3. Des implantations diplomatiques et des sites d'intérêt majeur à protéger
a) Les signaux d'alerte sont à prendre au sérieux
L'audace des groupes terroristes est sans limites. Disposant à la fois de modes de vie rustiques et des technologies les plus pointues, ils maîtrisent les codes de la communication et n'hésiteront pas à monter des actions spectaculaires pour frapper l'opinion.
À cet égard, nos ambassades et implantations à l'étranger sont particulièrement faciles à cibler et garantissent un fort impact médiatique.
L'attentat de Tigentourine, celui d'Agadez et d'Arlit montrent leur audace, leur ambition, leur capacité d'organisation logistique pour frapper dans la profondeur, mais également leur sens de la communication pour toucher au coeur des intérêts occidentaux.
Mais c'est, bien sûr, l'attaque (déjouée) de février 2011 contre notre ambassade à Nouakchott et, en 2013, l'attentat contre notre ambassade en Libye et la tentative d'attentat (déjouée) contre notre ambassade au Caire 112 ( * ) qui retiennent plus particulièrement notre attention.
Faut-il rappeler que dans un message publié le 7 mai dernier sur Youtube et sur le compte twitter d'AQMI, l'un des chefs de l'organisation terroriste, Abou Obeida Youssef Al-Annabi, y appelait à attaquer les intérêts français « partout dans le monde » ?
Dénonçant « la croisade menée par la France contre les musulmans » et « l'occupation par la France d'une terre de l'islam » en référence au Mali, le chef du Conseil des notables d'Aqmi appelle les musulmans à « la mobilisation » et au « jihad ». Il exhortait « les musulmans dans le monde entier » à « attaquer les intérêts français partout, car depuis le premier jour de l'agression, ils sont devenus des cibles légitimes ».
Compte tenu des répercussions possibles sur notre réseau d'enseignement à l'étranger, nous considérons qu'une vigilance toute particulière est aussi nécessaire pour la sécurité des écoles françaises à l'étranger.
b) Les moyens insuffisants de la sécurité diplomatique...
La « mise à niveau » des dispositifs de sécurité diplomatique a commencé en 2007 . Cette mise à niveau se traduit à la fois par des investissements conséquents en travaux et en matériels et par une utilisation plus « rationnelle » des effectifs dévolus à la sécurité des postes.
Dans le projet de loi de finances pour 2013, la sécurité bénéficiait, au sein du programme 105 de la mission budgétaire « Action extérieure de l'État », d'une priorité puisque les crédits étaient portés à 16 millions d'euros (+ 6 millions d'euros), soit un réajustement à la hausse correspondant, en fait, au niveau réellement constaté des dépenses les années précédentes.
Dans le domaine de la sécurité passive , il s'agit de la mise aux normes des postes en les auditant, en faisant procéder aux travaux nécessaires et en mettant en place les procédures de fonctionnement adaptées aux nouveaux matériels installés. Parallèlement à cette tâche de long terme, le ministère des Affaires étrangères tente de répondre aux urgences créées par l'évolution rapide de la menace et notamment du terrorisme. C'est le cas par exemple de nos postes confrontés aux activités d'Al Qaïda, que ce soit dans la zone afghano-pakistanaise, au Yémen ou encore dans le Sahel (Mauritanie, Niger, Mali).
TRAVAUX DE SÉCURISATION RÉALISÉS EN 2011 ET 2012 ET PRÉVUS EN LOI DE FINANCES INITIALE POUR 2013- (EN MILLIONS D'EUROS)
2011 |
2012 |
Projet de loi de finances pour 2013 |
||||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|||
AFGHANISTAN |
1,22 |
1,22 |
LIBAN |
0,96 |
0,56 |
BURKINA FASO |
0,8 |
0,8 |
ALLEMAGNE |
0,6 |
0,6 |
MAROC |
1,3 |
1,3 |
SENEGAL |
0,7 |
0,7 |
CAMEROUN |
0,76 |
0,76 |
IRAK |
0,19 |
0,19 |
LIBAN |
1,10 |
1,10 |
CHINE |
0,48 |
0,48 |
MALI |
0,32 |
0,32 |
AFGHANISTAN |
1,2 |
1,2 |
ETHIOPIE |
0,55 |
0,55 |
CONGO |
0,23 |
0,34 |
MAURITANIE |
1,00 |
1,00 |
GEORGIE |
0,95 |
0,95 |
BENIN |
0,26 |
0,26 |
MALI |
0,6 |
0,6 |
GRECE |
0,33 |
0,38 |
PAKISTAN |
2,23 |
2,51 |
BIRMANIE |
0,34 |
0,34 |
INDE |
0,67 |
0,67 |
BAHREIN |
0,63 |
0,63 |
TCHAD |
0,4 |
0,4 |
IRAN |
1,23 |
1,23 |
TCHAD |
0,51 |
0,51 |
ESTONIE |
0,3 |
0,3 |
LIBAN |
0,78 |
0,78 |
ALBANIE |
0,6 |
0,6 |
CONGO |
0,6 |
0,6 |
MAROC |
1,85 |
1,85 |
TUNISIE |
0,23 |
0,23 |
ARMENIE |
0,3 |
0,3 |
PAKISTAN |
2,34 |
1,93 |
AFGHANISTAN |
0,7 |
0,7 |
ANGOLA |
0,3 |
0,3 |
YEMEN |
0,57 |
0,83 |
TOTAL |
13,2 |
13,2 |
THAILANDE |
0,4 |
0,4 |
TOTAL |
16,7 |
16,7 |
INDONESIE |
0,4 |
0,4 |
|||
IRAN |
0,6 |
0,6 |
||||||
PAKISTAN |
0,7 |
0,7 |
||||||
OUGANDA |
0,5 |
0,5 |
||||||
BULGARIE |
0,3 |
0,3 |
||||||
NIGER |
0,3 |
0,3 |
||||||
TOTAL |
16 |
16 |
Source : service de la sécurité diplomatique, octobre 2012 ; AE : autorisations d'engagement, CP : crédits de paiement
Sur l'exercice 2011, le service de sécurité diplomatique a ainsi consacré 16 millions d'euros à la modernisation de la sécurité du réseau. Une cinquantaine de postes a pu être auditée (dont certains à plusieurs reprises dans le cadre du suivi des travaux comme en Afghanistan, Pakistan, Maroc, Cameroun...).
Signe de la très rapide montée des menaces, le dispositif de sécurité de certains postes qui venaient d'être mis à niveau a dû, dans certains cas, être revu à la hausse (protection supérieure contre les explosifs) compte tenu du changement de nature de la menace (capacité d'action croissante des groupes terroristes), comme à Nouakchott ou à Bamako.
En effet, à peine les travaux terminés, une nouvelle campagne de sécurisation a dû être conduite en raison de l'élévation rapide de la menace : en février 2011, la tentative d'attentat à Nouakchott a mis en oeuvre un véhicule avec 1,7 tonne d'explosifs.
Une quarantaine d'ambassades a bénéficié de crédits supérieurs à 50 000 euros, dont, comme cela figure dans le tableau ci-dessus, 12 à plus de 500 000 euros, pour une remise à niveau lourde de leur système de sécurité passive ( Afghanistan , Iran , Liban , Maroc , Pakistan , Éthiopie , Géorgie , Inde , Yémen ,....).
En 2012 , un budget de 13 millions d'euros était prévu pour les travaux de sécurité dans le réseau. Ainsi, une quarantaine de postes a été inspectée, soit dans le cadre du suivi des travaux, soit lors d'opérations nouvelles. 25 ambassades ont déjà fait l'objet cette année de mises à disposition de ressources d'un montant supérieur à 100 000 euros.
En 2013 , étaient prévus en loi de finances initiale des travaux dans les ambassades de Beyrouth, Islamabad, Téhéran, Kaboul...
Par ailleurs, en parallèle à la programmation annuelle, plusieurs ambassades faisaient déjà l'objet d'un plan pluriannuel de renforcement lourd contre la menace terroriste pour des montants de travaux supérieurs à 200 000 euros ( Kaboul , Islamabad , Fès , Tanger , Sanaa , Beyrouth... ).
Le Quai d'Orsay poursuit parallèlement une réforme des gardes de sécurité diplomatique via la mise en place de Chefs de Sécurité Opérationnels (CSO).
La réforme des gardes de sécurité diplomatique : les CSO Ces CSO ont des fonctions différentes de celles des traditionnels gardes de sécurité diplomatique, de conception de la sécurité du poste, de conseil auprès des autorités et de coordination avec l'équipe de vigiles. La mise en place des CSO s'accompagne également de programmations plus ou moins conséquentes en travaux de sécurité ou acquisition de matériel afin de mettre à niveau la sécurité passive des postes concernés. Il peut également s'avérer nécessaire de recruter des vigiles (recrutés locaux ou sociétés prestataires) pour renforcer la sécurité active. Leur mise en place permet un redéploiement des emplois gagnés par ce biais vers les zones crisogènes : la mise en place de 29 postes de CSO (dont 4 créations de postes) a ainsi permis le gain de 30 équivalents temps plein (ETP). Ces ETP gagnés ont été redéployés pour répondre aux nécessités immédiates ou à venir, notamment dans des postes particulièrement sensibles ( Afghanistan , Yémen , Mauritanie ,...) ou dans des postes où l'effectif de gardes de sécurité est insuffisant. |
En effet, 15 ambassades sur 158, 82 consulats sur 96 et 13 représentations permanentes sur 17 sont aujourd'hui 113 ( * ) dépourvus de gardes de sécurité.
Cette action de renforcement des sites s'est accompagnée de l'envoi, souvent dans l'urgence, de policiers ou gendarmes missionnaires , en renfort des effectifs permanents pour faire face aux situations de crise, assurer la garde des bâtiments ou la protection des autorités.
c) ...demandent à être renforcés et consolidés
À la suite de l'attentat contre l'ambassade de France à Tripoli , en avril, le ministère des Affaires étrangères a préparé un plan d'urgence pour la mise à niveau de la sécurité des implantations les plus exposées, qui devrait être prochainement finalisé.
Ce plan d'urgence , d'un montant de 4,6 millions d'euros , qui a vocation à être mis en oeuvre dès 2013, est ciblé sur quelques implantations particulièrement exposées comme Kaboul, Tripoli, Karachi, Alger, Djeddah, Bangui, Islamabad, Le Caire ou les postes du Sahel .
Un projet de relocalisation de l'ambassade à Tripoli (chancellerie, résidence...) est à l'étude, au sein d'un campus sécurisé permettant d'assurer la protection des agents (y compris s'agissant de leur logement), et autour d'un format redimensionné.
Le dégel de la réserve de précaution et des redéploiements de crédits devrait permettre de couvrir ces dépenses qui visent à parer au plus pressé.
Parallèlement, a été élaboré un plan plus global de sécurisation des postes, concernant principalement la zone africaine et moyen-orientale, pour un montant total de 20 M€ par an .
Ce plan d'action doit permettre de mettre à niveau la sécurité passive des postes, d'acquérir des équipements de protection mobiles, d'accroître le budget de gardiennage et de maintenance, d'acheter des véhicules blindés, d'organiser des missions de renforts et d'allouer plus de ressources humaines à la sécurité.
D'après les informations recueillies par vos rapporteurs, ces dépenses seront largement financées par des redéploiements de crédits, à partir du programme budgétaire 105 (« Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État ») et du compte d'affectation spéciale n°723 (« Gestion du patrimoine immobilier de l'État » ), qui recueille le produit des ventes de cessions immobilières du quai d'Orsay.
Ces moyens, très contraints, sont déjà insuffisants pour assurer l'entretien du réseau immobilier.
Ils reposent en outre sur la cession du patrimoine du ministère des Affaires étrangères, qui conditionne notre capacité à sécuriser le réseau diplomatique.
Les cessions immobilières sont en effet devenues le moyen de gager les dépenses d'investissements immobiliers (entretien lourd) du réseau diplomatique, en France et à l'étranger. Les produits de cessions immobilières alimentent le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », dont le « taux de retour » au ministère des affaires étrangères sur les produits de cessions est, à titre dérogatoire, de 100% pour les produits de cessions des immeubles domaniaux situés à l'étranger (et ce jusqu'au 31 décembre 2014).
Ce mécanisme de financement comporte des effets pervers : particulièrement chaotique, non seulement il porte en lui-même son propre épuisement , mais il rend de plus toute programmation dans la durée sinon impossible, du moins difficile.
Or, en l'absence d'une dotation budgétaire suffisante (à peine 2,5 millions d'euros étaient prévus dans le projet de loi de finances pour 2013), les crédits consacrés à l'entretien lourd par le ministère des Affaires étrangères proviennent du compte d'affectation spéciale 723. Ce mode de financement, très aléatoire tant dans les montants que dans les échéanciers, qui ne permet pas d'envisager la mise en place d'une programmation pluriannuelle, a déjà été dénoncé par votre commission 114 ( * ) .
Ainsi, si le produit des cessions a représenté pour le ministère 29 millions d'euros en moyenne annuelle sur les cinq exercices 2006-2010, c'est de façon très fluctuante et presque imprévisible, suivant les aléas des différents marchés immobiliers.
Le marché immobilier réserve de bonnes (Hong Kong, Bangkok) comme de mauvaises (Athènes, Dublin) surprises, exposant le ministère des Affaires étrangères aux aléas d'une conjoncture particulièrement versatile.
La politique de cessions devient en outre de plus en plus difficile à conduire, car les bâtiments les plus faciles à vendre ont été cédés, notamment les plus petits : 80 bâtiments d'une valeur de moins de 500 000 euros ont déjà été vendus.
C'est sur ces crédits, qui peinent déjà à couvrir l'entretien lourd du réseau, et qui sont déjà de plus en plus cannibalisés par les dépenses d'entretien courant, que va reposer notre capacité financière à sécuriser le réseau diplomatique...
Nous devons aussi renforcer une culture de la sûreté , autour des principes d'adaptation, de vigilance et de discrétion, pour développer, chez les agents du ministère des affaires étrangères comme chez les candidats à l'expatriation, des réflexes qui font partie intégrante de la prévention et de la gestion des risques de malveillance (comme ont déjà commencé à le faire la plupart des entreprises intervenant dans les pays à risque).
Un séminaire avec les entreprises concernées a eu lieu au début de l'année au centre de crise du Ministère des Affaires étrangères : ce genre d'initiative doit être encouragé.
Recommandations : 1) Le plan de sécurisation de nos implantations diplomatiques doit être mis en oeuvre sans tarder et devrait, en bonne logique, ne pas être conditionné aux aléas des cessions du patrimoine immobilier du Quai d'Orsay ni reposer, pour son financement, sur des produits de cession, au risque de phagocyter encore davantage les crédits d'entretien lourd ; 2) Le Ministère des Affaires étrangères doit renforcer ses actions de sensibilisation, à l'attention de ses personnels mais aussi des entreprises et des candidats à l'expatriation dans les zones à risque, pour développer une « culture de la sureté ». |
* 112 Source : suivant une dépêche AFP du 15 mai 2013, citant l'agence officielle MENA, une cellule terroriste planifiait une attaque contre l'ambassade de France au Caire
* 113 Source : service de la sécurité diplomatique, octobre 2012
* 114 Voir notamment l'avis budgétaire de Mme Aichi et M Gournac sur les crésits du programme 105 dans le projet de loi de finances pour 2013, Sénat 2012-2013