N° 762

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 juillet 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les relations franco - allemandes ,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Mesdames, Messieurs,

En janvier 2013, la France et l'Allemagne ont célébré le 50 e anniversaire du Traité de l'Élysée qui, sous l'impulsion du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer, a marqué la naissance du « couple franco-allemand ». À cette occasion, les deux gouvernements ont fixé, lors de leur conseil des ministres commun, les grands axes politiques de l'action qu'ils entendent mener ensemble. La déclaration du conseil des ministres franco-allemand prend soin de préciser que les initiatives conjointes des deux pays devront être ouvertes aux autres États membres de l'Union européenne et s'inscrire dans le processus d'intégration européenne. Le couple franco-allemand retrouvera ainsi son rôle de force d'entraînement de l'ensemble de l'Union européenne.

Les relations franco-allemandes ont été au coeur de la construction européenne. Il est donc légitime et même indispensable de réfléchir à l'état de ces relations et à leurs perspectives. On doit le faire à partir d'un constat simple : l'Europe ne peut bien fonctionner que grâce à l'entente franco-allemande ; réciproquement, les deux pays ont besoin d'une Europe en état de marche.

Cette question des relations franco-allemandes est d'autant plus essentielle que l'Europe est confrontée à de véritables urgences sur le plan économique, social et financier. Au-delà, c'est le sens même du projet européen qui s'est effiloché depuis la fin du conflit Est/Ouest, et plus encore depuis la crise. Tout se passe comme si les États membres se concentraient exclusivement sur leur intérêt national au détriment de l'intérêt collectif. Les discussions sur le cadre financier pluriannuel l'ont malheureusement mis en évidence.

Dans ce contexte, le couple franco-allemand a une responsabilité particulière pour relancer l'ambition européenne. Dans cette perspective, le présent rapport s'attachera à rappeler le rôle moteur que les deux pays ont assumé ensemble dans la construction européenne et à expliquer pourquoi ce « moteur » a aujourd'hui besoin d'être relancé. Il s'interrogera ensuite sur les conditions dans lesquelles cette relance pourrait être réalisée.

I. MOTEUR DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE, LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND, A BESOIN D'ETRE RELANCÉ

A. UN MOTEUR DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

1. Les actes fondateurs de la relation franco-allemande

Cette réalité est bien connue. On se bornera à en rappeler les principales étapes.

a) Le couple Briand-Stresemann

La réconciliation franco-allemande est à l'origine de la construction européenne.

Dès les années vingt, Aristide Briand et Gustav Stresemann furent des acteurs majeurs de la Société des nations. Ils conçurent la relation franco-allemande comme instrument pour préserver une paix encore très fragile. La signature du Pacte fondant la Société des Nations (SDN), le 28 juin 1919, marqua l'espoir de pouvoir prévenir un retour des conflits armés sur le continent par un règlement pacifique des différends. Sous l'impulsion d'Aristide Briand et de Gustav Stresemann, la France et l'Allemagne poursuivirent une politique de réconciliation destinée à assurer une paix durable en Europe. Après l'évacuation par la France de ses troupes occupant la Ruhr (août 1925), les Accords de Locarno (octobre 1925) aboutirent à la reconnaissance de ses frontières par l'Allemagne et à celle définitive des frontières de l'est de la France et de la Belgique. Ces accords permirent aussi la mise en application d'un pacte d'assistance mutuelle. Les efforts de ces deux personnalités en faveur de la paix furent récompensés par l'attribution du prix Nobel de la paix en décembre 1926. La signature du pacte Briand-Kellog (août 1928), mit « la guerre hors la loi », Aristide Briand proposa ensuite - après s'en être entretenu avec Gustav Stresemann - devant les représentants des États à la SDN la formation d'États-Unis d'Europe sur des bases principalement économiques. Après le décès de Gustav Stresemann (octobre 1929), il soumit aux Chancelleries un mémorandum sur l'organisation d'un régime d'Union fédérale européenne. Les initiatives de ces deux personnalités servirent de référence aux actions menées après la deuxième guerre mondiale pour oeuvrer à la reconstruction franco-allemande et à la construction européenne.

b) La déclaration Schuman et la création de la CECA

La réconciliation franco-allemande a été au coeur de la Déclaration Schuman et de la création de la CECA en 1951. Face aux changements sur la scène internationale survenus depuis 1945, Robert Schuman proposa la création d'un marché commun pour le charbon et l'acier qui serait géré par une autorité supranationale. Acceptée très vite par le Chancelier Adenauer, le plan Schuman permit de lancer le processus de construction européenne.

Il s'agissait de créer entre les États des solidarités de fait susceptibles de conduire à un surcroît d'intégration politique.

La déclaration Schuman du 9 mai 1950
(extraits)

La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.

La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre.

L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L'action entreprise doit toucher au premier chef la France et l'Allemagne.

Dans ce but, le gouvernement français propose immédiatement l'action sur un point limité mais décisif.

Le gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande de charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d'Europe.

La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes.

La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. L'établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu'elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique.

Cette production sera offerte à l'ensemble du monde sans distinction ni exclusion, pour contribuer au relèvement du niveau de vie et au développement des oeuvres de paix. L'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles: le développement du continent africain.

Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une communauté économique qui introduit le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes.

Par la mise en commun de productions de base et l'institution d'une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l'Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d'une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix (...).

c) Le traité de l'Élysée

Le Traité de l'Élysée, dont on célèbre le 50 e anniversaire, a constitué une étape essentielle. Signé le 22 janvier 1963, il a marqué la naissance du « couple franco-allemand ». Il a prévu un mécanisme de concertation périodique (tous les six mois) au sommet entre les deux responsables de l'Exécutif. Ces rencontres se tiennent alternativement en France et en Allemagne. Elles associent les principaux ministres. De manière plus fréquente, des réunions sont programmées entre ministres et hauts fonctionnaires des deux pays.

Traité de l'Élysée du 22 janvier 1963
(extraits)

(...)

I. - ORGANISATION

1. Les Chefs d'État et de Gouvernement donneront en tant que de besoin les directives nécessaires et suivront régulièrement la mise en oeuvre du programme fixé ci-après. Ils se réuniront à cet effet chaque fois que cela sera nécessaire et, en principe, au moins deux fois par an.

2. Les Ministres des Affaires étrangères veilleront à l'exécution du programme dans son ensemble. Ils se réuniront au moins tous les trois mois. Sans préjudice des contacts normalement établis par la voie des ambassades, les hauts fonctionnaires des deux Ministères des Affaires étrangères, chargés respectivement des affaires politiques, économiques et culturelles, se rencontreront chaque mois alternativement à Paris et à Bonn pour faire le point des problèmes en cours et préparer la réunion des Ministres. D'autre part, les missions diplomatiques et les consulats des deux pays ainsi que leurs représentations permanentes auprès des organisations internationales prendront tous les contacts nécessaires sur les problèmes d'intérêt commun.

3. Des rencontres régulières auront lieu entre autorités responsables des deux pays dans les domaines de la défense, de l'éducation et de la jeunesse. Elles n'affecteront en rien le fonctionnement des organismes déjà existants - commission culturelle franco-allemande, groupe permanent d'État-major - dont les activités seront au contraire développées. Les Ministres des Affaires étrangères seront représentés à ces rencontres pour assurer la coordination d'ensemble de la coopération ;

a) les Ministres des Armées ou de la Défense se réuniront au moins une fois tous les trois mois. De même, le Ministre français de l'Éducation nationale rencontrera, suivant le même rythme, la personnalité qui sera désignée du côté allemand pour suivre le programme de coopération sur le plan culturel ;

b) les Chefs d'État-major des deux pays se réuniront au moins une fois tous les deux mois ; en cas d'empêchement, ils seront remplacés par leurs représentants responsables ;

c) le haut-commissaire français à la Jeunesse et aux Sports rencontrera, au moins une fois tous les deux mois, le Ministre fédéral de la Famille et de la Jeunesse ou son représentant.

4. Dans chacun des deux pays, une commission interministérielle sera chargée de suivre les problèmes de la coopération. Elle sera présidée par un haut fonctionnaire des Affaires étrangères et comprendra des représentants de toutes les administrations intéressées. Son rôle sera de coordonner l'action des ministères intéressés et de faire périodiquement rapport à son Gouvernement sur l'état de la coopération franco-allemande. Elle aura également pour tâche de présenter toutes suggestions utiles en vue de l'exécution du programme de coopération et de son extension éventuelle à de nouveaux domaines.

II. PROGRAMME

A. - Affaires étrangères

1. Les deux Gouvernements se consulteront, avant toute décision, sur toutes les questions importantes de politique étrangère, et en premier lieu sur les questions d'intérêt commun, en vue de parvenir, autant que possible, à une position analogue. Cette consultation portera entre autres sur les sujets suivants : Problèmes relatifs aux communautés européennes et à la coopération politique européenne ; Relations Est-Ouest, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique ; Affaires traitées au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et des diverses organisations internationales auxquelles les deux gouvernements sont intéressés, notamment le Conseil de l'Europe, l'Union de l'Europe Occidentale, l'Organisation de coopération et de développement économique, les Nations Unies et leurs institutions spécialisées.

(...)

4. Les deux Gouvernements étudieront en commun les moyens de renforcer leur coopération dans d'autres secteurs importants de la politique économique, tels que la politique agricole et forestière, la politique énergétique, les problèmes de communications et de transports et le développement industriel, dans le cadre du Marché commun, ainsi que la politique des crédits à l'exportation.

B. - Défense

I. - Les objectifs poursuivis dans ce domaine seront les suivants :

1. Sur le plan de la stratégie et de la tactique, les autorités compétentes des deux pays s'attacheront à rapprocher leurs doctrines en vue d'aboutir à des conceptions communes. Des instituts franco-allemands de recherche opérationnelle seront créés.

2. Les échanges de personnel entre les armées seront multipliés ; ils concerneront en particulier les professeurs et les élèves des écoles d'État-major ; ils pourront comporter des détachements temporaires d'unités entières. Afin de faciliter ces échanges, un effort sera fait de part et d'autre pour l'enseignement pratique des langues chez les stagiaires.

3. En matière d'armements, les deux Gouvernements s'efforceront d'organiser un travail en commun dès le stade de l'élaboration des projets d'armement appropriés et de la préparation des plans de financement. À cette fin, des commissions mixtes étudieront les recherches en cours sur ces projets dans les deux pays et procéderont à leur examen comparé. Elles soumettront des propositions aux ministres qui les examineront lors de leurs rencontres trimestrielles et donneront les directives d'application nécessaires.

II. - Les gouvernements mettront à l'étude les conditions dans lesquelles une collaboration franco-allemande pourra être établie dans le domaine de la défense civile.

C. - Éducation et Jeunesse

En matière d'éducation et de jeunesse, les propositions contenues dans les mémorandums français et allemand des 19 septembre et 8 novembre 1962 seront mises à l'étude selon les procédures indiquées plus haut :

1. Dans le domaine de l'éducation, l'effort portera principalement sur les points suivants :

a) Enseignement des langues :

Les deux Gouvernements reconnaissent l'importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l'autre. Ils s'efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d'accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande. Le Gouvernement fédéral examinera, avec les gouvernements des Länder, compétents en la matière, comment il est possible d'introduire une réglementation qui permette d'atteindre cet objectif. Dans tous les établissements d'enseignement supérieur, il conviendra d'organiser un enseignement pratique de la langue française en Allemagne et de la langue allemande en France, qui sera ouvert à tous les étudiants.

b) Problème des équivalences :

Les autorités compétentes des deux pays seront invitées à accélérer l'adoption des dispositions concernant l'équivalence des périodes de scolarité, des examens, des titres et diplômes universitaires.

c) Coopération en matière de recherche scientifique :

Les organismes de recherches et les instituts scientifiques développeront leurs contacts en commençant par une information réciproque plus poussée, des programmes de recherches concertées seront établis dans les disciplines où cela se révélera possible.

2. Toutes les possibilités seront offertes aux jeunes des deux pays pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur compréhension mutuelle. Les échanges collectifs seront en particulier multipliés. Un organisme destiné à développer ces possibilités et à promouvoir les échanges sera créé par les deux pays avec, à sa tête, un conseil d'administration autonome. Cet organisme disposera d'un fonds commun franco-allemand qui servira aux échanges entre les deux pays d'écoliers, d'étudiants, de jeunes artisans et de jeunes travailleurs.

(...)

Le traité de l'Élysée prévoit aussi que les échanges entre jeunes doivent être favorisés à travers la création de l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ). De même, est retenu l'objectif d'un développement de l'apprentissage de la langue de l'autre dans chacun des deux pays.

Extraits du discours du général de Gaulle devant la jeunesse allemande au Château de Ludwigsburg, 9 septembre 1962

« (...) Eh bien ! Cette solidarité désormais toute naturelle il nous faut certes, l'organiser. C'est la tâche des Gouvernements. Mais il nous faut aussi la faire vivre et ce doit être avant tout l'oeuvre de la jeunesse. Tandis qu'entre les deux États la coopération économique, politique, culturelle ira en se développant, puissiez-vous pour votre part, puissent les jeunes français pour la leur, faire en sorte que tous les milieux de chez vous et de chez nous se rapprochent toujours davantage, se connaissent mieux, se lient plus étroitement ! L'avenir de nos deux pays, la base sur laquelle peut et doit se construire l'union de l'Europe, le plus solide atout de la liberté du monde, c'est l'estime, la confiance, l'amitié mutuelles du peuple français et du peuple allemand. »

Pour le Général de Gaulle, ce couple franco-allemand serait un succès à condition que les deux pays soient à un niveau de parité. Ce fut le cas dans les années soixante, la France et l'Allemagne connaissant un niveau de développement économique comparable. La France avait en outre le double avantage politique d'avoir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies et de posséder l'arme nucléaire.

Ce couple franco-allemand a été fondé sur les relations personnelles que les deux chefs de l'Exécutif ont su entretenir. Le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer ont développé une relation d'une qualité exceptionnelle. À leur suite, des relations fortes ont pu s'établir entre leurs successeurs.

2. Les réalisations du couple franco-allemand

Cette relation personnelle entre les chefs de l'Exécutif a très largement permis, qu'au-delà des actes « fondateurs », le « couple franco-allemand » ait pu jouer un rôle moteur dans les progrès de l'intégration européenne. On peut mentionner les avancées nombreuses impulsées par le « couple » Giscard-Schmidt, en particulier la création du Conseil européen en 1974. Nous devons aussi garder à l'esprit les initiatives du « couple » Mitterrand-Kohl sur lesquelles votre rapporteur reviendra. Moins spectaculaires, d'autres initiatives ont également témoigné de la force de l'axe franco-allemand et de son rôle d'entraînement vis-à-vis des autres partenaires européens. On citera les décisions prises à la suite de l'anniversaire du traité de l'Élysée en 2003, notamment avec l'organisation de conseils conjoints des ministres franco-allemands. Il convient de mentionner également les initiatives franco-allemandes au sein de la Convention européenne, puis les positions communes à la Conférence intergouvernementale de 2004 sur le projet de traité constitutionnel et ensuite sur le traité de Lisbonne. Plus récemment, la déclaration franco-allemande de 2010 sur la réforme de la gouvernance économique européenne a établi des priorités communes. L'adoption d'un régime matrimonial franco-allemand, en 2010, a permis de dessiner ce qui pourrait être un futur régime européen. De nouvelles initiatives ont été prises lors du 50ème anniversaire du traité de l'Élysée.

Les grandes étapes de la coopération franco-allemande

22 septembre 1963 : signature du traité de l'Elysée

8 juillet 1963 : création de l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ)

13 mars 1969 : lancement du programme Airbus A 300

10 février 1972 : création du bac franco-allemand

6-8 septembre 1978 : la France et l'Allemagne élaborent les bases du futur système monétaire européen (SME)

12 janvier 1989 : création de la brigade franco-allemande

2 octobre 1990 : création de la chaîne de télévision ARTE

5 novembre 1993 : création de l'Eurocorps

Juin 1988 : lancement du processus devant conduire à l'union économique et monétaire (UEM) sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, de François Mitterrand et d'Helmut Kohl

7 février 1992 : signature du traité de Maastricht créant l'Union européenne et la citoyenneté européenne, mettant en place l'union économique et monétaire

1997-1999 : création de l'université franco-allemande qui offre pas moins de 145 cursus au sein d'un réseau regroupant 169 établissements partenaires et qui compte 4 500 inscrits

22 janvier 2003 : 1 er conseil des ministres franco-allemand

22 janvier 2004 : 1 ère journée franco-allemande consacrée au rapprochement de la jeunesse des deux pays

10 juillet 2006 : premier manuel d'histoire franco-allemand

25 mai 2007 : création d'ALEO, filiale de coopération entre la SNCF et la Deutsche Bahn

4 février 2010 : signature d'un accord sur un régime matrimonial franco-allemand

8 juillet 2012 : 50 e anniversaire de la réconciliation franco-allemande à Reims

22 janvier 2013 : 50 e anniversaire de la signature du traité de l'Élysée

Votre rapporteur rappellera les principales réalisations sectorielles du couple franco-allemand.

a) La coopération économique

La coopération économique s'est concrétisée dès le début des années cinquante avec la création, en 1951, de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) dont le but était tout à la fois d'augmenter la production du charbon et de l'acier et de rendre interdépendantes les économies de la France et de l'Allemagne. Cette perspective fut élargie avec la création de la Communauté économique européenne par le traité de Rome (1957).

La cohérence des politiques économiques entre la France et l'Allemagne inspira aussi l'initiative du président Valéry Giscard d'Estaing et du Chancelier Helmut Schmidt qui conduisit à la création du Système monétaire européen (SME) en mars 1979. Remplaçant le Serpent monétaire européen (1972-1978), le SME permit une meilleure coopération afin d'éviter de trop grandes fluctuations des monnaies européennes et institua des taux de change fixes mais ajustables. À cette occasion, fut créé l'ECU (European Currency Unit).

En 1988, le président François Mitterrand et le Chancelier Helmut Kohl mirent en place le Conseil économique et financier franco-allemand afin d'harmoniser les politiques économiques et de renforcer la coopération économique. En juin 1988, sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, du président François Mitterrand et du Chancelier Helmut Kohl, fut lancé le processus qui conduira à la création de l'Union économique et monétaire (UEM) par le traité de Maastricht (1992).

La coopération franco-allemande s'est aussi concrétisée dans le domaine industriel. Le programme Airbus A 300 fut lancé en mars 1969. En juillet 2000, sous l'impulsion du président Jacques Chirac et du Chancelier Gerhard Schroeder, fut créée la société EADS spécialisée dans l'aéronautique.

Face à la crise de l'euro, le président Nicolas Sarkozy et la Chancelière Angela Merkel ont joué un rôle primordial pour bâtir une réponse européenne. Il n'est pas indifférent d'observer que chacun des deux pays a fait des concessions par rapport à ses positions de départ. L'Allemagne s'est ralliée à la mise en place d'instruments de sauvetage exprimant une solidarité européenne (Fonds européen de stabilité financière-FESF puis Mécanisme européen de solidarité-MES). La France a accepté le renforcement de la coordination et des contrôles au niveau européen sur les politiques économiques et budgétaires avec en particulier la signature, en mars 2012, du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). On rappellera en outre que le MES repose essentiellement sur les contributions franco-allemandes qui représentent 47 % du total.

Au-delà de la coopération entre les deux États, leurs économies sont fortement interdépendantes. En 2009, on recensait 2 700 entreprises allemandes en France et 2 200 entreprises françaises en Allemagne. Le stock d'investissements directs français en Allemagne s'élevait à 39,9 milliards d'euros et le stock d'investissements directs allemands en France à 45,9 milliards d'euros. L'Allemagne se classait, en 2010, au 5 e rang des pays investissant en France tandis que la France occupait le 4 e rang en Allemagne. Ces investissements ont des effets sur l'emploi puisque la France est le deuxième investisseur étranger en Allemagne avec 741 000 salariés recensés sur la période 2009-2010 ; l'Allemagne est le premier employeur étranger en France (320 000 personnes employées). Cependant, en 2011, les flux d'investissements des deux côtés de la frontière ont chuté sous l'effet de la crise de la dette dans la zone euro.

b) La coopération juridique

La France et l'Allemagne ont su également développer une coopération en matière juridique.

Dans le domaine fiscal, les deux pays ont signé la convention fiscale de 1959 qui concerne principalement l'impôt sur le revenu, sur la fortune sur les revenus immobiliers ainsi que sur les bénéfices industriels et commerciaux. Une nouvelle convention, signée en 2006, a permis de mettre un terme aux doubles impositions en cas de succession ou de donation franco-allemande, au bénéfice des résidents fiscaux en Allemagne. En février 2012, la volonté d'aboutir à une plus grande coordination de la fiscalité entre les deux pays s'est traduite par l'élaboration conjointe d'un livre vert sur les « points de convergence sur la fiscalité des entreprises ».

Sur le droit des personnes, le 12 e conseil des ministres franco-allemand de février 2010 a abouti à la signature d'un accord sur un régime matrimonial franco-allemand. D'autres États de l'Union européenne pourraient adopter ultérieurement ce régime matrimonial, par adhésion à cet accord. Ce régime pourrait donc permettre l'émergence d'un régime matrimonial européen.

c) La coopération universitaire et scientifique

Le traité de l'Élysée a mis l'accent sur l'enseignement des langues, l'équivalence des diplômes et la coopération en matière de recherche scientifique.

Pour l'apprentissage des langues, des doubles cursus ont notamment été mis en place. En 1994, a été créé l'AbiBac qui permet l'obtention simultanée du baccalauréat français et de l'Abitur allemand qui sanctionne également la fin des études secondaires. En 2011, des sections bilingues préparant à l'AbiBac existaient dans 72 lycées français dont cinq établissements français en Allemagne et dans 61 établissements allemands.

Des accords bilatéraux ont permis de reconnaître des équivalences entre les diplômes, d'abord dans les filières de sciences, de lettres, et de sciences humaines (1980), puis pour les formations technologiques supérieures et les sciences de l'ingénieur (1997).

De nombreux programmes d'échanges (programmes Voltaire, Heinrich Heine, Brigitte Sauzay) se sont développés avec le soutien de l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ). L'OFAJ soutient chaque année entre 9 000 et 11 000 programmes d'échanges auxquels participent 200 000 jeunes.

En mai 2000, l'université franco-allemande a été inaugurée à Sarrebruck. Il s'agit d'une université virtuelle qui met en relation des établissements allemands et français afin de construire des projets de recherche communs et de nouveaux cursus intégrés binationaux qui doivent favoriser la mobilité des étudiants. Cette université soutient également les collèges doctoraux franco-allemands (25 en 2010). On mentionnera aussi les centres de recherches conjoints : le Centre Marc Bloch, situé à Berlin, qui a été fondé en 1992 par la volonté des deux pays de créer un centre de recherche en sciences sociales ayant une ouverture européenne ; depuis 2011, le centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne situé à Paris.

La coopération scientifique et technologique se développe à travers l'association franco-allemande pour la Science et la Technologie, fondée à Paris en 1980, qui cherche à renforcer les synergies des projets de recherche communs. La recherche et développement a également fait l'objet de projets communs, axés principalement depuis les années soixante-dix sur les domaines du transport terrestre (programme Deufrako créé en 1978) et de l'énergie.

d) La coopération en matière de défense et de sécurité

La France et l'Allemagne ont développé des coopérations fructueuses dans le domaine de la défense, ce qu'a montré la création, en 1988, du conseil franco-allemand de sécurité et de défense.

Créée en octobre 1989, la brigade franco-allemande (BFA) a concrétisé une volonté commune dans l'esprit du traité de l'Élysée. Elle constitue une réalisation exemplaire dans la perspective d'une défense européenne. La brigade peut être amenée à intervenir dans l'ensemble des missions de maintien de la paix et de la sécurité sous couvert national, de l'OTAN ou de l'Union européenne et dans certains cas aux ordres du corps de réaction rapide européen. Elle projette des troupes sur tous les théâtres où la France et l'Allemagne sont engagées, et en particulier en Afghanistan et au Kosovo. Son état-major est implanté depuis 1992 à Müllheim (Land de Bade-Würtemberg). Lors de la conférence sur la sécurité, à Munich en 2009, la chancelière Angela Merkel et le président Nicolas Sarkozy ont fait le choix d'implanter une unité allemande de la BFA en France.

L'initiative franco-allemande a aussi été à l'origine de l'Eurocorps, qui a été inauguré en 1993. Il s'agissait de renforcer les liens stratégiques entre les deux pays et d'affirmer l'importance de la coopération européenne en matière de défense. L'Eurocorps regroupe aujourd'hui cinq États membres (Allemagne, Belgique, Espagne, France et Luxembourg). Ils constituent les « nations cadres » du Corps. D'autres États sont associés. L'Eurocorps est capable de commander une force allant jusqu'à 60 000 hommes. Cette unité peut être engagée pour la défense commune des alliés, le maintien et le rétablissement de la paix, ainsi que pour des actions humanitaires au profit de l'Union Européenne et de l'OTAN. Le Corps européen est, avec la création de la Brigade franco-allemande, une étape importante dans la construction de la politique européenne de Sécurité et de défense.

Les deux pays ont par ailleurs mis en place, en 2000, l'école franco-allemande TIGRE dont le but est d'approfondir la coopération relative au développement de cet hélicoptère de combat, à travers la mise en oeuvre de formations communes. Elle est appelée à former jusqu'à 70 stagiaires par nation chaque année.

e) La construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice

La France et l'Allemagne ont pris des initiatives majeures pour la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice en Europe. Avec la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas les deux pays ont été à l'origine, en 1985, de la création de l'espace Schengen. Celui-ci est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières internes pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Cet espace est régi par des règles communes qui permettent d'en assurer la sécurité.

De même, L'interconnexion des casiers judiciaires est née en 2003 d'une initiative franco-allemande. Elle se fonde sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale d'avril 1959. La France et l'Allemagne ont aussi été partie prenante au traité de Prüm, signé en mai 2005 entre sept États membres. Ce traité a permis de renforcer la coopération policière transfrontalière et les échanges d'information, notamment en matière de lutte contre les formes graves de criminalité transnationale et d'immigration illégale. Il a par la suite été intégré dans le cadre de l'Union européenne.

f) La coopération culturelle

La coopération culturelle est aussi une réalité. Le mouvement des jumelages franco-allemands a joué un rôle important dans le rapprochement entre la France et l'Allemagne. Il est né au lendemain de la seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui on dénombre plus de 2 200 jumelages franco-allemands de villes, départements et régions.

En 1988, a été créé le Haut Conseil culturel franco-allemand. Il regroupe des personnalités et des professionnels français et allemands représentant différents horizons culturels. Sa vocation est de mettre en oeuvre des initiatives franco-allemandes dans différents domaines de la culture, et d'encourager, notamment par le parrainage, des initiatives franco-allemandes culturelles remarquables.

La création de la chaîne télévisée ARTE, en 1990, a marqué une étape importante dans la coopération culturelle entre la France et l'Allemagne. Sa mission est, selon son contrat de formation, de « concevoir, réaliser et diffuser, ou faire diffuser (...) des émissions de télévision ayant un caractère culturel et international (...) propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples ». Ses programmes sont diffusés simultanément dans les deux langues.

La coopération s'est aussi développée dans le domaine du cinéma. Une académie franco-allemande du cinéma a été fondée le 26 juin 2000, à Berlin, en présence du président Jacques Chirac et du chancelier Gerhard Schröder. Voulue par les pouvoirs publics et les professionnels du cinéma des deux pays, elle a pour objectif de renforcer la collaboration entre la France et l'Allemagne dans quatre secteurs : la production, la distribution, la formation et le patrimoine. Des rendez-vous franco-allemands du cinéma ont été créés en 2003 par des professionnels, institutionnels et artistes français et allemands représentatifs de la profession dans les deux pays.

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