B. DONNER AU SERVICE PUBLIC UN CATALOGUE DE DROITS : PARTS DE COPRODUCTION ET QUOTA D'INDÉPENDANCE

Votre groupe de travail considère que le rempart longtemps dressé entre la production et la diffusion a vocation à être battu en brèche. Une séparation trop nette a conduit à une atomisation du secteur de la production, à une sous-industrialisation de la fiction française, et à des politiques néfastes de gel des droits. Elle pourrait conduire à terme à un affaiblissement important des diffuseurs, qui serait morbide pour le secteur.

Afin d'inverser cette tendance, un rapprochement des intérêts des uns et des autres doit être opéré par le moyen d'un partage des droits sur les oeuvres .

1. Le rétablissement des parts de producteur pour les chaînes

Votre rapporteur a longuement expliqué les raisons pour lesquelles le groupe de travail milite pour l'ouverture aux chaînes de la possibilité de disposer de parts de producteur dans des coproductions indépendantes , comme c'était le cas avant 2001 :

- il considère qu'il n'existe pas de danger particulier de remise en cause de l'indépendance du producteur . La réglementation peut néanmoins préciser que celui-ci est le producteur délégué 48 ( * ) et un certain nombre de principes, qui existent déjà pour les programmes de flux, doivent s'appliquer afin d'éviter les abus liés à la dépendance économique ;

- l'existence des producteurs indépendants ne serait en outre pas menacée par cette mesure , puisque les chaînes détiendraient des droits sur les programmes mais conserveraient l'obligation de travailler avec eux ;

- le partage des droits pourra être davantage conforme au risque pris par chacun . Cela permettra d'encourager une certaine audace chez les diffuseurs susceptibles de bénéficier des éventuelles recettes tirées de l'exploitation numérique de l'oeuvre et de sa revente à l'international. C'est particulièrement vrai pour France Télévisions, qui doit être le fer de lance de l'innovation audiovisuelle , notamment en fiction ;

- dans la guerre des programmes audiovisuels qui a déjà commencé, il est essentiel que les productions soient pleinement mises en valeur, dès la primo-diffusion, comme des marques connues et reconnues sur les différents supports . Les chaînes doivent donc être pleinement associées à cette valorisation.

Votre groupe de travail a donc dégagé les pistes de travail suivantes :

- rétablir le droit pour les chaînes de détenir des parts de coproduction . Cela signifie qu'une oeuvre indépendante sera tout simplement celle qui sera produite par un producteur indépendant (celui dont le capital est détenu à moins de 15 % par la chaîne diffusant l'oeuvre en question) ;

- la répartition des recettes serait prévue par des négociations de gré à gré , éventuellement encadrées par les accords interprofessionnels. La logique voudrait que ça soit au prorata de la mise de chacun .

Sur ce sujet, le CSA précise que « lorsqu'un groupe audiovisuel investit de lourdes sommes dans le préfinancement d'une oeuvre « identifiante », il peut sembler logique qu'il cherche à l'exploiter au maximum sur ses antennes et qu'il dispose, à cette fin, de droits larges sur celle-ci. Cela suppose néanmoins que chaque exploitation soit valorisée distinctement avec des rémunérations proportionnelles. Cette logique paraît cohérente avec l'objectif de favoriser la constitution de grands groupes audiovisuels mais elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts du secteur de la production indépendante ». Dans la ligne tracée par loi, le CSA pourrait logiquement être amené à faire cohabiter ces deux impératifs, conformément à sa mission de gardien de l'indépendance des producteurs à l'égard des diffuseurs (6° de l'article 28 de la loi n° 86-1067 de la loi relative à la liberté de communication) ;

- afin de limiter les effets de cette mesure aux seules oeuvres dans lesquelles les chaînes investissent de manière importante (notamment la fiction et les documentaires), parce qu'elles sont particulièrement identifiantes, cette possibilité pourrait n'être ouverte qu'aux oeuvres financées significativement (à plus de 30 %) par les diffuseurs .

Cela permettrait de sortir une grande partie de l'animation de la coproduction : votre groupe de travail considère en effet que cette filière est déjà industrialisée de manière satisfaisante, ce qui n'impose pas de changements fondamentaux 49 ( * ) .

Afin de mettre en oeuvre cette disposition, il faut modifier l'article 71-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, afin de supprimer l'interdiction de détention de parts de producteurs.

Votre rapporteur remarque que si l'audiovisuel public est particulièrement visé, une telle modification concernerait l'ensemble des chaînes de télévision.

Si toutefois, le Gouvernement souhaitait avancer avant même qu'une modification de la loi soit votée, il pourrait baisser, notamment pour France Télévisions, le quota de production indépendante prévu par les décrets 50 ( * ) et lui ouvrir la possibilité de coproduire sur son quota d'oeuvres dépendantes. Cela permettrait au groupe de disposer rapidement de parts de coproduction sur un nombre plus important de nouveaux programmes financés.

La diminution du taux obligatoire du quota d'oeuvres indépendantes est au demeurant une autre piste du groupe de travail pour renforcer la compétitivité du secteur audiovisuel français.

2. Un assouplissement du quota d'indépendance

Votre groupe de travail considère que le retour des « parts de copro » ne suffira pas, à lui seul, à répondre aux défis qui attendent l'audiovisuel français. Il considère que l'on est devant une alternative :

- soit l'on reste dans le système actuel de l'éparpillement des structures de production , avec certes une incitation des chaînes à avoir plus d'audace grâce aux parts de coproducteurs, mais un risque que cela soit insuffisant face aux rouleaux compresseurs américains (Apple, Netflix, Amazon) qui débarqueront demain sur nos écrans de télévision, comme ils ont débarqué sur le marché de la musique et du livre en ligne ;

- soit l'on souhaite réellement structurer le marché de la production en France et dans ce cas l'idéal serait que soient créés quelques grands pôles (autour des chaînes de télévision ou non), susceptibles de tenir un rang dans la compétition mondiale des programmes, tout en maintenant une production indépendante à un niveau élevé afin de préserver l'innovation et la diversité dans la production audiovisuelle.

Il a la conviction que si notre tissu industriel n'est pas construit pour le marché domestique, il le sera encore moins, demain, dans un monde où la concurrence sera internationale. Il faut donc laisser aux diffuseurs le choix : travailler avec des producteurs indépendants ou internaliser une partie de leur production, selon des stratégies propres d'optimisation du financement des oeuvres.

Votre rapporteur a donc suggéré au groupe de travail que soit diminué le quota de production indépendante pour l'ensemble des diffuseurs , publics comme privés. Tous les membres se sont pleinement accordés sur cet objectif .

Un long débat a cependant eu lieu, au sein du groupe de travail, sur l'importance de cette baisse du quota .

Soulignons, d'une part, que la situation actuelle est extrêmement complexe (beaucoup trop aux yeux de votre rapporteur) avec des taux variant selon les groupes et selon que l'on parle des oeuvres audiovisuelles ou des oeuvres audiovisuelles patrimoniales. Globalement, ce taux varie de 60 % (certaines chaînes de la TNT) à 95 % (France Télévisions).

Notons ensuite que ce choix relève non pas du législateur, la loi indiquant seulement qu'une production indépendante doit exister, mais du pouvoir réglementaire, à travers les décrets « production ».

Votre rapporteur, rejoint par une partie du groupe de travail, estime que l'on pourrait assez simplement s'orienter vers une baisse du quota à 50 % pour tous les diffuseurs .

Il ne souhaite pas, avec une telle suggestion, remettre en cause le « modèle français » reposant sur la production indépendante. En effet :

- d'une part, le taux de 50 % reste élevé (il est de 10 % en Angleterre) ;

- et, d'autre part, il est convaincu que le choix sera fait par la plupart des chaînes de prolonger le partenariat qu'elles ont avec les producteurs. Ainsi une chaîne comme NRJ 12, qui a une obligation à 70 %, connaît de facto un taux de production indépendante de 90 %.

Il a en revanche comme objectif assumé d'enclencher (enfin) une recomposition du marché de la production audiovisuelle autour d'acteurs moins nombreux et plus solides .

Une telle liberté laissée aux diffuseurs encouragera en effet forcément des rachats de sociétés de production par les chaînes et, pour répondre à cette conséquence, des regroupements de producteurs indépendants .

Une partie du groupe de travail estime que la vitalité de la création française doit passer par cette stratégie industrielle offensive.

M . David Assouline considère cependant que cette option est excessive :

- il souligne que l'intégration des oeuvres coproduites dans le quota d'oeuvres indépendantes libérera de facto de la place pour une production internalisée des chaînes ;

- en outre, cette double mutation pour les producteurs audiovisuels, avec un retour des parts de production et une baisse du quota pourrait avoir un effet très restrictif pour l'ensemble du secteur . L'instauration brutale d'un taux à 50 % pourrait être un facteur important de déstabilisation ;

- enfin il indique que l'ouverture sur les parts de coproduction, d'une part, et les obligations sur la circulation des oeuvres, d'autre part, s'inscrivent dans un équilibre du secteur et sont susceptibles de rencontrer une adhésion des acteurs. La baisse importante du quota se place dans une autre logique.

Il estime donc qu'il serait plus judicieux d'aligner l'audiovisuel public sur les chaînes privées, en fixant pour l'ensemble des diffuseurs une obligation à hauteur de 70 %.

Le groupe communiste milite quant à lui pour un abaissement plus important encore du taux de production indépendante 51 ( * ) .


* 48 Parmi les coproducteurs, c'est celui qui endosse la responsabilité économique et juridique de la bonne fin de la production. Il exerce le pouvoir de producteur au nom de tous ses partenaires financiers et supporte le risque de la réalisation. Il a le mandat de gestion de l'ensemble des coproducteurs et des co-intervenants financiers. Cette fonction peut se partager, surtout en matière de production de fiction T.V., la réglementation du CNC faisant obligation d'être producteur délégué pour mobiliser du soutien financier.

* 49 Le principe du droit à recettes, tel que conçu actuellement, pourrait en revanche, dans ce cas, être conservé.

* 50 S'agissant du groupe public, le décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions.

* 51 Voir sa contribution détaillée en annexe.

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