III. RÉDUIRE LA COMPLEXITÉ ET RENFORCER L'ÉQUITÉ : LES PRINCIPALES VOIES DE SURVIE DU RÉGIME

A. UNE COMPLEXITÉ ET UNE RIGIDITÉ DES RÈGLES INADAPTÉES AUX MUTATIONS DU SECTEUR

1. Une faible lisibilité pour les assurés et les employeurs
a) Le système de grille de salaires forfaitaires par catégories

Le régime de retraite et de sécurité sociale des marins présente la spécificité d'utiliser le salaire forfaitaire comme assiette pour le calcul des cotisations des marins et des contributions des armateurs, ainsi que pour le calcul des pensions de retraite. Le montant du salaire forfaitaire varie ensuite selon les fonctions remplies par le marin.

Le décret n° 52-540 du 7 mai 1952 31 ( * ) classe les marins en vingt catégories , d'après les fonctions qu'ils remplissent. A chaque catégorie correspond un montant de salaire forfaitaire. Le montant des salaires forfaitaires est revalorisé au 1 er avril de chaque année ; cette augmentation annuelle compense en partie la diminution du nombre de marins.

Le système de grille de salaires forfaitaires trouve son origine dans la difficulté de connaître les salaires réels, en particulier à la pêche où la rémunération « à la part » reste prédominante.

Le tableau ci-dessous présente le montant du salaire forfaitaire pour chaque catégorie ainsi que des exemples de fonctions correspondant à chaque catégorie.

Grille de salaires forfaitaires au 1 er avril 2013 (1)

(en euros)

Catégorie

Commerce

Pêche

Salaire forfaitaire annuel

Pont

Machine

1

Apprenti

Apprenti

Apprenti

12 528

2

Matelot de moins de 18 ans

Matelot de moins de 18 ans

Matelot de moins de 18 ans

15 582

3

Matelot léger

Matelot léger à la pêche côtière, à la pêche au large et à la grande pêche ; Matelot à la petite pêche

18 634

4

Matelot

Nettoyeur

Patron non titulaire de titre de formation professionnelle maritime sur navire de jauge brute inférieure à 6 tonneaux armé à la pêche côtière

20 556

5

Matelot qualifié

Nettoyeur et soutier titulaires d'un certificat d'apprentissage maritime totalisant 60 mois de navigation

Patron, titulaire du certificat d'apprentissage maritime et justifiant de 60 mois de navigation, sur navire de jauge brute inférieure à 6 tonneaux armé à la pêche côtière. Ouvrier mécanicien, titulaire d'un titre professionnel, sur navire de pêche côtière

21 939

6

Patron breveté ou titulaire du certificat de capacité de navire de moins de 6 tonneaux armé à la navigation côtière avec au moins un matelot

Ouvrier mécanicien et électricien non titulaires d'un certificat d'ouvrier spécialisé

Magasinier, frigoriste [...] (toutes classes)

22 700

7

Chef timonier

Ouvriers mécanicien et électricien, titulaires du certificat d'aptitude professionnelle maritime

Patron breveté ou titulaire du certificat de capacité sur navire de jauge brute inférieure à 25 tonneaux, armé à la pêche côtière

24 110

8

Patron titulaire du certificat de capacité sur navire de 6 à 20 tonneaux armé à la navigation côtière

Maître mécanicien et maître électricien sur navires dits à caractéristiques techniques poussées

Patron, breveté ou titulaire du certificat de capacité, sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 25 tonneaux armé à la pêche côtière

25 376

9

Patron breveté de bateau de 6 à 20 tonneaux de jauge brute armé à la navigation côtière

Assistant officier stagiaire

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute inférieure à 50 tonneaux armé à la pêche au large.

26 521

10

Lieutenant sur navire de charge de moins de 6 000 tonnes

Officier mécanicien sur navire de charge de moins de 6 000 tonnes

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 50 tonneaux et inférieure à 100 tonneaux armé à la pêche au large

28 183

Catégorie

Commerce

Pêche

Salaire forfaitaire annuel

11

Lieutenant sur navire de charge de 6 000 à 100 000 tonnes ou de moins de 35 000 CV

Officier mécanicien sur navire de charge de 6 000 à 100 000 tonnes ou de moins de 35 000 CV

31 224

12

Lieutenant sur navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 3  000 CV

Officier mécanicien sur navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 35 000 CV

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 100 tonneaux et inférieure à 250 tonneaux armé à la pêche au large

33 219

13

Capitaine de remorqueur ayant de 200 à 300 tonneaux de jauge ou d'une puissance de machine de 500 à 700 CV

Chef mécanicien de remorqueur de 200 à 300 tonneaux de jauge ou d'une puissance de machine de 500 à 700 CV

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 250 tonneaux et inférieure à 450 tonneaux armé à la pêche au large

35 935

14

Second capitaine de navire de charge de 6 000 à 14 000 tonnes

Second mécanicien de navire de charge de 6 000 à 14 000 tonnes

38 650

15

Second capitaine de navire de charge de plus de 14 000 tonnes ou de puissance supérieure à 20 000 CV

Second mécanicien sur navire de charge de plus de 14 000 tonnes ou de puissance supérieure à 20 000 CV

Patron et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 450 tonneaux armé à la pêche au large

41 662

16

Capitaine de cargo de 1 500 à 3 000 tonnes

Chef mécanicien de cargo de 1 500 à 3 000 tonnes

44 852

17

Capitaine de cargo de 3 000 à 6 000 tonnes

Chef mécanicien de cargo de 3 000 à 6 000 tonnes

Capitaine et chef mécanicien sur navire de jauge brute égale ou supérieure à 750 tonneaux armé à la grande pêche

48 751

18

Capitaine de navire de charge de 6 000 à 14 000 tonnes

Chef mécanicien de navire de 6 000 à 14 000 tonnes

53 723

19

Capitaine de navire de charge de 14 000 à 100 000 tonnes ou de puissance comprise entre 20 000 et 35 000 CV

Chef mécanicien de navire de charge de 14 000 à 100 000 tonnes ou de puissance comprise entre 20 000 et 35 000 CV

59 738

20

Capitaine de navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 35 000 CV

Chef mécanicien de navire de charge de plus de 100 000 tonnes ou de puissance supérieure à 35 000 CV

64 977

(1) Afin de faciliter la lecture, la liste des fonctions entrant dans chaque catégorie a été réduite ; seuls des exemples des fonctions les plus représentatives de chaque catégorie sont présentés.

Source : commission des finances, d'après des données de l'ENIM et le décret n° 52-540 du 7 mai 1952

Le président de la commission de classement de l'ENIM constatait en 2008 : « simple à l'origine, le système est devenu au fil du temps et de multiples aménagements, trop complexe et difficile à manier , tant pour les employeurs que pour les services de l'ENIM ou des affaires maritimes » 32 ( * ) . Chacune des vingt catégories compte en effet entre une et vingt-huit fonctions. Il existe au total deux cents dix fonctions dont soixante-quinze comptent moins de dix marins. De plus, pour déterminer la catégorie du salaire forfaitaire, une douzaine d'autres critères doivent être pris en compte, en plus de la fonction, comme par exemple la durée d'exercice, les titres professionnels obtenus, la définition du type de navire ou le type de navigation. Selon le président de la commission de classement de l'ENIM, « la complexité du système a fini par rendre son application aléatoire et par générer une inégalité de traitement dans le classement des marins selon l'armement auquel il appartient ou son quartier de rattachement » 33 ( * ) .

Conformément à une recommandation de l'audit de modernisation de l'ENIM réalisé en avril 2006 34 ( * ) , une proposition de simplification de la grille de salaires forfaitaires a été présentée par le président de la commission de classement de l'ENIM en 2008 35 ( * ) . Ce projet consistait en la réduction du nombre de catégories de huit à vingt , avec au total trente-six fonctions et deux critères (la jauge et la puissance du navire). Toutefois, cette réforme a été abandonnée en raison de la réticence de certains professionnels à voir le niveau des salaires forfaitaires augmenter pour certaines catégories. La remise en cause de droits acquis dans un certain nombre de « niches », comme les métiers portuaires, a également rencontré une forte opposition.

La direction des affaires maritimes confirme le caractère très sensible de ce sujet chez les professionnels des secteurs maritimes. Cette réforme lui semble d'autant plus difficile à mener aujourd'hui que le contexte économique est difficile. La direction du budget considère quant à elle que toute refonte de la grille des salaires doit être effectuée avec prudence. En faisant varier le niveau des salaires réels, cette réforme risquerait de diminuer les cotisations ou d'augmenter les montants des pensions à liquider.

En dépit de ces difficultés, votre rapporteur spécial considère que la question de la réforme de la grille des salaires forfaitaires doit être intégrée à la réflexion globale sur la simplification des règles du régime.

Recommandation n° 4 : simplifier et assouplir la grille de salaires forfaitaires par catégories .

b) Une multitude de taux de contributions patronales

Un deuxième facteur de complexité du régime de retraite et de sécurité sociale des marins est la très grande diversité des taux de contributions sociales applicables aux armateurs .

Les taux des cotisations salariales payées par les marins ne varient pas selon le secteur ou le type de navigation. Les taux des cotisations salariales vieillesse du régime des marins sont légèrement supérieurs à ceux du régime général (10,85 % pour la caisse de retraite des marins contre 6,75 % pour la CNAV).

Comparaison des taux des cotisations salariales
du régime des marins et du régime général

Caisse de retraite des marins

Caisse générale de prévoyance

Navigation au commerce et plaisance

10,85

1,25

Navigation à la pêche et aux cultures marines

10,85

1,25

CNAV

CNAMTS

Travailleurs salariés du régime général

6,75

0,75

Source : commission des finances, d'après le décret n° 2008-338 du 14 avril 2008 36 ( * )

Les taux des contributions sociales versées par les employeurs à l'ENIM sont très variés. Il existe plus de trente taux différents selon le risque concerné, le secteur maritime, le type de navigation, la taille du navire ou encore le poste occupé par le salarié. S'agissant des contributions patronales vieillesse, les taux varient ainsi de 0 % à 19,30 %. Concernant la branche maladie, les taux des contributions employeurs vont de 0 à 35,5 %.

Comparaison des principaux taux de contributions patronales
du régime des marins et du régime général

Caisse de retraite des marins

Caisse générale de prévoyance

Navigation au commerce et plaisance

Navire < 25 mètres, propriétaire non embarqué

19,30

15,75

Navire > 25 mètres, propriétaire non embarqué

19,30

16,75

Navire < 12 mètres, propriétaire embarqué

1,60

6,85

Navire entre 12 et 25 mètres, propriétaire embarqué

15,60

11,00

Navire de commerce immatriculé au registre international français (RIF)

6,80

4,80

Navigation à la pêche

Navire < 12 mètres (pêche au large, pêche côtière et petite pêche)

2,00

2,00

Navire > 12 mètres utilisant des arts traînants (chalut)

2,20

2,20

Navire utilisant des arts dormants

4,40

4,40

Services accomplis à la pêche non liés à un navire

19,30

16,35

Navigation conchyliculture-petite pêche

Navire < 12 mètres, propriétaire embarqué (autres membres d'équipage)

1,60

6, 85

Navire < 12 mètres, propriétaire non embarqué

8,80

8,80

CNAV

CNAMTS

Travailleurs salariés du régime général

8,40 %

12,80 %

Source : commission des finances, d'après le décret n° 2008-338 du 14 avril 2008 37 ( * )

La diversité excessive des taux de contributions patronales rend le système peu lisible pour les professionnels et peut être source d'erreurs , voire de fraude . Cette situation est étroitement liée aux nombreuses exonérations de charges sociales dont bénéficient les secteurs maritimes.

Recommandation n° 5 : réduire le nombre de taux de contributions patronales applicables aux armateurs .

c) La superposition des dispositifs d'exonération de charges sociales

Au fil des crises touchant les secteurs maritimes, différents mécanismes d'exonération de cotisations patronales ont été créés. En plus de la réduction générale des cotisations patronales de sécurité sociale , dit dispositif « Fillon », les secteurs maritimes bénéficient des dispositifs suivants d'exonération totale ou partielle des contributions patronales au régime de prévoyance des marins et des contributions d'assurance vieillesse :

- exonérations pour les propriétaires embarqués sur leurs propres navires armés à la petite pêche, à la pêche côtière, à la pêche au large, aux cultures marines ou à la navigation côtière ;

- exonérations liées à l'immatriculation au registre international français ( RIF ). Ce dispositif s'applique aux entreprises d'armement maritime employant des marins embarqués à bord de navires de commerce effectuant des activités de transport soumises « à titre principal » à la concurrence internationale ;

- dispositif du « demi-rôle » dont peuvent bénéficier les propriétaires embarqués et les marins des départements d'outre-mer ( DOM ). Il s'agit d'une réduction de 50 % sur les taux de cotisation applicables à la caisse de retraite des marins et à la caisse générale de prévoyance.

Principaux dispositifs d'exonération de contributions patronales applicables aux secteurs maritimes en 2012

(en millions d'euros)

Secteur concernés

Dispositif d'exonération de contributions patronales

Montant

Tous

Réduction générale de cotisations patronales de sécurité sociale

11

Pêches maritimes et navigations côtière

Réductions « propriétaire embarqué »

7*

« Demi-rôle » d'équipage en outre-mer

8

Flotte de commerce

Réductions pour les navires immatriculés sous pavillon « registre international français » (RIF)

43

* Estimation de la commission des finances d'après les données de la direction du budget et l'annexe 5 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013

Source : données de la direction du budget

En 2012, l'Etat a compensé près de 69 millions d'euros d'exonérations de charges sociales pour les secteurs maritimes, ce qui est supérieur à l'ensemble des contributions patronales émises au titre de l'année 2012 (66 millions d'euros). La compensation de l'Etat s'élève à 44 millions d'euros pour la seule partie vieillesse du régime en 2012.

S'il est pertinent de soutenir ces secteurs soumis à une forte concurrence internationale, la multiplication des « niches sociales » fragilise le régime de retraite et de sécurité sociale des marins, qui souffre déjà d'un déficit structurel important. De plus, ces divers mécanismes d'exonération amplifient la complexité, déjà grande, du mode de calcul des charges sociales. Ils se traduisent en effet par l'application des taux extrêmement variables d'un secteur et d'un type de navigation à l'autre.

Recommandation n° 6 : rationaliser les dispositifs d'exonération de charges sociales, afin de rendre le système plus lisible .

2. La complexité, un facteur d'inefficience du régime
a) Des coûts de gestion et de liquidation des pensions élevés

La grande complexité des règles de calcul des cotisations, des contributions et des pensions expliquent en partie les dépenses de gestion élevées du régime de retraite des marins.

En 2012, les charges de gestion de l'ENIM concernant les pensions de retraite ont représenté 10,65 millions d'euros . Ce montant apparaît élevé au regard du volume total de prestations vieillesse servies, qui s'élève à 1 092 millions d'euros en 2012. Le ratio entre les dépenses de gestion et les prestations servies est l'un des plus hauts parmi les régimes spéciaux de retraite. Il s'élève à 0,92 centimes d'euros pour 1 euro de pension versé en 2012. Le nombre important de pensions de retraite versées à l'étranger - environ 4 000 bénéficiaires dans soixante pays - et les frais de contrôle qui y sont liés expliquent en partie ce ratio élevé.

Tableau comparatif des coûts de gestion des régimes de retraite

(en euros)

Régimes de retraite

Dépense de gestion pour 1 euro de prestations servies

Coût unitaire d'une primo liquidation de pension de retraite

2012

(prévision)

2012

(réalisé)

2012

(prévision)

2012

(réalisé)

Marins

0,0083

0,0092

850

831,00

RATP

0,0075

0,0059

372

373,00

SNCF

0,0041

0,0040

313

335,00

Mines

0,0129

0,0126

195

171,00

SEITA

0,0024

0,0021

323

323,93

Source: d'après le rapport annuel de performances de la mission « Régimes sociaux et de retraite » annexé au projet de loi de règlement pour 2012

Le coût unitaire d'une primo liquidation de pension de retraite , c'est-à-dire du calcul des droits à la retraite, est particulièrement élevé pour le régime de retraite des marins. Il représente ainsi près de trois fois le coût d'une primo liquidation pour le régime de retraite de la SNCF, soit 831 euros en 2012 .

Ces écarts importants entre régimes de retraite s'expliquent à la fois par le rapport démographique différent entre régimes, par les règles de calcul de liquidation particulièrement complexes du régime de retraite des marins ainsi que par les difficultés spécifiques de la reconstitution des carrières maritimes (vérification des lignes de services, prise en compte des changements de fonction au cours d'un même emploi).

De plus, près de 80 % des retraités de l'ENIM sont désormais des polypensionnés . Cela signifie qu'ils ont acquis des droits à la retraite dans d'autres régimes. Les règles des différents régimes de retraite de base n'étant pas identiques, la liquidation est alors plus complexe. Cette situation rend, pour l'ENIM, d'autant plus indispensable la collaboration avec les autres régimes de retraite.

b) La difficile refonte du système d'information et de gestion des pensions

En 2006, l'ENIM a entrepris de moderniser son système d'information et de gestion des pensions. Développées dans les années 1980, les deux applications utilisées, l'une pour la liquidation (ICARE) et l'autre pour le paiement (PENBASE), sont limitées et présentent l'inconvénient de ne pas être reliées par une interface, ce qui oblige à réaliser des saisies manuelles.

Le projet « PENHIR » , lancé en 2008, consiste en une refonte complète du système d'information des pensions afin d'améliorer l'efficience de la gestion mais aussi de faciliter la communication avec les autres régimes de retraite. Le choix de développer un progiciel spécifique à l'ENIM a conduit l'établissement à piloter un projet d'envergure, à la fois en termes financiers et humains.

Ce projet a donné lieu à la passation de marchés de réalisation en août 2009, répartis en trois lots. La mise en oeuvre du marché avec l'un des prestataires a toutefois connu d'importantes difficultés. Face au retard du prestataire et a son incapacité à remplir ses obligations dans les coûts fixés, l'ENIM a été contraint de résilier le marché, aux torts du prestataire. Selon l'ENIM, ces difficultés s'expliquent principalement par le fait que le prestataire a mal mesuré la complexité des règles du régime de retraite et de son fonctionnement . Ceci a eu pour conséquence une sous-estimation du coût réel du projet.

L'ENIM a désormais entrepris d'achever le projet « PENHIR » en interne. Le déploiement du progiciel, reporté à plusieurs reprises, devrait intervenir au second semestre 2014 . Le coût final du projet n'est quant à lui pas stabilisé. Jusqu'à présent, le coût du projet s'élève à 5,6 millions d'euros contre 3,9 millions d'euros prévus en 2011.

3. La nécessité de rendre le régime plus attractif dans un contexte de forte concurrence internationale
a) La forte concurrence des pavillons tiers

Les professionnels des secteurs maritimes affiliés à l'ENIM sont confrontés, y compris dans les eaux territoriales françaises, à une forte concurrence des navires immatriculés sous pavillons tiers n'appliquant pas le même niveau de protection sociale.

Dans le cadre de l'Union européenne (UE), les Etats membres ont ouvert à la concurrence le transport maritime en 1986, puis le cabotage maritime en 1992. Si le corpus de règles communautaires concernant la sécurité maritime est exigeant, les normes sociales en matière de protection et de règles de travail et de vie à bord, sont harmonisées a minima dans le secteur maritime . La transposition de la convention du travail maritime de l'Organisation internationale du travail (OIT) du 23 février 2006 dans le droit de l'UE 38 ( * ) constitue une avancée, mais elle demeure insuffisante pour enrayer la concurrence des pavillons d'autres Etats membres.

Comparaison des régimes de protection sociale des marins en Europe

Outre la France, huit pays européens disposent d'un régime spécial de retraite ou de sécurité sociale pour les marins. Le régime spécial des marins français semble toutefois se distinguer par la diversité des secteurs maritimes et par l'étendue des risques couverts.

Selon des informations recueillies en 2006, les principaux pays disposant d'un régime spécial de retraite ou d'assurance maladie pour les marins sont :

- la Belgique . La caisse de secours et de prévoyance des marins gère les risques maladie et invalidité pour les marins de la marine marchande. Les marins pêcheurs sont pris en charge par le régime général mais selon des règles spécifiques (notamment des cotisations sociales assises sur la base de salaires forfaitaires) ;

- l' Espagne . L'institut social de la marine ( Instituto social de la marina ) gère les risques maladie, AT-MP, chômage et vieillesse des travailleurs salariés et des armateurs des secteurs de la marine marchande, de la pêche, du trafic portuaire et de la navigation sportive et de loisirs. Le système de retraite est basé sur les mêmes règles que le régime général (âge de départ à soixante-cinq ans) mais un coefficient réducteur est appliqué pour l'entrée en jouissance de la pension ;

- l' Italie . Le régime spécial des marins, géré par l' Instituto di previdenzia del settore maritimo , couvre uniquement les besoins spécifiques des professionnels de la marine marchande en matière d'assurance maladie, maternité et d'AT-MP ;

- les Pays-Bas . Les marins actifs dans la navigation commerciale, la navigation fluviale et la pêche maritime peuvent bénéficier d'un régime d'assurance maladie et accidents du travail spécifique ( Algmeen ziekenfonds voor Zeelieden ). En matière de retraite, ils bénéficient d'une retraite de base servie par l'Etat à partir de 65 ans et des fonds de pension distincts pour la pêche maritime et la marine marchande offrent des prestations vieillesse complémentaires à partir de soixante-cinq ans.

En Allemagne , la caisse maritime ( Seemannskasse ), fondée en 1907 à Hambourg, a été fusionnée en 2005 avec les régimes des mines et des transports terrestres ( Knappschaft Bahn See ). Une allocation transitoire est versée aux marins de plus de cinquante-six ans qui ne sont plus en capacité d'exercer leur activité professionnelle, jusqu'à l'atteinte de l'âge légal de départ à la retraite.

Source : ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, éléments partiels de comparaison des régimes sociaux des marins recueillis auprès des représentations diplomatiques françaises, 2006

La France a fait le choix de maintenir des règles sociales exigeantes, y compris sur son second registre, le registre international français (RIF). Tel n'est pas le cas d'un certain nombre d'autres Etats membres, comme par exemple le Danemark ou les Pays-Bas, pour lesquels il n'existe pas d'obligation d'embarquement de marins communautaires et où l'embauche de marins dans les conditions des pays tiers est permise. S'agissant des navires immatriculés sous pavillon britannique, les marins y sont parfois embauchés sous le statut de travailleur indépendant, afin de contourner les normes sociales.

Cette situation est préjudiciable pour le régime de retraite et de sécurité sociale des marins car les marins français travaillant à bord de navires immatriculés sous des pavillons tiers « échappent » à l'ENIM. La plupart des pavillons dits « de complaisance » ont ainsi recours à des assurances sociales privées . Faute de données disponibles, il n'est pas possible de comparer le prix de ces assurances privées et le niveau de protection qu'elles offrent avec ceux de l'ENIM. Cependant, il est certain qu'elles offrent un système plus simple et plus souple aux armateurs.

Dans un tel contexte de concurrence internationale, votre rapporteur spécial estime qu'il est d'autant plus important de simplifier les règles du régime de retraite et de sécurité sociale des marins afin de le rendre plus attractif .

b) Promouvoir le régime auprès des professionnels

Héritant d'une culture administrative forte, l'ENIM ne s'est engagé que très récemment dans le développement de sa politique de communication vis-à-vis des professionnels . Les initiatives récentes en la matière sont la mise en place d'un partenariat avec l'hebdomadaire spécialisé dans l'économie maritime Le Marin 39 ( * ) et la refonte de l'identité visuelle du régime, avec la création d'un nouveau logo.

Pour votre rapporteur spécial, la seconde étape à franchir par l'ENIM est la promotion active du régime, en particulier auprès des nouveaux secteurs de l'économie maritime . Dans les secteurs de la pêche maritime et de la marine marchande, la connaissance du régime est satisfaisante. Toutefois, il semblerait que l'ENIM soit encore peu connu auprès de certains professionnels, en particulier ceux issus du secteur de la plaisance. Il serait possible pour l'ENIM de recruter de nouveaux affiliés en lançant une campagne ciblant en particulier :

- les nouvelles activités maritimes (plaisance professionnelle, sports nautiques, plateformes offshore ) ;

- les professionnels munis d'un permis ou d'une carte de circulation ; aux termes de la loi n° 42-427 du 1 er avril 1942 relative aux titres de navigation maritime, tous les navires ne reçoivent pas de rôle d'équipage. Certaines embarcations 40 ( * ) reçoivent un permis de circulation tandis que les sociétés de navigation de plaisance ou de sports nautiques doivent être titulaires d'une carte de navigation. L'absence de rôle d'équipage semble souvent se traduire pour ces professionnels par la non affiliation au régime de protection sociale des marins.

Les douze lycées professionnels maritimes , accueillant chaque année entre cent et deux cents étudiants 41 ( * ) en formation initiale et environ deux cents professionnels en formation continue, sont des lieux clés pour mener des campagnes d'information et d'affiliation.

Recommandation n° 7 : lancer une campagne d'affiliation à destination des publics qui, de par leur activité, pourraient s'affilier à l'ENIM (secteur de la plaisance, professionnels munis d'une carte de circulation).


* 31 Décret n° 52-540 du 7 mai 1952 modifiant le décret n° 48-1709 du 5 novembre 1948 relatif au salaire forfaitaire servant de base au calcul des cotisations des marins et des contributions des armateurs au profit des caisses de l'établissement national des invalides de la marine.

* 32 Rapport du président de la commission de classement à M. le directeur de l'ENIM portant proposition de réforme du classement catégoriel des marins et de la grille de salaires forfaitaires, septembre 2008.

* 33 Ibid .

* 34 Conseil général des ponts et chaussées et inspection générale des affaires sociales, mission d'audit de modernisation, rapport sur l'ENIM, avril 2006.

* 35 Rapport du président de la commission de classement à M. le directeur de l'ENIM portant proposition de réforme du classement catégoriel des marins et de la grille de salaires forfaitaires, septembre 2008.

* 36 Décret n° 2008-338 du 14 avril 2008 fixant les taux de calcul des contributions patronales et des cotisations personnelles à la caisse de retraites des marins et à la caisse générale de prévoyance au titre de certains services accomplis par les marins.

* 37 Décret n° 2008-338 du 14 avril 2008 fixant les taux de calcul des contributions patronales et des cotisations personnelles à la caisse de retraites des marins et à la caisse générale de prévoyance au titre de certains services accomplis par les marins

* 38 Directive 2009/13/CE du 16 février 2009 portant mise en oeuvre de l'accord conclu par les associations des armateurs de la communauté européenne (ECSA) et la Fédération européenne des travailleurs de transports (ETF) concernant la convention du travail maritime de 2006 et modifiant la directive 1999/63/CE. La France a transposé cette directive dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable définitivement adopté par l'Assemblée nationale le 2 juillet 2013.

* 39 Des pages « protection sociale des gens de mer » sont publiées environ trois à quatre fois par an depuis 2011 dans l'hebdomadaire Le Marin .

* 40 Les embarcations affectées à l'exploitation de parcelles concédées sur le domaine public maritime lorsque cette navigation n'atteint pas trois milles, les embarcations non pontées utilisées par des entreprises industrielles ou agricoles, les embarcations affectées à un service public (douane, affaires maritimes, ponts et chaussées) armées par des agents de l'Etat acquérant des droits à pension civile ou militaire, les bateaux utilisés pour les travaux de scaphandrier.

* 41 Les élèves suivant un enseignement dans un lycée professionnel maritime sont affiliés à l'ENIM.

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