C. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

Une démarche dynamique de reconquête du secteur des jeux vidéo suppose, outre d'éviter les obstacles et de préserver les atouts de la France, d'innover en mettant en place de nouveaux instruments d'accompagnement pour l'ensemble de la filière.

1. La création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française
a) Un outil qui s'inscrit dans une évolution générale vers une dématérialisation des supports

D'abord considérée comme risquée pour les intérêts des concepteurs et des éditeurs de jeux vidéo, la distribution digitale de jeux s'est installée progressivement dans le paysage vidéoludique avec la plateforme Steam, il y a une dizaine d'années. Cette dernière a été suivie par des concurrentes, telles que Impulse, Desura, DLGamer, Origin, GamersGate, Direct2Drive ou encore Games for Windows pour Microsoft.

Début juin, le géant américain Amazon a ouvert sa propre plateforme entièrement dédiée aux jeux vidéo indépendants téléchargeables, appelée Indie Games Store. Il s'agit en réalité d'une catégorie de la section de son Digital Video Games Stores, dans laquelle seront proposés des titres prestigieux et d'autres moins connus. L'initiative a été présentée comme « conçue pour aider les développeurs à promouvoir leurs jeux en aidant les joueurs à les découvrir ».

Promouvoir et faire découvrir leurs productions : telle est bien la difficulté pour de nombreux petits développeurs et éditeurs, pour lesquels les plateformes actuelles ne sont pas adaptées. « On ne compte plus le nombre de petits jeux indés perdus dans les limbes de la distribution, soit rushés sur un malheureux site officiel sans promotion (et donc immédiatement oubliés), soit simplement pas sortis » souligne fort justement un internaute participant à un forum sur le sujet 45 ( * ) .

b) Un instrument de soutien à la diversité de la production française

Afin de rendre l'offre de produits français plus visible, il pourrait être opportun de mettre en place une plateforme nationale , appuyée par les pouvoirs publics et ouverte à tous les jeux produits sur le territoire pour tous les types de publics. Cette plateforme, véritable outil de soutien au développement de la production française, aurait pour objectif à la fois de faire connaître et de distribuer les jeux mais surtout d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale.

Plutôt que de ne « pousser » que des « hits AAA », dont les éditeurs n'ont généralement pas de difficultés à assurer la visibilité, seraient mis en avant des jeux originaux, diversifiés et innovants, donnant ainsi une véritable chance à leurs concepteurs et diffuseurs.

La plateforme accueillerait les jeux fabriqués sur notre territoire, ce qui impliquerait d'ailleurs une réflexion sur le « made in France » que l'on souhaiterait soutenir en la matière. Les jeux devraient être accessibles aux joueurs de tous pays, dans leurs langues d'origine, afin de promouvoir le savoir-faire français.

La plateforme serait aussi ouverte que possible : aux studios indépendants et aux concepteurs de jeux dépourvus d'éditeurs, en priorité, même si les jeux d'éditeurs -y compris des plus importants- seraient également accueillis. Elle s'apparenterait donc à un système hybride tel que Steam aux États-Unis, mais sans obstacles à l'entrée. L'avantage de proposer un tel système de vente directement accessible consisterait à disposer d'un contenu original et de qualité et de mettre en avant « l'exception culturelle » française.

La commission prélevée sur les jeux vendus serait faible, de l'ordre de 5 à 10 %. En effet, l'une des grandes difficultés actuelles pour les studios indépendants qui utilisent des plateformes de ventes directes est leur soumission à la fois à un prélèvement pour commission et au titre de la TVA.

Le commissionnement par les plateformes s'élève en moyenne aujourd'hui à 30 % du prix de vente final. Un tel taux est manifestement excessif au regard du coût dérisoire de la bande passante et des charges que nécessite la mise en place d'une plateforme, très rapidement amorties si celle-ci est assurée par des entreprises de taille importante.

Une politique de commissionnement constructive pourrait être envisagée, de façon à s'adapter aux besoins des studios. Seraient proposés de façon optionnelle des services à forte valeur ajoutée qui feraient augmenter la commission : + 5 % si l'on propose une autre langue, + 5 % pour un relai presse en France, + 5 % pour un relai presse international... Un commissionnement moins élevé pourrait par ailleurs être envisagé en cas d'exclusivité sur la vente du jeu.

Le choix de protéger les contenus vendus, avec des codes DRM, serait laissé au choix des studios. Si les plus grands le prévoient quasi systématiquement, la tendance est inverse chez les plus petits. La décision sur ce point devrait donc être le fait des principaux intéressés. Les jeux seraient proposés sur tous les supports « ouverts » : Windows, Mac, Linux, Android...

La politique de prix devrait rester responsable, en interdisant la vente de jeux à moins d'un euro. Les moyens de paiement devraient être modernes et accessibles : virements bancaires et cartes de paiement pour l'ensemble des consommateurs, audiotel et SMS en sus pour les Français, sans compter les moyens intégrés tels que Paypal , Google wallet ou Amazon payments et les nouveaux instruments tels que le bitcoin .

Cette plateforme s'apparenterait à un centre national virtuel des jeux vidéo. Elle constituerait une sorte de fonds de ressources et d'orientation pour les publics concernés, à qui elle délivrerait des informations institutionnelles sur les moyens publics (État, collectivités territoriales et programmes européens) mis en place en soutien à cette industrie créative et culturelle.

2. La mise en place d'un fonds participatif

Les studios ont besoin de renforcer leurs fonds propres afin d'adapter leur outil de production à la mutation des marchés du jeu vidéo et aux nouveaux besoins de compétences qu'elle suppose.

a) Un moyen de renforcer les fonds propres dans un secteur très demandeur

Le secteur des jeux vidéo est constitué de TPE et PME dont le chiffre d'affaires moyen est de deux millions d'euros et dont les fonds propres sont faibles au regard des coûts engagés pour la production d'un jeu. Cela limite les capacités d'endettement des entreprises et explique que l'essentiel du coût de développement des jeux soit aujourd'hui assuré par leur éditeur, au détriment de la marge des studios.

En renforçant leurs fonds propres, ces derniers pourraient donc préserver leur indépendance vis-à-vis des éditeurs, augmenter leur capacité d'investissement sur de nouvelles productions et améliorer leurs marges . Le besoin de financement global de la filière est estimé par le SNJV entre quarante-cinq et quatre-vingt-dix millions d'euros sur deux ans (deux à trois millions d'euros pour dix à vingt sociétés et 0,5 million pour cinquante à soixante autres).

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou OSÉO, actuels délégataires des fonds provenant de la Banque publique d'investissement (BPI), proposent des mécanismes d'investissement intéressants mais dont les modalités techniques et conditions d'exécution sont éloignées des spécificités des entreprises du jeu vidéo et des contraintes d'évolution de ce marché, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, les besoins d'investissement des entreprises sont en fonds propres plus qu'en emprunts à terme classiques . La production de jeux vidéo requiert des investissements importants et répétés afin de livrer les productions que les marchés innovants en croissance attendent. Les budgets de production de logiciels de jeux pour les consoles de nouvelle génération sont ainsi de 40 % supérieurs à ceux constatés sur la génération actuelle ; ils peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions d'euros par projet. Sur les marchés dématérialisés, si les montants de chaque production sont bien inférieurs, les entreprises doivent pouvoir investir concomitamment sur plusieurs lignes de projets afin d'augmenter leur surface d'exposition au public et de traiter efficacement la question du recrutement. Les besoins financiers des entreprises se situent donc en amont, en haut de bilan, plus qu'en fonds de roulement.

Par ailleurs, ainsi que cela a été indiqué, la concurrence est globale, et non locale . L'international est constitutif de « l'ADN » des entreprises de l'industrie du jeu vidéo qui doivent donc se positionner sur des marchés où leurs homologues sont Canadiens, Coréens, Singapouriens et Portoricains, et bénéficient d'accès à des sources de financement considérablement supérieures aux nôtres. Renforcer la capacité d'investissement des entreprises françaises, c'est leur redonner la capacité à être compétitives sur les marchés du jeu vidéo mondiaux.

De plus, l'exigence d'antériorité des entreprises sur les marchés visés est incompatible avec la croissance des entreprises de production . L'industrie du jeu vidéo répond à des cycles économiques de très forte amplitude et dont les durées sont souvent beaucoup plus courtes que celles habituellement constatées dans d'autres industries, y compris du numérique. La quasi-totalité des entreprises du secteur se trouve donc éloignée des financements, car elles ne disposent pas des garanties souhaitées en raison des contraintes de marché et de la particularité des cycles économiques du secteur.

En outre, l'aléa économique est plus important que dans d'autres industries culturelles, mais le retour sur investissement en cas de succès est supérieur . Certes, la nature internationale des marchés, la très forte concurrence sur les marchés dématérialisés et ses caractéristiques d'industrie de « hits » génèrent des risques élevés. Ainsi, sur les marchés de détail, le point d'équilibre n'est pas supérieur à 4 % de la production globale, quand sur tablettes et mobiles, il avoisine le 1%. Mais cet aléa économique fort est compensé par la capacité qu'ont les entreprises, en cas de réussite, de générer des revenus substantiels, largement supérieurs aux taux de retour sur investissement habituellement constatés. Les succès d'Ubisoft, d'Ankama ou encore plus récemment de Pretty Simple démontrent que la France peut créer des leaders , et ce depuis les années 70.

Enfin, les modalités de traitement des dossiers par les structures de financement conventionnelles sont incompatibles avec la nature même des activités de production de jeux vidéo . L'industrie du secteur est récente, méconnue et soulève certains préjugés difficiles à combattre. De plus, les marchés évoluant très rapidement, il est nécessaire que le temps d'instruction des dossiers soit limité afin de permettre une adéquation entre l'exigence d'information de l'administration et la capacité pour l'entreprise à se positionner sur les nouveaux marchés visés.

Les canaux de financement classiques ne sont donc pas adaptés aux spécificités du marché des jeux vidéo, et que des mécanismes spécifiques doivent être mis en place. C'est dans cet esprit que le groupe de travail avance l'idée de création d'un prêt participatif pour les entreprises du secteur.

b) Un dispositif basé sur le modèle du prêt participatif innovation

Vos rapporteurs proposent donc la mise en place d'un fonds d'octroi de prêts participatifs 46 ( * ) , financé par la BPI , sur le modèle du prêt participatif innovation, assimilable à des quasi-fonds propres. Cet outil serait adapté aux besoins de la filière du jeu vidéo et, conformément aux objectifs de la BPI, constituerait un « levier » pour des interventions de financement complémentaires. Le fonctionnement du prêt participatif, qui prévoit généralement, au-delà d'un taux d'intérêt de base, une rémunération indexée sur la rentabilité de la société bénéficiaire, permettrait également de répondre au principe d'intéressement de l'État en cas de succès.

Ce fonds d'avances participatives pourrait, comme le fonds de garantie créé en 2011, être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Cet établissement de crédit agréé par la Banque de France a été fondé en 1983. Son capital est partagé entre les principales banques françaises et l'État, à travers la BPI, qui en détient 49 %. Il a été chargé par les ministères de la culture et de l'économie et des finances d'une mission d'intérêt général de facilitation de l'accès au financement, notamment au crédit, pour les industries culturelles.

Il s'agit d'un établissement proche des pouvoirs publics, disposant des autorisations nécessaires de la part du régulateur bancaire et d'une expérience significative du secteur du jeu vidéo, en faveur duquel il a permis depuis trois ans la levée de près de 4 millions d'euros de crédits à moyen et long terme. La proximité de l'IFCIC avec le CNC, désormais interlocuteur privilégié de la filière à travers le pilotage du FAJV et du CIJV, ne pourrait que renforcer la pertinence de cette localisation.

Cette intervention de l'IFCIC permettrait d'éviter que la CDC doive instruire plusieurs dizaines de dossiers en faveur de très petites entreprises L'IFCIC mettrait naturellement à profit le réseau des banques recourant habituellement à sa garantie pour promouvoir ces dispositifs et maximiser les effets de levier qu'ils permettent 47 ( * ) .

Ce dispositif viendrait en complément de la mise en place, il y a deux ans, d'un fonds de garantie dédié au secteur du jeu vidéo : les entreprises de la filière peuvent, depuis le mois de mai 2011, voir leurs crédits bancaires à moyen et long terme bénéficier d'une garantie de 50 % à 55 %.

L'articulation de ces deux dispositifs permettrait aux entrepreneurs du secteur d'accroître leur capacité de négociation auprès d'investisseurs privés et, partant, de ne pas subir une dilution trop forte au capital des sociétés qu'ils ont fondé au risque d'une prise de contrôle rapide par des capitaux étrangers.

c) Un nouveau mécanisme de financement public

La question du financement de ce fonds participatif viendrait naturellement à se poser. A cet égard, l'enveloppe dédiée, au sein du programme des investissements d'avenir (PIA), au secteur du numérique, pourrait légitimement être mobilisée. En effet, sur les 35 milliards d'euros de financements totaux, 4,5 ont été fléchés sur le secteur du numérique, parmi lesquels 2,25 pour les usages, services et contenus innovants. Les sommes, relativement modestes au regard de ces chiffres, que requerraient la mise en place de prêts participatifs dans le secteur du jeu vidéo pourraient très opportunément y être prélevées. Et ce d'autant plus que leur financement nécessiterait des dotations dites « non consomptibles », auxquelles le dispositif du PIA donne la préférence.

Autre possibilité, le recours à l'enveloppe de 10 milliards d'euros annoncée le 9 juillet dernier par le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, pour stimuler le potentiel de croissance de la France au cours des dix prochaines années. Le numérique figure en effet, aux côtés du développement durable, de la santé et des transports, parmi les quatre grands secteurs d'avenir auxquels ces fonds sont destinés. De par l'importance croissante que l'industrie vidéoludique et les technologies qui en découlent sont appelées à prendre dans le monde de demain, il paraitrait tout à fait légitime de mobiliser une partie de ces fonds pour en favoriser le développement sur notre territoire.

3. Une optimisation des mécanismes d'aide et de financement

Cette optimisation passe par une simplification des procédures, qui pourrait prendre la forme d'un guichet unique de demande d'octroi, ainsi que par une révision des enveloppes et conditions d'éligibilité des différents dispositifs.

a) La mise en place d'un « guichet unique » pour les demandes de soutien

D'une façon générale, la palette d'instruments de soutien au financement des entreprises du secteur a été jugé non négligeable. En revanche, elle s'avère mal exploitée par des entreprises qui, pour les plus petites tout du moins, n'en n'ont pas connaissance ou ne s'estiment pas en mesure d'en bénéficier.

Comme l'ont reconnu des responsables de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), les administrations doivent faire preuve d'une grande pédagogie pour en expliquer la teneur aux PME du secteur et les conseiller sur l'opportunité d'y recourir.

Celles-ci étant fréquemment « perdues » dans le maquis des aides et des structures existantes, la mise en place d'un « guichet unique » serait de nature à faciliter les démarches des professionnels. Ce guichet examinerait leur demande et les réorienterait vers le type de soutien et l'administration la plus compétente pour traiter leur demande. La localisation de ce guichet et son articulation avec les différentes structures en charge de chaque dispositif resterait toutefois à préciser.

Le CNC, compte de sa compétence reconnue en matière d'instruction de dossiers d'aide aux entreprises du secteur du cinéma et de l'audiovisuel, constituerait, selon vos rapporteurs, l'institution idoine pour exercer cette fonction de guichet unique.

b) Un ciblage plus efficace des dispositifs de soutien existants

Le FAJV fonctionne relativement bien et a le mérite de soutenir des entreprises de petite taille qui ne sont pas éligibles au CIJV.

Cependant, l'aide octroyée à ce titre est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros, ce qui est jugé comme étant trop bas par les acteurs du secteur. Ce plafond gagnerait à être doublé afin d'être plus en rapport avec des budgets de pré-production atteignant couramment plusieurs centaines de milliers d'euros, et ceci pas nécessairement pour les seuls « hits » des plus grandes entreprises du secteur.

Par ailleurs, une ambiguïté devrait être levée sur le sort des jeux violents qui prétendent à une aide au titre du FAJV. L'élément de violence, qui ne fait pas officiellement partie des critères pris en compte dans le traitement des dossiers, contrairement à ce qui est le cas pour le CIJV, le serait parfois et rendrait le sort de la demande incertain. Il conviendrait donc de préciser ce point en rappelant aux structures gestionnaires qu'il ne peut s'agir en soi d'un élément discriminant pour l'octroi de la subvention.

S'agissant du CIJV , il conviendrait, dans une prochaine loi de finances, d' assouplir ses critères d'octroi , de sorte qu'il bénéficie à un nombre étendu d'entreprises, à tout le moins pas uniquement aux plus importantes. Le fait que les projets doivent avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros pour être éligibles en évince en effet naturellement un bon nombre. Ce seuil pourrait donc utilement être divisé par deux.

Il serait également opportun de revoir les critères culturels du CIJV à l'aune de la grande diversité des productions issues de nos studios. S'il est appréciable de vouloir faire vivre l'exception culturelle à la française, il convient tout autant de ne pas « passer à côté » du soutien de productions de qualité, dont l'aspect culturel - dont la définition reste, soit dit en passant, extrêmement délicate et sujette à discussion - n'est peut-être pas privilégié, mais qui présentent bien d'autres qualités (originalité, « jouabilité », graphisme, etc.) et sont susceptible d'être bien accueillies par le marché.

À cet égard, certains critères, qui ne sont pas considérés aujourd'hui, tels que la jouabilité pourtant essentielle pour juger de la qualité d'un jeu, gagneraient à être intégrés parmi ceux pris en compte dans l'octroi du CIJV. Et à l'inverse, des critères tels que celui de la narrativité, qui impliquent de présenter un scénario riche et détaillé, se prêtent mal à certains types de jeu, et ne devraient plus, en conséquence, constituer un critère majeur de sélection.

D'une façon plus générale, ce système de crédit d'impôt mériterait d'être considérablement simplifié . Le calcul par points, suivant un barème complexe, ne plaide pas en effet pour la transparence du dispositif et son assimilation aisée par les entreprises du secteur potentiellement intéressées.

Enfin, il a été souligné que le CIJV était limité dans le temps à une période de production qui va bien au-delà de celle admise par le dispositif. Ainsi, les responsables d'Ankama, rencontrés à leur siège de Roubaix, ont expliqué en avoir bénéficié pour une de leurs productions majeures pendant une période de 36 mois, alors que la production proprement dite se poursuit parfois au-delà, par exemple pour l'activité de maintenance. Aussi l'éligibilité dans le temps du CIJV devrait être révisée, et pouvoir être prolongée.

Le CIR , quant à lui, pourrait opportunément voir son assiette précisée et élargie . D'une part, il reste délicat de déterminer, pour une entreprise, quels travaux peuvent être considérés comme en relevant. Un manuel, dit de Frascati, constitue certes une référence internationale pour la définition des activités de R&D, mais le secteur des jeux vidéo présente des spécificités qui n'y sont pas prises en compte. Il conviendrait donc que l'administration détaille, de façon actualisée, les types de dépenses ouvrant droit au CIR pour l'industrie du jeu vidéo.

En outre, le CIR se limite à la R&D, ce qui exclue toute une série d'activités qui participent pourtant directement à l'amélioration du produit. L'innovation peut, par exemple, porter sur la narration interactive. Or, celle-ci ne rentre pas dans l'assiette du CIR, car ce n'est pas de la programmation pure ou de la recherche fondamentale. Il conviendrait donc d'élargir en ce sens les travaux pris en compte au titre du CIR.

Une telle extension d'un dispositif transversal à l'innovation vaudrait également pour le dispositif de la « jeune entreprise innovante » ( JEI) . Il semble que le gouvernement souhaite y inclure les activités innovantes en matière de marketing ou de design , voire les dépenses en personnel destinées aux activités d'innovation. Une telle évolution serait profitable au secteur des jeux vidéo, et ne peut être qu'encouragée par vos rapporteurs.

Elle serait d'autant plus fructueuse qu'elle s'accompagnerait d'un déplafonnement du statut de la JEI. Celui-ci comprend en effet un double plafond - l'un de 200 000 euros par période de 36 mois pour les allègements fiscaux, l'autre plus complexe pour ce qui est des exonérations de charges sociales. Ce plafond a été jugé comme contraignant par certains bénéficiaires de la mesure ; l'examen de son augmentation paraîtrait opportun, afin d'encourager les jeunes entreprises du secteur à innover et à embaucher.

c) À la recherche de nouvelles ressources pour le financement du secteur

Un plus grand soutien du secteur des jeux vidéo passera par un accroissement des moyens publics mobilisables, ce qui impliquera, dans un contexte de pénurie budgétaire, de trouver de nouvelles ressources. Celles-ci devront être en lien avec le secteur, reposer sur une assiette aussi large que possible et être fixées à un taux suffisamment bas.

Dans cet objectif, vos rapporteurs préconisent la taxation de l'ensemble des jeux vendus neufs sur le marché physique . Cette taxe serait d' un montant de quelques centimes ou dizaines de centimes par jeu . Sur des produits commercialisés entre cinquante et soixante-dix euros en moyenne lors de leur lancement, elle représenterait donc une charge supportable pour l'acheteur, surtout au regard de son utilité finale.

Comme c'est le cas par exemple pour les contributions au service public du gaz ou de l'électricité, ou pour la taxe éco-participation, ce prélèvement serait identifié sur le prix d'achat et son objet précisé. Le consommateur serait donc informé que ce modique supplément de prix sert à financer l'industrie française du secteur vidéo ; il contribuerait à son soutien, en connaissance de cause, en s'acquittant d'une telle « contribution ».

Avec une cinquantaine de millions de produits (consoles et jeux) vendus dans notre pays en 2011 sur le marché physique, cette taxe pourrait rapporter plusieurs millions d'euros. Elle pourrait aisément venir doubler les financements publics alloués au secteur, si l'on a en tête que le FAJV représente trois millions d'euros d'aides et le CIJV deux millions de dépense fiscale.

Une telle contribution viendrait alimenter un fonds géré par le CNC , ainsi pleinement en charge du secteur du jeu vidéo. Ce fonds aurait pour objet d' accorder des financements à la création française dans le secteur du jeu vidéo . Cette nouvelle ressource, et ce fonds de financement qu'elle impliquerait, pourraient d'ailleurs être connectés avec le dispositif du fonds participatif évoqué précédemment, auquel elle pourrait être affectée.

4. Une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises

Les questions de formation au management et d'incitation à la création d'entreprise sont cruciales pour l'avenir de la filière. Sur ces deux points, des avancées peuvent être faites en développant des instruments déjà existants.

a) La formation des élèves à la création d'entreprises dans le secteur

Ainsi que cela a été souligné par les responsables du groupe Rubika, il manque en France un véritable accompagnement pour faire passer les « créatifs » - sous-entendu, en matière de développement de jeux - à la création d'entreprise.

Des progrès ont été effectués puisque l'université de Nice-Sophia Antipolis - Polytech Nice Sophia - en partenariat avec l'Institut international du jeu vidéo de Cannes, les professionnels du jeu vidéo regroupés dans le SELL et les entreprises de la technopole de Sophia Antipolis, propose désormais un parcours « management de projets en jeux vidéo » (MAJE).

Basé sur le diplôme universitaire « jeux vidéo & applications » proposé par l'université de Nice-Sophia Antipolis depuis octobre 2006 à la demande des professionnels pour former aux métiers de la gestion, du marketing et de la conception de jeux vidéo, ce parcours de formation est le seul en France en ce domaine et a bénéficié d'une certification professionnelle délivrée par les services ministériels compétents.

Ce cursus a vocation à former des « game producer » dans le domaine du jeu vidéo, comprenant tous les métiers nécessaires à la création, la réalisation et la commercialisation de jeux vidéo. Les étudiants sont recrutés dans le monde entier, pour une formation qui a « vocation à s'internationaliser rapidement en raison de son originalité », selon la description qui en est faite sur le site de l'école.

S'il répond à un besoin réel, ce MAJE ne suffira sans doute pas à combler les besoins du secteur. Ainsi que l'ont souligné les responsables du SELL, beaucoup de ses diplômés sont recrutés par d'autres secteurs industriels, à la recherche de compétences proches de celui des jeux vidéo.

Il faut donc aujourd'hui aller plus loin dans la formation de responsables d'affaires du secteur des jeux vidéo , qui se trouve isolée entre, d'un côté, les établissements de formation spécialisés dans les techniques du jeu vidéo, et de l'autre, ceux s'intéressant aux techniques de la gestion et du commerce.

Ce peut être en mettant au point d'autres parcours de ce type dans d'autres établissements universitaires ex nihilo , en partenariat avec les acteurs de la filière. Ce peut être aussi en introduisant des modules ou des spécialités de management dans les formations « jeux vidéo » et « multimédias » dispensées dans les écoles et universités. Enfin, ce peut être en proposant de telles options dans les cursus des écoles de commerce et des masters à dominante économique des universités.

b) L'essor de pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles

Les incubateurs d'entreprises fleurissent depuis une dizaine d'année, et nombre d'entre eux sont spécialisés dans les secteurs du numérique et du multimédia, et certains plus spécifiquement encore dans celui du jeu vidéo. Citons pour exemple la pépinière d'entreprises d'Annecy pour les métiers de l'image, du pôle Media Belle de Mai à Marseille, Eco-créative Bordeaux Chartrons, Paris Innovation Réunion, ou encore Neuilly Nouveaux Medias.

De leur côté, les écoles et formations spécialisées dans les jeux vidéo tendent à se multiplier et à se développer, à mesure que le jeu vidéo fait l'objet d'une reconnaissance de plus en plus large et qu'une demande de parcours adaptés à cette filière se fait sentir.

Pour que l'efficacité de ces deux types de structures soit optimisée, il importe qu'une véritable fertilisation croisée puisse avoir lieu entre les deux, faite d'échanges et d'apports réciproques. Ceci passe par la constitution de pôles spécialisés qui associent les aspects « formation » et « développement » sur un territoire partagé .

Les étudiants doivent s'initier durant leurs années de formation à la création d'entreprises « en situation réelle » , ce que leur permettent, dans un environnement très encadré, les pépinières d'entreprises. C'est en effet l'objet même de ces dernières que de faciliter cette création, en apportant un soutien technique et financier, des conseils et des services.

À l'inverse, les jeunes entreprises en incubation ont un besoin de main d'oeuvre qualifiée , dans un périmètre rapproché. La proximité d'universités et d'écoles spécialisées dans le champ de compétences qu'elles recherchent constitue à cet égard un appréciable « vivier » dans lequel elles peuvent puiser pour développer leur activité.

La rencontre entre ces deux mondes doit se faire à travers des pépinières qui soient gérées par les universités et écoles formant aux métiers du jeu vidéo, ou du moins qui prévoient un rapprochement avec ces structures, sous la forme de conventions de collaboration scientifique et technique. Celles-ci peuvent préciser les conditions de valorisation, par les entreprises, de brevets déposés suite aux travaux menés avec les établissements de formation.

Les collectivités territoriales, qui assurent souvent le portage juridique des pépinières d'entreprises et sont représentées dans les conseils d'administration desdits établissements, ont un rôle moteur à jouer dans la mise en relation entre ces deux sphères, en vue de leur enrichissement réciproque.


* 45 http://fr.vox.ulule.com/-quelles-plates-formes-distribution-numerique-publier-jeu-426/

* 46 Prêts de longue durée, pouvant être distribués par des banques, des sociétés commerciales, des sociétés du secteur public (OSEO) ou l'Etat, dont la rémunération, qui peut être partiellement indexée à certains indicateurs de performance, est composée d'une partie fixe et éventuellement d'une partie variable.

* 47 L'IFCIC gère deux fonds de garantie d'un montant total de 82 millions d'euros et un fonds d'avances remboursables d'environ 10 millions, dont le montant devrait être prochainement doublé.

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