TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le jeudi 18 juillet 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission entend la présentation par M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, de l'enquête de la Cour des comptes sur la biologie médicale.

Mme Annie David, présidente . - Nous recevons M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, qui est accompagné de MM. Michel Braunstein, président de section, Serge Barichard, conseiller référendaire et rapporteur de l'enquête, et Jean Picq, président de chambre, exerçant les fonctions de contre-rapporteur. Il nous présentera les conclusions de l'enquête sur la biologie médicale demandée à la Cour par notre commission fin 2012 - avant le dépôt par M. Le Menn et le groupe socialiste de la proposition de loi sur la biologie médicale qui visait à ratifier, en la modifiant, l'ordonnance du 13 janvier 2010. Nous avons par la suite demandé à la Cour d'intégrer à son enquête un éclairage sur la mise en oeuvre de la réforme de 2010, qui instaurait une accréditation obligatoire des laboratoires.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes . - Merci pour votre accueil. Vous nous avez proposé un sujet qui nous a beaucoup intéressés.

Nous avons dû reconstituer nombre de données chiffrées qui n'étaient pas disponibles. Les honoraires des laboratoires de biologie médicale se sont élevés à 4,7 milliards d'euros en 2012 au terme d'une décennie de vive croissance, jusqu'à 9 % par an les premières années. L'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) a dû procéder à des retraitements comptables pour nous renseigner sur les dépenses de biologie hospitalière, qui ne sont pas identifiées en tant que telles dans les remboursements de l'assurance maladie ; elles se sont élevées à 2,4 milliards d'euros. La charge totale au titre de la biologie médicale avoisine donc les sept milliards d'euros, une somme considérable. Pourtant, les administrations en charge de ce secteur - direction de la sécurité sociale (DSS), direction générale de la santé (DGS), direction générale de l'offre de soins (DGOS) - ne procèdent à aucun suivi de routine de son évolution.

Le nombre d'actes a explosé au cours des dernières années, y compris en 2012. Il a crû de 63 % entre 2000 et 2011, deux fois plus vite que celui des autres soins de ville, qui ont progressé de 35 % sur la même période. Les déterminants de cette dépense sont assez mal connus. Les cinq examens les plus fréquents concentrent un quart des actes ; les vingt plus fréquents, la moitié. Les médecins généralistes sont à l'origine de 68 % des actes de biologie médicale de ville. Parmi les spécialistes, les gynécologues, les anesthésistes et les cardiologues sont les principaux prescripteurs. On observe une très grande disparité régionale, qui révèle un fort lien entre densité en prescripteurs, nombre de laboratoires, volume d'actes et évolution de la dépense. La caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et les administrations de tutelle ont très insuffisamment analysé les déterminants de cette dépense, à l'évolution pourtant dynamique.

Comme l'imagerie médicale, la biologie médicale joue un grand rôle dans le progrès médical : l'une et l'autre tendent à rendre le corps du patient transparent, ce qui permet d'affiner le diagnostic et de personnaliser le traitement. Elles sont elles-mêmes en évolution constante, l'automatisation croissante engendrant des gains de productivité considérables.

L'accréditation obligatoire, prévue par l'ordonnance de janvier 2010 ratifiée par la loi du 30 mai dernier, réforme profondément l'organisation de la biologie médicale. Dans la logique du principe de médicalisation, le biologiste - pharmacien, dans 70 % des cas, ou médecin - devra désormais être présent à toutes les étapes du processus d'analyse. La réalisation des examens nécessitera l'attestation d'une compétence de haut niveau délivrée au terme d'une revue par les pairs. Cette accréditation sera obligatoire et portera sur la totalité des examens - dans certains pays européens elle est fondée sur le volontariat et ne porte que sur certains types d'analyses. Elle combinera le respect de la norme internationale EN ISO 15189 et des exigences spécifiquement françaises.

Elle sera mise en place par paliers. Au 31 mai 2013, les laboratoires devaient remettre au Comité français d'accréditation (Cofrac) un dossier d'entrée dans l'accréditation. Ceux qui ne l'auront pas fait avant le 31 octobre 2013 ne pourront plus exercer leur activité. Le 1 er janvier 2016, les laboratoires entrés dans le processus d'accréditation devront avoir fait accréditer au moins 50 % des actes dans huit familles d'examens ; ce sera le cas pour la totalité des actes en 2020. Le dispositif se renouvellera ensuite par période de cinq ans. Il est particulièrement exigeant pour les laboratoires mais aussi pour le Cofrac. La règlementation européenne exigeant qu'un seul organisme par pays soit chargé de l'accréditation, c'est cette structure, jusqu'ici spécialisée dans la qualité industrielle, qui a dû se réorganiser et créer une section spéciale. L'accréditation concerne aussi les laboratoires hospitaliers : l'approche est unifiée, le niveau d'exigence identique.

Cette réforme s'installe avec une certaine difficulté. Au 31 mai 2013, un nombre significatif de laboratoires, hospitaliers comme libéraux, n'avaient pas déposé de dossier. Pourtant, les formalités ont été aménagées afin qu'ils puissent tous respecter ce délai. Dès lors, certains seront-ils contraints à cesser leur activité au 31 octobre 2013 ? La DGS s'appuie sur les agences régionales de santé (ARS) pour relancer, un par un, les retardataires. Le syndicat des biologistes libéraux estime qu'environ 250 petits laboratoires de ville ne seront pas au rendez-vous. Le Cofrac, quant à lui, a recruté des biologistes mais il devra, pour tenir l'échéance, tripler rapidement leur nombre. De nombreux laboratoires attendront le dernier moment pour déposer leur dossier, ce qui risque de produire un engorgement. Les autorités de tutelle doivent donc être vigilantes et mettre en place un dispositif de pilotage fin et rigoureux impliquant l'ensemble des administrations concernées - DGS, DGOS, DSS - le Cofrac et, j'y insiste, les ARS, qui devraient selon nous participer au dispositif de pilotage qui reste à construire.

L'annonce de la réforme a déjà provoqué une réorganisation du secteur. Le nombre de laboratoires est passé de 3 800 à 1 500, peut-être moins : nous manquons de données, à un point étonnant... Ni la Cnam ni l'État ne semblent en mesure de suivre l'évolution de ce secteur pourtant sensible ni, donc, de le piloter fermement. L'organisation des sites de prélèvement n'a pas changé. Leur nombre, qui a atteint un point bas il y a deux ans, augmente depuis, et s'établit à 3 625. Chacun emploie en moyenne dix salariés. Certains laboratoires ont jusqu'à soixante sites. La réorganisation du réseau est encore inaboutie. Ce ne sont pas les volets « biologie » des schémas régionaux d'organisation des soins (Sros) construits par les ARS qui la commanderont, car ils ont le plus souvent été établis sur la base d'informations lacunaires et imprécises.

Nous avons interrogé les administrations de tutelle sur leur vision à dix ans de l'organisation de la biologie, en particulier libérale, dans notre pays : nous n'avons eu aucune réponse, ni de la DGS, ni de la DGOS, ni de la DSS ! Pas de suivi du dispositif d'accréditation, pas de vision de moyen terme dans les administrations de tutelle. Le risque est celui d'une réorganisation sauvage. La loi du 30 mai 2013 confère bien aux ARS la régulation du secteur, en particulier pour éviter une concentration excessive. Cependant les agences régionales sont pour la plupart dans l'incapacité d'exercer cette mission, faute de disposer de l'information et des compétences nécessaires : il leur faudrait avoir accès aux chiffres, et être en mesure de disséquer des montages financiers complexes.

Les laboratoires hospitaliers connaissent un retard d'organisation encore plus préoccupant. Nombre d'établissements ne sont pas entrés dans une logique de réorganisation en profondeur, ils n'anticipent pas l'entrée en vigueur des contraintes nouvelles.

Les efforts d'efficience du secteur, de régulation de la dépense, sont insuffisants. Depuis 2006, la Cnam organise chaque année un train d'économies sans concertation avec les biologistes. Elle déclare avoir ainsi réalisé 700 millions d'euros d'économies entre 2006 et 2012 : nous en prenons acte, mais ne sommes pas en mesure de certifier ces chiffres.

Il s'agit de mesures d'ajustement conjoncturel, non de réformes structurelles. La maîtrise structurelle des dépenses supposerait une actualisation régulière de la nomenclature des actes de biologie, dont l'archaïsme contraste avec le dynamisme de la discipline : il y a 1 600 actes hors nomenclature pour 1 000 actes dans la nomenclature ! La commission de hiérarchisation des actes de biologie est bloquée car les syndicats des biologistes libéraux refusent d'y siéger. La Cnam en a pris son parti, au bénéfice d'une interprétation laxiste de la règle du quorum, et décide seule. L'actualisation de la nomenclature est pourtant un outil essentiel d'efficience, de maîtrise de la dépense et de qualité.

Il faudrait aussi développer la maîtrise médicalisée de la dépense de biologie chez les biologistes comme chez les médecins prescripteurs. Aujourd'hui elle n'existe ni d'un côté, ni de l'autre. La convention de 1994 entre les laboratoires et la Cnam ne prévoyait pas grand-chose à cet égard, et le peu qu'elle prévoyait n'a guère été mis en oeuvre.

Depuis la fin 2012, la Cnam n'a plus aucune base juridique pour travailler avec les biologistes sur une maîtrise médicalisée de la dépense. Pis : aucune action de réduction de la dépense n'a été conduite en direction des médecins libéraux ou hospitaliers. Nous faisons donc un constat de carence et de blocage du dispositif conventionnel. Ce blocage arrange tout le monde. La Cnam n'a pas à s'embarrasser de négociations avec les professionnels. Ceux-ci acceptent des ajustements tarifaires parce que le dynamisme du volume des actes les compense largement, tandis que l'automatisation dégage des gains de productivité considérables.

L'ensemble du dispositif de régulation du secteur doit être repensé. L'actuelle convention de biologie médicale arrive à expiration en juillet 2014. Il conviendrait de ne pas laisser passer cette opportunité, et de la dénoncer avant le 26 janvier 2014. Cela n'aurait pas d'effet sur les assurés, le règlement arbitral se substituerait à la convention. En revanche, l'ensemble de la profession serait incitée à se pencher sur les questions de modernisation et d'accréditation. L'assurance maladie doit recevoir sa juste part des progrès de productivité. Il est temps de refonder les relations entre celle-ci, les pouvoirs publics, la Cnam.

Mme Annie David, présidente . - Merci pour cette présentation très complète.

M. Yves Daudigny, rapporteur général . - Les questions de biologie médicale nous sont rarement apparues avec tant de clarté.

Mme Catherine Procaccia . - Je suis d'accord !

M. Yves Daudigny, rapporteur général . - Vous nous avez indiqué que le blocage conventionnel arrangeait tous les acteurs : pourriez-vous préciser votre propos ? Vous préconisez une dénonciation de la convention : cette hypothèse a-t-elle été étudiée par l'assurance maladie ? Quels pourraient être les obstacles ?

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes . - Les raisons du blocage sont doubles. L'accréditation a d'abord été acceptée par les biologistes libéraux car elle s'accompagnait d'une reconnaissance de la médicalisation de la biologie et représente un progrès collectif. Mais ce dispositif est exigeant, et leur impose de se mettre en l'état de l'art. Or beaucoup de laboratoires se situaient en deçà. Le guide de bonne exécution des analyses de biologie médicale (GBEA) posait déjà auparavant un niveau d'exigence élevé, mais n'a guère été observé. La contrainte de l'accréditation, initialement acceptée, l'est de moins en moins à mesure que l'échéance approche. En outre, le processus a un coût. Or en 2012, pour la première fois, le volume d'honoraires a baissé, comme la dépense prise en charge par l'assurance maladie. C'est une rupture, dont l'explication n'est pas connue, mais qui s'insère dans une baisse générale de la consommation des soins de ville - l'exécution 2012 est restée inférieure de 830 millions d'euros à l'Ondam. La même tendance est observée sur la consommation en général. Cela a créé une tension supplémentaire.

Nous avons auditionné la Cnam sur l'hypothèse d'une dénonciation de la convention, et avons hélas dû constater qu'elle n'en pensait rien, s'accommodait fort bien de la situation actuelle et n'avait aucune vision prospective du secteur. Son dernier rapport « charges et produits », examiné ces jours-ci par son conseil d'administration, le montre bien. Elle sait pourtant affirmer, sur d'autres segments, une vision stratégique et tactique. Le dispositif conventionnel a vieilli, il faut le réformer. Pour les assurés sociaux, il n'y a pas de différence. Les possibles obstacles sont plutôt à chercher du côté des professionnels et de la Cnam, qui renâcleront peut-être à sortir de leur routine. Cela est pourtant indispensable.

M. Jacky Le Menn . - La Cour des comptes a fait un travail considérable. Le sujet n'est pas facile. Nous avions même l'impression de nous trouver face à une boîte noire. Nous avons déposé une proposition de loi pour que l'ordonnance du 13 janvier 2010 soit ratifiée rapidement, avec une exigence de qualité très forte : dans les CHU, plus de 80 % des diagnostics sont fondés sur les résultats de la biologie médicale et dans les soins de ville, entre 60 % et 70 %. Nous avons voulu une loi ambitieuse et exigeante. Nous savons que cela pose difficulté à un certain nombre de laboratoires, 200 à 250. Des rapprochements sont en cours entre laboratoires, une financiarisation sauvage est à l'oeuvre : nous voulions intervenir. Et nous n'avions que trop tardé pour ratifier l'ordonnance !

Il reste une boîte noire : l'hospitalisation publique. Dans nos questionnements sur son mode de financement, sur la tarification - objet d'un rapport de la Mecss du Sénat - nous avions identifié les problèmes soulevés par la biologie médicale.

Vous appelez à une surveillance renforcée du secteur d'ici 2020, échéance de l'accréditation totale. Par qui ? Avec quelle coordination ? Vous avez mentionné les ARS, mais elles ne sont pas armées pour cette tâche. Par ailleurs, comment s'opérera le renforcement du pilotage de la partie « santé humaine » du Cofrac ? Nous avons attiré l'attention du comité sur cette question, il s'est voulu rassurant... Les syndicats de biologistes ne pensent pas que le Cofrac parviendra à faire face, et ils estiment que la mission sera coûteuse.

Le fait que les personnes chargées de l'accréditation soient des professionnels du secteur concerné pose-t-il des difficultés matérielles ou déontologiques ?

La Cour signale la coexistence d'actes de biologie médicale non individualisés et intégrés à la tarification des séjours hospitaliers et d'actes hors nomenclature financés par les missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation (Migac). Nous avons vu que les actes hors nomenclature sont plus nombreux que les autres, ce qui rend les choses plus complexes. Cette situation vous paraît-elle présenter des inconvénients ? A-t-elle une incidence sur la bonne prise en charge financière des actes de biologie médicale à l'hôpital ? Faut-il la revoir ?

M. René Teulade . - Merci pour ces précisions chiffrées. Dans une situation que nous connaissons bien, nous ne sommes jamais arrivés à concilier deux démarches économiquement incompatibles, sur lesquelles notre système repose pourtant : des prescriptions libérales, et des prestations socialisées. Nous n'avons jamais trouvé les modifications de comportement pour arriver à un équilibre. Vous faites naître un espoir...

Mme Catherine Procaccia . - Ce sujet suscite beaucoup d'inquiétudes, notamment à propos des petits laboratoires en milieu rural. Le nombre de sites de prélèvement n'a pas changé : la proximité s'en trouve-t-elle confortée ? Le nombre d'actes n'a pas évolué en 2012 comme auparavant. Vous n'avez pas évoqué le problème des doubles, ou des triples prescriptions, parfois dans deux services du même hôpital ! De même, en médecine de ville, un généraliste demande parfois des analyses déjà prescrites par un gynécologue. Comment parvenir à une meilleure cohérence ? De plus, l'itinérance du patient entre les médecins ne favorise pas le suivi des actes déjà réalisés. Ainsi pensez-vous qu'une évolution soit possible en matière de contrôle des dépenses ?

Mme Annie David , présidente . - Comment surmonter les difficultés auxquelles le Cofrac sera, selon vous, confronté ?

Voyez-vous un lien entre les fermetures des petits laboratoires de campagne, les regroupements de laboratoires et la désertification médicale ? Vous souhaitez une baisse de 27 à 25 centimes du prix de l'unité de tarification des actes de biologie mais vous expliquez aussi combien il est difficile d'estimer le coût réel des soins à l'hôpital. Pourquoi pensez-vous, au cas présent, que le tarif est trop élevé ?

La hausse du nombre des actes n'est-elle pas due aussi au vieillissement de la population et à l'application du principe de précaution ?

Que pensez-vous des difficultés d'installation des jeunes biologistes ? Sont-elles dues aux regroupements, à la financiarisation ? Enfin, êtes-vous favorable à la tarification à l'activité ? Donnera-t-elle une meilleure définition du coût des actes de biologie médicale ?

M. Antoine Durrleman . - S'agissant du processus d'accréditation, il appartient aux administrations d'assumer le respect des échéances et des exigences fixées par le législateur. Un pilotage ferme et collectif est indispensable, dans un secteur qui souffre d'un éclatement des responsabilités. Chacun voit midi à son clocher ! La direction générale de la santé doit jouer un rôle de coordination, en animant un comité de pilotage qui regrouperait les autres administrations centrales et locales, l'assurance maladie, et bien sûr le Cofrac. Faute de quoi, l'application de la loi se heurtera à la multiplication des dérogations destinées à prolonger l'activité de laboratoires non totalement opérationnels, qu'ils soient de ville ou hospitaliers.

Le non-respect des échéances constitue un autre risque. Les laboratoires ont déjà eu du temps pour s'adapter et la loi a redéfini les paliers successifs. Quant au Cofrac, il monte en puissance. Sa section spécialisée doit suivre de très près les échéances en lien avec les administrations de l'État. Le recrutement des biologistes experts est en plus délicat que celui des qualiticiens. Le Cofrac peut s'appuyer sur les professionnels des laboratoires déjà accrédités : certains l'ont été avant même la ratification de l'ordonnance de 2010. Le comité semble avoir pris en compte le risque de conflits d'intérêts : il nous a indiqué demander aux experts biologistes une déclaration de conflits d'intérêts et un déport le cas échéant. Nous n'avons pas vérifié nous-mêmes la mise en oeuvre.

A l'hôpital, le volume des actes hors nomenclature est préoccupant. La direction générale de l'offre de soins a créé un groupe de travail pour en revoir la liste. Décision louable mais qu'il faudrait articuler avec une révision de la nomenclature. Il est temps d'y intégrer des actes autrefois innovants mais désormais courants. C'est pourquoi le blocage des relations est dommageable. Les actes de biologie médicale au sein des CHU pourraient faire l'objet d'une prise en charge dans le cadre d'une mission d'intérêt général (MIG) particulière.

M. Jacky Le Menn . - La Haute Autorité de santé (HAS) pourrait intervenir ?

M. Antoine Durrleman . - Elle est déjà très sollicitée... Pour certains ajustements de nomenclature, la procédure pourrait être simplifiée : à la Cnam l'analyse et l'expertise préalables, à la HAS la validation.

Les référentiels de bonnes pratiques constituent un levier intelligent de modernisation et de discipline collective, de nature à concilier prescriptions libérales et financement socialisé. Or ce secteur compte très peu de référentiels. Des progrès ont eu lieu mais le retard reste important.

Il s'agit aussi d'un moyen de limiter la multiplication des analyses pour un même patient et une même pathologie. Ce phénomène, relevé par l'Académie nationale de médecine, est dû à la défiance entre médecine de ville et médecine hospitalière, laboratoires de ville et laboratoires hospitaliers. Si tous font l'objet d'une procédure commune de certification, menée avec les mêmes critères, la confiance s'établira. Le dossier médical personnel (DMP) constituera également un levier de progrès, quand il fonctionnera, mais là encore il y a du retard. La ministre a annoncé un DMP de deuxième génération. Son coût est élevé mais pas excessif, comme l'ont fait apparaître nos comparaisons entre la France et d'autres pays, Etats-Unis, Grande-Bretagne, pays nordiques.

La désertification médicale est souvent évoquée. Nous n'avons pas d'éléments pour l'évaluer, l'analyse territoriale est lacunaire, les déterminants de la dépense mal connus. Dans certains départements ruraux l'essentiel des prélèvements n'est pas réalisé sur les sites d'analyse mais par des infirmières à domicile ou des médecins ; les échantillons sont acheminés ensuite vers des plateformes d'analyses. N'opposons pas accessibilité des soins et nombre de sites. Tout dépend des modes d'organisation.

Le coût des actes de biologie en France est élevé : les comparaisons internationales montrent des différences de prix importantes, de l'ordre de un à dix pour certains actes. Les marges dans notre pays sont considérables. Le prix de cession des laboratoires a doublé depuis 2010, preuve que le système est très rentable. Du reste la rémunération moyenne des biologistes libéraux déclarée à leur régime d'assurance vieillesse s'établit à 150 000 euros annuels. Ce secteur présente les caractéristiques d'une économie de rente. Vous m'interrogez sur la difficulté des jeunes biologistes à s'installer : oui, ils la ressentent, d'autant plus qu'ils ont été formés dans la perspective d'une installation libérale et un exercice en salarié ne correspond pas à leurs attentes.

Enfin nous manquons d'analyses pour expliquer l'évolution du volume des actes. Les effets du vieillissement et du principe de précaution sont réels mais difficiles à quantifier.

Michel Braunstein, conseiller maître, président de section. - Entre la Bretagne et les départements de l'Est, la consommation médicale varie de 100 euros à 148 euros par personne, avec des profils de population pourtant semblables. La Cnam n'a pas mené suffisamment d'études pour expliquer ces différences, mais la maîtrise du nombre d'actes représente un enjeu central.

Mme Annie David , présidente . - Quid de la baisse du B ?

M. Antoine Durrleman . - Le B est l'unité de base de la tarification. La lettre clé est associée à un coefficient qui détermine la valeur de chaque acte. L'assurance maladie n'a guère profité des gains de productivité du secteur. La valeur de la lettre B n'a pas évolué depuis 10 ans. Une inflexion est nécessaire, mais impossible dans le cadre de la convention. Je le répète, il faut dénoncer celle-ci !

M. Jacky Le Menn . - La loi du 30 mai 2013 a prévu une exception à la règle d'implantation des laboratoires, au profit de l'Etablissement français du sang. Quelle est la position de la Cour des comptes ?

Que pensez-vous de l'accès aux postes de recherche en biologie médicale pour les scientifiques non détenteurs du diplôme universitaire spécifique ? Que de discussions ce sujet avait fait naître ! Certains chercheurs craignent une dévalorisation de leur profession mais des postes restent vacants, c'est dommage.

M. Antoine Durrleman . - Nous n'avons pas examiné particulièrement la situation de l'Etablissement français du sang au cours de notre enquête. Il fallait une dérogation pour maintenir l'organisation territoriale actuelle. Les examens d'immunohématologie dits receveurs sont susceptibles d'être réalisés dans tout laboratoire. La question est de savoir si l'Etablissement français du sang jouit d'un monopole : si tel est le cas, la dérogation évite une restructuration à un établissement dont l'histoire est déjà compliquée. Sans doute est-ce un équilibre provisoire.

Nous n'avons pas émis de recommandations, dans notre enquête, sur l'accès aux postes de recherche en biologie médicale. Mais l'innovation naît du croisement des expertises et des connaissances. Pour une biologie innovante, mieux vaut bien sûr des équipes pluridisciplinaires.

M. Jacky Le Menn . - C'est aussi le point de vue du professeur Mandel au Collège de France.

M. Antoine Durrleman . - La recherche avance par fécondations croisées entre disciplines.

M. Jean Picq, président de chambre, contre-rapporteur. - Le professeur Philippe Beaune, à l'hôpital Pompidou, considère que la pluridisciplinarité de ses équipes est indispensable à la recherche de pointe, en adéquation avec le niveau d'exigence international. Il est dommage que la défense d'une corporation conduise à un aveuglement sur les conditions du progrès médical.

Mme Annie David , présidente . - Notre commission a aussi défendu la pluridisciplinarité. Je propose que cette enquête de la Cour des comptes, accompagnée du compte rendu de cette audition, soit publiée sous la forme d'un rapport d'information, sous la signature de M. Jacky Le Menn, rapporteur.

Il en est ainsi décidé.

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