N° 704

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juin 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le thème « La place des femmes dans l' art et la culture »,

Par Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, M. Jean-Vincent Placé, Mmes Sophie Primas, Laurence Rossignol, Esther Sittler et Catherine Troendle.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Si le principe d'égalité entre les hommes et les femmes a été reconnu en France dès la Constitution de 1946, il faut attendre 1972 pour que le législateur demande par la loi l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes.

C'est au début des années 2000 que le sujet a pris l'ampleur d'une question de société, principalement autour de la question de l'égalité professionnelle dans l'entreprise.

Dans le secteur culturel, les premières prises de position datent de 2005, symbolisées par la mise en place de la mission « ÉgalitéS » au ministère de la culture et de la communication. C'est dans le cadre de cette mission que Reine Prat a réalisé deux rapports, en 2006 puis en 2009, qui ont révélé à l'opinion publique l'ampleur des déséquilibres dans ce secteur.

C'est en auditionnant, le 12 novembre 2012, les représentants du Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), des collectifs H/F et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), notamment dans le cadre des travaux de la délégation consacrés aux femmes et au travail, que, face au constat consternant de l'immobilisme des organisations et des programmations, la délégation a décidé de consacrer ses travaux annuels à faire avancer la place des femmes dans le secteur culturel.

Après avoir auditionné les principaux représentants des institutions et des administrations culturelles, ainsi que les professionnels, responsables associatifs et artistes travaillant dans toutes les disciplines (théâtre, danse, musique, cinéma, presse, enseignement artistique...), la délégation est convaincue que « après le temps de la prise de conscience et du diagnostic, est venu celui des actes et de la décision politique » 1 ( * ) .

I. « RENDRE VISIBLE L'INVISIBLE » : DÉNONCER UNE SITUATION INACCEPTABLE DANS LE SECTEUR DE LA CULTURE

A. DES INÉGALITÉS PERSISTANTES : SEPT ANS APRÈS LA PUBLICATION DU PREMIER RAPPORT DE REINE PRAT DE 2006, LES CHIFFRES SONT LES MÊMES...

Ce sont deux rapports rendus au ministère de la Culture en 2006 et 2009 par Reine Prat, inspectrice générale de la création, des enseignements artistiques et de l'action culturelle, qui ont contribué à rendre visible la très forte inégalité femmes/hommes dans le secteur de la culture, en particulier du spectacle vivant.

Comme le disait Reine Prat devant la délégation, le premier rapport « a fait l'effet d'une bombe : le journal Le Monde , notamment, lui a consacré une page entière et la presse l'a beaucoup relayé » .

Le premier rapport de 2006 2 ( * ) mesurait les inégalités entre les hommes et les femmes aux postes de direction et mettait en lumière la persistance dans le secteur culturel du phénomène du « plafond de verre ».

Il ressortait de ce rapport les constats suivants :

- la parité entre hommes et femmes était à peu près atteinte pour les postes d'administration des grandes institutions culturelles, les femmes y étant même un peu plus nombreuses ;

- en revanche, pour les postes de direction - qu'ils soient confiés à des directeurs administratifs ou à des artistes - entre 75 et 98 % étaient occupés par des hommes, cette situation étant pire dans le cas des artistes.

Le rapport analysait ensuite les postures et les positions des uns et des autres, qui sous-tendaient ce système fortement inégalitaire.

Face à l'absence d'évolution dans le fonctionnement et la composition du secteur, Reine Prat a écrit un second rapport en 2009 3 ( * ) , constatant que, non seulement rien n'avait changé, mais qu'en plus, la situation s'était parfois dégradée, pour les centres chorégraphiques notamment.

Des préconisations concrètes étaient formulées dans les deux rapports successifs parmi lesquelles : la définition d'objectifs quantitatifs et qualitatifs ; le besoin de mieux surveiller l'égalité entre les femmes et les hommes, d'élaborer des statistiques, d'équilibrer la composition des jurys, de sensibiliser le public, de remettre davantage en cause la représentation des femmes et des hommes sur scène, d'exiger qu'un tiers de l'un ou l'autre sexe soit systématiquement représenté dans toutes les institutions culturelles.

Ces rapports soulignaient en outre les disparités entre les obligations d'égalité des genres et les mécanismes et pratiques existants de financement public du spectacle vivant en France. Enfin, ils proposaient de créer une charte de l'égalité pour le spectacle vivant afin d'encourager tous les intervenants-clefs à s'engager en faveur de l'égalité des genres.

1. Devant le constat de l'absence d'évolution de la profession, des collectifs d'alerte se sont constitués

Constitués en écho aux travaux engagés par la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et de spectacles (DMDTS), devenue aujourd'hui Direction générale de la création artistique (DGCA), suite à la publication des deux rapports de Reine Prat de juin 2006 et de mai 2009, des collectifs constitués en réaction aux inégalités hommes/femmes n'ont cessé depuis 2009 d'interpeller les milieux professionnels et, plus largement, l'opinion publique.

Le plus connu dans le milieu culturel est le Collectif H/F , dont le premier a vu le jour en région Rhône-Alpes, à l'initiative d'une metteuse en scène, Sylvie Mongin-Algan, co-directrice du nouveau « Théâtre du 8 ème » à Lyon. Depuis, le collectif a essaimé dans dix autres régions (l'Ile-de-France, le Nord-Pas-de-Calais, le Languedoc-Roussillon, la Normandie, la Picardie, la Bretagne, l'Aquitaine, la Bourgogne, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes).

Le Collectif « La Barbe » , constitué en 2009, a marqué l'opinion publique par des « actions coups de poings », consistant à envahir des lieux traditionnellement dominés par les hommes en portant des barbes afin de rendre visible la domination des hommes dans les hautes sphères du pouvoir, dans tous les secteurs de la vie professionnelle, politique, culturelle et sociale. Comme le rappelait Sophie Hutin 4 ( * ) devant la délégation, plutôt que de se focaliser sur les femmes, « La Barbe » a décidé de mettre au jour l'omniprésence symbolique des hommes dans tous les lieux de pouvoir.

Par-delà leurs spécificités, ces collectifs ont pour objectifs communs la sensibilisation des actrices et acteurs du spectacle vivant ainsi que l'interpellation des pouvoirs publics et des responsables d'institutions quant aux actions que ceux-ci entendent mettre en oeuvre pour réduire les inégalités conformément aux lois en vigueur.

Ainsi, au printemps 2012, le Collectif « La Barbe » publiait-il dans le journal Le Monde une tribune constatant l'absence du moindre film réalisé par une femme dans la sélection 2012 du Festival de Cannes.

En juin de la même année, « La Barbe » s'invitait sur le plateau du théâtre de l'Odéon lors de la présentation de la saison 2012-2013, saluant la programmation exclusivement masculine des quatorze spectacles à venir.

Le 17 mars 2013, il s'invitait de la même façon à la présentation de la saison 2013-2014 de l'Opéra de Paris, saluant « autant de femmes que de drames » , pour vilipender la saison « exemplaire » à venir 5 ( * ) .

Dans la continuité, le collectif H/F lançait en octobre 2012 la seconde « Saison égalité homme-femme dans les arts et la culture » , dont les structures partenaires (une quinzaine de théâtres en 2011) s'engageaient à interroger ses pratiques en termes de :

- gouvernance (constitution d'équipe, politique de recrutement, égal accès aux postes de responsabilité, égalité salariale, parité dans les instances de décisions et féminisation des noms de métiers) ;

- diffusion (équilibre des programmations des textes et des mises en scène) ;

- production (moyens de coproduction, résidence).

En janvier 2013, suite au comité interministériel sur les droits des femmes, Myriam Marzouki et Catherine Anne, metteuses en scène, rédigeaient pour le collectif H/F Ile-de-France une nouvelle tribune parue dans la rubrique « rebonds » du journal Libération et signée par un bon nombre de personnalités du monde de la culture, intitulée « Culture : les femmes veulent mieux que des strapontins » .

La délégation pourrait reprendre à son compte la déclaration publiée en conclusion et que nous reproduisons ici intégralement : « Après le temps de la prise de conscience et du diagnostic, est venu celui des actes et de la décision politique. Nous souhaitons que 2013 soit enfin l'année du changement et que disparaisse en France cette anomalie démocratique de la sous-représentation des femmes dans le monde de l'art et de la culture » .

Parallèlement, la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) décidait de réunir au Sénat, le 6 mai 2012, sous l'égide de la présidente de la commission des Affaires culturelles, Marie-Christine Blandin, des artistes du spectacle vivant pour réfléchir à la question « culture et parité : le changement c'est maintenant ? » .

Comme le rappelait Muriel Couton 6 ( * ) devant la délégation, cette conférence a permis à Sophie Deschamps, scénariste et présidente de la SACD, de réunir Muriel Mayette, comédienne et administratrice de la Comédie Française, Laurence Equilbey, mais aussi Anne-Laure Liégeois, metteuse en scène et des représentants du Mouvement H/F et du Laboratoire de l'égalité, pour échanger sur le sujet.

C'est à cette occasion qu'il a été décidé de produire un document, notamment à partir des chiffres présentés lors de la conférence, et qui est devenu la brochure largement diffusée sous le titre « Théâtre, musique, danse : où sont les femmes ? » .


* 1 Cette citation est issue d'une tribune signée par nombre de personnalités de la culture, publiée dans le journal Libération et intitulée : « Culture : les femmes veulent mieux que des strapontins » .

* 2 Reine Prat, Mission pour l'égalité et contre les exclusions, Rapport d'étape n° 1, « Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant - Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation » , juin 2006.

Ce rapport est consultable à l'adresse : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/prat/egalites.pdf

* 3 Reine Prat, Mission pour l'égalité et contre les exclusions, Rapport d'étape n° 2, « Arts du spectacle - Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique - De l'interdit à l'empêchement » , mai 2009.

Ce rapport est consultable à l'adresse : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/egalite_acces_resps09.pdf

* 4 Sophie Hutin, membre du Collectif « La Barbe », auditionnée par la délégation le 30 mai 2013.

* 5 Pour ne prendre que les opéras, sur 19 oeuvres programmées, 19 compositeurs, 19 virils librettistes, 19 metteurs en scène et 18 chefs d'orchestre masculins.

* 6 Muriel Couton, directrice du développement et de la coordination, directrice de la promotion et des actions culturelles de la SACD, auditionnée le 21 mars 2013 par la délégation.

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