4. Des répercussions possibles sur notre sécurité intérieure
Nous entrevoyons deux risques réels pour notre sécurité intérieure : le retour sur le territoire national des combattants qui se seraient engagés au Sahel ou ailleurs aux côtés des terroristes, d'une part, et le passage à l'acte, sur le sol national, de sympathisants de la cause du « djihad global », qu'ils soient convertis ou non.
Le premier risque est celui des combattants de nationalité française qui reviendraient après avoir lutté, au Mali ou ailleurs, aux côtés des terroristes et importeraient leurs méthodes sur le territoire national .
C'est en quelque sorte la duplication du phénomène qui s'est produit avec le retour au pays des « Afghans » dans les précédentes décennies.
Comme cela avait été dit dans notre précédent rapport, très peu de Français sont partis au Mali agir directement aux côtés des groupes terroristes . L'ordre de grandeur serait celui de la dizaine .
En revanche bien plus nombreux sont ceux qui ont rejoint la Syrie , en reviennent ou s'apprêteraient à y partir : de l'ordre de la centaine (ils sont estimés généralement entre 100 et 150 115 ( * ) ).
Ainsi, le chef d'état-major des armées, l'Amiral Guillaud, déclarait-il le 22 mai 2013 116 ( * ) : « Ainsi, alors qu'ils n'étaient qu'une poignée au Mali, dont l'un a été tué et deux ont été faits prisonniers, on estime que le nombre des djihadistes français « concernés » par le conflit syrien est de l'ordre de la centaine . On estime au total à plusieurs centaines le nombre de djihadistes européens opérant en Syrie. ».
Tous pays européens confondus, l'ordre de grandeur est de « plusieurs centaines ».
Les communautés concernées seraient la communauté tunisienne, et dans une moindre mesure, les communautés malienne, algérienne, sénégalaise ou ivoirienne. Il existe pour ces communautés un risque indirect lié à la déstabilisation de leurs pays d'origine.
Ainsi, on compterait 117 ( * ) aujourd'hui en milliers le nombre de Tunisiens présents en Syrie sur les lieux de combats . Que se passera-t-il pour la Tunisie (mais aussi pour la France, compte tenu de l'importance de la communauté tunisienne en France et française en Tunisie, et des liens très étroits entre nos deux pays) quand ils reviendront au pays, auréolés de la « gloire » des martyrs, entrainés et aguerris, comme jadis l'ont fait ceux qu'on appelait les « Afghans » dans plusieurs états du Maghreb ou du Mashrek ?
On connait le potentiel de déstabilisation d'un nombre même faible de ces combattants.
Le deuxième risque est celui du passage à l'acte terroriste sur le territoire national de personnes endoctrinées par d'autres ou tout simplement par des sites internet.
C'est une répercussion possible de l'exposition de notre pays, très visible dans la lutte contre le terrorisme, et désormais cible privilégiée.
Outre les questions, en cours de traitement, de la meilleure coordination à trouver entre nos différents services de renseignement, et celle de leur renforcement, notamment s'agissant de la DCRI, est aussi posée la question de la difficulté intrinsèque non seulement à détecter mais aussi à exploiter les « signaux faibles », suivant les mots du ministre de l'Intérieur, qui précèdent le passage à l'acte .
Après l'affaire Mohamed Merah, l'attentat récent commis contre un militaire à la Défense, quelques jours seulement après celui de Londres contre un soldat britannique, ne laisse pas d'inquiéter.
En effet, la banalisation des trajectoires du type : petite délinquance, radicalisation progressive, puis passage -imprévisible- à l'acte, sous l'effet d'une rencontre , à la faveur d'une conversion , ou tout simplement via un endoctrinement par Internet, est susceptible de faire de véritables ravages. Ne nécessitant pas de moyens logistiques ni de connaissances particulières, elle est hélas à la portée du plus grand nombre.
La presse a indiqué à cette occasion que quelque 500 notes auraient été transmises à la DCRI entre janvier et mai 2013. Ce chiffre, qui reste naturellement à confirmer, est particulièrement élevé et montre le défi auquel les services de sécurité doivent faire face.
L'ouverture prochaine d 'Al Jazzera en français pourrait ne pas être un élément positif dans ce tableau assez sombre. Ce risque préexistait naturellement, mais, ne soyons pas naïfs, la situation au Sahel et l'intervention au Mali ne peuvent certainement que le nourrir et l'amplifier.
Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a d'ailleurs indiqué 118 ( * ) qu'il y avait " plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de Merah potentiellement " en France.
Ce phénomène n'est naturellement pas cantonné à la France.
Ainsi, le mardi 11 juin 2013, 119 ( * ) la publication du rapport annuel des services de renseignement intérieur allemands a mis en avant une croissance du mouvement salafiste dans le pays. La mouvance islamiste radicale en Allemagne regroupait 42 550 personnes en 2012, selon ces services, et le nombre des salafistes en son sein serait passé de 3 800 à 4 500 en un an. « Tous les salafistes ne sont pas des djihadistes, mais force est de constater que les personnes parties d'Allemagne vers la Syrie ou l'Égypte, faire le Djihad, ont toutes un rapport avec les salafistes. On peut dire que le salafisme est un passage obligé vers le djihadisme ou pour les personnes prêtes à mener des attaques terroristes », aurait estimé à l'occasion de la présentation de son rapport M. MAASSEN, responsable des services de renseignement intérieurs.
Recommandation : Les services de sécurité doivent suivre très attentivement deux phénomènes : 1) l'appel d'air vers la Syrie, qui concernerait de l'ordre de 100 à 150 Français , et les conséquences de leur futur retour au pays ; 2) la banalisation, sur notre territoire, des trajectoires du type : radicalisation progressive, puis passage -imprévisible- à l'acte, sous l'effet d'une rencontre , à la faveur d'une conversion , ou tout simplement via un endoctrinement par Internet. |
* 115 D'après différentes déclarations officielles, notamment ministérielles
* 116 Source : audition à l'Assemblée nationale
* 117 Source : entretiens conduits par vos rapporteurs notamment à Alger
* 118 Source : AFP
* 119 Source : AFP