B. FAVORISER L'EFFET D'ENTRAÎNEMENT DE LA RECHERCHE MENÉE EN PARTENARIAT SUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
Mettre pleinement la recherche pour le développement au service du développement des pays du Sud, c'est améliorer l'efficacité de nos partenariats, notamment en termes économiques.
1. Renforcer les capacités au Sud par la recherche et la formation
Pour que la recherche en partenariat avec le Sud ait un effet d'entraînement sur le développement national, elle ne doit pas se résumer à une aventure individuelle entre chercheurs.
Naturellement, la plupart des projets de recherche Nord/Sud naissent de rencontres et d'opportunités. Cette démarche bottom up est fréquente dans le monde de la recherche. Comme l'a bien résumé M. Michel Wieviorka, administrateur de la Maison des sciences de l'homme, lors de son audition par votre rapporteure, « la recherche aime la vérité et la liberté ».
Mais la liberté des chercheurs de partager un projet doit, pour porter un fruit en termes de développement, prendre appui sur des structures pour s'inscrire dans une stratégie: au-delà des chercheurs, ce sont les laboratoires qui doivent s'associer. Cette institutionnalisation des partenariats encourage leur pérennisation. De ce point de vue, l'expérience acquise par l'IRD dans la construction des UMR en France peut servir à mettre en place des UMI et des LMI supplémentaires dans le cadre des partenariats avec le Sud: votre mission encourage l'IRD à accentuer le processus « d'UMRisation » internationale (que l'on pourrait qualifier d'» UMIsation ») pour mieux inscrire ses partenariats de recherche dans le contexte scientifique et institutionnel national du pays partenaire.
Pour que la recherche en partenariat contribue réellement au renforcement des capacités du pays partenaire du Sud, elle doit en outre s'accompagner d'enseignement et de formation (formation par la recherche mais aussi formations techniques), afin non seulement de produire de la connaissance mais aussi de la diffuser. C'est ce choix d'une offre intégrée qui sera payant à moyen terme. Comme votre rapporteure l'a constaté en Inde, il est fréquent que les partenaires du Sud expriment le besoin d'un accès unique aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche français. Agreenium l'a bien compris et propose en matière agronomique un continuum entre universités et centres de recherche : cet établissement public de coopération scientifique a pu de ce fait dialoguer avec le Brésil, qui a lancé un programme « Sciences sans frontière » offrant aux étudiants brésiliens 100 000 bourses de doctorat sur les quatre prochaines années. Agreenium a ainsi présenté au Brésil l'ensemble des capacités d'accueil des laboratoires des membres d'Agreenium et lui a exposé les différents thèmes de recherche possibles, ce qui n'aurait pu être réalisé individuellement par chacun de ces membres. Les autres acteurs français de la recherche au Sud, s'ils fournissent souvent des prestations de cotutelle de thèses, sont rarement leaders de projets de partenariats universitaires sur la recherche pour le développement, sauf peut-être en Amérique latine, par exemple au Chili, où les universités approfondissent leurs partenariats avec des universités françaises.
Votre mission encourage donc la promotion d'offres françaises combinées de recherche et d'enseignement IRD-CNRS-universités sur le modèle d'Agreenium (CIRAD-INRA- universités). Dans ce cadre qui appelle naturellement des mobilités de chercheurs et d'étudiants, il convient de veiller à ne pas nourrir la fuite des cerveaux. La création de codiplômes peut y contribuer: pour reprendre l'exemple cité devant votre mission par M. Jean-Pierre Finance, président de la CPU, un master conjoint aux universités de Dakar et de Toulouse se ferait alors pour moitié en France, pour moitié au Sénégal et il faudrait revenir au pays pour avoir son diplôme, selon un système d'acquisition cumulée de crédits (pour chaque composante d'un programme d'études) qui fonctionne déjà au sein de l'UE 141 ( * ) . Des financements européens pourront financer ces mobilités et partenariats au niveau masters et doctorats (au titre du nouveau programme « Erasmus plus » 2014-2020 142 ( * ) qui intègre les actions jusque-là supportées par le programme « Erasmus mundus »).
Pour contribuer au retour au pays des personnes formées en France ou par la France, il importe de créer les conditions de leur retour, mais aussi d'éviter leur fuite interne notamment vers des fonctions politiques ou d'expertise: selon la plupart des acteurs auditionnés, les chercheurs doivent pouvoir trouver de bonnes conditions de travail au Sud susceptibles de leur assurer, sinon une bonne rémunération, au moins une motivation par un cadre et des conditions de travail satisfaisants. Mme Ouwe Missi Oukem, lorsqu'elle était administrateur adjoint du Centre International de Référence Chantal Biya (CIRCB) au Cameroun, a jugé nécessaire d'assurer des salaires décents, imaginant qu'ils pourraient être complétés par une partie additionnelle transitoire appelée à être ensuite remplacée par des financements nouveaux que le chercheur devrait décrocher. Au-delà de la question des rémunérations, Mme Dautry, entendue par votre mission quand elle était directrice générale de l'Institut Pasteur, estime qu'une certaine autonomie pour mener des projets de moyen terme avec une petite équipe peut attirer ou retenir dans son pays un chercheur, et l'effet boule de neige qui en résulte permet de construire progressivement une masse critique et donc une capacité de recherche au Sud.
Le renforcement des capacités passe enfin par la construction d'infrastructures de recherche , notamment informatiques (c'est la demande actuelle du Mali), chez nos partenaires pour favoriser le retour des chercheurs. Là encore, l'AFD peut jouer un rôle important en accompagnant, par le financement d'infrastructures en « dur » et par la construction de plateaux techniques performants, l'institutionnalisation des partenariats de recherche.
C'est par cette somme d'actions que les partenariats de recherche avec la France peuvent renforcer réellement les capacités d'un pays du Sud en matière d'enseignement supérieur et de recherche.
La prise de conscience du rôle de la recherche dans le développement est récente, tant l'accent était auparavant mis sur l'enseignement élémentaire. Elle n'est pas encore bien installée dans les opinions gouvernementales, et encore moins au niveau des opinions publiques. La directrice générale du Centre de Recherches Médicales et Sanitaires (CERMES) à Niamey, Mme Odile Ouwe Missi Oukem, a indiqué à votre mission que, concernant par exemple le Niger, c'était une prise en compte assez récente puisque son Plan de développement sanitaire (PDS) 2011-2015 143 ( * ) n'est que le deuxième qui mentionne la recherche comme l'un des huit axes stratégiques pour rendre effectif le droit à la santé consacré dans la Constitution du pays.
Les partenariats de recherche sont donc progressivement reconnus comme un levier essentiel de renforcement des capacités et donc de développement.
* 141 Système European Credit Transfer and Accumulation System .
* 142 Erasmus+ (2014-2020) est le nouveau programme-cadre de 16 milliards d'euros pour l'éducation, la formation, la jeunesse et le sport. Le nouveau programme est composé de trois piliers principaux: l'éducation et la formation, la jeunesse et le sport. Sur l'enveloppe totale, 77,5% seront alloués au secteur de l'éducation et de la formation. La base légale du programme Erasmus + n'a pas encore été formellement adoptée par le législateur européen.
* 143 http://www.unfpa.org/sowmy/resources/docs/library/R343_2011_Niger_PDS_15_FINAL_ADOPTE.pdf