auraient gagné en pouvoir, eux qui détiendraient encore beaucoup d'armes et de connexions en Libye, alors que les Touaregs auraient presque tous été désarmés. Cette évolution du rapport de force perturberait la répartition traditionnelle des revenus (et des trafics ?) et serait source de déstabilisation.

Les faiblesses de l'Etat libyen ont récemment été analysées par le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notre collègue Jean-Louis Carrère, dans une communication sur les suites d'une mission effectuée en Libye fin 2012, qui soulignait que « le terrorisme persiste notamment à l'Est et à Benghazi où existe un foyer d'Al-Qaïda composé de personnes dont certaines sont de retour du Waziristân et qui constitue une zone de recrutement et d'entraînement, en particulier pour la Syrie, mais qui pourrait menacer notre pays demain, compte tenu de l'opération au Mali. De plus, AQMI est présent dans le Sud où ses combattants étaient déjà actifs dans l'achat d'armes, dans l'escorte de convois de drogue et où ils avaient repéré des zones dans l'éventualité d'un repli du Nord Mali. L'opération SERVAL qui est en cours va nécessairement avoir un effet de vases communicants vers la Libye, qui est l'Etat le plus exposé et le plus fragile de la zone .(...) A cela s'ajoutent les incidents ethniques et tribaux qui fragilisent la sécurité régionale du pays, en particulier au sud-est entre Zwaï et Toubous, au sud-ouest entre Arabes et Touaregs. »

Les routes terroristes du Nord-Mali vers le Sud libyen passent d'ailleurs, au Niger, par les mines d'extraction d'uranium, aujourd'hui protégées par des forces spéciales, et qui figurent parmi les principaux intérêts stratégiques français dans la région.

d) La question de la gouvernance dépasse le seul Mali

Il n'est pas douteux que la question de l'état, de la démocratie, de la corruption, bref, de la « gouvernance » dépasse largement le Mali, et se pose, au moins, à toute l'Afrique de l'Ouest.

Plusieurs analyses 38 ( * ) mettent en avant le rôle des programmes d'ajustement structurel, dans les années 1980 en Afrique, comme accélérateur voire déclencheur de la criminalisation des États africains . Contraction de la masse salariale de la fonction publique et coupes dans les budgets sociaux auraient affaibli les États et créé des systèmes de prédation, des zones d'économies informelles, de rentes et de trafics, que certaines élites dirigeantes auraient couverts pour permettre l'afflux de liquidités.

Ces analyses sont bien connues et viennent contredire l'image d'une démocratie qui s'installe durablement en Afrique de l'Ouest au tournant des années 1990-2000 . Dans le cas malien, présenté comme un miracle démocratique depuis les années 1990, tout ou presque a été dit et écrit sur la faiblesse coupable de l'ère « ATT » s'agissant du développement des narcotrafics et de l'implantation des groupes terroristes au Nord.

La démocratisation se serait accompagnée au Mali, avec le culte du consensus sous l'ère ATT, d'une véritable « sortie du politique », sans structuration du débat public ni de l'opposition.

Plusieurs experts entendus estiment que ce phénomène touche en général le développement de la démocratie en Afrique de l'ouest, non exempt de véritables retours en arrière.

Plusieurs rapports 39 ( * ) consacrés à l'état de la gouvernance en Afrique dressent ainsi un bilan contrasté des cycles électoraux tenus depuis 2000. Si, de manière générale, les élections ont lieu plus régulièrement, elles restent entachées d'irrégularités dans certains pays où elles sont bien souvent une source de tensions, violences et conflits. Les progrès réalisés en matière de résorption du déficit de gouvernance politique en Afrique semblent finalement mitigés : si les pays africains continuent de progresser dans la voie de l'ouverture politique et si les taux de participation électorale ont connu une constante évolution, il reste sans doute à y ancrer la culture de la démocratie et à y renforcer l'État de droit.

La question de la force des structures étatiques, administration, police, justice, armée, institutions politiques, semble centrale dans toute la sous-région.

3. ... dont les initiatives en matière de sécurité ont échoué.
a) L' « Architecture africaine de sécurité » de l'Union africaine n'a pas pu faire face à la menace

À partir de 2002, lorsqu'à Durban, l'Union Africaine adopte la création d'un Conseil de paix et de sécurité, ayant pour objectif la sécurité et la stabilité en Afrique, se mettent en place les prémisses d'une architecture africaine de sécurité.

Cette architecture, reposant sur un Conseil des sages et un système d'alerte rapide à l'échelle du continent, était destinée à doter les Africains d'une capacité combinée de 15 000 à 20 000 militaires .

Reposant notamment sur une Force africaine en attente (FAA), déclinée régionalement autour de 5 brigades en attente, cette architecture s'appuie sur les organisations sous régionales . Pour l'Afrique de l'Ouest, c'est la CEDEAO qui sert d'échelon régional.

Bien qu'ayant reçu le soutien de la communauté internationale, manifesté notamment lors du sommet du G8 de Gleneagles , cette force africaine n'a mené que peu d'opérations jusqu'à présent.

Force est de constater que si l'état-major de la CEDEAO a pu constituer un premier échelon de planification opérationnelle pour l'intervention militaire au Mali, ses capacités restent très légères et en tout état de cause inadaptées à la virulence de la menace.

Il n'y a pas d'unités opérationnelles constituées qui seraient dédiées dans chaque pays à cette force d'intervention commune.

b) Les structures d'état-major conjoint avec l'Algérie se sont révélées inefficaces

En ce qui concerne la coopération régionale des pays du Sahel avec leur voisin algérien, il faut dresser un constat : celui des limites des structures mises en place par l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger pour gérer les problèmes sécuritaires qui leur sont communs, à savoir l'Unité de Fusion et de Liaison (UFL), qui se trouve à Alger, et le Comité d'État-major Opérationnel Conjoint (CEMOC), basé à Tamanrasset.

On notera pour mémoire l'existence de la CEN-SAD , Communauté des États sahélo-sahariens, organisation regroupant 28 États africains (mais pas l'Algérie), créée en 1998 à l'initiative de Kadhafi, puis tombée en léthargie. Cette organisation, initialement à vocation plutôt économique, a tenu un sommet le 16 février 2013 à Ndjamena 40 ( * ) , prévoyant la création d'un conseil permanent de paix et de sécurité et d'un conseil permanent pour le développement durable

Reste développer une architecture impliquant tous les pays de la bande sahélo-saharienne, pour prendre en compte les différentes menaces auxquelles la région est confrontée


* 34 Office pour la coordination des affaires humanitaires, ( Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) de l'ONU

* 35 Rapport du 12 avril 2013

* 36 Le sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques, Simon Julien, Hérodote, 2011/3 - n° 142

* 37 Sur tous ces aspects : « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques », Simon Julien, Hérodote, 2011/3 - n° 142

* 38 Voir notamment « la criminalisation de l'État en Afrique », Bayart, Ellis et Hibou, 1997

* 39 Dont « Gouvernance en Afrique, état des lieux », document de travail de la banque africaine de développement

* 40 En présence d'Omar el-Béchir, président soudanais poursuivi par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité !

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