III. NOTRE APPROCHE DOIT ÊTRE GLOBALE ET RÉGIONALE ET VISER À UNE STABILISATION DE LONG TERME
A. UNE APPROCHE GLOBALE ET EUROPÉENNE EST INDISPENSABLE
1. Notre réponse doit inclure sécurité, gouvernance et développement
a) Le difficile impératif d'une « approche globale »
Nous l'avons déjà dit, il n'y a pas de sécurité sans développement, ni de développement sans sécurité.
Pour transformer un succès militaire en succès politique, une approche globale s'impose pour la reconstruction ou la stabilisation d'une région menacée.
Il ne suffit pas de gagner la guerre : il faut aussi gagner la paix.
Il n'est pas douteux non plus que prévenir un conflit « coûte » moins cher, à tous égards, que d'intervenir militairement pour tenter de le résoudre.
Les coûts financiers des opérations de stabilisation, de maintien de la paix ou de reconstruction post-conflits sont extrêmement élevés, pour des résultats qui restent fragiles. En 2013, le budget de la quinzaine d'opérations de maintien de la paix de l'ONU, qui mobilisent près de 100 000 personnels en uniforme, est de 7,3 milliards de dollars, dont la France assume, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, plus que sa quote-part dans le financement de l'Organisation (précisément 7,5 %), soit 400 millions d'euros en 2013 , ce qui représente près du tiers du budget du Quai d'Orsay (programme 105).
Il nous faut collectivement arbitrer pour un choix d'allocations de ressources intellectuelles, humaines et financières qui favorise plus la prévention et non pas la gestion militaire des crises ou la reconstruction, processus complexes et coûteux.
Le développement économique, la construction de l'État, d'une administration, d'un système judiciaire, de forces de sécurité intérieure, sont les plus sûrs moyens de prévenir la survenue de nouvelles crises. Cela implique la mise en oeuvre d'un ensemble d'actions complémentaires et cohérentes dans tous les domaines : sécurité, développement, gouvernance.
Or, la coordination entre l'action des militaires, celle des diplomates et des coopérants est loin d'être une marque de fabrique française, là où d'autres cultures, (les Britanniques sont souvent cités), savent impulser des démarches plus transversales.
C'est ce déficit « d'approche globale » qui est bien souvent la pierre d'achoppement de notre action. Car bien souvent, si nous peinons à « transformer l'essai » du succès militaire en succès politique et économique, c'est faute d'une mobilisation coordonnée des différents acteurs et opérateurs civils. Le coût d'opportunité s'étend d'ailleurs aussi parfois à nos entreprises, qui peinent ensuite à se positionner sur les marchés de la reconstruction.
Mettre en oeuvre une « approche globale » implique en amont qu'on puisse mieux prévenir les crises, par des actions de coopération structurelle militaire et de coopération civile, qu'on puisse mieux en détecter les signaux avant-coureurs et qu'on sache aussi, dès les débuts de l'intervention militaire quand celle-ci s'avère inévitable, déployer, en coordination avec l'action militaire, des capacités civiles pour créer les conditions d'une stabilisation durable.
Chacun connaît la fragmentation organique et décisionnelle des différentes administrations et opérateurs : le dispositif français ne se caractérise pas toujours par un partage clair des responsabilités non plus que par une grande cohérence d'action.
Le Livre blanc de 2008 avait déjà mis en avant cette nécessité d'une approche globale, qui avait conduit à l'adoption, en 2009, d'une stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire de gestion des crises extérieures . Si le concept d'approche globale semble désormais bien identifié, il peine toutefois à se traduire dans les faits et à s'organiser au plan opérationnel.
En effet, le Livre blanc pour 2013 dresse le même constat que celui de 2008 : « L'expérience des crises récentes a montré que nos capacités civiles, dans les actions de prévention comme dans la reconstruction après un conflit, sont encore insuffisantes, faute, notamment, qu'aient pu être créées les conditions permettant la mobilisation efficace et coordonnée des ministères compétents. Il convient par conséquent de relancer la stratégie interministérielle . (...) La coopération de défense et de sécurité, l'assistance opérationnelle à des armées étrangères, ainsi que notre dispositif prépositionné, constituent autant d'outils qui doivent contribuer à la cohérence de notre politique en matière de prévention. ».
Le Livre blanc prévoit les modalités de la relance de cette stratégie interministérielle de crise, via un comité de pilotage, un document cadre, mais aussi une doctrine opérationnelle, des procédures interministérielles et un partage « clair » des compétences sur le terrain :
Les principes de « l'approche globale » définis par le Livre blanc de 2013 - Au niveau stratégique, les priorités géographiques, en particulier, en termes de veille, d'anticipation et de prévention, devront être clairement déterminées et validées au niveau politique. Le comité de pilotage de la gestion civilo-militaire des crises coordonnera le suivi et l'actualisation annuelle de ces priorités. Un document cadre explicitant notre stratégie interministérielle en matière de prévention et de gestion civilo-militaire des crises sera publié ; - au niveau opérationnel, le dispositif retenu devra pouvoir s'appuyer sur une doctrine opérationnelle et des procédures interministérielles validées. Il devra mener une action de moyen et long terme, dans une logique tant de diplomatie d'influence que de diplomatie économique. Il devra également être en mesure de monter en puissance rapidement à l'approche d'une crise. Il s'appuiera dans ces situations sur l'installation, auprès du ministère des Affaires étrangères, de structures de réponse rapide composées de personnels mis à disposition représentant les différents départements ministériels compétents. Ces structures légères et réactives resteront en activité tout au long de la période critique ; - cette approche globale interministérielle doit se traduire, sur le théâtre de la crise, par une délégation et un partage clair des responsabilités afin d'assurer la cohérence de l'action au contact des réalités du terrain. |
Recommandation : Passer des intentions (Livres blancs de 2008 et 2013...) aux actes (procédures, comité interministériel...) en matière de mise en oeuvre d'une « approche globale » pour la gestion des crises. |
b) Les généreuses promesses de la Conférence du 15 mai n'effacent pas les trois « péchés originels » dont souffre l'aide au développement
(1) Notre méthode est-elle la bonne ?
Présentée comme un succès permettant de « gagner la paix », la conférence des donateurs du 15 mai, qui a enregistré 3,2 milliards d'euros de promesses de dons pour le Mali, résulte pourtant d'une méthode qui souffre de trois défauts originaux.
(a) Où sont passés les milliards engloutis pour le développement du Sahel ?
Personne n'a évalué les causes de nos échecs précédents, car enfin l'aide internationale, conséquente avant la crise malienne, de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an, n'en a pas empêché la survenue.
D'après le plan pour la relance durable du Mali (PRED 2013-2014), la part de l'aide extérieure dans le budget de l'État malien était, en 2012, de 33%. L'aide extérieure représentait 13% du PNB malien.
Où sont passés les milliards déversés sur le Sahel ?
Cette évaluation préalable aurait été indispensable : force est de constater qu'elle n'a pas eu lieu. Comment, alors, garantir qu'il en aille différemment à l'avenir ?
L'échec patent de 50 ans de coopération aurait dû conduire l'ensemble des bailleurs de fonds à s'interroger sur l'efficacité des méthodes utilisées dans des pays aussi pauvres que ceux de la bande sahélienne 120 ( * ) .
Nos méthodes sont-elles adaptées à des pays aussi fragiles ?
Les moyens n'ont pas manqué. La question est plutôt celle de la méthodologie d'intervention dans des pays où l'Etat se révèle si peu présent ou structuré. Avons-nous bien choisi le point d'application de notre aide : avons-nous consacré assez d'efforts à la formation des élites et à la consolidation de la gouvernance, qui permettent seules une véritable appropriation des projets de développement par les Etats bénéficiaires de l'aide ?
En regardant concrètement la réalité de certains projets conduits au Mali, en discutant sur place avec les acteurs du développement, on a parfois l'impression non seulement d'une dispersion mais aussi d'un défaut d'arrimage aux réalités locales, qui peut être l'indice de ce déficit d'appropriation.
La question de l'évaluation de l'efficacité des crédits d'aide au développement, leitmotiv des rapporteurs « aide au développement » de votre commission, MM Christian Cambon et Jean-Claude Peyronnet, semble d'une particulière acuité dans le cas malien.
La problématique de la substitution des « partenaires techniques et financiers » aux structures internes doit être abordée avec réalisme. Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer, comme cela a pu être le cas ailleurs, des administrations parallèles, qui peuvent, un temps, mais un temps seulement, conduire des actions de reconstruction qui seront naturellement vouées à l'échec dans le long terme si elles ne s'appuient pas sur des capacités proprement locales.
Recommandation : Évaluer les raisons d'un certain échec de 50 ans de coopération au développement au Sahel. |
(b) Faut-il aider le Mali ou le Sahel ?
La Conférence de Bruxelles n'a concerné que le Mali. Mais c'est tout le Sahel qui aurait dû être concerné par un plan de développement à l'échelle régionale.
Comment ne pas voir qu'aider le Niger aujourd'hui, ou le Tchad, c'est véritablement préserver l'avenir ?
Comment expliquer que l'on conceptualise de vastes stratégies globales à l'échelle du Sahel, tant au niveau français qu'européen, pour ensuite s'empresser de ne recueillir des fonds que pour le seul Mali ?
Recommandation : Considérer le Sahel (et non le seul Mali) pour impulser le développement économique. |
(c) Comment faire de l'aide un levier du changement ?
Ne nous voilons pas la face : on peut être surpris de constater parfois que l'ennemi semble plus être le touareg que le terroriste. L'aide peut être un levier. Il n'est d'ailleurs pas illégitime qu'il en aille ainsi, car, au fond, les avancées politiques sont la condition indispensable de l'efficacité, à terme, des fonds versés.
Plus précisément, vos rapporteurs considèrent que cette « conditionnalité » pourrait s'appliquer dans 4 domaines :
- Conditionner le versement de l'aide aux progrès politiques :
Comme cela a été affirmé à la Conférence de Bruxelles, le décaissement de l'aide pourra être subordonné au respect des engagements de la feuille de route de janvier dernier, à l'organisation des élections le 28 juillet prochain et à la poursuivre le processus de réconciliation.
Recommandation : Subordonner le versement de notre aide au développement non seulement à la reprise du processus électoral mais surtout aux progrès de la réconciliation inter-malienne. |
- Accroître la transparence dans le versement effectif de l'aide :
L'expérience l'a montré, il est impératif de renforcer la transparence et de la traçabilité de l'aide.
À cet égard, le gouvernement français a décidé de lancer une « expérience pilote » dont la pertinence est laissée à l'appréciation de votre commission, et que le ministre Pascal CANFIN a récemment décrite en ces termes 121 ( * ) :
« Un site internet, accessible à tous, fera état de l'ensemble des projets financés par l'aide bilatérale française, avec indication de leur calendrier prévisible de réalisation. Toute ONG malienne pourra ainsi savoir que tel centre de santé financé par la France doit ouvrir à telle date dans tel village, telle piste doit être transformée en route à telle date, tel village être équipé à telle date d'une station de pompage ou d'épuration... Et si aux dates prévues, rien n'a été fait, il sera possible de le signaler auprès d'une hot line. Avec dix millions de téléphones portables en service au Mali, il ne devrait pas être trop difficile aux intéressés d'envoyer un SMS sur cette hot line. Je crois en cette décentralisation du contrôle citoyen de l'aide internationale pour en renforcer la transparence, l'efficacité, mais aussi l'appropriation par la société civile malienne . »
Certains estiment nécessaire la création d'une Cour des comptes au Mali 122 ( * ) , comme le prévoit d'ailleurs l'union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) dont est partie le Mali.
Rappelons qu'un poste de Vérificateur général des comptes des ministères et des entreprises a été créé en 2001. Son dernier rapport (2011) mentionne 123 ( * ) des détournements à hauteur de 8 milliards de francs CFA (ceux dénoncés les années précédentes étant de 100 ou 120 milliards). Dans son rapport 2009, le Vérificateur regrettait par écrit les réticences de certaines administrations à fournir les documents demandés.
Il va de soi que le renforcement de la capacité à contrôler et vérifier les comptes publics devrait être un chantier prioritaire de l'amélioration de la gouvernance financière au Mali. La Cour des comptes française a d'ailleurs une activité soutenue de coopération internationale au sein des différents réseaux d'institutions supérieures de contrôle, et exerce plusieurs mandats de commissariat aux comptes d'organisations internationales. Son expertise pourrait être mobilisée en l'espèce.
Suggestion : Consolider, au titre du renforcement de la gouvernance financière, les moyens du Bureau du Vérificateur général . |
Consolider les capacités techniques des partenaires maliens
La question de la capacité technique des partenaires maliens à absorber l'aide (au-delà des phénomènes de corruption et « d'évaporation », qui ont existé par le passé) se pose : dans cette optique, le gouvernement français fait le choix de faire transiter directement une partie de son aide vers les collectivités locales maliennes. Cet arbitrage résulte de la volonté, certes louable, d'accompagner la décentralisation : ainsi, dans le document de conclusions adopté à l'issue de la Conférence de Bruxelles, figure la notion « d'aide budgétaire sectorielle décentralisée » . Une partie (30%) des 3,2 milliards d'euros promis ira directement aux collectivités, pour les aider à rendre les services nécessaires à la population.
Vos rapporteurs ne peuvent qu'adhérer à l'argumentation 124 ( * ) développée par le ministre en charge du développement pour justifier ce choix : « Travailler avec les élus locaux présente aussi l'avantage de dépassionner le débat. Plus pragmatiques, plus proches du quotidien, les élus locaux sont moins obsédés par les grands affrontements traditionnels au Mali. »
Beaucoup de collectivités locales françaises pratiquent depuis longtemps la coopération décentralisée avec leurs homologues maliennes, comme l'a montré la Conférence sur le développement du Mali qui s'est tenue le 19 mars à Lyon pour promouvoir la coopération décentralisée.
Les capacités techniques des collectivités maliennes doivent être consolidées.
- Rééquilibrer le développement entre le Nord et le Sud
L'aide internationale devrait enfin permettre de remédier au problème de sous-développement du Nord du pays.
Est-il normal qu'il n'y ait pas un kilomètre de route goudronnée entre Gao et Kidal ? Est-il normal qu'on prenne encore l'eau dans des puits à Kidal ? Est-il normal qu'il n'y ait encore que 3 heures d'électricité par jour ?
S'il y avait à Kidal une école, un hôpital, une route goudronnée, un accès à Internet, en serait-on là aujourd'hui ? Si 20% de la population n'y était pas en situation de manque de nourriture extrême 125 ( * ) , en serait-on arrivé là ?
Si les autorités maliennes étaient aussi promptes à vouloir redéployer au Nord les services publics, les infrastructures de base, les centres de santé, ou les autres services à la population que ses forces armées, en serait-on là aujourd'hui ?
Comment expliquer que l'aide internationale n'ait pas cherché à prévenir les évènements survenus au Nord Mali en ouvrant des lignes spécifiques pour son développement ? À l'examen, il apparait que 126 ( * ) le FMI, la Banque mondiale et l'Union européenne, qui avaient intégré en 1992 (après la précédente rébellion touarègue) des lignes de spécifiques pour le Nord, n'ont pas poursuivi au-delà de 1997. Les priorités sont alors devenues la santé ou l'éducation, au détriment du développement du Nord.
À cet égard, il est frappant de constater que le développement du Nord du Mali ne figure pas non plus en tant que tel au rang des 12 priorités identifiées par le plan pour la relance durable du Mali, ou « PRED 2013-2014 » , document stratégique malien endossé par la communauté internationale lors de la Conférence des donateurs « Ensemble pour le renouveau du Mali » du 15 mai dernier. Certes, il y est question de l'approfondissement de la décentralisation « pour un développement équilibré du territoire », et des transferts de ressources aux collectivités territoriales, mais cette stratégie s'appuie sur une vision uniforme qui concernerait de la même façon les 8 régions du Mali . Quelques actions spécifiques au Nord sont certes mentionnées 127 ( * ) , mais c'est souvent avec un pendant immédiat qui concerne le sud du pays.
Il convient de renforcer l'action pour le Nord Mali.
Recommandation : Donner une place particulière, dans notre politique de coopération, au développement du Nord du Mali pour éteindre durablement les causes de la crise malienne. |
(2) Un défi de la coordination qui reste encore à relever pour 3,2 milliards d'euros de promesses de dons
(a) L'Union européenne est toujours le premier bailleur de fonds au Sahel
Plus de 3 milliards d'euros d'aide internationale (3,2 Mds €) ont été promis à la conférence du 15 mai « Ensemble pour le renouveau du Mali ».
Treize chefs d'État et 108 délégations ont participé à cette conférence des donateurs qui a permis de recueillir des promesses de dons d'un montant dépassant les prévisions et de réaffirmer le soutien de la communauté internationale au peuple malien et son appui au « Plan pour la relance durable du Mali (PRED) 2013-2014 » adopté par les autorités maliennes et endossé par les bailleurs lors de la conférence.
La France s'est engagée à verser 280 millions d'euros à titre bilatéral , en plus de sa contribution à titre multilatéral. Elle participera notamment à hauteur de 20% à l'aide de l'Union européenne , d'un montant de 520 millions d'euros .
L'ensemble de l'aide européenne , allouée par l'Union européenne et les États-membres, rassemblerait autour de 1,3 Md€, dont 520 M€ apportés par l'Union, 280 M€ par la France, 110 M€ par le Danemark, 100 M€ par l'Allemagne (après les élections au Mali) ainsi que par les Pays-Bas, 67 M€ par la Suède et 42 M€ par la Belgique. Le Royaume-Uni a annoncé une enveloppe globale pour le Sahel de 100 M€ (24 M€ pour le Mali).
Parmi les principaux autres donateurs bilatéraux, les États-Unis et le Canada , n'ayant pas encore repris leur aide, conditionnée à la tenue des élections, ont néanmoins pu respectivement annoncer un montant de 212 M$ (160 M€) dont 180 M$ d'aide projet au titre de l'exercice budgétaire 2014, et de 75 M$ (56 M€) sur les deux ans à venir. La Corée du Sud devrait apporter une contribution de 66 M€ , la Suisse de 50 M€ (75M€ sur trois ans), la Norvège de 32 M€. Parmi les multiples autres contributions, on pourra signaler celle du Koweït (60 M$ dont 50 de prêts), du Japon (38 M$), du Luxembourg (26 M€), du Brésil (4M$), de la Turquie (2M$), de la Grèce (50 000€), ou de Malte (25 000€).
S'agissant de l'aide multilatérale, la Banque mondiale a avancé un volume conséquent de 500 M$ d'aide sur la période du Plan. La Banque africaine de développement a promis 240 M€. La Banque islamique de développement a également annoncé une contribution généreuse de 250 M$ (soit 190 M€), de même que la Banque Ouest africaine de développement (200 M€ sur 2013-2014) ou le Fonds mondial (108 M€ sur trois années). Le système des Nations unies a estimé sa contribution informellement à 150 M$ (200 M$ avec le Fonds mondial).
(b) Le défi titanesque de la coordination des bailleurs ne semble pas encore gagné
Une des raisons du manque d'efficacité des actions passées en faveur du développement réside en partie dans l'éclatement et la dispersion des acteurs -y compris européens- qui ruinent toute tentative d'imposer une logique d'ensemble.
Dans cette optique, l'idée de la mise en place d'un fonds multilatéral dédié dont la France aurait pu se voir déléguer la gestion a été suggérée.
En effet, la France dispose d'une expertise sans doute unique en matière notamment de développement agricole.
Un fonds fiduciaire multi bailleurs pour le Sahel ? - Pour financer ces actions et les gérer de manière cohérente et non désordonnée, une solution efficace consisterait à constituer un fonds fiduciaire qui devrait viser à mobiliser sur une longue période des montants annuels de l'ordre de un à deux milliards d'euros . Ces sommes devraient venir pour une partie d'un regroupement des aides multilatérales actuellement affectés à ces pays mais qui sont dispersés et mal coordonnés afin de les intégrer dans une vision stratégique en fonction d'objectifs clairs. Afin de participer au contrôle de l'emploi des ressources correspondantes, à la définition des priorités et éviter le gaspillage des fonds comme en Afghanistan, la France devrait contribuer à ce fonds multi-bailleurs pour des montants significatifs ce qui impliquera des arbitrages difficiles sur le budget de la coopération. - Pour coordonner tant l'action de ses propres administrations que pour assurer la cohérence globale de l'action militaire et de l'action civile qui seront conduites avec ses alliés et partenaires, le gouvernement devrait désigner au plus vite un coordinateur français de haut niveau capable d'imposer sa volonté aux administrations françaises concernées et de conduire un dialogue avec tous nos partenaires et les pays sahéliens. Un tel coordinateur doit être un responsable politique qui devrait disposer pour assurer son autorité d'un mandat clair et d'un accès direct privilégié aux plus hautes autorités. Source : « Evitons un enlisement militaire au Mali et stabilisons durablement la situation au Sahel » , Serge Michailof, chercheur associé à l'IRIS |
Cette proposition n'a pas été retenue par le gouvernement, qui s'en est expliqué en ces termes 128 ( * ) : « L'analyse ne me convainc pas totalement. Elle repose en effet sur des présupposés qui ne me paraissent pas correspondre à la réalité. Pourquoi, par principe, la France ferait-elle mieux que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne ou tel pays ? Nous nous engageons à la hauteur nécessaire et acceptons d'assumer un rôle informel de coordination , dans la mesure où notre pays est vraisemblablement le seul à avoir la légitimité pour réunir tous les acteurs autour d'une table. Mais de là à prétendre que la meilleure garantie d'efficacité serait que l'aide passe par un fonds de l'AFD labellisé France, il y a de la marge ! ».
La question n'est-elle pas aussi : la France a-t-elle toujours une capacité suffisante à orienter, à entraîner et à coordonner, compte tenu du faible montant de son aide bilatérale ?
Les ressources directement pilotées par la France sous forme d'aide bilatérale projet sont de plus en plus maigres chaque année (de l'ordre de 250 millions d'euros pour 17 (!) pays prioritaires), et soumises à régulation budgétaire, tandis qu'en comparaison, les ressources que l'on confie à l'Union européenne, à la Banque mondiale et aux Banques régionales de développement sont conséquentes : 1,5 milliard d'euros pour l'UE, 500 à 600 millions pour la Banque mondiale et 200 millions pour les banques régionales de développement.
Dans le maquis des chiffres de l'aide publique au développement, on peut chiffrer l'aide française (aide projet, sous forme de subventions) pour le développement rural dans les pays sahéliens à environ 15 millions par an, soit 1,5 pour mille de notre aide publique totale affichée !
Sur les dix dernières années, le Mali représente 4% de notre aide au développement. C'est peu, pour un pays prioritaire de la coopération française, dont les besoins sont immenses, et dont nous accueillons sur notre territoire une partie de la population.
Aujourd'hui la situation retenue est donc celle d'une « coordination informelle » des bailleurs sur le terrain. C'est peu de dire que la tâche n'est pas aisée.
Certes, la programmation conjointe européenne est un élément de mise en cohérence, dans la mesure où l'Union européenne est le premier bailleur de fonds. Le Mali ayant été désigné comme pays pilote de cette programmation conjointe, les États membres y appliquent déjà les principes agréés lors du Conseil des Affaires étrangères du 14 novembre 2011 :
La programmation conjointe de l'Union européenne
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L'exercice de programmation conjointe, bien entamé en 2011, a toutefois été entravé par la suspension de la coopération suite au coup d'État de 2012. Néanmoins, une approche concertée devrait être mise en oeuvre pour la sortie de crise.
Pour autant, les problèmes de coordination ne sont pas tous résolus, et ce d'autant plus que la méthode retenue à Bruxelles a été celle d'annonces unilatérales de financement, sans harmonisation préalable, ni des calendriers de programmation (le PRED concerne les années 2013-2014 mais les programmations des bailleurs peuvent ne pas être synchronisées sur ces exercices), ni des cadrages thématiques respectifs .
Les mécanismes de coordination informelle des bailleurs de fonds sur place à Bamako (Troïka, différents comités...) se trouvent donc actuellement confrontés à une lourde tâche.
En avril, vos rapporteurs estimaient que la Conférence de Bruxelles devait éviter les quatre écueils suivants :
- la dispersion des acteurs et des fonds ;
- l'absence de vision et d'approche globales (gouvernance, formation, décentralisation...) s'étendant à la dimension du Sahel dans son entier ;
- l'absence d'un mécanisme de suivi très serré sur l'utilisation des fonds,
- le déni de l'existence d'un problème de développement spécifique au Nord Mali.
Force est de constater qu'il n'est pas acquis aujourd'hui que ces écueils puissent réellement être évités.
c) L'aspect économique ne doit pas être oublié
Vos rapporteurs se sont assurés, lors de leurs différents entretiens, que cet aspect n'était pas oublié par nos diplomates et que des contacts étaient pris avec les organisations représentant les entreprises françaises pour qu'elles puissent soumettre des offres dans le cadre des marchés à venir de reconstruction et de développement , pour le bénéfice mutuel de ces entreprises, de leurs salariés, et du peuple malien.
N'oublions pas que l'Union européenne est le premier bailleur de fonds au Mali et qu'outre son aide bilatérale, la France contribue pour 20% à l'aide versée par l'Union européenne.
Cette démarche doit ailleurs tout autant concerner nos experts 129 ( * ) que nos entreprises.
Plusieurs secteurs d'activité concernent les entreprises françaises : . secteurs de l'eau et de l'assainissement : Stations d'eau potable Hydraulique villageoise . secteur de l'énergie : Production d'électricité Cogénération Transport de l'électricité . secteur des transports : Routes Aéronautique Rail . secteur de l'armement. |
Force est de constater que ce sont parfois nos propres blocages internes qui expliquent nos difficultés à positionner nos entreprises sur ces marchés.
L'épisode de la « lettre d'attribution » des Nations unies pour la fourniture de biens et services à la MINUSMA est à cet égard assez révélateur.
Pour accélérer et faciliter la mise en place de la MINUSMA, il a été envisagé la conclusion, entre la France et les Nations unies, d'une lettre d'attribution, afin de fournir les biens et services nécessaires à la mise en place de la MINUSMA dans les meilleurs délais (sans passer par de longues et lourdes procédures d'appels d'offres). De tels arrangements sont assez classiques, comme par exemple entre les États-Unis et les Nations unies pour la mise en place de l'AMISOM en Somalie.
Toutefois, compte tenu des difficultés budgétaires et juridiques que posait, en France, ce mécanisme, ce n'est qu'après un intense travail interministériel -et plusieurs mois de délai !- que la France a été en mesure de répondre favorablement à la demande des Nations unies et de proposer, enfin, fin juin, un tel projet de lettre d'attribution.
Plus précisément, les difficultés portaient non seulement sur le respect du code des marchés publics, mais aussi sur le respect du droit budgétaire et comptable qui s'applique à l'État, en ce qui concerne :
- la possibilité pour l'État de s'engager à fournir une garantie de bonne fin des prestations ;
- la possibilité pour l'État de faire une avance de trésorerie avant remboursement par les Nations unies.
Les marchés concernés sont susceptibles de concerner la réfection voire l'extension de pistes d'atterrissage à Gao, Kidal et Tessalit, la construction et l'équipement des camps militaires de la MINUSMA, dont 2 grands camps de 100 personnes à Gao et Tombouctou, la fourniture d'équipements aéroportuaires et de gestion aéroportuaire, notamment sur les petits aéroports du Nord, la fourniture de matériel médical, de gestion des déchets, de traitement des eaux et d'évacuation sanitaire et médicales, ainsi que divers services de gestion des emprises (assurance, nettoyage, gardiennage....).
De tels blocages sont difficilement compréhensibles ; il s'agit de favoriser le déploiement de la MINUSMA tout en positionnant nos entreprises sur les marchés de la « reconstruction » du Mali, deux objectifs prioritaires : comment expliquer qu'il faille des mois pour mettre en place un tel mécanisme pratiqué par la plupart de nos partenaires ?
Dans bien des cas, la France est en effet la seule en mesure d'apporter l'aide indispensable pour le bon déploiement de la MINUSMA (réfection des pistes d'aéroport par exemple, soutien vie pour les implantations onusiennes etc...) : les difficultés rencontrées pour souscrire à un tel accord de soutien logistique sont assez difficilement compréhensibles.
Recommandation : Définir, dans le cadre du groupe de travail interministériel sur « l'approche globale » pour la sortie de crise prévue par le Livre blanc, des procédures budgétaires et comptables permettant à la France de répondre rapidement aux « demandes d'attribution de prestations » de la part des Nations unies. |
* 120 Comme le décrivent depuis des années les rapporteurs de notre commission chargés de l'aide au développement, en particulier MM Christian Cambon et Jean-Claude Peyronnet
* 121 Lors d'une audition à l'Assemblée nationale le 22 mai 2013
* 122 Aujourd'hui existe une section des comptes de la Cour suprême en charge de la validation des états financiers des services publics de l'État et un Bureau du Vérificateur général
* 123 Source : entretiens lors de la table ronde « Mali, à l'écoute de la recherche française et européenne », 12 avril 2013, à l'AFD
* 124 Audition précitée devant l'assemblée nationale le 22 mai 2013
* 125 Source : ONG, situation à la fin avril
* 126 Source : séminaire précité de l'AFD : « Mali : à l'écoute de la recherche française et européenne »
* 127 En particulier en matière d'accès aux services sanitaires : la relance des services de santé dans le nord est ainsi expressément prévue par le PRED (p. 38)
* 128 Audition précitée de Pascal Canfin devant l'Assemblée nationale le 22 mai 2013
* 129 Voir à cet égard le rapport : « Pour une équipe France de l'expertise à l'international », Jacques Berthou au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat n°131, 2012-2013