B. COMMENT ASSURER LA SÉCURITÉ AU SAHEL ?

1. Un empilement d'initiatives de sécurité qui n'ont pas démontré leur efficacité

Nous l'avons déjà écrit : les différentes initiatives, architectures ou organisations régionales de sécurité n'ont pas pu faire face à la montée de la menace au Sahel.

C'est d'ailleurs pourquoi la France s'est trouvée contrainte d'intervenir militairement au Mali : personne d'autre n'était en capacité de le faire, il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître.

a) De l'« Architecture africaine de sécurité » de l'Union africaine à la « Force d'intervention rapide »

À partir de 2002, lorsqu'à Durban, l'Union africaine adopte la création d'un Conseil de paix et de sécurité , ayant pour objectif la sécurité et la stabilité en Afrique, se mettent en place les prémisses d'une architecture africaine de sécurité.

Cette architecture, reposant sur un Conseil des sages et un système d'alerte rapide à l'échelle du continent, était destinée à doter les Africains d'une capacité combinée de 15 000 à 20 000 militaires .

Reposant notamment sur une Force africaine en attente (FAA), déclinée régionalement autour de 5 brigades en attente, cette architecture s'appuie sur les organisations sous régionales . Pour l'Afrique de l'Ouest, c'est la CEDEAO qui sert d'échelon régional.

Bien qu'ayant reçu le soutien de la communauté internationale, cette force africaine n'est pas pleinement opérationnelle à ce jour.

Certes, AMISOM, en Somalie, est une opération proprement africaine sur le continent, qui engage des contingents africains (d'ailleurs touchés par de lourdes pertes). Encore faut-il remarquer qu'elle est financée par la communauté internationale et notamment par l'Union européenne (via la « Facilité de paix »).

S'agissant plus particulièrement de l'Afrique de l'Ouest, force est de constater que si l'état-major de la CEDEAO a pu constituer un premier échelon de planification opérationnelle pour l'intervention militaire au Mali , ses capacités restent très légères et en tout état de cause inadaptées à la virulence de la menace. Ce sont dans la plupart des cas des moyens français et occidentaux qui ont permis le déploiement des 6 000 soldats de la MISMA sur le sol malien.

Il n'y a pas d'unités opérationnelles constituées qui seraient dédiées dans chaque pays à cette force d'intervention commune.

C'est dans ce contexte que l'Union africaine a pris l'initiative de constituer une « force d'intervention rapide », lors du sommet d'Addis Abeba, le 25 mai 2013, pour le cinquantenaire de l'Union africaine.

Cette « Force d'intervention rapide » serait chargée d'intervenir dans les conflits sur le continent. Une telle force reposerait sur les contributions d'ores et déjà offertes par l'Afrique du Sud , l'Ouganda et l'Éthiopie . Cette force serait une étape intermédiaire dans la constitution de la « Force africaine en attente » (FAA), dont la mise en place, initialement prévue pour fin 2010, ne pourrait intervenir vraisemblablement au mieux qu'en 2015.

Cette initiative mérite naturellement d'être saluée et encouragée sans réserve.

b) Les structures et organisations conjointes aux pays sahéliens se sont révélées inefficaces

En ce qui concerne la coopération régionale des pays du Sahel avec leur voisin algérien, vos rapporteurs, qui ont eu de nombreux entretiens à Alger à ce sujet, dressent le constat des limites des structures mises en place par l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger pour gérer les problèmes sécuritaires qui leur sont communs, à savoir l'Unité de Fusion et de Liaison (UFL), qui se trouve à Alger, et le Comité d'État-major Opérationnel Conjoint (CEMOC), basé à Tamanrasset.

La mise en place, à Tamanrasset, en avril 2010, du Comité d'État-major Militaire Opérationnel Conjoint (CEMOC) incluant le Mali, la Mauritanie et le Niger, était censée mettre en oeuvre un nouveau plan de sécurité régionale, avec la création (qui ne s'est pas concrétisée) d'unités combattantes.

L'Unité de Fusion et de Liaison (UFL), coalition des services de renseignements de sept pays (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger, Libye, Burkina Faso et Tchad, rejoints par le Nigéria fin 2011), mise en place, à Alger, en octobre 2010, est chargée de partager et d'analyser les renseignements sécuritaires concernant la région. Cet organisme tient des réunions régulières.

On notera pour mémoire l'existence de la CEN-SAD , Communauté des États sahélo-sahariens, organisation regroupant 28 États africains (mais pas l'Algérie), créée en 1998 à l'initiative de Kadhafi, puis tombée en léthargie. Cette organisation, initialement à vocation plutôt économique, a tenu un sommet le 16 février 2013 à Ndjamena, prévoyant la création d'un Conseil permanent de paix et de sécurité et d'un Conseil permanent pour le développement durable.

Il faut noter également que, dans le cadre du suivi de la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine du 25 janvier 2013, une réunion sur la coopération sécuritaire et l'« opérationnalisation de l'Architecture africaine de paix et de sécurité » dans la région sahélo-saharienne s'est tenue à Nouakchott, en Mauritanie, le 17 mars 2013.

Ce « processus de Nouakchott » a rassemblé Algérie, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Tchad, ainsi que les organisations régionales : Centre africain d'étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT) de l'Union africaine, Comité d'État-major opérationnel conjoint (CEMOC), CEDEAO, Comité des services de renseignements et de sécurité africains (CISSA), Nations unies, Unité de Fusion et de Liaison (UFL) et Union européenne. En outre, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie ont pris part à la réunion en qualité d'observateurs.

Les « Conclusions de Nouakchott » comportent un diagnostic partagé et posent des jalons pour une meilleure coopération, en termes de renforcement de la sécurité aux frontières, de renforcement de l'échange de renseignements, ou encore de lancement de missions d'évaluation dans les pays de l'espace sahélo-saharien pour évaluer leur capacité de lutte contre le terrorisme.

Pour ce qui est de donner un caractère opérationnel à l'Architecture de paix et de sécurité africaine (APSA), les décisions sont toutefois conditionnées à l'examen d'un rapport préalable de la commission « Paix et sécurité » de l'Union africaine .

Conclusions de Nouakchott 135 ( * ) pour « opérationnaliser » l'architecture de paix et de sécurité africaine au Sahel

Les participants ont convenu de ce qui suit:

- communication par les pays et organisations concernés de leurs vues et propositions sur les modalités d'opérationnalisation et de renforcement de l'APSA dans la région sahélo-saharienne, sur la base d'un questionnaire élaboré par la Commission de l'UA ;

- préparation, par la Commission de l'UA, à la lumière des réponses au questionnaire et de sa propre évaluation de la situation, d'un rapport sur les modalités d'opérationnalisation de l'APSA dans la région, prenant en compte les efforts en cours, les résultats enregistrés et les défis qui restent à relever ; et

- organisation par la Commission d'une réunion des pays concernés pour examiner le rapport mentionné plus haut et convenir de la voie à suivre.

De fait, les processus, structures et organisations ne manquent pas en matière de sécurité de la région sahélienne. Outre les coopérations initiées dans le cadre de l'initiative américaine de lutte contre le terrorisme ou des diverses coopérations bilatérales européennes en la matière (notamment française) pour renforcer les capacités de lutte contre le terrorisme des États de la région (depuis 2009 dans le cas français), on dénombre notamment :

- la CEN SAD, créé par Kadhafi et récemment réunie à l'initiative du Tchad ;

- à l'initiative de l'Algérie, le CEMOC et l'UFL ;

- la CEDEAO, échelon régional ouest-africain de la « Force africaine en attente » de l'Union africaine ;

- les « Conclusions de Nouakchott », processus pour renforcer la sécurité régionale ;

- la future « Force d'intervention rapide » africaine.

Carte n° 14 : Les organisations régionales au Sahel

Source : questions internationales n°58, nov-déc 2012, « le Sahel en crises »,
réalisation : atelier de cartographie de Sciences-Po

Reste toutefois à donner réellement vie à une architecture impliquant tous les pays de la bande sahélo-saharienne, et disposant d'une véritable capacité opérationnelle. Cette architecture est éminemment souhaitable. Nous devons tout faire pour l'encourager. Les Africains doivent prendre en charge eux-mêmes leur sécurité.


* 135 Source : http://www.caert.org.dz/cua.conclusions.nouakchott.pdf

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