4. L'arrivée d'un nouvel acteur : les drones

Les concurrences d'usage de l'espace aérien entre l'aviation civile et les autres composantes du trafic aérien (aviation militaire, aviation d'affaires, hélicoptère, aviation de tourisme) s'organisent actuellement sans tensions excessives.

À l'horizon d'un génération ou plus, l'arrivée d'un nouvel acteur, les drones civils, risque d'altérer cet équilibre.

L'évolution prévisible de l'emploi des drones suscite à la fois des interrogations sur les conditions de leur emploi et sur leur cohabitation avec d'autres acteurs de l'espace aérien ;

a) L'évolution prévisible de l'usage des drones

• Une croissance très forte dans les quinze prochaines années

On ne dispose pas de données précises sur le nombre de drones civils employés dans le monde ; de l'ordre d'un millier d'opérateurs aux États-Unis, 127 opérateurs en France en avril 2013.

La FAA estime que 66 % des drones civils sont employés aux États-Unis et 10 % en Europe ; elle table sur un effectif de 10 000 drones en 2017 et de 30 000 drones en 2025.

Il s'agit donc d'un phénomène dont la progression sera très rapide.

• Des caractéristiques très variées

À long terme, un premier partage s'effectuera entre les drones pilotés et les drones automatiques. Mais cette dernière catégorie, parfaitement à portée de technologie, pose, actuellement, trop de problèmes de sécurité d'emploi.

Aujourd'hui, trois autres lignes de partages coexistent :

- celles du poids (moins de 2 kg, 2 à 4 kg, moins de 26 kg, jusqu'à 150 kg et au-delà). En France, 60 opérateurs utilisent des appareils de 2 à 4 kg et deux des appareils entre 4 et 26 kg),

- celles de l'emploi à vue ou non de l'opérateur (en France, seuls 5 opérateurs effectuent des missions hors de vue) ;

- et celles des architectures (avions, hélicoptères multirotors, ballons captifs - sur les 127 opérateurs français, 50 emploient des ballons sondes).

On voit donc que la multiplication des drones pourra prendre des formes extrêmement diverses. En l'état, nous sommes loin des emplois militaires : un « Predator » de 900 kg est utilisé en Afghanistan par un opérateur basé à des milliers de kilomètres.

Mais rien n'interdit d'estimer que le déploiement des drones n'aboutira pas à des usages impliquant des appareils plus grands, ce qui multipliera les risques liés aux concurrences d'usage de l'espace aérien.

b) Les interrogations liées à l'utilisation des drones

Si l'on porte un regard rétrospectif sur les précautions qui ont entouré le développement de l'aviation civile à partir de la seconde guerre mondiale 23 ( * ) (tant en termes de certification de matériel et de logiciels que d'organisation de la navigation aérienne), on ne s'étonnera pas que la montée en puissance des drones puisse susciter des questions du même ordre.

Au nombre d'entre elles, on mentionnera :

- les problèmes liés à la sûreté des systèmes qu'ils soient basés à terre ou embarqués ;

- des problèmes liés à la sécurité. On conçoit bien que l'emploi sur un territoire de milliers d'appareils, moins repérables et identifiables que les avions, puisse impliquer un risque terroriste ;

- des problèmes de préservation de la vie privée car, de façon moins voyante qu'un avion ou qu'un hélicoptère, un drone peut trouver des emplois très intrusifs. C'est ce que l'on commence à appeler les drones « paparazzi » ;

- des problèmes de certification des appareils et de formation des pilotes basés à terre ;

- et, enfin, des problèmes liés à un surcroît d'utilisation des fréquences radios terrestres, puis satellitaires lorsque le système de commande et d'évolution des drones dans l'espace aérien évolue.

c) La cohabitation des drones avec les autres usagers de l'espace aérien.

Si l'on compare le nombre d'avions en vol de façon permanente au-dessus du territoire américain (5 000) et les prévisions actuelles concernant le nombre de drones aux États-Unis en 2025 (30 000), on mesure les problèmes de concurrence d'usage de l'espace aérien qui en résulteront - et les dangers sous-jacents que cette cohabitation pourrait représenter.

Certes, en l'état, les risques de collision impliquant un drone de quelques kilos, évoluant sous un pallier de 100 m d'altitude et à plus de 2 km des pistes, sont réduits aux possibilités « d'évasion » des drones par rapport à leurs systèmes de contrôle.

Mais, à terme, le problème se posera de façon plus aigüe et, en particulier, sur le fait de savoir s'il faut cantonner l'usage des drones à un espace ségrégué par rapport à l'aviation civile ou non.

Des solutions très ambitieuses sont envisagées aux États-Unis, l'Europe et la France étant en situation d'attente.

• Les États-Unis

Le Congrès des États-Unis a donné mandat à l'administration fédérale de proposer d'ici 2015 des solutions pour intégrer la flotte de drones au système américain de navigation aérienne.

La Federal Aviation Administration (FAA) a établi un rapport sur les conditions d'opérabilité de cette intégration 24 ( * ) et proposé une feuille de route sur les avancées de recherche nécessaires à celle-ci. Il s'agit notamment :

- en matière de communication, de démontrer la fiabilité d'un réseau de communication vocale intégrant les systèmes aériens sans pilote ;

- en matière d'opérations aériennes de :

• démontrer la fiabilité d'une navigation de drones commandés par le sol et en interaction avec la navigation aérienne ;

• étudier les arbitrages entre le contrôle au sol et les automatismes dans les systèmes dits « détecter et éviter » qui sont une des bases de sécurisation de la circulation aérienne des drones ;

- en matière d'engins sans pilote à terre, d'évaluer la capacité de négociation autonome de trajectoire de ces appareils ;

- en matière d'interface homme/machine, d'étudier les capacités des opérateurs à arbitrer simultanément entre les trajectoires de plusieurs drones et d'évaluer la charge de travail acceptable pour ces pilotes des drones.

Trois observations sur ce projet :

• Cette feuille de route repose sur la mise en place des démonstrateurs - et donc de sites de tests de drones - et ses objectifs s'étalent entre 2013 et 2020, ce qui renvoie au-delà de cette date pour l'intégration des drones au système américain de navigation aérienne.

• L'effort de recherche attendu repose sur la Nasa, principal organisme américain de recherche sur l'aviation civile, mais aussi beaucoup sur le département de la Défense, au titre de la recherche duale qui est un des modes de financement de la recherche civile aux États-Unis.

• La démarche américaine est très volontariste et traduit, sans doute, le souhait des autorités américaines de prendre une avance décisive dans ce domaine.

Cette demande débouchera, à terme, sur une inclusion des drones dans la modernisation du système de navigation aérienne américaine (« NextGen », l'équivalent du système européen « SESAR »).

• L'Europe

L'Union européenne est compétente pour poser les bases d'une réglementation des drones civils de plus de 150 kg.

Une directive est en préparation sur ce point.

• La France

Les États membres de l'Union européenne ont compétence pour réglementer l'usage des drones de moins de 150 kg. Notre pays a été le premier à réglementer l'usage des drones (arrêté du 11 avril 2012 relatif à l'utilisation de l'espace aérien pour les aéronefs qui circulent sans personne à bord).

Les autorisations données sur cette base (cf. supra) sont plutôt réservées à des usages de niches et dans des espaces très ségrégués par rapport à l'aviation civile.

Elles distinguent, en outre, les usages des drones :

- en fonction de leurs poids ;

- en fonction de leur utilisation à vue ou non du pilote.

Par ailleurs, la DGAC certifie les machines, les pilotes et les procédures d'utilisation.

La philosophie de ce dispositif, qui s'inspire de la réglementation de l'aéromodélisme, est de ne pas établir des règles trop contraignantes dans un premier temps, ceci pour des usages qui ne présentent que des risques limités d'emploi.

Il est clair qu'assez rapidement, une évolution de cette réglementation sera nécessaire, ne serait-ce que parce que le développement de l'utilisation de ce type d'appareil exigera, à terme, l'intégration des drones à l'effort européen de modernisation technologique de la navigation aérienne (Programme SESAR - Single European Sky Air traffic management Research).

d) Des enjeux industriels potentiellement importants

Il est difficile de calibrer, à un horizon de deux générations, l'importance économique de ce qui constituera un nouveau secteur industriel de l'aviation. Mais on peut gager que les gains de productivité importants que l'on peut escompter d'une généralisation de l'usage des drones en font une activité industrielle à ne pas négliger.

Ceci d'autant plus que certains pays (États-Unis, Israël) semblent avoir pris une avance dans ce domaine, alors même que la France n'est pas en retard dans les technologies qui supportent l'utilisation des drones.

Dans un premier temps, votre rapporteur se limitera à trois observations :

- il est très important qu'un cadre réglementaire français et européen soit rapidement établi pour asseoir le droit de cette activité et donner aux industriels européens une lisibilité de développement ;

- l'usage des drones a d'abord été encouragé par les besoins militaires et supporté par la recherche militaire. Il sera nécessaire d'encourager en France, et en Europe, un couplage entre les recherches civiles et militaires dans ce domaine ;

- le secteur des drones est indubitablement une activité d'avenir ; il devrait être éligible aux reliquats du Grand Emprunt (et éventuellement à toute rallonge qui serait dégagée par les pouvoirs publics).


* 23 Qui ont donné lieu à la création d'une organisation internationale dédiée : l'Organisation internationale de l'aviation civile (OACI), basée à Montréal.

* 24 Integration of unmamed Aircraft Systems into national airspace system (FAA - Sept. 2012).

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