2. Porter la démarche au niveau européen comme un atout de la politique française de développement, susceptible de donner du sens aux financements européens

Si la démarche française de recherche partenariale est mieux identifiée, elle peut rencontrer un écho plus grand auprès des institutions européennes. Et ce, d'autant que l'UE souhaite améliorer l'impact de son aide publique au développement pour mieux contribuer à la réalisation, originellement fixée à 2015, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés en 2000 155 ( * ) . Dans cette perspective, le Conseil de l'UE a adopté en mai 2012 le Programme pour le changement que lui a soumis la Commission européenne ; ce programme insiste sur la nécessité de différencier les partenariats en fonction des pays et de progresser vers une meilleure coordination des stratégies européennes. La programmation conjointe UE-Etats membres constitue donc un chantier pour les années à venir. Elle répond à une double nécessité : politique d'abord, pour rendre plus cohérentes les actions des États membres et de l'UE et améliorer ainsi la visibilité de l'aide de l'UE ; financière ensuite, afin d'optimiser les ressources européennes en évitant la fragmentation ou la redondance de l'aide.

Parallèlement, l'Europe de la recherche se structure progressivement. En 2009, sous présidence française, un Forum stratégique pour la coopération internationale en matière de recherche , le SFIC 156 ( * ) , a été créé pour aligner les moyens des États membres et de l'UE et tenter d'avoir une parole européenne à l'égard des pays tiers . Au sein de ce forum qui ne s'intéresse pas encore aux pays en développement, la France gagnerait à faire évoluer le paradigme en amenant l'UE à considérer les pays du Sud comme de véritables partenaires . Dans sa communication 157 ( * ) de septembre 2012 sur la coopération UE/ pays tiers en matière de recherche, la Commission européenne ouvre déjà la voie vers cette évolution : « le financement de la recherche (...) contribuera aux objectifs des politiques de développement de l'Union, par exemple par les activités suivantes: prospective et recherche socioéconomique visant à recenser des défis spécifiques; recherche et innovation de pointe visant à mettre au point des solutions applicables localement (...) ».

Dans ces changements en cours, la recherche en partenariat avec le Sud a toute sa place : elle peut en effet contribuer non seulement à renforcer les capacités scientifiques du Sud et à les intégrer dans les réseaux de recherche mondiale, mais aussi à renforcer la visibilité et l'efficacité de l'aide européenne au développement, qui sont précisément les objectifs du Programme européen pour le changement. Dès lors qu'il s'oblige à une relation équilibrée avec nos partenaires du Sud, l'outil diplomatique que constituent nos instituts de recherche pour le développement est en capacité de favoriser l'adaptation de l'aide européenne au contexte national du pays récipiendaire et donc son efficacité.

En effet, seule l'approche bilatérale permet d'adapter l'aide au développement à l'articulation entre économie et société qui est propre à chaque pays partenaire. Il est intéressant à cet égard de relever qu'en complément de sa contribution au fonds multilatéral pour l'environnement mondial, la France a créé un instrument bilatéral pour sa mise en oeuvre, le fonds français pour l'environnement (FFEM), afin de mieux répondre aux besoins exprimés par les pays du Sud qui sont prioritairement destinataires de la coopération française.

Son outil dédié à la recherche au service du développement est une spécificité française que d'autres États nous envient , comme l'a dit à votre mission M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université qu'il représente à Bruxelles : l'UE peut tirer bénéfice d'une meilleure synergie entre sa politique de la recherche et sa politique de développement si elle consent à s'appuyer sur cet outil français et, réciproquement, nos instituts de recherche peuvent conforter leur mission en misant sur l'Europe pour étendre leur envergure et leur visibilité .

Pour que ce jeu doublement bénéfique s'opère, il convient d'entrer dans une démarche plus active auprès des institutions européennes : d'abord, pour tenter de sortir de la logique en silos qui prévaut souvent au sein de la Commission européenne, la France pourrait inviter les commissaires au développement et à la recherche à développer la synergie entre leurs actions ; ensuite, pour permettre un dialogue entre le monde de la recherche et celui du développement au sein du Conseil, notre pays pourrait proposer que se tiennent des réunions communes du Conseil « Compétitivité », réunissant les ministres européens de la recherche, et du Conseil « Affaires étrangères » réunissant les ministres européens en charge du développement, réunions qui permettraient de valoriser le savoir-faire français en matière de recherche partenariale et la nécessité pour les organismes européens de travailler ensemble dans cette perspective ; enfin, les instituts français de recherche pour le développement doivent se mobiliser pour faire du CLORA non seulement un outil de veille mais un lieu d'expression de la sixième alliance « Sud » à créer . Lors de son audition par votre mission, M. François Houllier, président de l'INRA et d'Allenvi, a précisément appelé de ses voeux une évolution du CLORA, afin qu'il alimente un flux aller-retour entre Bruxelles et ses membres ; il a observé notamment la puissance de feu que représentait le représentant du CNRS à Bruxelles puisqu'il est membre des cinq alliances de recherche. Le CLORA deviendrait alors un véritable instrument de lobbying, en évitant de se trouver dilué parmi les multiples acteurs non étatiques qui gravitent autour des institutions européennes. La France, parce qu'elle porte la recherche pour le développement, est en capacité de prendre une position de leader en ce domaine à l'échelon européen.

Ce leadership français sur la recherche au service du développement est déjà en voie de se constituer sur les questions agricoles . Comme l'a souligné devant votre mission Mme Marion Guillou, présidente d'Agreenium, la voix française porte de plus en plus sur ces sujets au niveau européen et international. Ainsi, dans les travaux du G8 et du G20, Mme Guillou représente la France dans les réunions d'Agricultural Chief Scientists . Et, à l'échelon européen, elle préside une initiative qui rassemble 21 pays sur les thèmes de l'agriculture, de la sécurité alimentaire et du changement climatique 158 ( * ) , sujets qu'il n'est pas possible de traiter à l'échelle nationale pour être entendus. La France héberge aussi à Montpellier le siège du CGIAR 159 ( * ) , consortium international de recherche en agronomie avec lequel les établissements français de recherche et d'enseignement supérieur agricoles ont signé en mars 2013 des accords de partenariat.

Il est vrai que les instituts français de recherche se distinguent particulièrement dans les agrosciences au niveau mondial : Mme Guillou a indiqué que, dans les classements internationaux, l'INRA se situait en deuxième position (derrière son homologue américain) en publications scientifiques, donc en production de découvertes dans le monde. L'enseignement supérieur français en ce domaine est de bon niveau, avec un réseau d'écoles d'agronomie, d'écoles vétérinaires et d'universités présentant des compétences en biologie, écologie... Malgré tout, la présence française s'est affaiblie au niveau international ces vingt dernières années, par rapport aux États-Unis, à la Chine, au Brésil et aux Pays-Bas, qui possèdent un grand centre de formation dans le domaine des agrosciences ; c'est pour enrayer cet affaiblissement qu'a été créé Agreenium, opérateur qui n'est pas chargé d'effectuer de la recherche, mais qui est disponible pour réaliser des prestations composites. Lorsque l'on s'adresse à Agreenium, on s'adresse désormais à l'ensemble du dispositif français en agrosciences puisque 80 % du dispositif d'enseignement d'agrosciences français a rejoint Agreenium. Mme Guillou indique qu'Agreenium est en contact avec le Forum for Agricultural Research in Africa (FARA) qui possède des besoins importants de reconstitution de capacités et que les demandes d'aide d'accompagnement ou de coopération qui lui sont adressées se multiplient.

Votre mission estime donc nécessaire de promouvoir un mouvement analogue dans tous les domaines de la recherche pour le développement, en adoptant auprès des institutions et de nos partenaires européens une démarche unie, appuyée à la fois sur l'opérateur de développement qu'est l'AFD et sur les capacités associées en recherche, formation et enseignement qu'offrent nos instituts de recherche dédiés . Porter la démarche partenariale au niveau européen permettrait de donner plus de sens aux financements européens.


* 155 A l'occasion de la 55 ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

* 156 Composé de deux représentants par Etat membre et de la Commission.

* 157 Communication de la Commission européenne : « Renforcement et ciblage de la coopération internationale de l'Union européenne dans la recherche et l'innovation: une approche stratégique », COM 2012(497).

* 158 L'Initiative de programmation conjointe sur l'agriculture, la sécurité alimentaire et le changement climatique (FACCE-JPI) a été lancée par le Conseil européen en octobre 2010. Menée par l'INRA et BBSRC, institut de recherche britannique en biosciences, elle vise à augmenter les capacités de la recherche européenne face aux enjeux de production alimentaire, mais également de fourrage et d'engrais, de fibres et de biocarburants pour une population croissante et dans le contexte du changement climatique. En rapprochant les programmes de recherche nationaux, FACCE-JPI tend à éliminer les doublons, pallier les manques, et créer des synergies et une masse critique à l'échelle européenne dans ces domaines afin d'améliorer l'efficacité des financements.

* 159 Consultative Group on International Agricultural Research . Le consortium du CGIAR organise le programme commun de quinze centres de recherche essentiellement situés dans les pays du Sud et financés par la Banque Mondiale, l'Union Européenne et d'autres organisations à hauteur d'environ 900 millions de dollars.

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