B. LES AJUSTEMENTS RÉGLEMENTAIRES ET LÉGISLATIFS

1. Les mesures d'application proprement-dites

Très rapidement et dès le mois de décembre 2008, deux décrets 15 ( * ) ont été publiés afin de définir les modalités pratiques de lancement du régime de l'auto-entrepreneur pour le 1 er janvier 2009. Au total, on dénombre sept décrets d'application auxquels s'ajoutent diverses mesures réglementaires propres à l'assurance chômage et une mesure législative prévoyant l'application du régime aux militaires de carrière à moins de deux ans de la limite d'âge.

Le tableau ci-dessous dresse un inventaire des mesures qui ont été prises dans le but d'appliquer le régime de l'auto-entrepreneur, sans en modifier le fond.

Mesures législatives et réglementaires d'application

Mesures d'application

Objet

Décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011 modifiant le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'Etat.

Instauration d'un régime d'autorisation du responsable hiérarchique pour les agents publics exerçant une activité d'auto-entrepreneur à titre accessoire.

Loi n° 2011-14 du 5 janvier 2011 relative à la reconversion des militaires.

Décret n° 2012-592 du 27 avril 2012 relatif à la reconversion des militaires.

Application du régime aux militaires de carrière à moins de deux ans de la limite d'âge.

Circulaire Unedic n° 2013-02 du 11 janvier 2013.

Détermination par Pôle emploi d'un revenu forfaitaire de l'activité d'auto-entrepreneur pour effectuer le prélèvement provisionnel sur l'indemnisation chômage.

Accord d'application n° 11 du 6 mai 2011 de la convention relative à l'indemnisation du chômage.

Modalités de calcul de la déduction des allocations mensuelles des revenus tirés de l'activité d'auto-entrepreneur.

Décret n° 2009-933 du 29 juillet 2009 relatif au calcul du revenu des travailleurs indépendants relevant de l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale et bénéficiaires du revenu de solidarité active.

Calcul des allocations RSA et des revenus d'activité pendant trois mois.

Décret n° 2008-1488 du 30 décembre 2008 portant diverses mesures destinées à favoriser le développement des petites entreprises, pris en application des articles 8, 14, 16, 56 et 59 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

- Conditions d'inscription des auto-entrepreneurs au registre du commerce et des sociétés

- Mention obligatoire du numéro d'identification au répertoire national des entreprises de l'INSEE sur les documents émis par les auto-entrepreneurs.

Décret n° 2010-249 du 11 mars 2010 modifiant le décret n° 98-247 du 2 avril 1998 relatif à la qualification artisanale et au répertoire des métiers et son annexe.

Instauration d'une obligation d'attestation de la qualification, au titre de laquelle l'auto-entrepreneur exerce son activité artisanale en mentionnant soit le diplôme ou titre, soit l'expérience professionnelle de trois années, soit du recrutement d'un salarié qualifié.

Décret n° 2008-1405 du 19 décembre 2008 pris pour l'application de l'article 9 de la loi n 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et modifiant la partie réglementaire du code de commerce.

Instauration, pour les activités de commerce, d'un registre distinguant les règlements en espèces des autres règlements et indiquant les références des pièces justificatives.

Décret n° 2011-159 du 8 février 2011 fixant l'ordre d'affectation des sommes versées par les bénéficiaires du régime de l'auto-entrepreneur entre les cotisations de sécurité sociale.

Ventilation du versement forfaitaire entre les différents impôts, cotisations et contributions (impôt sur le revenu, CSG, CRDS puis cotisation de sécurité sociale).

Décret n° 2010-696 du 24 juin 2010 pris en application de l'article L. 133-6-8-2 du code de la sécurité sociale.

Fixation du montant minimal des revenus ouvrant droit à validation de trimestres de retraite (200 Smic horaires).

2. Les modifications successives du régime
a) Onze modifications législatives en quatre ans

Pour répondre aux premières critiques formulées sur le régime de l'auto-entrepreneur, une série de dispositions législatives ont été adoptées depuis l'entrée en vigueur du dispositif :

- dans le cadre de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, le Sénat a adopté un amendement pour prévoir que les auto-entrepreneurs déclarant, au titre d'une année civile, un chiffre d'affaires ou des revenus inférieurs à un seuil fixé par décret, n'entrent pas dans le champ de la compensation accordée par l'Etat aux organismes de sécurité sociale des professions libérales ;

- l'article 67 de la loi de finances rectificatives précitée pour 2009 rend obligatoire à compter du 1 er avril 2010 l'immatriculation au registre des métiers des auto-entrepreneurs exerçant à titre principal une activité artisanale. Les auto-entrepreneurs seront toutefois exonérés du paiement de la taxe pour frais de chambre de métiers pendant les trois premières années.

- la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu, à compter du 1 er janvier 2011, la radiation automatique du régime pour les auto-entrepreneurs qui ne déclarent pas de chiffre d'affaires pendant huit trimestres consécutifs, soit deux ans, au lieu de trois auparavant, une obligation au moins trimestrielle de déclaration étant parallèlement instituée, sous peine de sanctions financières, même en l'absence de chiffre d'affaires, de façon à rendre plus effective la radiation.

Certaines dispositions législatives ont eu pour objet de revenir sur des modifications antérieures :

- l'exonération des auto-entrepreneurs de contribution à la formation professionnelle a été instaurée en 2009 puis supprimée en loi de finances pour 2011 ;

- en loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, la durée de maintien dans le régime en cas d'absence de chiffre d'affaires a été allongée de un à trois ans, avant d'être ramenée à deux ans en loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Enfin, des modifications étaient attendues, compte tenu des critiques récurrentes qu'il suscite, en termes de concurrence déloyale, pour les artisans notamment, et d'externalisation indue de main d'oeuvre. Tel est l'objet de la modification des taux de cotisations sociales intervenue en loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Les cotisations et contributions sociales sont calculées, mensuellement ou trimestriellement, en appliquant aux chiffres d'affaires réalisés le mois ou trimestre précédents des taux fixés par décret. L'article 11 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 a précisé que ces taux devaient être déterminés « de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants ». En conséquence, il a été procédé au 1 er janvier 2013 à une hausse de ces taux :

- de 12 à 14 % pour les activités commerciales ;

- de 21,3 à 24,6 % pour les activités artisanales et de services ;

- de 18,3 à 21,3 % pour les activités libérales.

Les taux des prélèvements libératoires de l'imposition sur les revenus n'ont pas été modifiés. Le tableau ci-dessous présente le détail du nouveau barème des prélèvements sociaux et fiscaux applicables sur le chiffre d'affaire engendré par les auto-entrepreneurs.

Taux de prélèvements applicables au 1/1/2013

Source : Acoss

Malgré un nombre important de modifications législatives (onze en quatre ans), et la réduction tendancielle des avantages sociaux accordés aux auto-entrepreneurs, le dispositif ne semble toujours pas avoir atteint son point d'équilibre . En témoigne la fronde toujours exacerbée du réseau consulaire des chambres de métiers, mais aussi la volonté du Gouvernement de réformer le dispositif, laquelle s'est manifestée au travers :

- de la commande d'un rapport d'évaluation confié à l'IGAS et à l'IGF qui a été remis en avril dernier et sur lequel votre commission a auditionné les auteurs ;

- de l'annonce faite en Conseil des ministre du 12 juin dernier annonçant le lancement d'une réforme pour adapter le régime de l'auto-entrepreneur suivant deux objectifs consistant à faciliter la création d'entreprise en limitant le régime dans le temps pour le faire glisser vers les statuts classiques, avec un dispositif de transition aménagé, et à offrir un statut adapté pour l'exercice d'une activité complémentaire, sans limite de durée, permettant de se créer un revenu d'appoint, plus limité dans son montant.

Enfin, la question de l'exonération de CFE, prolongée pour un an en loi de finances pour 2013, devra être nécessairement abordée en PLF 2014.

Modifications législatives successives

Modifications législatives

Objet

Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Exonération des auto-entrepreneurs de contribution à la formation professionnelle.

Article 19-V de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, telle que modifiée par la loi de finances rectificative n° 2009-1674 du 30 décembre 2009.

Obligation d'inscription (gratuite) au répertoire des métiers des auto-entrepreneurs exerçant à titre principal une activité artisanale (mais dispense du stage préalable, exonération des frais d'inscription et, pendant deux ans, de la taxe pour frais de chambre des métiers.

Article 71 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.

Modalités de validation des trimestres d'assurance vieillesse.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

Allongement de un à trois ans de la durée de maintien dans le régime en cas d'absence de chiffre d'affaires.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Réduction à deux ans de la durée de ce maintien et instauration d'une obligation au moins trimestrielle de déclaration étant parallèlement instituée, sous peine de sanctions financières, même en l'absence de chiffre d'affaires

Loi de finances pour 2011.

Instauration d'une contribution additionnelle au titre de la participation des auto-entrepreneurs à la formation professionnelle.

Article 80 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.

Accès au régime de l'auto-entrepreneur au titre d'une activité parallèle à une activité agricole.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Application aux auto-entrepreneurs exerçant dans les DOM des taux réduits propres aux travailleurs indépendants en outre-mer.

Article 11 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Augmentation des taux de prélèvements sociaux applicables au 1 er janvier 2013 « de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable, aux mêmes titres, aux revenus des travailleurs indépendants ».

Article 137 de la loi de finances pour 2013.

Extension de l'exonération de cotisation foncière des entreprises pour trois ans à tous les auto-entrepreneurs pour ne plus le limiter aux seuls auto-entrepreneurs ayant opté pour le versement libératoire de l'impôt sur le revenu.

Loi de finances pour 2013.

Prolongation d'une année de l'exonération de CFE.

b) L'initiative parlementaire à l'origine de nombreux ajustements et propositions

A l'issue de la première année d'application du régime, deux points précis avaient recueilli, en 2010, un large consensus des parlementaires 16 ( * ) :

- l' instauration d'une obligation de déclaration d'activité pour tous les auto-entrepreneurs , quel que soit le montant du chiffre d'affaires ou des recettes réalisé, y compris en l'absence de chiffre d'affaires et de recettes ;

- et la limitation à trois ans du bénéfice de ce régime micro-social spécifique pour les auto-entrepreneurs qui exercent leur activité à titre principal . Les salariés, retraités et étudiants qui s'inscriraient en tant qu'auto-entrepreneur à titre complémentaire, pour accroître leur pouvoir d'achat, conserveraient ce statut sans limitation de durée.

Comme on l'a vu précédemment, le premier point a été adopté en loi de financement de la sécurité sociale, sur une initiative sénatoriale, et a permis de répondre au constat que 60 % des auto-entrepreneurs inscrits à l'époque ne déclaraient aucun chiffre d'affaires, empêchant ainsi tout contrôle effectif de la réalité de leur activité par les organismes de sécurité sociale et par les services de l'inspection du travail.

Le second point, relatif à la limitation dans le temps de l'exercice d'une activité à titre principal, continue encore aujourd'hui à faire l'objet de débat.

Les initiatives parlementaires consécutives à la table ronde

A) L'amendement présenté par le président de la commission des finances Jean Arthuis dans le cadre de l'examen de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)

Notre collègue Jean Arthuis, président de la commission des finances, a mis en pratique les pistes de réflexion soulevées au cours des travaux de la table ronde en présentant, dès le 8 avril 2010, dans le cadre de l'examen de la loi relative à l'EIRL, l'amendement suivant afin précisément d'instaurer une obligation de déclaration et une limitation dans le temps du régime :

I. - L'article L. 133-6-8-1 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les bénéficiaires du régime prévu à la présente section déclarent et acquittent les montants dus, même en l'absence de chiffre d'affaires ou de recettes effectivement réalisées, dans les conditions et sous les sanctions prévues par le présent code. Les modalités d'application des dispositions prévues aux chapitres 3 et 4 du titre 4 du livre deuxième du présent code, et notamment les majorations et pénalités applicables en cas de défaut ou de retard de déclaration ou de paiement, sont déterminées par décret en conseil d'Etat. En l'absence de déclaration ou de paiement pendant une période déterminée par décret, le bénéficiaire perd le bénéfice du régime.

« A l'exception des bénéficiaires recourant au régime prévu par la présente section dans le cadre d'une activité accessoire, le bénéfice du régime est accordé pour une durée de trois ans. »

II. - Les dispositions du I sont applicables à compter du 1 er janvier 2011.

Cet amendement n'a pas été adopté pour deux motifs :

- la commission des lois n'a pas souhaité introduire de dispositions relatives à l'auto-entrepreneur dans un texte relatif à l'EIRL, tout en ne se prononçant pas sur le fond ;

- Hervé Novelli, secrétaire d'Etat, a d'abord considéré que l'obligation de déclaration du chiffre d'affaires ne semble pas nécessaire - une non-déclaration de chiffre d'affaires équivalant à une déclaration de chiffre d'affaires nul qui peut-elle même faire l'objet d'un contrôle - et que le maintien en l'état du régime, sans limite de durée d'application, ne soulève pas de difficultés en termes de concurrence entre entreprises. Ensuite, il a demandé le retrait de l'amendement au bénéfice de l'engagement du Gouvernement de publier une évaluation approfondie du dispositif de l'auto-entrepreneur 17 ( * ) .

B) La proposition de loi n° 608 (2009-2010) du 5 juillet 2010 relative aux cotisations sociales versées par les auto-entrepreneurs

À partir des travaux de la table ronde, nos collègues Muguette Dini, Jean Arthuis, Dominique Leclerc et Alain Vasselle ont présenté une proposition de loi n° 608 (2009-2010) du 5 juillet 2010 relative aux cotisations sociales versées par les auto-entrepreneurs. Celle-ci a notamment pour objet l'instauration d'une obligation de déclaration trimestrielle de chiffre d'affaires ou de revenus, même lorsque leur montant est nul, et reprend, dans les mêmes termes, les deux premiers alinéas de l'amendement précité.

Enfin, tous semblent s'accorder sur deux points :

- la nécessité d'étendre à l'ensemble des régimes de droit commun le principe de simplification des formalités de création d'entreprise introduit par le régime de l'auto entrepreneur ;

- et celle d'accompagner les auto-entrepreneurs qui exercent leur activité à titre principal vers les dispositifs de droit commun pour développer leur entreprise. Le statut de l'auto-entrepreneur doit être salué pour sa simplicité : il s'agit d'un véritable « pied à l'étrier ». Mais s'il convient d'encourager la création d'entreprises, il ne faut pas laisser perdurer, sans contrôle ni accompagnement, les effets de seuils que le nouveau dispositif peut induire.

c) Un dispositif qui suscite de nombreuses questions parlementaires

Depuis l'adoption de la LME, l'auto-entrepreneur a fait l'objet de quelques 59 questions écrites sénatoriales dès la première année et 154 à ce jour 18 ( * ) . D'emblée, les interrogations ont porté sur le risque de concurrence déloyale lié à l'abaissement des coûts salariaux, les problèmes de sécurité des travaux et l'émergence d'un salariat déguisé.

Il est intéressant de constater que les réponses ministérielles « type » ont, dans un premier temps et sous le précédent gouvernement, tendu vers une minimisation des problèmes posés ( cf. encadré ci-dessous).

Question écrite n° 14039 de M. Antoine Lefèvre (Aisne - UMP)

publiée dans le JO Sénat du 24/06/2010 - page 1576

M. Antoine Lefèvre attire l'attention de M. le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation sur les dérives liées à l'utilisation du statut de l'auto-entrepreneur et du risque de concurrence déloyale que ce régime susciterait au sein des professions de l'artisanat et du commerce. Si cette mesure visait à créer de l'activité économique, en raison de l'abaissement des coûts sociaux des seuls auto-entrepreneurs, l'ensemble des PME de l'artisanat et des services se retrouvent en concurrence directe avec des entrepreneurs dont les charges sont moindres. Se pose également le problème de l'assurance décennale, laquelle n'est pas toujours souscrite. Enfin, il ne faut pas négliger l'émergence d'une nouvelle précarité de l'emploi et du travail qu'on observe avec la transformation, encouragée par certaines entreprises, d'un contrat de travail en régime auto-entrepreneur

Il lui demande donc de bien vouloir lui indiquer les mesures que le Gouvernement entend prendre pour mettre fin à ces dérives, objet de légitimes préoccupations.

Réponse du Secrétariat d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation

publiée dans le JO Sénat du 09/09/2010 - page 2337

Le régime de l'auto-entrepreneur reflète le désir profond d'entreprendre qui anime maintenant les Français. Ce succès tient essentiellement à la simplicité du régime lui-même et à la lisibilité du prélèvement des cotisations sociales et fiscales, qui sont assises sur le seul chiffre d'affaires encaissé. Toutefois, certains artisans et commerçants ont exprimé leur inquiétude concernant le risque de dérives éventuelles occasionnées par ce nouveau régime. Tout d'abord, il importe de bien mesurer l'impact réel des auto-entrepreneurs dans le domaine du bâtiment et travaux publics. Le chiffre d'affaires de l'ensemble des auto-entrepreneurs, pour l'année 2009, est de 934 M€, tandis que l'ensemble des entreprises de moins de 10 salariés du secteur du bâtiment ont réalisé en 2009 un chiffre d'affaires de 61 Md€. Pour cette même année, 12,7 % des demandes d'inscription au régime de l'auto-entrepreneur relevaient du secteur du bâtiment. Ainsi, on peut estimer que les auto-entrepreneurs de ce même secteur n'ont représenté en 2009 qu'environ 0,2 % du chiffre d'affaires du secteur. Une évaluation du régime de l'auto-entrepreneur est en cours. Elle permettra d'établir un premier bilan statistique et une évaluation du régime, y compris dans le secteur du bâtiment. Participent au pilotage de cette évaluation les administrations et les caisses de sécurité sociale en charge des auto-entrepreneurs, les chambres consulaires, les organisations patronales et les représentants des auto-entrepreneurs. À l'issue de cette évaluation, la plus grande attention sera réservée aux préoccupations des organisations professionnelles. En particulier, des mesures seront prises pour lutter de façon déterminée contre d'éventuels abus qui seraient constatés lors de l'utilisation de ce nouveau régime. Pour autant, il peut d'ores et déjà être répondu en détail aux préoccupations exprimées. Le régime de l'auto-entrepreneur ne génère aucune concurrence déloyale en termes d'exigence de qualification ou d'assurance obligatoire. Les règles de qualification sont identiques, sans aucune dispense, pour les auto-entrepreneurs et pour les autres artisans du bâtiment. Depuis 1996, certains artisans sont soumis à une obligation de qualification professionnelle : le plus généralement, ils doivent avoir préalablement trois ans d'expérience comme salariés ou être titulaires d'un certificat d'aptitude professionnelle dans le domaine où ils veulent créer leur entreprise. Cette règle s'applique de plein droit aux auto-entrepreneurs.

Il est exact que cette obligation de qualification n'était jusqu'à présent pas contrôlée lors de la création de l'entreprise, mais uniquement par des contrôles inopinés pendant la vie de l'entreprise. Le Gouvernement a remédié à cette insuffisance par un décret publié le 12 mars 2010, applicable depuis le 1er avril. Désormais, tous les artisans, y compris les auto-entrepreneurs, souhaitant créer leur activité doivent, au préalable, attester de leur qualification. Il n'existe ensuite aucune concurrence déloyale en termes de niveaux de charges. Une étude de l'ordre des experts comptables, actualisée en avril dernier, a montré que le niveau de charges était comparable. En effet, on compare souvent à tort le taux de taxation pour les artisans de droit commun (45 %) et celui des auto-entrepreneurs (21,3 %). Or, ces taux s'appliquent à des assiettes différentes : l'artisan est imposé sur ses bénéfices, alors que l'auto-entrepreneur est imposé sur son chiffre d'affaires. En d'autres termes, l'auto-entrepreneur ne peut déduire aucune charge, et est imposé sur l'intégralité de son chiffre d'affaires. Le régime de l'auto-entrepreneur est d'ailleurs très peu attractif en cas d'investissements significatifs, synonymes de charges élevées. Il est exact que l'auto-entrepreneur n'est pas assujetti à la TVA. C'est d'ailleurs le cas aussi du régime de la micro entreprise qui existe depuis près
de 20 ans. Mais en contrepartie, l'auto-entrepreneur achète ses fournitures et ses matières premières toutes taxes comprises, et il ne peut déduire la TVA de ses achats de matières premières qui sont souvent significatifs dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.

Enfin, l'auto-entrepreneur bénéficie d'une dispense de contribution économique territoriale, l'ex-taxe professionnelle, mais cette exonération n'est que de trois ans, et tous les créateurs d'entreprises bénéficient déjà d'une exonération la première année. Le droit du travail s'applique sans aucune dérogation. Le salarié ne peut pas exercer, en complément, une activité identique à celle de son employeur et auprès de la même clientèle, sans avoir obtenu l'accord de son employeur. Le régime de l'auto-entrepreneur, en effet, n'a nullement été conçu pour couvrir l'externalisation abusive de salariés ou le recrutement de faux indépendants. Les services de l'État sont mobilisés, comme ils l'ont toujours été, pour lutter contre la dissimulation d'une relation salariale de subordination sous la forme d'une relation commerciale de sous-traitance. En outre, l'auto-entrepreneur qui réalise du chiffre d'affaires doit le déclarer. C'est seulement en son absence qu'il n'est, en l'état actuel du droit, pas tenu à déclaration. Il convient de rappeler que les auto-entrepreneurs qui ne déclarent pas de chiffre d'affaires pendant plus de trois ans sortent automatiquement du régime. En l'absence de chiffre d'affaires, ils ne bénéficient bien entendu pas de droits additionnels de retraite. Les auto-entrepreneurs ont le droit, pendant un trimestre ou une période donnée, de ne pas exercer d'activité : ce régime instaure en effet un « permis d'entreprendre », que chacun peut activer selon sa volonté, notamment en cas d'activité complémentaire ou saisonnière. C'est cette souplesse qui fait justement le succès de ce régime. Le régime de l'auto-entrepreneur permet de faire rentrer certains travailleurs dits « au noir » dans une zone de droit. C'est un régime qui permet de diminuer l'étendue de l'économie souterraine et permet ainsi à des gens qui travaillaient illégalement de rentrer dans un cadre légal et de payer leurs cotisations. Dès lors que le régime de l'auto-entrepreneur n'engendre pas de concurrence déloyale, il n'est pas justifié de limiter ce statut dans le temps. C'est évident pour les activités complémentaires, qui peuvent durablement être exercées sans dépasser les plafonds de chiffre d'affaires applicables au régime. C'est également le cas pour les entrepreneurs à temps plein, qui ne souhaitent pas tous faire croître leur activité et peuvent légitimement vouloir bénéficier durablement d'un cadre comptable, administratif, fiscal et social simplifié. Limiter la durée d'application du régime de l'auto-entrepreneur serait adresser un signal négatif à toutes les personnes qui se sont engagées dans cette voie de l'entrepreneuriat, avec les risques que cela implique. Le régime de la micro entreprise, dont s'inspire nettement le régime de l'auto-entrepreneur, n'est pas limité dans le temps, pour les mêmes raisons.

Il importe de rappeler que le régime de l'auto-entrepreneur n'a pas vocation à remplacer les statuts classiques des entreprises, mais à encadrer des activités générant un chiffre d'affaires limité (80 300 € pour les activités commerciales, 32 100 € pour les activités de service). Lorsque l'activité génère un chiffre d'affaires supérieur aux seuils, les auto-entrepreneurs deviennent des entrepreneurs individuels soumis aux règles communes ou créent leur société.

Enfin, la dispense d'affiliation consulaire des auto-entrepreneurs, qui ne vaut qu'en cas d'activité complémentaire, est justifiée. Depuis le 1er avril dernier, les auto-entrepreneurs exerçant à titre principal sont tenus de s'immatriculer au répertoire des métiers auprès de la chambre de métiers et de l'artisanat, comme les autres artisans. Il est exact que les auto-entrepreneurs exerçant à titre complémentaire ne sont pas soumis à affiliation consulaire, y compris dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Pour ces activités complémentaires et de taille limitée, l'affiliation consulaire, avec le coût qui lui est lié, n'apparaît pas indispensable. Les auto-entrepreneurs qui le souhaitent peuvent bien entendu s'affilier. L'auto-entrepreneur doit, en tout état de cause, se déclarer au centre de formalités des entreprises (CFE), ce qui permet d'assurer que l'entreprise sera déclarée aux services fiscaux et sociaux et pourra être contrôlée comme toute entreprise qui a fait l'objet d'une immatriculation. L'auto-entrepreneur est donc une entreprise comme une autre et doit respecter les règles de l'exercice de son activité. L'auto-entrepreneur est soumis à la réglementation applicable à tous les professionnels de son secteur d'activité, en termes de formation et de qualification professionnelle préalable, d'application des normes techniques, d'hygiène et de sécurité, de déclaration et d'emploi des salariés, d'assurance et de responsabilité ou encore de facturation à la clientèle.

À l'issue de l'évaluation en cours du régime, il sera tenu compte des préoccupations de certaines organisations professionnelles. Mais, pour que la création du régime de l'auto-entrepreneur ait un réel impact sur l'esprit d'entreprise en France, il faut maintenir dans la durée son acquis de simplicité.

Comme on le voit, ces questions ont continué à être posées, sans distinction de familles politiques, sur les mêmes dérives. Malgré les modifications successives réglementaires et législatives qui ont été précédemment énumérées, nos collègues parlementaires ont poursuivi leur travail de contrôle de l'action du Gouvernement, et donc de questionnement, si bien qu'à partir du mois d'août 2012, le ministère de l'artisanat, du commerce et du tourisme a annoncé le lancement d'une évaluation du dispositif ( cf . encadré ci-dessous), laquelle a donné lieu à la remise du rapport de l'IGAS et de l'IGF dont les conclusions figurent dans la seconde partie du présent rapport.

Question écrite n° 01657 de M. Roland Courteau (Aude - SOC)

publiée dans le JO Sénat du 23/08/2012 - page 1853

M. Roland Courteau attire l'attention de Mme la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme sur le statut de l'auto-entrepreneur, et notamment sur les distorsions de concurrence qu'il génère ainsi que sur l'absence de garanties professionnelles qu'il convient de relever dans certains cas.

Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître sa position par rapport, soit à la modification profonde de ce statut, soit à son abrogation.

Réponse du Ministère de l'artisanat, du commerce et du tourisme

publiée dans le JO Sénat du 18/10/2012 - page 2299

Le Gouvernement est conscient que, dans certains secteurs, notamment l'artisanat, la création du régime de l'auto-entrepreneur a été perçue comme un élément générateur de concurrence déloyale. Il a donc souhaité qu'une évaluation complète du dispositif soit réalisée. Une mission conjointe va être confiée prochainement à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale des affaires sociales, qui procédera notamment à l'audition des représentants de l'ensemble des acteurs concernés. Les conclusions sont attendues pour le début de l'année 2013. Le Gouvernement s'appuiera sur les résultats de cette évaluation pour procéder aux mesures d'ajustement et aux évolutions nécessaires en poursuivant à son niveau la concertation avec toutes les parties intéressées.


* 15 Cf . infra les modifications législatives et règlementaires d'application.

* 16 Cf . encadré ci-après.

* 17 Source : séance du 8 avril 2010 (compte rendu intégral des débats).

* 18 Ces résultats correspondent aux requêtes effectuées dans la base de données sénatoriale d'informations législatives (Basile) relative aux questions sénatoriales sur les mots-clés suivants « auto-entrepreneur » et « auto-entrepreneur ».

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