2. La montée de la criminalité dans le golfe de Guinée entrave la « maritimisation » de l'Afrique de l'Ouest

La mondialisation s'est en fait traduite par une « maritimisation » de l'économie. Aujourd'hui, les flux maritimes sont vitaux pour l'approvisionnement de nos économies.

C'est pourquoi le développement, dans le Golfe de Guinée , de la piraterie -qu'on a su endiguer au large des côtes somaliennes, notamment avec l'opération européenne ATALANTA- est un problème particulièrement épineux 104 ( * ) .

En l'espace d'une décennie, le golfe de Guinée est devenu l'une des zones maritimes les plus dangereuses du monde. La région du delta du Niger, au Nigéria , était l'épicentre initial de cette criminalité, mais la faiblesse des politiques maritimes de sécurité ont permis aux réseaux criminels de diversifier leurs activités et de s'étendre peu à peu au-delà du périmètre des côtes nigérianes et en haute mer.

« La criminalité ne vise plus le seul secteur pétrolier, elle est devenue un phénomène diversifié incluant la piraterie maritime et des raids de plus en plus audacieux et perfectionnés menés depuis la mer. Par effet d'imitation ou mettant à profit certaines conjonctures sociopolitiques troublées, des groupes criminels se sont manifestés sur les côtes camerounaises, en Guinée équatoriale, au large de São Tomé-et-Principe, du Bénin et du Togo », constate une étude 105 ( * ) récente.

Si ce phénomène ne concerne qu'indirectement certains pays du Sahel (le Golfe de Guinée étant le débouché maritime pour leurs exportations), il est crucial pour les pays développés qui dépendent de cette région d'Afrique pour les minerais : principalement le fer, la bauxite, le manganèse et l'uranium.

Près d'une dizaine de ports minéraliers sont en projet ou en construction dans le golfe de Guinée, et devraient être mis en service d'ici à 2020. Le golfe de Guinée fournit 6 % de la production mondiale de pétrole. 12 à 16 % du pétrole importé en France en provient. L'essentiel de la production est offshore , et devrait doubler d'ici à 2020.

La sidérurgie européenne, à l'horizon 2020, devrait être dépendante du fer et du manganèse qui y transitent. L'uranium que la France utilise à des fins civiles et militaires y transite. Les États-Unis importent 20% de leur pétrole depuis l'Afrique, et absorbent notamment 40% de la production du Nigéria.

Les chiffres sont les mêmes pour les productions agricoles : ainsi la Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de cacao, exporte sa production par la voie maritime.

L'augmentation du niveau de violence est sensible dans cette zone où les communautés françaises sont nombreuses (18 000 compatriotes sont immatriculés au Sénégal, 14 000 en Côte d'Ivoire, 11 000 au Gabon).

Au total 80 000 ressortissants français sont riverains du golfe de Guinée.

Avec un bâtiment déployé en permanence , l'opération CORYMBE de la Marine nationale contribue à contenir le développement de la criminalité.

Mais la hausse des menaces est spectaculaire :

- La faiblesse de certains États, comme la Guinée Bissau, a été relevée par de très nombreux intervenants entendus par vos rapporteurs ;

- La présence de ressources pétrolières réveille certains contentieux , notamment territoriaux ;

- La pêche illicite est pratiquée à grande échelle, parfois avec des licences falsifiées, ou des pêches hors zones et hors quotas, ce qui accroit la pression alimentaire sur les populations locales et « pousse » les pêcheurs locaux vers les activités illégales ;

- Les trafics multiples concernent tant les armes que les migrants ou les stupéfiants ;

- Enfin, la piraterie est endémique : on estime à 13 le nombre d'attaques chaque mois, essentiellement au large du Nigéria, mais pas seulement.

Trois types d'actions sont observés : siphonage de produits pétroliers raffinés, vol ou prise d'otages, surtout au large du Nigéria .

Les enlèvements ont concerné 195 personnes en 2012 (et 30 ont été tuées).

Vos rapporteurs considèrent que notre dispositif est, malgré la coopération avec les Britanniques sur ce sujet, trop « juste » face à l'immensité de la zone, à l'ampleur des sujets, et à la lenteur de la montée en puissance des moyens de surveillance maritime des États riverains, malgré une prise de conscience de certains d'entre eux. Il est ensuite partiellement « aveugle » : malgré le partage d'information satellitaire (notamment avec les États Unis) et la construction d'une chaîne sémaphorique, de nombreuses zones restent à l'ombre des systèmes de surveillance.

Il sera, enfin, il faut le redouter, probablement affecté par les réductions d'activité qui seront imposées aux bâtiments de la Marine nationale dans le cadre de la future loi de programmation militaire.

Faut-il, alors, étudier l'idée d'une opération européenne qui soit le pendant occidental de l'opération au large de la Somalie ? La coopération européenne (essentiellement franco-britannique aujourd'hui) se fait dans un cadre bilatéral et informel. La question de son européanisation mérite d'être posée, s'agissant d'une des principales routes d'approvisionnement stratégique de l'ensemble de l'économie européenne.

Recommandation : Symétrique d'Atalanta, il faut réfléchir à une opération européenne de lutte contre la piraterie dans le Golfe de Guinée.

Trafics, terrorisme, piraterie : ces menaces s'interpénètrent et se confortent mutuellement. Vos rapporteurs en sont convaincus : sans une action résolue pour lutter contre tous les trafics qui déstabilisent la région sahélienne, à terme, c'est toute l'Afrique de l'Ouest qui serait menacée.

Carte n° 10 : Trafics de drogue, d'armes et piraterie au Sahel et en Afrique de l'Ouest

Source : EMA


* 104 Les chiffres cités dans ce paragraphe proviennent d'un entretien avec l'amiral Labonne, préfet maritime de la région Ouest, ainsi que du rapport de International Crisis Group, « Le Golfe de Guinée : la nouvelle zone à hauts risques », décembre 2012

* 105 International crisis group, Ibid

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