4. Associer les pays du Sud à l'évaluation des projets de recherche menés en partenariat

L'évaluation des projets de recherche doit aussi faire partie de la relation partenariale : elle ne peut ignorer les populations cibles du projet, à qui la recherche est destinée.

Les opérateurs français de recherche pour le développement font l'objet d'une évaluation sous l'angle scientifique depuis Paris : votre mission l'a déjà évoqué pour proposer d'en adapter les critères afin de valoriser leur contribution au développement réciproque.

En revanche, les projets de recherche menés en partenariat ne sont pas évalués au Sud. Les pays du Sud ne sont-ils pas les mieux placés pour juger de l'impact sur leur développement des partenariats de recherche qu'ils mènent avec la France ?

D'une manière générale, la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide en 2005 a relancé les politiques d'évaluation et conduit les administrations à définir des programmes encourageant « la culture de l'évaluation et du résultat » dans les politiques publiques d'aide au développement. L'an passé, la Cour des comptes a souligné les difficultés théoriques et pratiques d'évaluer l'aide au développement, mais aussi « la dispersion » de notre dispositif d'évaluation 137 ( * ) et « la modestie » de notre effort, malgré le volontarisme affiché 138 ( * ) .

Au-delà de cet appel bienvenu à évaluer davantage et de façon enfin coordonnée, votre mission tient à souligner un point de méthode essentiel : dès lors qu'on évalue un partenariat de recherche, il est indispensable que les partenaires soient placés en position symétrique dans l'exercice d'évaluation, quelle que soit l'asymétrie de leurs compétences scientifiques. Car la perspective de l'évaluation, ici, est autant politique que scientifique : la référence du jugement de valeur prononcé par l'évaluation est « le développement » visé par la société où l'action se déroule, le « souhaitable », un domaine où les représentations culturelles sont éminentes.

L'évaluation conjointe de l'impact sur le développement d'une recherche partenariale doit se faire en référence aux matrices existantes d'évaluation comme celle déjà utilisée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). A ce titre, la question de la place faite aux femmes devrait faire partie du champ de l'évaluation, puisque la promotion de l'égalité et de l'autonomisation des femmes est le troisième des huit Objectifs du millénaire pour le développement. La prise en compte de cet objectif transversal est précisément au coeur de la nouvelle stratégie « Genre et développement » (2013-2017) adoptée par le Gouvernement lors du CICID du 31 juillet 2013 139 ( * ) .

Les opérateurs dédiés - le Cirad et l'IRD - ont très bien intégré l'impératif d'une évaluation conjointe dans leur « doctrine », en soulignant combien l'évaluation de la recherche pour le développement était d'abord celle du partenariat lui-même 140 ( * ) . Ils ont bien identifié des objets et des critères pour cette évaluation, en particulier la réciprocité, qui suppose une définition claire et préalable des objectifs et des responsabilités de chacun, et qui passe par le partage du projet, de sa définition à ses résultats. Or votre mission constate que l'exercice d'évaluation est très loin d'être partagé avec les partenaires du Sud . Une réserve de principe est souvent avancée : les pays du Sud n'auraient pas assez de capacités scientifiques et universitaires pour conduire des évaluations. Cet argument ne tient pas assez compte non seulement des capacités existantes au Sud, mais surtout de la dimension politique de l'évaluation de la recherche pour le développement, qui ouvre un espace de dialogue - et d'apprentissage mutuel - sur la définition de l'action.

Dans cette perspective, l'expérience de l'ANRS est instructive : son directeur a expliqué à votre mission comment, en trente ans, la toute-puissance médicale avait dû céder du terrain face aux milieux associatifs, qui se sont imposés par leur connaissance du sida quand la recherche n'avançait pas. Au Nord comme au Sud, les malades sont ainsi très présents dans la vie de l'ANRS, qu'il s'agisse de son conseil d'administration, de son conseil scientifique, de ses différentes instances de décision... Sans nier le fait que le sujet de recherche soit particulièrement propice à une présence sociétale au sein de l'organisme de recherche, le directeur de l'ANRS a estimé souhaitable d'élargir la place réservée aux points de vue des bénéficiaires de la recherche dans d'autres domaines.

Cette perspective s'entend peut-être plus facilement pour les questions relatives à la santé, mais votre mission considère qu'elle a aussi toute sa pertinence dans les autres champs de recherche pour le développement.

Une évaluation au Sud de l'impact de ces recherches sur les pays en développement reste donc à inventer.

L'AFD a pris des initiatives importantes dans cette direction, en systématisant les retours d'expérience, ou encore en organisant des ateliers « Regards croisés sur l'efficacité de l'aide », confiés à des intervenants extérieurs (du Groupe de recherche et d'échanges technologiques, le GRET). L'Agence a également mis en place un comité des évaluations, ouvert aux deux autres administrations qui évaluent des actions en faveur du développement. Et c'est à ces différents niveaux que votre mission croit nécessaire d'associer des représentants des pays du Sud , afin de connaître le jugement qu'ils portent sur l'impact mais aussi sur le déroulement du projet, depuis le choix du sujet jusqu'à sa valorisation éventuelle.

En complément de l'amélioration du caractère partenarial de la relation de recherche entre la France et les pays du Sud, il convient de favoriser l'impact concret de cette recherche, c'est-à-dire son effet d'entraînement sur le développement économique du Sud.


* 137 L'évaluation de l'aide est pour l'essentiel sous la responsabilité de trois entités sans lien organique : le pôle de l'évaluation de la direction générale de la mondialisation du ministère chargé des affaires étrangères, l'unité d'évaluation des activités de développement de la direction générale du Trésor et la division de l'évaluation et de la capitalisation de l'Agence française de développement.

* 138 La politique française d'aide au développement , Cour des comptes, juin 2012.

* 139 Cf. décision n° 5 du CICID.

* 140 Voir, en particulier, « Le partenariat au Cirad », Conseil scientifique du Cirad, juin 2011.

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