D. UNE RÉPONSE NÉCESSAIREMENT RÉGIONALE QUI DOIT S'ARTICULER AUTOUR DE L'ALGÉRIE

1. Quelle médiation (régionale ?) pour sortir de la crise ?

Force est de constater que les médiations, régionales ou internationales, se multiplient et ne semblent pas avoir abouti, aujourd'hui, à beaucoup de résultats.

La médiation burkinabée , sous auspice de la CEDEAO, semble aujourd'hui marquer quelque peu le pas, après une phase très active avant l'intervention armée, au cours de laquelle l'option de la résolution politique du conflit avait été privilégiée, sans succès. De même l'Algérie, qui avait parrainé les précédents accords, n'a pu reprendre en mains le mouvement Ansar Dine qui a rejoint AQMI et le MUJAO.

La multiplication des représentants spéciaux (ONU, UA, UE...), si elle marque positivement l'implication des organisations internationales dans la résolution de la crise, n'a pas pour l'instant contribué à clarifier le processus politique de médiation et de sortie de crise.

S'agissant des médiations régionales, le positionnement de « petit frère » du Niger par rapport au Mali donne à sa médiation éventuelle tout son sens politique. Ce pays ne peut être soupçonné par les Maliens d'avoir un agenda caché, contrairement à d'autres voisins.

Partageant nombre de problèmes du Mali, notamment un passé de rébellions touarègues au Nord, dans les années 1990 puis en 2006, gérées avec plus de résultats positifs qu'au Mali, il a adopté une attitude de lutte résolue contre le terrorisme . L'attitude ferme de son président, tout comme la personnalité de son premier ministre (un Touareg), ou encore les solutions institutionnelles et politiques qu'il a dû trouver pour gérer sa question du Nord en font sans doute un allié précieux pour la sortie de crise. Le président nigérien, Mahamadou Issoufou, s'est d'ailleurs rendu à Gao, le 6 avril 2013. Niamey est la capitale la plus proche de Gao - à peine 400 km par la route, alors que Bamako se trouve à 1 200 km. C'est aussi au Niger que les États-Unis déploient une base de drones de surveillance du Sahara, dans la région d'Agadez, proche de la frontière malienne et libyenne.

La Mauritanie, qui a montré par le passé sa réelle volonté à coopérer dans la lutte contre le terrorisme et qui a fait l'effort, comme d'autres voisins, de fermer ses frontières après le début de l'intervention armée, est sans doute aussi un allié pour la sortie de crise.

Il faut aujourd'hui trouver le moyen de « pousser les feux » sur la question de la réconciliation et du dialogue inter-malien.

Il est temps aujourd'hui de trouver un canal de médiation politique, formel ou plus informel, qui puisse être accepté par tous et qui soit en mesure de créer les conditions d'une reprise du dialogue inter-malien. Cette solution passe forcément par un dialogue avec le Nord.

2. L'Algérie est nécessairement appelée à jouer un rôle majeur pour la sécurité de la région

La résolution de la situation sécuritaire de la région ne peut être pensée sans la nécessaire association de l'Algérie, seul grand pays de la bande saharo-sahélienne disposant d'une armée forte et d'une expérience de lutte contre le terrorisme.

Il est illusoire de penser qu'on pourra se passer de l'Algérie. « L'Algérie est saharienne et sahélienne. Elle entre en profondeur en Afrique . » (M. Messahel, ministre algérien chargé des affaires africaines, 15 mars 2011 41 ( * ) ).

a) Un rôle depuis toujours central, accentué par les « années de plomb »

On ne peut ignorer la continuité géographique et humaine et la fluidité des déplacements entre l'Algérie et le Nord du Mali. Certains rapportent que c'est à une querelle entre administrations françaises (ministère de l'intérieur et ministère de la marine), à la toute fin du XIX ème siècle, que l'on doit le tracé actuel d'une frontière par nature poreuse.

Dès les tout premiers temps de l'indépendance, et notamment à l'occasion de la première rébellion touareg, l'Algérie apporte son soutien à l'intégrité territoriale du Mali (en livrant des chefs rebelles originaires de l'Adrar des Ifoghas). Plus tard, Alger a été un médiateur dans les rebellions touarègues. Longtemps, l'Algérie a été un contrepoids à l'influence libyenne dans la région.

Il est évident que les services algériens connaissent particulièrement bien le Nord du Mali, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) algérien, issu, en 1998, des Groupes islamiques armés (GIA), en ayant fait sa base arrière durant « les années de plomb ». Mokhtar Ben Mokhtar était l'ancien émir de la « zone 9 » du GSPC (qui couvrait le Sud algérien, avant d'être étendue aux pays du Sahel). L'avènement d'Abdelmalek Droukdel à la tête du GSPC a été marqué par l'adoption du mode opératoire d'Al-Qaïda, désormais maison mère : les attaques-suicides contre des objectifs gouvernementaux (Palais du gouvernement à Alger, en avril 2007) et contre des intérêts étrangers (représentation des Nations unies à Hydra en décembre 2007) et, surtout, les prises d'otages, moyen d'obtenir de juteuses rançons qui deviennent progressivement le coeur du financement de l'organisation.

AQMI n'a fait à cet égard, avant que sa branche sahélienne ne s'autonomise progressivement, que reprendre la zone du Sud du GSPC, et la transformer progressivement en une profondeur stratégique et un axe de développement prioritaire, à la faveur de la faiblesse de l'État malien.

AQMI est d'ailleurs demeurée une organisation fondamentalement algérienne, au moins dans son encadrement (Abou Zeid, Mokhtar Ben Mokhtar, sont algériens).

La thèse est développée dans certains milieux d'une instrumentalisation , voire d'une manipulation des rébellions touarègues (voire des groupes terroristes) par Alger. L'Algérie chercherait à refouler AQMI vers le sud et à gêner l'influence française.

Cette thèse, qui pourrait bien témoigner d'une fixation dépassée sur l'Algérie, semble ignorer que, malgré d'indéniables succès contre les katibats de Kabylie et de l'Algérois, en particulier dans les maquis de la Wilaya de Boumerdès, l'Algérie reste aux prises avec le terrorisme, et qu'AQMI demeure son premier ennemi .

Les « années de plomb » se sont soldées par 100 000 à 200 000 morts. L'Algérie a payé un lourd tribut au terrorisme.

Entre 2001 et 2012 on compte plus de 1200 attaques terroristes sur le territoire algérien, y compris l'attentat suicide contre l'académie militaire de Cherchell en août 2011, causant la mort de 18 officiers. Un chiffre bien supérieur à la totalité des attaques chez ses voisins du Sud pendant la même période. La spectaculaire attaque du site gazier de Tinguentourine début 2013 vient rappeler combien le coeur des intérêts algériens reste visé par les organisations terroristes.

L'Algérie est l'acteur incontournable de la lutte contre AQMI. Partenaire des États-Unis, l'Algérie a rejoint le dialogue méditerranéen de l'OTAN en 2000 et participe depuis 2006 à l'initiative de contre-terrorisme trans-saharien. L'Algérie adhère également au Forum mondial de lutte anti-terroriste ( Global Counter-Terrorism Forum ) lancé à New York en septembre 2011. Les 16 et 17 novembre 2011, Alger a organisé un groupe de travail régional sur le renforcement des capacités au Sahel. Les 18 et 19 avril 2012 s'est d'ailleurs tenue à Alger une réunion consacrée à la problématique du paiement des rançons aux groupes terroristes contre libération d'otages, et en juin 2012, à Istanbul, l'Algérie a co-présidé avec le Canada la réunion du Groupe de Travail sur le Sahel au niveau ministériel.

N'oublions pas non plus que des ressortissants algériens sont toujours détenus en otages (affaire des consuls algériens de Gao, pris en otage par le MUJAO).

b) Un changement de paradigme sur le dossier malien, opéré début 2013

Réfractaire par nature, ce qui est compréhensible, à une intervention armée à ses portes, Alger a longtemps parié sur une solution politique au conflit malien, poussant la négociation autour d'Ansar Dine, comme l'a révélé l'épisode des éphémères « Accords d'Alger » -aussitôt dénoncés- de décembre 2012.

L'implication d'Ansar Dine dans l'attaque de Konna, aux côtés d'AQMI et MUJAO, a mis un terme à la démarche qui consistait à entraîner ce groupe dans la logique du dialogue et à le détacher des entités terroristes et criminelles. Elle a confirmé la porosité entre les différents groupes. On pourrait discuter sans fin sur la question de savoir si Iyad Ag Ghali aurait pu être retourné. Toujours est-il qu'il ne l'a pas été et qu'il aurait au contraire entraîné ses alliés de circonstance (AQMI, MUJAO) dans une démarche de conquête territoriale jusqu'alors assez étrangère à leurs méthodes, qui, d'ailleurs, leur aura été fatale.

La médiation algérienne, dans son effort de promotion d'une solution politique, a peut-être surestimé sa capacité à influer sur les logiques de ces groupes. Elle en a pris acte immédiatement après le lancement de Serval en autorisant le survol de son territoire par des avions français.

Un changement de paradigme s'est opéré dans la politique algérienne. Tigentourine, près d'In Amenas , opération préparée de longue date par Moktar Ben Moktar, a frappé au coeur des intérêts gaziers algériens, et a laissé entrevoir le potentiel de dangerosité des solidarités terroristes tissées le long d'une route partant du Nord Mali et passant par le Nord Niger et le Sud libyen. Cette attaque à laquelle l'armée algérienne a su riposter, a naturellement été un tournant tout à fait décisif .

L'attaque d'In Amenas a en effet changé la donne. Analysée comme une surprise stratégique pour les autorités algériennes, elle avait pourtant été précédée de signes avant-coureurs : le 29 juin 2012, le siège du 4 ème commandement régional de la gendarmerie nationale basé à Ouargla avait été la cible d'un attentat suicide revendiqué par le MUJAO. Or cette ville n'est qu'à 86 kilomètres de l'un des plus grands sites d'exploitation pétrolière : Hassi Messaoud.

Dix jours après In Amenas, c'était au tour du gazoduc de la région de Bouira qui achemine le gaz de Hassi R'Mel, d'être la cible d'une action terroriste.

c) La nécessaire pierre d'angle de toute politique sécuritaire dans la région

Vos rapporteurs sont convaincus qu'on ne peut concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l'Algérie, dont l'armée est forte de 300 000 hommes. Sans l'Algérie qui a dû, dans les années 1990, faire face, seule, à la terreur islamiste.

Alger consacre près de 4 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires. Selon le SIPRI Yearbook 2011 , après plusieurs années d'accroissements successifs, le budget militaire algérien a connu une augmentation de 44 % en 2011 (par rapport à 2010) avec 1,9 milliard d'euros de dépenses, dépassant ainsi l'Afrique du Sud sur le continent africain.

Certes, la Constitution algérienne interdit toute intervention des forces armées en dehors de ses frontières. Mais qu'en serait-il si les intérêts vitaux de l'Algérie étaient menacés ?

Certains remettent en cause la volonté de l'Algérie de lutter contre le terrorisme, sous prétexte qu'elle aurait permis aux terroristes de s'approvisionner en essence. C'est ne rien connaître à cette région que de penser qu'on puisse contrôler facilement les trafics d'essence !

Dans la lutte contre le terrorisme, l'Algérie et la France combattent côte à côte. Plusieurs éléments l'indiquent clairement : l'autorisation de survol pour les avions français, la fermeture efficace, autant que faire se peut, de l'immense frontière algéro-malienne (1 200 km), le partage du renseignement, essentiel pour notre action militaire, etc...

Au moment où le Président de la République, François Hollande, vient de déclarer, à Alger, le 20 décembre 2012, devant les deux chambres du Parlement algérien, vouloir « ouvrir une nouvelle page dans les relations entre la France et l'Algérie », il faut saisir le moment actuel pour construire au Sahel, avec les pays riverains, un espace sûr et stable, durablement purgé du terrorisme.

La priorité aujourd'hui devrait être de construire une architecture de sécurité régionale qui s'appuie autant que possible sur l'Algérie.

Des structures existent. Il s'agit en particulier de :

- la mise en place, à Tamanrasset, en avril 2010, du Comité d'État-major Militaire Opérationnel Conjoint (CEMOC) incluant le Mali, la Mauritanie et le Niger, censé mettre en oeuvre un nouveau plan de sécurité régionale. La mesure phare consistait en la création d'unités combattantes composées de 5.000 Touaregs dont les effectifs auraient dû tripler en 2011 (de 25 000 à 75 000), mais elle ne s'est jamais concrétisée ;

- la mise en place, à Alger, en octobre 2010, de l'Unité de Fusion et de Liaison (UFL), coalition des services de renseignements de sept pays (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger, Libye, Burkina Faso et Tchad, rejoints par le Nigéria fin 2011), chargée d'analyser les renseignements sécuritaires concernant la région.

Ces structures, pas plus que les forces africaines, n'ont réussi à contrer la montée de la menace terroriste. Faut-il pour autant conclure à leur inutilité ?

Ce point mérite certainement une réflexion approfondie : il faut saisir l'occasion de la page qui se tourne aujourd'hui dans nos relations avec l'Algérie pour faire avancer la réflexion sur l'architecture de sécurité au Sahel.

D'ailleurs, plus largement, le groupe de travail de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, co-présidé par Mme Josette Durrieu et M. Christian Cambon, et centré sur le sujet : « Rive sud de la Méditerranée : une zone de prospérité à construire » s'attachera sans aucun doute, dans un contexte renouvelé, à prendre toute la mesure de l'extraordinaire potentiel de développement mutuel entre les pays riverains de la Méditerranée.

3. Le Maroc, un allié fiable

Le Maroc est, dans la gestion de la crise malienne, un allié fiable pour la France, notamment par le soutien qu'il a manifesté au sein du Conseil de sécurité des Nations unies lors de l'examen des différentes résolutions. Rabat présidait le conseil de sécurité de l'ONU lors du vote de la résolution 2085 autorisant l'envoi d'une force internationale au Mali.

Le rôle du royaume chérifien est indéniablement très positif depuis le début de la crise au Mali. France et Maroc partagent largement la même analyse des risques liés à la menace terroriste. Relevons d'ailleurs que le Maroc a autorisé très rapidement le survol de son territoire par les avions de l'armée française.

La relation entre l'Algérie et le Maroc est naturellement un des facteurs-clé de la difficile équation sahélienne. On peut estimer avec certitude que tous les conflits non réglés alimentent forcément l'instabilité et le terrorisme dans le Sahel.

A l'heure où Christopher Ross, l'émissaire de l'ONU, vient d'achever une tournée en Afrique du Nord, on ne peut que noter que la situation dans la région du Sahel rend plus que jamais urgent le règlement de la question du Sahara Occidental. Le groupe de travail précité de notre commission sur la Méditerranée explorera sans doute plus en profondeur cet enjeu vital pour la sécurité de la région.


* 41 http://www.afrik.com/article2407.html

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