EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 octobre 2013, sous la présidence de M. François Pillet, président, la commission d'enquête a examiné le rapport de M. Eric Bocquet, rapporteur.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Mes chers collègues, nous voici arrivés au terme des travaux de notre commission d'enquête, qui a été créée le 17 avril dernier par l'adoption de la proposition de résolution du groupe CRC par la Conférence des Présidents, dans le cadre de la procédure de droit de tirage des groupes.

Nous pensions pouvoir bénéficier des travaux antérieurs réalisés dans le cadre de la commission d'enquête sur l'évasion fiscale internationale. Ce fut bien évidemment le cas, mais le champ couvert par la résolution était toutefois assez différent et nous a confrontés à de nouveaux défis.

Comme vous l'aurez certainement mesuré à la lecture de la première partie du rapport, la finance et ses techniques se sophistiquent à un point tel que même à leurs artisans, elles paraissent échapper. Ce fut une observation courante au moment de la crise financière, et les grands témoins auditionnés par notre commission l'ont tout à fait confirmée, alors même qu'ils ont pu exercer des fonctions de premier plan pour assurer la stabilité financière. Les auditions que nous avons eues étaient riches d'enseignement à cet égard.

Les travaux de notre commission ont illustré que ce qui atteint celle-ci pouvait aussi atteindre la finance dans son second volet d'intérêt public, qui est la conformité de ses usages à des règles fiscales ou intéressant des considérations de sécurité. Ils ont aussi montré que des progrès avaient été réalisés. Comme vous, j'ai été très sensible à la rigueur intellectuelle, au sens de l'ouverture et au goût pour la recherche de notre rapporteur, qui a pu mettre en évidence la continuité des engagements dans la lutte contre la fraude.

Néanmoins, le rapport insiste sur la persistance des risques, ainsi que sur l'importance d'une action opérationnelle tirant parti des mesures adoptées par le législateur. Le volet international du sujet est également mis en lumière : on peut faire seul, mais on ne pourra vraiment être efficace qu'en se coordonnant bien davantage au plan international ; c'est certainement le défi majeur. Au cours des 46 auditions auxquelles la commission a procédé, ces conclusions sont ressorties sans ambiguïtés, y compris chez de nombreux acteurs de la finance.

Par ailleurs, je voudrais dire un mot de nos conditions de travail. Je pense que six mois sont un délai bien court pour aller dans les détails, là où le diable se loge, dit-on. Je pense qu'un effort continu s'impose sur des sujets qui, comme le nôtre, sont à la fois essentiels pour le fonctionnement de nos économies contemporaines et d'une très grande complexité technique. Les commissions d'enquête du Sénat successives sur des sujets indépendants mais connexes témoignent de notre engagement collectif en ce sens.

J'ai reçu de M. le Président du Sénat une lettre me rappelant certains principes dont je dois vous faire part. À compter d'aujourd'hui et jusqu'à l'expiration d'un délai de six jours francs après le dépôt du rapport, une confidentialité absolue doit être observée sur nos travaux. Le dépôt du rapport interviendra demain, si bien que le silence doit être gardé jusqu'au 24 octobre. Ce délai correspond au temps pendant lequel le Sénat peut être réglementairement convoqué pour examiner le rapport en comité secret.

Je donne la parole à M. Éric Bocquet, qui présente un rapport excellent, à la fois dense et plus ramassé que l'an passé.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Je tâcherai de présenter d'une manière aussi synthétique que possible les travaux que nous avons menés au cours des six derniers mois. Cette période était effectivement brève, entrecoupée de surcroît de périodes de suspension et de congés. Les conditions de travail en ont donc été compliquées.

La semaine dernière, nous avons eu un échange sur l'architecture du rapport et ses grandes lignes. Chacun d'entre vous a pu prendre connaissance du projet de rapport et l'amender.

J'ai essayé de faire la synthèse la plus fine possible des informations recueillies par la commission au cours de ses 46 auditions mais aussi de celles auxquelles j'ai accédé en ma qualité de rapporteur, notamment à la faveur d'échanges avec des services tels que la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) et Tracfin.

Je voudrais partir des liens très étroits entre la finance et l' offshore , que la première partie du rapport détaille de manière très complète. Les grands témoins que notre commission a entendus et qui ont exercé des responsabilités monétaires à l'échelle de l'Europe et du monde nous l'ont dit : l' offshore est partout, dans les territoires exotiques mais aussi chez nous. L' offshore présente évidemment plusieurs dimensions : l' offshore fiscal, l' offshore prudentiel et l' offshore criminel, celui du blanchiment notamment. Ces dimensions se recoupent souvent sans être toujours totalement homogènes.

La finance, ses flux, ses produits et ses circuits possèdent des caractéristiques qui lui permettent de tirer parti des failles, petites ou grandes, qu'offre l' offshore - l'an dernier, nous avions justement évoqué cette « culture de la faille ». La finance est mobile ; elle est complexe. Elle peut être opaque et se soustraire aux règles, ce qui est la nature même de l'évasion des capitaux au sens qu'il faut lui donner aujourd'hui.

Cette rencontre entre un monde fragmenté et une finance agile, très rapide, crée des risques à très forts enjeux dans la mesure où la finance couvre l'ensemble de créances et de dettes et des moyens de les honorer, les paiements, qui résument la valeur monétaire des productions et des échanges.

Nous devions nous attacher à vérifier que ces risques n'étaient pas de simples fantasmes. Je crois que nos travaux ont confirmé leur réalité et, au-delà, leur réalisation. Cette confirmation s'appuie sur des constats macrofinanciers et microfinanciers. L'architecture financière internationale révèle des articulations très surprenantes parfois, et les intermédiaires financiers, sur lesquels nous nous sommes plus particulièrement penchés, en sont les principaux artisans, aux côtés de leurs clients. Sur un plan plus microfinancier, l'importance des capitaux dissimulés trouve ses prolongements dans la multiplication des découvertes de comptes non déclarés, de structures opaques, de schémas financiers d'organisation des entreprises, de témoignages sur des pratiques d'allocation « optimisante » des revenus et des charges via des processus financiers divers. Il faut encore compter avec l'inventaire des techniques financières de blanchiment.

Nos travaux ont également montré que la réduction des opportunités d'évasion des capitaux passait par un effort résolu et universel de fortification des infrastructures de contrôle. Ce sont les propos mêmes de M. Jean-Claude Trichet. Un décalage permanent se crée entre une industrie financière innovante et des institutions qui sont soumises à des chocs d'innovation qu'elles s'efforcent de maîtriser. Les moyens dont les institutions disposent sont cependant sans commune mesure avec ceux de l'ingénierie financière, dont la force de transgression est d'autant plus grande que les règles sont assouplies.

Dans ce contexte, l'amélioration des systèmes de contrôle nationaux est impérative. Elle ne sera acquise que si l'on arrive à égaliser les situations en désarmant la fraude et en armant les superviseurs. Elle est une condition préalable à la coopération internationale et, sous cet angle, devrait être considérée comme une condition au sens fort, c'est-à-dire une obligation à respecter par nos partenaires.

Mais nous devons également poursuivre nous-mêmes cet objectif. Des progrès très notables sont intervenus au cours des dernières années, avec une mobilisation internationale et interne croissante. Je crois que la commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale internationale de l'année dernière a pu contribuer pour sa part à ces avancées en portant politiquement le sujet et en attirant l'attention sur certaines propositions fortes qui ont donné de l'ampleur à ce qui avait déjà été fait. Je souhaite qu'il en aille de même pour la présente commission.

Sur le sujet qui nous occupe, nous aurions tort de tenir pour acquis les effets des principes et des règles qu'on se donne. La résistance des phénomènes est forte. Par ailleurs, la constitution d'une communauté internationale de la lutte contre la fraude n'est pas aujourd'hui réalisée. Il ne faut pas se faire d'illusions à ce sujet. Il existe une course au capital qui passe par des stratégies des États moins coopératives qu'on ne les présente : la concurrence fiscale n'est pas disciplinée, les initiatives prises par les uns ou les autres peuvent être très asymétriques. À cet égard, l'Europe doit se mobiliser et ne pas trop compter sur les États-Unis, dont on connaît l'insatiable besoin de capitaux.

Par ailleurs, il est notable qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, loin des règles à leur mise en oeuvre effective. Or, nous sommes aussi dans des temps où le nécessaire renforcement des systèmes de contrôle doit prouver son efficacité mais également sa transparence et son impartialité. Cette préoccupation impose des devoirs à tous les acteurs, entreprises, personnes physiques, autorités politiques et administratives. Elle est très présente dans le rapport et dans ses propositions. Celles-ci s'ordonnent autour d'objectifs de transparence des productions de l'ingénierie financière mais aussi de réforme des systèmes de contrôle afin de les rendre plus puissants.

Je m'empresse de préciser que les propositions de la commission d'enquête sur l'évasion fiscale internationale qui n'ont pas encore été suivies d'effets gardent à mes yeux toute leur actualité et leur pertinence. Par ailleurs, nous avons cheminé en même temps que des textes importants sur la transparence de la vie publique ou sur la lutte contre la grande criminalité financière, qui comportent certains dispositifs allant dans le sens de nos recommandations, sans toujours aller aussi loin toutefois.

À ce stade, je ne reviendrai pas sur le détail des 32 propositions. J'ai tenu compte des échanges que nous avons eus notamment la semaine dernière et des votes qui sont intervenus sur certains points. J'ai à l'esprit le problème important de la répartition des interventions entre l'administration fiscale et la justice. Le système actuel n'est pas satisfaisant. Chacun en convient, et d'ailleurs la tendance à la judiciarisation de l'action administrative en témoigne. Elle trouvera sans doute ses limites juridiques un jour. En toute hypothèse, il faut sortir par le haut de ce qui ressemble parfois à un imbroglio presque intenable et nuisible à la confiance dans le système. Cette dernière question se pose aujourd'hui avec force dans l'opinion publique. Je n'ai pas senti de la part de l'administration fiscale une opposition toujours aussi ferme que celle exprimée dans l'hémicycle. Je pense que nous sommes justifiés à proposer que ce dossier avance. Je veux d'ailleurs croire que l'instauration d'un Haut-Commissariat à la protection des intérêts financiers publics - c'était la proposition n°1 formulée dans le rapport précédent - pourrait résoudre une partie des problèmes en dissipant le soupçon.

Sur l'idée d'établir un lien entre les opérations de régularisation fiscale et une forme d'affectation des capitaux au financement de l'économie réelle, je crois qu'il serait difficile, voire contreproductif, d'aller beaucoup plus loin que la présente proposition. Néanmoins, l'administration doit être rendue sensible à certaines considérations qu'elle a d'ailleurs probablement à l'esprit.

Je voudrais insister sur un ensemble de propositions visant à assurer une plus grande transparence de l'industrie financière et à conforter les systèmes de contrôle. Elles concernent les attributions et les responsabilités des contrôles, avec le renforcement du statut des personnels employés à cet effet dans les entreprises, la question toujours non résolue du statut des commissaires aux comptes, mais aussi des règles d'encadrement des produits et des entités. Dans cette affaire, le Parlement a adopté, il y a quelque temps, un dispositif important de publication des données pays par pays. Je voudrais vous indiquer à quel point nous avons bien fait. Les réponses aux questionnaires que j'ai adressés à quelques établissements financiers mentionnent qu'il leur est impossible de me communiquer des informations sur la répartition des profits et les impôts afférents par manque de données. Or il est évident qu'ils en disposent et je déplore ce qui ressemble à une dissimulation qui doit céder. Veillons cependant à ce que la publication de données pays par pays recouvre bien une information fidèle.

Sur les systèmes de contrôle, je souhaite insister d'abord sur l'importance de promouvoir l'échange automatique d'informations, qui est présenté dans tous les sommets internationaux comme un standard international et un objectif cardinal. Nous devons mobiliser l'Europe pour qu'il soit pleinement appliqué en son sein. Mais nous devons aussi faire en sorte que l'Europe l'impose à tous les États, y compris aux centres offshore éloignés d'elle et appartenant plutôt à la zone d'influence d'autres puissances financières.

Par ailleurs, nous devons inviter nos superviseurs financiers à adopter une fermeté plus grande envers les entités sous supervision, ce qui oblige aussi à considérer leurs moyens juridiques d'enquête ainsi que les prolongements à appliquer quand des entités supervisées peuvent échapper offshore à des contrôles équivalents. Tracfin et son système, qui sont au centre de la lutte anti-blanchiment, doivent être consolidés, c'est aussi à mes yeux une évidence. En découle une série de propositions et de recommandations formulées dans le rapport.

Par ailleurs, nous devons mettre à niveau les outils de l'administration fiscale mais également inviter cette dernière à concevoir son action dans un sens plus proactif. Ceci implique un surcroît de coordination, des orientations plus stratégiques et l'inclusion dans une communauté du renseignement fiscal et financier qui reste à structurer. Il faut bien entendu veiller à préserver et améliorer ses moyens, ce qui rend nécessaire notamment un effort de formation auquel notre collègue Nathalie Goulet est très justement attachée et pour lequel elle a formulé certains amendements.

La responsabilité de tous doit être mobilisée par l'action publique. Les facilitateurs de la fraude doivent être gênés et il convient de pouvoir engager leur responsabilité pénalement au besoin. Les services doivent envisager leurs relations avec la société civile dans le respect de leurs prérogatives et des principes auxquels chacun est attaché, dont celui du secret fiscal, mais avec plus d'ouverture. Plusieurs affaires ont montré la nécessité de progresser dans le champ des lanceurs d'alerte. Des dispositions sont prévues dans le texte sur la fraude. Il faut sans doute les compléter par des attitudes. Par ailleurs, les relations entre les contribuables et les services fiscaux doivent s'améliorer, et les progrès vers plus de transparence peuvent créer les conditions d'une relation plus confiante. Enfin, l'action contre la fraude doit être plus contrôlable. Il faut améliorer son irréprochabilité et pour cela adopter les réformes administratives qui s'imposent, mais aussi appliquer et renforcer les dispositions sur les conflits d'intérêts.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Je vous remercie. Nous allons maintenant débattre de ce rapport, avant d'examiner les amendements qui ont été déposés.

Mme Nathalie Goulet . - Les conditions dans lesquelles nous avons travaillé ont également prévalu pour le dépôt d'amendements. Dans le cadre d'une réflexion plus large sur une réforme de la procédure applicable aux commissions d'enquête, il me paraît opportun d'examiner aussi ces délais et modalités.

À la lecture du rapport, il m'est apparu que nos derniers travaux, que nous avions voulu centrer sur quelques dossiers précis, avaient été bien plus difficiles à mener que les précédents : nombre de nos interlocuteurs avaient été entendus en 2012 et n'ont pas renouvelé leur discours entretemps, alors même que nous avions des attentes nouvelles. Les propositions faites cette année comportent donc certaines redondances par rapport à celles qui figuraient dans le pertinent rapport sur l'évasion fiscale internationale et dont plusieurs ont déjà été traduites dans le droit positif. Le titre de notre commission d'enquête est ambitieux, nous avons fourni un travail important mais nos attentes et pourraient justifier une nouvelle commission d'enquête sur ce thème.

M. Jacques Chiron . - Je salue le fait que le présent rapport aborde abondamment la problématique de l'optimisation fiscale, qui n'avait été que peu traitée l'an dernier. Il est effectivement très utile d'analyser ce phénomène et le moment où l'on quitte le champ de l'optimisation pour basculer dans des attitudes frauduleuses.

M. Charles Revet . - Je voudrais interroger notre rapporteur, que je félicite pour l'ensemble du travail accompli, sur les informations que les banques sollicitées auraient refusé de lui communiquer.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Je faisais moins référence aux auditions de la commission qu'aux documents et aux contacts que j'ai eus avec la DNEF et Tracfin. Je pense, par exemple, à la « liste HSBC », sur laquelle figurent les noms de nombre de personnes morales, dont plusieurs grands groupes français ayant détenu un compte auprès de cette banque. L'an passé, nous avions pu obtenir de la part des banques certaines informations - notamment leurs résultats dans les territoires offshore et les impositions correspondantes - mais non cette fois-ci.

M. Charles Revet . - De quels moyens disposons-nous pour aller plus loin ?

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Une avancée importante réside, à mon avis, dans l'obligation d'un reporting systématique pays par pays, mesure qui a d'ailleurs été votée par le Parlement cette année mais dont il faut espérer qu'elle ne sera pas tronquée par des choix de méthode contraires à son esprit.

Mme Corinne Bouchoux . - J'ai été frappée par le décalage que l'on peut relever entre les annonces faites au plan international notamment et l'absence d'évolution sensible, dans un contexte d'inertie observable chez certaines personnes que nous avons auditionnées.

Les conclusions du rapport me paraissent fidèles aux travaux de notre commission. Je m'interroge sur une option qui avait déjà été évoquée l'an dernier, sans que je me souvienne précisément des raisons pour lesquelles nous ne l'avions alors pas mentionnée dans nos recommandations : aux États-Unis, les infractions fiscales sont considérées comme très graves et peuvent donc être sanctionnées par une peine gravissime sur le plan symbolique.

Par ailleurs, en dépit de toutes les mesures de sécurisation qui ont été prises, j'ai l'impression que nous ne sommes pas à l'abri d'un nouveau problème majeur, tel que les affaires Société générale ou UBS. Il me semblerait donc utile de rappeler que le pire est toujours possible.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je voudrais compléter la remarque faite par M. Jacques Chiron : il convient d'être attentif à la manière dont on passe d'un cas d'optimisation à un cas de fraude, et non l'inverse. Or le projet de loi sur la fraude fiscale, qui est actuellement en troisième lecture à l'Assemblée nationale, nourrit à cet égard les craintes de nombreuses entreprises qui pourraient conduire à des recours.

Par ailleurs, je voudrais souligner qu'on peut avoir l'illusion que l'échange automatique des données est acquis, puisque tout le monde semble d'accord sur ce point et qu'on entend souvent que tout est réglé. Cependant, aucune mesure contraignante n'a encore été prise en la matière et surtout il faudra mettre en oeuvre des processus pratiques.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Nous passons ainsi à l'examen des sept amendements reçus.

Proposition n° 4

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je me félicite de la proposition n° 4 présentée par notre rapporteur, qui emploie le terme de « civisme fiscal des entreprises » auquel je suis particulièrement attachée et l'inclut dans le champ de leur responsabilité sociale. Je propose un amendement visant à la compléter en insérant en fin de phrase le membre de phrase suivant : « et prescrire aux organes dirigeants des entreprises financières et des entreprises faisant appel public à l'épargne une obligation de déclaration de conformité fiscale et au regard des obligations imposées par la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. »

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Cette proposition me convient tout à fait. Il faut renforcer la responsabilité de chacun. Elle doit être partagée entre tous les maillons. Je donne un avis favorable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Il ne s'agit pas de prévoir de nouvelles sanctions, mais d'inciter au civisme et d'encourager les bonnes conduites. Les actionnaires qui acceptent de répondre à un appel public à l'épargne doivent avoir accès à ce type d'informations, de même qu'ils disposent déjà d'autres éléments relatifs à la responsabilité sociale de l'entreprise.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Ces explications nous montrent tout à fait la portée de cet amendement.

L'amendement n° 1 est adopté.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Je partage le constat qui a été fait du caractère incontournable de la question de l'évasion : on en parle partout, des missions d'information, des textes de loi lui sont consacrés... Mme Corinne Bouchoux a justement fait observer que les choses n'avancent pas toujours aussi vite dans les faits. La culture des banques doit encore évoluer, notamment afin de faire diminuer le poids du secret et de l'opacité entretenue par les trusts et l' offshore ; l'action politique peut y contribuer. Certaines propositions du rapport, je crois, répondent à cette préoccupation, de même que le projet de loi actuellement débattu à l'Assemblée nationale. Cependant, puisque l'on parle des problèmes d'optimisation fiscale, je tiens à souligner qu'il faudra aussi faire avancer au plan européen le projet d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS).

Proposition n° 12

Mme Nathalie Goulet . - Je soutiens depuis longtemps l'idée d'un pôle d'excellence de formation en finances internationales, que j'avais notamment défendue dans le cadre des débats sur la loi de modernisation de l'économie de 2008. Par l'amendement n° 2, je propose donc de réécrire la proposition n° 12 comme suit : « Constituer dans le cadre de l'université Paris-Dauphine, un pôle d'excellence de formation en finances internationales destiné à renforcer :

1 - la formation des étudiants

2 - la formation continue des personnels en charge des contrôles et de la répression des infractions fiscales et financières

3 - le rôle de la place de Paris comme place financière. »

L'amendement n° 3 est un amendement de complément, qui m'a été inspiré par le constat d'un déficit de formation partagé par plusieurs personnes que nous avons auditionnées. Il s'agit d'introduire une proposition n° 12 bis :

« Une formation continue en matière de finances et de fiscalité internationales pourrait être accordée à tout agent des services compétents qui en ferait la demande.

Elle sera financée en priorité par le 1 % formation et par un prélèvement de 0,05 % des sommes récupérées par la CIF. »

Enfin, l'amendement n° 4 insère une proposition n° 12 ter :

« Les agents des organismes chargés du contrôle de la répression de la fraude financière et fiscale devront justifier de l'accomplissement d'une formation tous les deux ans, y compris à l'étranger.

La formation s'entend également de la pratique d'une langue étrangère.

Lorsqu'elle est demandée par un agent, la formation est de droit. »

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Le premier amendement soutenu me semble satisfait par la proposition n° 12, et je crois qu'il faut peser les inconvénients d'une attribution particulière de notre part à un établissement en particulier de l'ambition justifiée qui est évoquée. (Marques d'approbation.) L'autonomie universitaire pourrait d'ailleurs s'en offenser.

Le deuxième et le troisième amendement appellent l'attention sur la formation des agents. C'est justifié. Mais les propositions sont très détaillées et certaines solutions avancées posent des problèmes techniques. Je vous propose donc d'adopter une proposition 12 bis rédigée comme suit, qui fait la synthèse des amendements n° 3 et 4 de Mme Nathalie Goulet : « Les organismes en charge du contrôle et de la répression de la fraude financière et fiscale adoptent un programme de formation adapté à leurs missions. Un droit à une formation régulière est reconnu à chaque agent ».

Mme Nathalie Goulet . - Je retire la mention de l'université Paris-Dauphine de l'amendement n° 2.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - La proposition faite à l'instant par notre rapporteur me semble préférable, puisqu'elle est tout aussi incitative que les amendements précités mais adopte une approche plus large.

Mme Nathalie Goulet . - Je retire les amendements n° 2 et n° 3, mais tiens à l'amendement n° 4, qui souligne l'importance des stages hors de France et des formations aux langues étrangères.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Est-il utile d'entrer dans ce niveau de détail en conclusion de notre rapport ?

M. Éric Bocquet, rapporteur . - La proposition n° 12 parle d'une « formation de très haut niveau sur la fiscalité » et cette formulation me semble couvrir l'ensemble des besoins.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - La lecture de la première partie du rapport montre à quel point la maîtrise du droit et de l'ingénierie bancaires est importante, au-delà de la question des langues étrangères.

Mme Nathalie Goulet . - Je retire mes amendements au profit de l'amendement présenté par M. le Rapporteur.

L'amendement présenté par M. Éric Bocquet est adopté.

Proposition n° 29

Mme Nathalie Goulet . - Je propose l'amendement de précision n° 5, qui insère une proposition n° 29 bis rédigée comme suit : « Interdire le démarchage et la publicité des personnes physiques ou morales proposant des dispositifs d'évasion fiscale. »

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Cet amendement me semble largement satisfait par nos propositions n° 28 et n° 29.

Mme Nathalie Goulet . - Je retire mon amendement.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - La mention expresse de la publicité me paraît toutefois utile. Je vous propose donc d'inclure cette référence en complétant la proposition n° 28 par le texte suivant : « comportant notamment la répression du démarchage et de la publicité pour des dispositifs d'évasion fiscale ».

Mme Nathalie Goulet . - Cela me semble d'autant plus justifié que de très nombreuses annonces de cette nature fleurissent aujourd'hui sur l'Internet.

L'amendement présenté par M. Éric Bocquet est adopté.

Proposition n° 27

Mme Nathalie Goulet . - Mon amendement n° 6 a pour objet d'introduire une proposition n° 27 bis , rédigée comme suit : « Constituer un groupe de travail composé de parlementaires et de fonctionnaires du Ministère de la Justice et du Ministère des Finances, de façon à coordonner des propositions d'allongement des prescriptions applicables aux délits financiers et fiscaux. » Nous avons en effet beaucoup parlé des problèmes liés aux délais de prescriptions.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - La commission des Lois, à plusieurs reprises, a soutenu l'idée d'une remise à plat de nombreuses peines citées au Code pénal, afin d'éviter de créer des échelles de peines dans lesquelles certains barreaux manqueraient. Avec l'amendement n° 6, nous risquons d'empiéter sur ses prérogatives.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Je partage ce sentiment. Je vous propose d'intégrer cette préoccupation relative aux délais de prescription à l'exposé des motifs de la proposition n° 27, plutôt que d'en faire une proposition à part entière.

Mme Nathalie Goulet . - J'en suis d'accord.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Notre rapporteur fait ainsi une nouvelle fois une proposition susceptible de recueillir l'approbation de chacun d'entre nous.

Mme Nathalie Goulet . - Mon amendement n° 7 a pour objet « d'interdire sur le territoire français les cartes bancaires non rattachées à un compte bancaire identifiable », c'est-à-dire les cartes que l'on peut acheter à l'aéroport ou auprès de Western Union et que l'on crédite en espèces d'un certain montant. On peut ensuite s'en servir pour effectuer des transactions sans laisser aucune trace. On remplit un formulaire, dont j'ignore la destination, et la carte de paiement ne porte aucun nom ni autre moyen d'identification.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Je suis favorable à cet amendement. Il mériterait quelques précisions. Il s'agit apparemment de combattre un moyen simple de passer entre les mailles du filet des principes de conformité, en particulier de la connaissance du client et de la déclaration de comptes bancaires à l'étranger. Je vous propose de rectifier l'amendement pour prévoir qu'il s'agit d'interdire les cartes dont le bénéficiaire effectif du compte bancaire de rattachement n'est pas identifiable - on peut toujours identifier un compte sans pouvoir identifier son bénéficiaire ou titulaire. Cette disposition me semble assez cohérente avec les mesures adoptées pour mieux maîtriser les systèmes de paiement, qui continuent de se développer. Je remercie Nathalie Goulet d'avoir prolongé jusqu'au terme son investissement très fertile dans les travaux de notre commission.

Mme Nathalie Goulet . - Il ne s'agit en effet pas d'interdire complètement ce type de cartes qui évite de garder sur soi des sommes importantes en espèces lors d'un séjour à l'étranger, mais qui permet aussi de rendre transparentes des transactions moins légitimes.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - On pourrait concevoir des techniques de contrôle et examiner de telles solutions lors d'un prochain débat législatif.

Y a-t-il d'autres observations générales ? Sinon, nous passerions au vote.

Dans la lignée de ce qui a avait été voté sous la présidence de M. Philippe Dominati, en 2012, par la commission d'enquête sur l'évasion fiscale internationale, je voterai les propositions faites par M. Éric Bocquet, qui est une nouvelle fois notre rapporteur. La plupart des propositions déclinent celles qui avaient été faites précédemment, tout en précisant certains points relatifs à notre sujet. En outre, j'ai relevé certaines propositions nous permettant de débattre à nouveau du « verrou de Bercy », et d' évoquer la possibilité d'une nouvelle formule de régularisation - éventuellement d'initiative parlementaire - par laquelle nous inciterions beaucoup plus au retour des fonds placés dans les territoires à fiscalité avantageuse en favorisant leur réinvestissement dans l'économie réelle. J'attire votre attention sur le fait que les effets de la « circulaire Cazeneuve » restent à démontrer : rien ne prouve pour l'instant que les sommes qui ont été ainsi déclarées aient depuis lors quitté les paradis fiscaux. La proposition faite à cet égard dans notre rapport peut certes heurter certaines conceptions morales, mais elle atteste le pragmatisme de notre Assemblée.

Mme Nathalie Goulet . - Je voterai avec enthousiasme en faveur de ce rapport, sous réserve qu'on y ajoute la mention du référé du Premier président de la Cour des Comptes sur les services de l'État et la lutte contre la fraude fiscale internationale, qui a été rendu public le 10 octobre dernier et qui revient sur le « verrou fiscal ».

Mme Corinne Bouchoux . - Je voterai moi aussi en faveur du rapport. J'aimerais attirer votre attention sur un point qui peut paraître de détail, mais qui est en réalité très important et sur lequel une future commission d'enquête - si elle était créée - devrait se pencher : les règles de l'archivage des documents bancaires peuvent poser problème. J'ai à l'esprit le cas des PEA, par exemple, qui ne sont certes pas a priori des produits spéculatifs. La durée de conservation des dossiers semble n'être souvent que de deux ans dans la plupart des banques, alors que les vérifications fiscales portent sur une durée de trois ans. Cet écart d'une année, qui peut sembler anecdotique, ne me paraît pas favoriser la transparence.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Cela n'affecte que le droit de communication de l'administration, puisque le contribuable doit conserver ces preuves bien au-delà de deux ans.

Mme Corinne Bouchoux . - Il serait donc utile que les mêmes obligations s'imposent aux contribuables et aux établissements bancaires, et que s'applique un principe de symétrie sur la durée la plus longue.

M. Charles Revet . - Je suis favorable à l'adoption de ce rapport. Pouvons-nous avoir des précisions quant au référé de la Cour des comptes ?

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - La Cour des comptes a notamment émis une réserve forte sur le « verrou de Bercy », dans une décision qui réfute assez précisément l'argumentaire développé par le ministre du Budget en faveur du maintien de cette institution. Ce référé vient à l'appui des observations et de la proposition faite par notre rapporteur d'introduire un nouveau débat sur ce « verrou ». Lors de notre précédente réunion, nous avions d'ailleurs pu constater que toutes les pistes n'avaient pas encore été explorées. Il existe peut-être des solutions qui n'ont pas encore été envisagées et dans lesquelles la Commission des infractions fiscales (CIF) aurait un rôle à jouer.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Le lendemain de notre débat sur les grands axes du rapport, la Cour des comptes a en effet publié un référé dans lequel elle estime que le monopole de Bercy en matière de poursuites pour fraude fiscale est « préjudiciable à l'efficacité de la lutte contre [ce phénomène] ». Or nous concluons justement notre rapport en proposant de rouvrir le débat sur ce « verrou ». Par ailleurs sont évoqués un très grand nombre des problèmes que nous avons identifiés, en particulier concernant la fermeté des superviseurs financiers. Sur ce point je voudrais ajouter que les échanges d'informations devrait être bien plus nourris de leur part.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Mes chers collègues, nous passons au vote.

Le rapport est adopté à l'unanimité des voix.

M. François Pillet, président de la commission d'enquête . - Je vous rappelle les règles de confidentialité et de silence qui s'imposent à nous. Je vous remercie.

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