N° 527

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 avril 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs ,

Par M. Éric BOCQUET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, Yannick Botrel, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Mise en oeuvre pour répondre au défi posé par l'intégration de trois pays où le coût du travail était peu élevé, l'Espagne, la Grèce et le Portugal, la directive 96/71 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services a fait émerger le principe d' application du droit du pays d'accueil . Aux termes de ce principe, les entreprises prestataires de service doivent rémunérer les salariés qu'elles détachent aux conditions du pays dans lequel se déroule le contrat, sauf à ce que le droit du pays d'envoi soit plus favorable. Ce principe clair est pourtant contredit par la pratique et l'émergence progressive d'un salarié low cost , à bas coût, au risque de créer des tensions sur le marché du travail. Ce phénomène est d'autant plus prégnant depuis les élargissements de 2004 et 2007. Il reste pourtant difficile à quantifier même si le chiffre de 300 000 salariés low cost détachés en France au mépris du droit communautaire semble être une hypothèse crédible. Tous les secteurs d'activité sont concernés : bâtiment, transports, agriculture ou évènementiel.

L'absence de dispositions concrètes en matière de contrôle au sein de la directive de 1996 constitue une des raisons principales de cette explosion de la fraude au détachement. L'encadrement des mesures nationales de contrôle par la Cour de justice est également une des clés pour comprendre une telle évolution. C'est dans ce contexte que la Commission a présenté le 21 mars 2012, un projet de directive d'exécution, censée faciliter la prévention de ce type de phénomène. Un dispositif modeste et contradictoire est ainsi en cours de négociations au sein d'un Conseil divisé entre tenants d'un renforcement des contrôles à l'image de la France - qui fait de la lutte contre la fraude au détachement une priorité interne - et partisans d'un statu quo favorables à leurs intérêts, à l'instar d'un certain nombre d'États membres ayant adhéré après 2004.

Le présent rapport a pour objet d'effectuer un état des lieux des normes communautaires en matière de détachement, afin notamment de déterminer en quoi elles peuvent favoriser « optimisation sociale » et dumping social. Il préconise un certain nombre de pistes de travail pour enrichir le texte de la Commission actuellement en débat afin de renforcer et rendre une certaine crédibilité à un dispositif, qui permet tout de même à plus de 300 000 Français d'exercer un emploi en dehors de leur pays.

LES NORMES COMMUNAUTAIRES EN VIGUEUR EN MATIÈRE DE DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS

Jusqu'en 1996, la question du droit du travail applicable au travailleur détaché était couverte par la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dite Convention de Rome, signée le 19 juin 1980 et entrée en vigueur le 1 er avril 1991. Ce texte laisse le choix aux parties intéressées, à condition que cette liberté ne s'exerce aux dépens de la protection du travailleur. À défaut, l'article 6 de la Convention détermine trois options :


• La loi qui prévaut est celle du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché dans un autre État ;


• La loi qui prévaut est celle du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur ;


• La loi qui prévaut est celle du pays au sein duquel le contrat de travail présente les liens les plus étroits.

La jurisprudence de la Cour de justice va pourtant, dans le même temps, imposer l'application du principe du pays d'accueil. Les arrêts Webb (17 décembre 1981) puis Seco et Dequenne et Giral (3 février 1982) reconnaissent la possibilité d'imposer les minimas salariaux de l'État d'accueil, légaux ou conventionnels, aux travailleurs détachés.

L'entrée de l'Espagne, de la Grèce et du Portugal en 1986 - pays dans lesquels les coûts salariaux étaient à l'époque peu élevés - au sein de la Communauté européenne va conduire la Cour à préciser sa jurisprudence. Cette intégration était, en effet, assortie de restrictions à la liberté de circulation des travailleurs, mais aussi de la libre prestation de services dans des secteurs donnés : agences de voyage, tourisme et cinéma. C'est dans ce contexte que le groupe Bouygues a sous-traité un certain nombre de travaux à la société lusitanienne Rush Portuguesa sur le chantier du TGV Atlantique, qui détachait, à cet effet, 46 salariés en France. L'Office national de l'immigration a estimé cette pratique contraire au droit, dressant plusieurs procès-verbaux d'infraction visant notamment l'absence d'autorisation préalable à la venue de ces travailleurs et assimilant la pratique de la société lisboète à du prêt de main d'oeuvre illégal.

Saisie, la Cour de justice a au préalable distingué, dans son arrêt du 27 mars 1990, libre prestation de service et libre circulation des travailleurs. Aux yeux du juge, la sous-traitance relève de la libre-prestation de service, l'action de l'Office national de l'immigration est donc jugé infondée. Cependant, la Cour reconnait aux États la liberté de procéder à des contrôles afin d'évaluer s'il n'existe pas un détournement de la libre prestation de services. Dans le même temps, le juge estime que l'État peut imposer par des moyens appropriés sa législation ou les conventions collectives conclues par les partenaires sociaux aux prestataires de service étranger.

C'est dans ce contexte que la Commission a souhaité en 1991 présenter un texte destiné à prendre en compte l'arrêt Rush Portuguesa et préciser notamment quels étaient les pans de la législation applicable.

LA DIRECTIVE 96/71 ET LE PRINCIPE DU PAYS D'ACCUEIL

La directive 96/71 du 16 décembre 1996 sur le détachement des travailleurs s'applique, dans le cadre d'une prestation de service transnationale, aux travailleurs effectuant une tâche dans un autre État membre que celui où ils exercent habituellement leur activité.

Trois types de détachement sont concernés :


• Le détachement classique ;


• Le détachement intra-groupe : le salarié est détaché dans une entreprise appartenant au même groupe mais située sur le territoire d'un autre État membre ;


• Le détachement opéré par une société d'intérim dans une entreprise établie sur le territoire d'un autre État membre.

La directive entend garantir aux travailleurs détachés l'application de certaines dispositions protectrices minimales en vigueur dans l'État membre dans lequel ils sont détachés.

L'article 3.1 du texte prévoit ainsi un « noyau dur » qui s'impose aux entreprises. Il comprend :


• Les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;


• La durée minimale des congés annuels payés ;


• Les taux de salaire minimum ;


• La sécurité, la santé et l'hygiène au travail ;


• Les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d'emploi des femmes, des jeunes et des enfants, et notamment des femmes enceintes ;


• Les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment en ce qui concerne le travail intérimaire.

Ces dispositions sont reprises en France au sein de l'article L. 1262-4 du Code du travail. La transposition de la directive prévoit que les taux de salaire minimum envisagés par l'article 3.1 concernent le SMIC mais aussi les minima conventionnels pour un poste de travail donné.

Les États membres peuvent imposer des conditions de travail et d'emploi autres que celles prévues dans le noyau dur afin de garantir l'ordre public. Les normes qui composent le noyau dur dans chaque État membre doivent être de nature législative, réglementaire ou issues de règles conventionnelles d'application générale. Les conventions collectives ou les sentences arbitrales doivent ainsi être respectées par toutes les entreprises appartenant au secteur concerné. Ce noyau dur s'impose également aux entreprises des pays non membres de l'Union européenne qui détachent leurs employés sur son territoire. Les dispositions du pays d'accueil ne peuvent cependant empêcher l'application de normes plus favorables adoptées dans le pays d'envoi.

Les travaux liés à la fourniture d'un bien (montage essentiellement) et inférieurs à huit jours sont exclus du champ d'application du noyau dur. Les États membres ont, par ailleurs, la faculté de dispenser les entreprises étrangères des règles relatives au salaire minimum si la durée du détachement est inférieure à un mois. Si les travaux sont considérés de faible ampleur, il est possible pour un État membre de prévoir des dérogations aux normes touchant au salaire minimum et aux congés annuels.

Le texte aborde la question des contrôles de façon limitée, se bornant à l'appel à la mise en place d'une coopération administrative entre États membres. Ceux-ci doivent, à cet effet, mettre en place des bureaux de liaison chargés d'échanger des informations sur les détachements susceptibles de poser problème.

En outre, il convient de relever que si le texte définit le détachement, il ne précise pas la nature des entreprises qui peuvent détacher . La directive n'impose pas en effet expressément aux entreprises d'exercer une activité substantielle au sein du pays d'origine. Aucune limite de temps n'est, par ailleurs, indiquée.

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