3. Un réseau de relations à stabiliser

Il est indispensable de consolider le droit de communication des informations de Tracfin .

En l'état, celui-ci est ouvert à l'autorité judiciaire dans le cadre des procédures qu'elle conduit ou dans le cadre de l'application de l'article 40 du Code de procédure pénale. Rappelons que cette dernière procédure a été actionnée pour 495 dossiers en 2011, soit un taux de transmission qui, même en progression, reste faible. En outre, il faut compter avec les transmissions demandées par les services judiciaires ou des douanes à l'occasion de leurs enquêtes.

La formalisation des relations avec les services fiscaux est beaucoup moins satisfaisante.

a) La DGFIP devrait être habilitée sans à saisir TRACFIN sans ambiguîté

Tracfin est habilité à transmettre des informations à la DGFIP et, plus précisément, s'adresse, en ce cas, aux services du contrôle fiscal.

En revanche, selon la présentation faite à votre commission, la DGFIP n'est pas habilitée à s'adresser à Tracfin pour identifier, par exemple, l'existence d'une information émanant d'un déclarant et pouvant être utile aux missions de la DGFIP.

Cette situation, qui n'est pas évidente, s'accompagne d'éléments qui conduisent à la considérer comme proprement kafkaïenne, d'un point de vue administratif comme d'un point de vue fonctionnel.

Dans un récent référé, la Cour des comptes a estimé que rien ne s'opposait juridiquement à ce que la DGFIP s'adresse à TRACFIN. Au-delà des discussions juridiques, il faut recommander que cette faculté soit pleinement ouverte à la DGFIP, la solution actuelle aboutissant au demeurant à des anomalies.

D'un point de vue administratif d'abord , la conciliation entre l'absence d'accès, d'un service de Bercy aux informations détenues par un autre service de Bercy, avec l'information transmise au ministre, sinon systématiquement, du moins de façon courante, sur les affaires sensibles, apparaît pour le moins peu évidente. On dira qu'en ce cas, Tracfin exerce son option de transmission aux services du contrôle fiscal. Mais, en l'absence de tout contrôle externe sur ce point, rien ne le garantit.

Cette absence de garantie pose des problèmesde transparence que les travaux de la commission d'enquête ont pu illustrer dans le contexte d'une affaire ayant entraîné la démission d'un ministre.

Votre rapporteur a interrogé la DGFIP sur le point de savoir si, à l'occasion de cette affaire, le service avait pu recevoir des informations de la part de Tracfin sur l'existence d'un signalement pouvant la concerner.

En réponse, le directeur général des finances publiques a indiqué :

« Dans le dossier que vous évoquez, nous n'avons pas reçu d'éléments de cette nature ».

Répondant à une question complémentaire de votre rapporteur, les échanges sur ce point se sont poursuivis de la façon suivante :

« M. Eric Bocquet, rapporteur . - Vous-même auriez pu diligenter une enquête sur ce sujet...

M. Bruno Bézard . - Vous avez pu noter que nous avons fait beaucoup d'investigations, Monsieur le Rapporteur ! »

La réponse du directeur général, pour élégante qu'elle soit, n'a pas été complète. En réalité, la coutume, sinon le droit, lui interdisait toute forme d'investigation sur ce point. Cette pratique pose un problème puisque, dans l'hypothèse où Tracfin se serait abstenu de communiquer à la DGFIP les informations que le service aurait pu détenir dans cette affaire, celle-ci n'aurait pas disposé des moyens de s'assurer de leur existence alors que de toute évidence, elles auraient pu clarifier la situation considérée.

Il est vrai que le ministre, sans pour autant disposer de prérogatives clairement définies, aurait sans doute, soit du fait de sa position hiérarchique, soit par l'application d'une coutume constante, été le destinataire de cette information.

Dans cette hypothèse, il n'est pas douteux qu'il aurait pu, et même dû, la communiquer au directeur général des finances publiques, nonobstant l'inexistence d'un droit de communication au bénéfice de la DGFIP.

Sans cohérence d'un point de vue administratif, la formalisation des relations entre Tracfin et la DGFIP l'est également d'un point de vue fonctionnel.

Le système de contrôle du blanchiment a été étendu au blanchiment de la fraude fiscale (et, d'ailleurs, d'autres délits financiers, ou à contenu financier, comme l'abus de bien social ou l'abus de faiblesse).

Cette extension n'est pas allée sans soulever des difficultés, les déclarants assujettis faisant valoir qu'il pouvait leur être difficile d'identifier des fraudes fiscales. En conséquence, un système d'identification permettant de définir un champ de doutes raisonnables a été mis en place et, de leur côté, certains assujettis (les banques en particulier, avec le concours conjoint des superviseurs et de Tracfin) ont défini un cadre formel (parfois plus englobant que celui posé par le décret précité) pour appliquer le dispositif. On constate, on l'a indiqué, une forte augmentation des signalements adressés à Tracfin, en particulier du fait de l'identification de risques fiscaux. La conversion de ces signalements en notes adressées à la DGFIP paraît admettre un niveau élevé de sélection. Or, il est possible que Tracfin ne dispose pas de toute l'expertise nécessaire pour que le tri opéré soit réellement pertinent. Cette éventualité pourrait avoir moins de conséquences si la DGFIP (comme les douanes le peuvent) avait accès à Tracfin, ce qui n'est pas le cas.

Dans ces conditions, l'encadrement de la fonction d'aiguillage exercée par Tracfin, entre les services fiscaux et les services judiciaires, apporte une confusion supplémentaire .

Dans son intervention devant la commission d'enquête, le directeur général des finances publiques a confié, à propos de la même affaire, « ne pas savoir si Tracfin a transmis quelque chose à la justice ».

Cette incertitude en dit long sur les problèmes de coordination des services de l'Etat engendrés par le régime actuel d'exploitation des informations de Tracfin.

En outre, elle suscite la perplexité. En matière de fraude fiscale, la volonté de préservation du monopole du ministère de l'économie et des finances a été jusqu'à prévoir que les informations détenues par le service, lorsqu'elles s'appuient uniquement sur de la fraude fiscale ou du blanchiment de fraude fiscale, soient transmises non pas au Procureur de la République, mais uniquement à la DGFIP.

Cette option laissait peu de marges à Tracfin pour communiquer au Parquet d'éventuelles informations concernant l'affaire en cause 37 ( * ) .

Elle pose des problèmes de conciliation avec l'obligation posée par l'article 40 du CCP.

Il faut ajouter qu'elle va au-delà de la solution générale qui est appliquée en cas de blanchiment de fraude fiscale. La Cour de Cassation (Arrêt Talmon du 20 février 2008) a ouvert la voie à une intervention judiciaire autonome quand l'infraction de blanchiment de fraude fiscale est impliquée. En ce cas, la condition d'intervention initiale du ministre des finances cède.

b) TRACFIN devrait être saisi systématiquement par la DGFIP

La coordination entre les services fiscaux et Tracfin pose également problème au regard de la circulation de l'information des services fiscaux vers Tracfin.

D'après certaines informations de votre rapporteur, il semble en particulier que les données rassemblées dans le cadre de l'affaire HSBC n'aient pas été transmises à TRACFIN.

Cette observation pourrait paraître anodine dans la mesure où l'on pourrait considérer que le débouché naturel des données rassemblées par la DGFIP et transmises à Tracfin aurait été... la DGFIP elle-même. Pourtant, on ne peut que présumer une telle orientation.

Tracfin aurait aussi bien pu saisir le Parquet des informations mises à sa disposition. On rétorquera que celui-ci a, de fait, mis la main sur les données en question (après des acrobaties juridico-judiciaires rappelées par ailleurs). Mais cette circonstance ne pouvait être certaine au moment où le choix de ne pas signaler à Tracfin l'existence de soupçons sur les opérations retracées dans les « fichiers HSBC » a été adopté.

Au regard du faible nombre des cas d'application de l'article 40 du CPP à l'initiative de la DGFIP (interrogée sur ce point, la DNEF a indiqué réfléchir à une adaptation de ses pratiques sur ce point, admettant ne recourir à cette procédure qu'exceptionnellement), on ne peut écarter, en rappelant la volonté de conserver le monopole de l'initiative des poursuites judiciaires au ministre des finances, le sentiment que la voie choisie ait pu répondre à une forme de défiance contre une intervention plus autonome des services judiciaires qui aurait pu suivre d'une saisine de la cellule de renseignements. Peut-être celle-ci aurait-elle évité les délais pris par les services judiciaires pour traiter cette affaire.

Force est de constater que la voie empruntée a coupé court à l'éventualité que Tracfin suive sa propre « politique » de traitement des données rassemblées. Dans ce cadre, le recours à l'article 40 du CPP aurait vraisemblablement été nettement plus développé qu'il n'a été dans la mesure où il aurait été possible d'y recourir en isolant les délits non fiscaux commis dans cette affaire. On peut aller jusqu'à envisager que l'autorité judiciaire aurait alors dû « répondre » plus rapidement qu'elle ne l'a fait.

En toute hypothèse, il reste que la fonction centralisatrice de la cellule de renseignements a été négligée en cette criconstance, ce qui constitue une perte d'expérience pour elle et probablement au vu des données, une source d'affaiblissement de la réponse administrative à cette affaire.


* 37 En revanche, elle ne semble pas s'opposer à ce que le juge puisse exercer un droit de communication une fois ouverte une procédure judiciaire.

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