N° 90

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les dispositions du projet de loi
n° 71 (2013-2014)
garantissant l' avenir et la justice du système de retraite , dont la délégation a été saisie par la commission des affaires sociales,

Par Mme Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Corinne Bouchoux, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, Sophie Primas, Laurence Rossignol, Esther Sittler et Catherine Troendle.

INTRODUCTION

Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite affiche explicitement la volonté de renforcer les droits à la retraite des femmes et de limiter les inégalités entre hommes et femmes dans ce domaine. Cette dimension justifiait donc que la délégation aux droits des femmes soit saisie de ce texte par la commission des Affaires sociales.

Par-delà l'objectif de « consolidation » et de « pérennité financière dans la durée », le projet de loi vise à « rendre le système plus juste » : les mesures concernant les femmes s'inscrivent donc dans un ensemble plus large qui concerne aussi, par exemple, les jeunes.

L' intégration de la problématique spécifique des femmes dans le pilotage des retraites, que votre rapporteure tient à saluer, résulte d'une prise de conscience récente . Cette dimension n'avait en effet pas été systématiquement prise en compte lors des précédentes réformes des retraites en France.

On ne saurait toutefois attendre du texte en discussion qu'il résorbe à lui seul tous les facteurs d'inégalité entre les hommes et les femmes en matière de retraite . Ces inégalités sont en effet, comme le souligne Christiane Marty, chercheure à la Fondation Copernic, le « miroir grossissant des inégalités professionnelles » : salaires inférieurs, temps de travail affecté par les maternités et l'éducation des enfants, inhibition des femmes face à la prise de responsabilité en raison du poids de leur « double journée » et autres manifestations du fameux « plafond de verre », qui résulte à bien des égards d'un « plafond de mère »...

Lors de son audition par la commission des Affaires sociales le 16 octobre 2013, à laquelle avait été associée votre rapporteure, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a ainsi relevé que le projet de loi avait pour objectif, vis-à-vis de la retraite des femmes, sinon de corriger toutes les inégalités accumulées au cours de leur carrière, du moins de ne pas les amplifier.

On mesure la difficulté de l'exercice : chacun sait que les freins à la vie professionnelle des femmes, qui se traduisent pour elles par des pensions inférieures à celles des hommes, se rattachent à des problématiques très vastes et, plus particulièrement, à la politique d'accueil de la petite enfance - le manque de place de crèches est présent à tous les esprits -, à l'organisation du travail et à la difficile conciliation entre travail et la vie de famille - question qui devrait d'ailleurs concerner tout autant les pères que les mères...

Or, encourager le travail des femmes ne relève pas que d'une préoccupation égalitaire. Les progrès de l'égalité entre hommes et femmes au travail ont aussi une incidence en termes de développement économique : selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France gagnerait 0,5 point de croissance à l'échéance de 2030 si le taux d'activité des femmes y rejoignait celui des hommes.

Un autre point central de la problématique des retraites des femmes est l'importance des correctifs que constituent les droits familiaux et la réversion .

Le paradoxe de ces dispositifs pose problème : bien qu'ils aient pour effet d'atténuer le « manque-à-gagner » résultant pour les femmes de leurs responsabilités familiales et de limiter l'écart entre les pensions des femmes et celles des hommes , ces « droits dérivés » ont aussi pour conséquence d'encourager un partage des tâches traditionnel au sein de la famille et à cantonner les femmes dans un rôle d'un autre âge .

Dans le même esprit, il faut essayer de parvenir à un équilibre entre la compensation des conséquences inévitables de la maternité , qui suppose le maintien des droits familiaux et conjugaux à un niveau convenable, et la nécessité pour les femmes de s'assumer comme des « acteurs économiques à part entière » , ainsi que le rappelait Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation, lors de la réunion du 10 octobre 2013, ce qui exige un effort particulier en matière de droits propres .

Le projet de loi renvoie la réforme des droits familiaux et conjugaux à un texte ultérieur, mais il prévoit néanmoins la conduite prochaine d'une réflexion sur ce sujet.

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes suivra avec intérêt et attention ces travaux, de même que l'application de lois visant à assurer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, seule à même de permettre aux femmes la constitution de droits propres en vue de la retraite. S'agissant du présent projet de loi, elle formule onze recommandations relatives à la pénibilité des emplois féminins, au temps partiel, à une meilleure prise en compte de la spécificité des carrières féminines dans le calcul des droits et à la réflexion à venir sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux.

I. LES INÉGALITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES EN MATIÈRE DE RETRAITE

Le diagnostic est clair : les inégalités entre hommes et femmes au regard des retraites sont liées principalement à la combinaison des facteurs suivants :

- les femmes valident des durées d'assurance plus courtes. Ces écarts de durée tiennent aux interruptions de carrière et au temps partiel, qui caractérisent les parcours professionnels féminins ; ils seraient plus accusés encore sans l'apport des droits familiaux et conjugaux ;

- le montant des rémunérations féminines est généralement inférieur à celui des hommes, certes en raison d'une durée de travail inférieure mais aussi du fait du poids d'inégalités évidentes entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, qui s'accumulent tout au long de la carrière.

A. LE CONSTAT BIEN CONNU D'INÉGALITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES QUI SE MAINTIENDRONT À L'AVENIR

1. Les retraites des femmes en 2013 : état des lieux statistique

Les chiffres actuels accusent un net déséquilibre entre hommes et femmes, que les réformes récentes semblent avoir creusé, sans que les anticipations permettent d'envisager que ces écarts soient complètement comblés à l'avenir.

Ces inégalités sont connues. Elles concernent le montant des pensions, sensiblement inférieur pour les femmes (ce n'est qu'avec l'apport des droits familiaux et conjugaux que l'écart entre hommes et femmes se réduit) et l'âge du départ à la retraite ; l'une des manifestations les plus concrètes de ces inégalités est la surreprésentation des femmes parmi les bénéficiaires des dispositifs de compensation.

a) Des inégalités de pension sensibles

Comme l'ont rappelé les représentants du Conseil d'orientation des retraites(COR) lors de leur audition par la délégation, le 3 octobre 2013, les pensions des femmes ne représentaient en 2008, pour l'ensemble des retraités, que 53 % de celles des hommes, soit 879 € par mois pour les femmes, contre 1 657 € pour les hommes. En 2011, le rapport était de 58 % (932 € contre 1 603 €). La légère progression constatée au fil du temps ne permet cependant pas de conclure à une évolution favorable. Les pensions des femmes ne représentent donc, en droits propres, qu'à peine plus de la moitié de celles des hommes. Selon Les retraités et les retraites 1 ( * ) [Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)], la pension des hommes de droit direct reste en moyenne 1,7 fois plus élevée que celle des femmes.

Ces inégalités ne sont pas propres à la France. Selon une étude 2 ( * ) de l'OCDE, la France se situe au 19 ème rang de l'OCDE pour l'importance de l'écart entre hommes et femmes au regard du montant des pensions de retraite. Cet écart est moins important dans les pays suivants : Estonie, Hongrie, République tchèque, République slovaque, Irlande, Pologne, Islande, Finlande, Danemark, Espagne, Italie, Norvège, Suède, Belgique, Autriche, Slovénie, Luxembourg, Portugal. Les seuls pays où il est plus élevé sont les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Grèce et l'Allemagne.

Pour la France, cette différence entre hommes et femmes tient au fait que les femmes valident des durées d'assurance plus courtes . Pour les générations qui ont liquidé leur retraite en 2004 au régime général, la durée validée par les femmes est de 137 trimestres contre 157 trimestres pour les hommes ; les femmes totalisaient alors en moyenne 20 trimestres de moins que les hommes, soit un écart de 5 annuités. La différence semble se réduire progressivement (11 trimestres de moins en 2008), mais les durées de cotisation restent inférieures pour les femmes 3 ( * ) .

Ces écarts s'expliquent, au moins pour partie, par le temps de travail : interruptions d'activité liées à l'éducation des enfants et travail à temps partiel entraînent des carrières plus courtes et des rémunérations plus faibles. Votre rapporteure reviendra ultérieurement sur cette question.

b) Un écart réduit par les droits familiaux et conjugaux

Ce n'est qu'en prenant en compte les droits familiaux et conjugaux que l'écart entre les pensions des hommes et des femmes se réduit.

En intégrant droits familiaux et conjugaux, les pensions des femmes représentaient en 2008 72 % de celles des hommes (ce qui signifie que les écarts de pension demeurent de 28 % avec cet apport, ce qui est loin d'être satisfaisant).

Les droits familiaux représentent plus de 25 % de la pension des femmes nées entre 1934 et 1938 (la proportion est de 18 % pour les mères de deux enfants et de 34 % avec trois enfants). Leur apport est d'autant plus substantiel en proportion que les pensions sont de faible montant.

Avec les pensions de réversion (ou droits conjugaux), les pensions des femmes représentent 67 % de celles des hommes (le montant moyen est de 1 749 € par mois pour les hommes, de 1 165 € pour les femmes)

À la fin de 2010, 91 % des bénéficiaires de pensions de réversion étaient des femmes ; plus d'un million d'entre elles étaient dépourvues de droits propres , selon l'état des lieux établi par le COR en janvier 2013.

Les droits familiaux sont donc encore le « socle de la redistribution en faveur des femmes » 4 ( * ) .

c) Un âge moyen des femmes plus élevé que celui des hommes au moment du départ à la retraite

Les femmes se caractérisent, au moment du départ à la retraite, par un âge moyen plus élevé (60,7 ans) que celui des hommes (59,4 ans), soit une différence de 1,3 an.

Les femmes sont donc contraintes - pour compenser les années d'interruption d'activité souvent liées à l'éducation des enfants - de liquider leurs droits à un âge plus avancé que les hommes : selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), pour la génération née en 1943, 38 % des femmes et 15 % seulement des hommes n'ont pu liquider leurs droits qu'à 65 ans, pour des raisons liées à la durée requise pour bénéficier du taux plein.

d) Des femmes plus nombreuses parmi les bénéficiaires du minimum contributif ou garanti

Autre manifestation de ces inégalités : le minimum contributif (au régime général) ou garanti (dans la fonction publique) concerne une majorité de femmes.

En 2008, la proportion de femmes parmi les bénéficiaires de ce système était de 52,3 % (32,6 % d'hommes) ; à la fin de 2011, les 4,9 millions de retraités du régime général qui percevaient le minimum contributif sont à 70 % des femmes. En d'autres termes, 45 % des femmes voient leur pension portée au minimum contributif ou garanti, contre 15 % des hommes.

On remarque que les régimes complémentaires ne contribuent pas à réduire ces inégalités : la pension moyenne des femmes représente 40 % de celle des hommes pour l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), 57 % pour l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco). Ce déséquilibre s'explique en partie par l'absence de système comparable au minimum contributif et par la faiblesse relative des dispositifs de droits familiaux.

2. Un système qui désavantage structurellement les femmes
a) Des règles de calcul fondées sur le temps de travail et le niveau des salaires

Christiane Marty 5 ( * ) , chercheure à la Fondation Copernic, fait observer que « le système de retraite a été conçu il y a 70 ans sur le modèle de l'homme soutien de famille, travaillant à temps plein, sans interruption de carrière » . Cette norme de carrière complète ne serait donc adaptée ni à la carrière des femmes, « ni plus généralement à l'évolution actuelle qui voit se multiplier les périodes d'interruption du fait du chômage et de la précarité croissante de l'emploi » .

Le fait que les femmes totalisent des périodes de cotisations inférieures à celles des hommes et que leur retraite reflète des salaires moins élevés a justifié l'introduction, au fil du temps, des droits familiaux et conjugaux destinés à atténuer les écarts de pension entre hommes et femmes : droits familiaux, pension de réversion...

b) Un écart hommes-femmes creusé par les réformes récentes

CHRONOLOGIE DES RÉFORMES DES RETRAITES EN FRANCE

Ordonnance du 26 mars 1982 : fixation de l'âge de la retraite à taux plein à 60 ans pour les assurés ayant cotisé 150 trimestres.

Introduction, pendant les années 1980 , de dispositifs de départ anticipé destinés notamment à répondre à la montée du chômage : le nombre de préretraités est ainsi passé de 159 000 en 1979 à 705 000 en 1983.

Loi du 22 juillet 1993 (dite « loi Balladur »)

- Champ d'application : le régime général (salariés) et les trois régimes alignés (salariés agricoles, artisans, industriels et commerçants).

- Principales mesures :

. passage progressif de la durée de cotisation nécessaire à l'obtention d'une retraite à taux plein de 37,5 années à 40 années : pour toucher une retraite complète, il faut donc avoir cotisé 160 trimestres au lieu de 150 ;

. passage à un salaire moyen de référence servant de base pour le calcul de la pension calculé progressivement sur les 25 meilleures années et non plus les 10 meilleures ;

. revalorisation annuelle des pensions sur la base de l'indice des prix à la consommation et non plus selon l'évolution générale des salaires ;

. introduction d'une décote (baisse de la pension lorsque l'assuré prend sa retraite avant d'avoir la durée de cotisation requise) par année de cotisation manquante : la réduction de pension opérée est de 2,5 % par trimestre manquant (10 % par annuité) ;

. création d'un Fonds de solidarité vieillesse (FSV) devant financer les prestations non contributives destinées aux retraités qui n'auraient pas assez cotisé pendant leur carrière. Le FSV compense ainsi les contributions non payées par les personnes au chômage.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 : création du Fonds de réserve pour les retraites afin de constituer une réserve financière de 150 milliards d'euros à l'horizon 2020, de manière à anticiper le départ à la retraite de l'ensemble des générations du baby-boom. L'objectif était d'amortir les conséquences de ces nombreux départs et de lisser sur une longue période l'évolution des taux de cotisation du régime général et des régimes alignés.

Mise en place en avril 2000 du Conseil d'orientation des retraites (COR), constitué d'experts, de partenaires sociaux et de parlementaires pour élaborer chaque année un rapport officiel mettant en perspective l'évolution des retraites.

Loi du 21 août 2003 (dite « loi Fillon »)

- Champ d'application : l'ensemble des régimes de retraite, à l'exception des régimes spéciaux.

- Principales mesures :

. entre 2004 et 2008, alignement progressif de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé (de 37,5 ans à 40 ans) ;

. à partir de 2009, allongement progressif de la durée de cotisation pour tous afin d'atteindre 41 ans en 2012 ;

. aménagement de la décote (qui passe à 5 % au lieu de 10 % pour les années manquantes) et qui est plafonnée à 25 %. La décote permet par ailleurs d'obtenir une pension plus élevée en cas de départ retardé ;

. création d'un dispositif de départ anticipé pour les carrières longues : ce système permet à ceux qui ont commencé à travailler entre 14 et 16 ans et qui ont cotisé la durée requise pour leur génération de prendre leur retraite avant 60 ans ;

. création de deux nouveaux dispositifs d'épargne retraite : un produit d'épargne individuel, le Plan d'épargne retraite populaire (PERP), et un dispositif collectif, le Plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO) ;

. limitation du recours aux pré-retraites ;

. indexation des pensions des fonctionnaires sur les prix et non plus sur le point de la fonction publique.

R éforme des régimes spéciaux de 2007 (entrée en vigueur en 2008)

- Champ d'application :

. régimes des établissements publics à caractère industriel et commercial gérant un service public (EDF, GDF, SNCF, RATP, Banque de France, Opéra national de Paris, Comédie française) ;

. les professions à statut (clercs et employés de notaires).

Cette réforme prévoit un alignement progressif de la durée de cotisation, qui doit passer de 37,5 ans à 40 ans à l'échéance de 2012, l'instauration d'un mécanisme de décote et de surcote ainsi que l'indexation des pensions sur l'évolution des prix (et non plus sur celle des traitements des agents en activité).

Les bilans des réformes de 1993 et 2003 effectués par la Caisse nationale d'assurance vieillesse ne sont pas très positifs.

La réforme de 1993 s'est traduite par le versement de pensions moins élevées pour l'ensemble des retraités présents entre 1994 et 2003. Sa principale conséquence pour les salariés a été de faire baisser le taux de remplacement (ratio entre le total des pensions versées la première année de retraite et le dernier salaire annuel perçu).

La réforme de 2003 n'est pas parvenue à retarder l'âge du départ à la retraite : les mesures destinées à anticiper la liquidation des droits ont rencontré beaucoup de succès (plus de 500 000 personnes en ont bénéficié entre 2004 et 2008). Le taux d'emploi des seniors (55-64 ans) est donc resté faible et l'âge de liquidation des pensions pour les hommes est passé de 61,4 ans en 2003 à 60,7 ans en 2007.

Loi du 9 novembre 2010 prévoit :

- le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite, de manière à atteindre 62 ans en 2018 (cette évolution concerne tous les salariés, du public comme du privé ainsi que les régimes spéciaux, mais avec des calendriers de mise en oeuvre différents) ;

- le relèvement progressif, de 65 à 67 ans, de l'âge à partir duquel un assuré n'ayant pas la durée de cotisation requise est en droit de bénéficier d'une retraite à taux plein ;

- la modification du dispositif des « carrières longues » : les salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans peuvent partir à la retraite au plus tôt, sous réserve de totaliser la durée de cotisation requise pour leur génération, plus 2 ans ;

- maintien de l'âge légal de départ à 60 ans, sans décote, pour les salariés qui, du fait d'une situation d'usure professionnelle, ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % ;

- possibilité pour les jeunes en chômage non indemnisé de valider jusqu'à 6 trimestres (au lieu de 4) ;

- prise en compte de l'indemnité journalière perçue pendant le congé maternité dans le calcul du salaire de référence sur lequel sera calculée la pension de retraite ;

- instauration de nouvelles recettes financières, comme la hausse de la tranche la plus élevée de l'impôt sur le revenu (41 % au lieu de 40 %), l'augmentation des taxes sur les stock-options et les retraites-chapeaux, le relèvement des prélèvements forfaitaires sur les revenus du capital et des taxes sur les dividendes perçus par les actionnaires ;

- ponction annuelle des réserves du Fonds de réserve des retraites (2,1 milliards) au profit de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

La loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 (article 88) prévoit l'accélération de la réforme des retraites de 2010 : passage de 62 à 67 ans de l'âge légal de départ à la retraite et de l'âge d'obtention automatique de la retraite à taux plein dès 2017, au lieu de 2018.

Le décret du 2 juillet 2012 assouplit le dispositif « des carrières longues » organisé par la réforme de 2010 et renforce les mesures en faveur des assurés ayant connu des accidents de carrière :

- possibilité de liquider leurs droits plus tôt pour les personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans (18 ans auparavant) et qui totalisent la durée de cotisation requise pour leur génération (suppression de la condition de 2 années de cotisation supplémentaires) ;

- aux quatre trimestres de périodes assimilées liées au service national, à la maternité ou à la maladie déjà pris en compte s'ajoutent deux trimestres de périodes de chômage indemnisé et deux trimestres supplémentaires liés à la maternité.

En dépit des mesures destinées à accroître la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension de retraite à taux plein, la question du financement des régimes de retraite demeure au coeur de la problématique des réformes dans ce domaine.

« Les femmes ont en moyenne des carrières plus courtes que les hommes, et les deux réformes [de 1993 et de 2003] pénalisent davantage ce type de profil, par le biais de la hausse de la durée de proratisation et du passage des 10 au 25 meilleures années prises en compte pour le calcul du salaire de référence. Il s'agit là d'un décrochement des droits subi et non choisi. » 6 ( * )

En 1993 , l'instauration d'une décote pour le régime général (système étendu au secteur public en 2003), qui entre en compte quand la durée de carrière validée est inférieure à la durée exigée pour la retraite, a davantage pénalisé les femmes que les hommes. Rappelons que la décote représente un abattement de 5 % par année de cotisation manquante. Une personne ayant travaillé 38 ans alors que la durée exigée est de 41 ans subit, dans la logique de la décote, un abattement de 15 % qui s'ajoute au montant calculé au prorata de la durée validée.

Or, la décote est plus importante pour les femmes (12 trimestres, correspondant à trois ans en moyenne) que pour les hommes (9 trimestres, correspondant à 2,25 ans). Ce point est souligné dans Les retraités et leur retraite 7 ( * ) , qui montre que 9 % des femmes (6 % des hommes) parmi les personnes parties à la retraite en 2008 subissent une décote liée à l'insuffisance des trimestres validés : « Les femmes liquident aussi plus souvent que les hommes une pension avec le maximum de décote » .

Comme le fait observer Christiane Marty 8 ( * ) , « toute augmentation de la durée de cotisation signifie donc que beaucoup plus de femmes que d'hommes devront, soit prendre leur retraite à un âge plus tardif (avec les difficultés notoires d'emploi des seniors), soit subir une décote plus forte, puisqu'elles seront en moyenne plus loin que les hommes de la durée exigées » .

L'allongement de la durée de cotisation , entré en vigueur depuis 2003 , pénalise évidemment les femmes qui ont eu une carrière plus courte que les hommes. Christiane Marty relève ainsi que les femmes qui sont parties à la retraite en 2008 ont validé une carrière plus courte de 2,75 ans que celle des hommes ; elles n'étaient que 60 % à valider une carrière complète (la proportion pour les hommes était alors de 77 %). Les femmes qui n'ont pas validé suffisamment d'années peuvent partir à la retraite avant l'âge légal, mais en subissant une décote qui réduit le montant de leur pension.

Dans la même logique, le recul en 2010 du taux plein de 65 à 67 ans a davantage affecté les femmes que les hommes.

Le système de la surcote , qui permet d'augmenter le niveau de la pension quand la durée de cotisation dépasse celle qui est requise pour le taux plein, profite à 58 % aux hommes alors qu'ils représentent la moitié des départs en retraite.

En 1993 , le passage des 10 aux 25 meilleures années de carrière dans le secteur privé pour déterminer le salaire de référence pris en compte dans le calcul de la pension a pénalisé les carrières courtes , majoritairement féminines. Cette formule oblige à se référer plus systématiquement aux années de début de carrière, assorties d'un plus faible salaire, ou aux années à temps partiel : « Le passage aux 25 meilleures années a pour conséquence une baisse immédiate de la pension au moment du départ à la retraite, baisse d'autant plus importante que la retraite est courte » 9 ( * ) .

Ce point est souligné par les associations qui défendent les droits des femmes : ainsi Femmes-Égalité considère-t-elle l'allongement de la durée de cotisation comme une « double peine » qui s'ajoute aux difficultés de la vie des 60-65 ans.

Le Défenseur des droits préconise ainsi, comme l'ont rappelé lors de leur entretien avec votre rapporteure M. Jamel Oubéchou, directeur du département de la promotion des droits et de l'égalité et Mme Sarah Bénichou, chargée de mission égalité femmes-hommes auprès du Défenseur des droits, de s'appuyer non pas sur les 25 meilleures années , pour le calcul des droits à la retraite, mais sur les 100 meilleurs trimestres : cette durée équivalente présenterait l'avantage d'assurer l'équité entre les personnes qui ont connu des interruptions de leur parcours professionnel. Une telle disposition paraîtrait adaptée au cas des interruptions pour des raisons liées à l'accueil d'un enfant.

L'indexation des salaires pris en compte pour le calcul de la pension sur les prix et non plus sur les salaires a également eu pour conséquence de faire baisser le montant des pensions, puisque les salaires, sur la longue période, augmentent plus vite que l'inflation. En conséquence, le taux de remplacement (montant de la première pension rapporté au dernier salaire) baisse substantiellement. L'évolution des pensions ne suit donc plus celle des salaires et l'écart de niveau de vie entre actifs et retraités se creuse.

Enfin, les dispositifs pour carrières longues bénéficient surtout aux hommes et accroissent les écarts entre hommes et femmes. Sur les 625 000 personnes qui en ont bénéficié entre 2004 et 2010, 79 % étaient des hommes.

c) Un paradoxe : les droits familiaux et conjugaux bénéficient aux hommes

L'extension aux hommes de certains droits familiaux, au gré des jurisprudences européennes inspirées par le souci de l'égalité entre les sexes, a contribué à accuser le différentiel des retraites entre hommes et femmes.

En 2003, la majoration de durée d'assurance (MDA) attribuée dans la fonction publique a été divisée par deux pour les enfants nés après 2004 : la MDA d'un an a été remplacée par une validation de 6 mois par enfant. Pour les enfants nés avant 2004, le maintien du bénéfice de la MDA a été subordonné au fait que la naissance ait eu lieu alors que la mère était déjà fonctionnaire. Ainsi que le relève Christiane Marty, « avec cette règle, de nombreuses femmes ont perdu beaucoup de droits. [...] Dans les trois ans qui ont suivi, le nombre moyen de trimestres validés au titre de la MDA avait déjà baissé de 8,7 à 7,9 trimestres » .

Quant au partage d'une part de la MDA entre les deux parents, si elle répond à des exigences jurisprudentielles et à un souci de prendre en compte le cas de pères très impliqués dans l'éducation de leurs enfants, n'en a pas moins eu pour effet de priver les mères de famille d'un an de durée d'assurance dans l'hypothèse d'un partage égal des huit trimestres entre les deux parents.

Le cas de la bonification de 10 % pour trois enfants et plus est particulièrement éclairant. Calculée au prorata de la pension, elle bénéficie davantage aux pères, souvent titulaires de pensions plus élevées, alors que les carrières des pères sont moins pénalisées que celles des mères.

De même, les statistiques montrent que le niveau de vie des veufs est, du fait de la réversion cumulée à leur retraite propre, plus élevé que celui des veuves. Alors que les pensions de réversion assurent en moyenne aux veuves « quasiment le maintien du niveau de vie du couple antérieur » , pour les veufs elles permettent d'atteindre un niveau de vie supérieur 10 ( * ) . Le niveau de vie moyen des veufs de 65 ans et plus s'élèverait ainsi à 2 084 € par mois (chiffres 2009), celui des veuves à 1 597 € (le montant moyen mensuel des retraites des veufs est de 1 749 € par mois, de 1 165 € pour les veuves).

Le constat est donc paradoxal : les droits familiaux et conjugaux, mis en place pour rééquilibrer les pensions des femmes ont eu pour effet, une fois étendus aux hommes pour des raisons d'égalité, de creuser encore les inégalités entre hommes et femmes en France en matière de retraite.

LES DROITS FAMILIAUX ET CONJUGAUX

Pour de nombreuses femmes retraitées, les droits à retraite acquis en tant que mères de famille ou d'épouse constituent un complément indispensable aux droits acquis à titre individuel (ou droits propres), dont le montant est très souvent insuffisant.

A. Quatre types de droits familiaux

1. La majoration de durée d'assurance (MDA)

La majoration de durée d'assurance est prévue par les principaux régimes de base pour chaque enfant élevé. Les régimes complémentaires n'en prévoient pas.

La MDA permet de valider jusqu'à deux années (huit trimestres) par enfant élevé.

Dans la fonction publique, la MDA, longtemps réservée aux mères, a été réformée en 2003 pour respecter l'égalité entre hommes et femmes : une majoration de quatre trimestres sur les huit que prévoit la MDA peut être attribuée au parent qui justifie d'une interruption d'activité de deux mois au moins (cette condition a été étendue à quatre mois en 2011).

Pour les départs en retraite survenant depuis le 1 er avril 2010, la MDA est divisée entre une majoration « maternité », réservée à la mère, et une majoration « d'éducation » répartie entre les parents au choix du couple (faute de décision prise dans les quatre années suivant la naissance ou l'adoption, cette majoration est attribuée à la mère).

Cette modification a été introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 qui a modifié l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale pour tirer les conséquences d'évolutions jurisprudentielles favorables aux droits des pères. Pour les enfants nés ou adoptés avant le 1 er janvier 2010, le père ne peut bénéficier de cette extension de la MDA que s'il justifie avoir élevé seul l'enfant pendant une période d'une ou plusieurs années jusqu'aux quatre ans de celui-ci. Cette MDA ne peut par ailleurs se cumuler avec la MDA du congé parental qui peut donner lieu à la prise en compte de trois années d'assurance.

2. L'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF)

Ce dispositif, créé en 1972, permet à des personnes qui interrompent ou réduisent leur activité pour s'occuper de leurs enfants de se constituer des droits à retraite au régime général. Il a été étendu à des situations autres que celles strictement liées à l'accueil de jeunes enfants, notamment aux aidants familiaux. Cette prestation est ouverte sous conditions de ressources ; elle permet de valider des trimestres au SMIC.

L'AVPF est depuis 1979 ouverte aux pères, dont les conditions d'affiliation sont devenues identiques à celles des mères en 1985.

3. La majoration de pension pour trois enfants et plus

Prévue par la quasi-totalité des principaux régimes de base et des régimes complémentaires, cette majoration, désormais ouverte aux pères, s'applique aux pensions de droits propres et aux pensions de réversion. Elle représente 10 % de la pension dans les régimes du secteur privé pour trois enfants ou plus. Dans les régimes spéciaux (y compris la fonction publique) et à l'IRCANTEC, la majoration est de 10 % pour le troisième enfant ; s'y ajoutent 5 % par enfant supplémentaire. Elle est donc de 15 % pour les parents de quatre enfants.

La fiscalisation de la majoration est prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.

4. Le départ anticipé pour raison familiale

En voie d'extinction depuis 2011, ce système permet aux agents ayant eu au moins trois enfants de liquider leurs droits après 15 années de service. Ce système est prévu par les régimes spéciaux, dont ceux des fonctionnaires, à l'exception de celui des mineurs et des marins.

Ce dispositif est désormais réservé aux agents ayant réuni les conditions d'attribution avant 2012 dans la fonction publique. Il a toutefois été étendu aux parents réduisant leur activité dans certaines conditions.

B. La réversion

Tous les régimes de retraite français prévoient un dispositif de réversion pour le conjoint survivant, même si les règles d'attribution (âge minimum, ancienneté du mariage, non-remariage...) et de calcul (taux de réversion, proratisation en cas de divorce) varient substantiellement en fonction des régimes.

Dans la fonction publique et la plupart des régimes spéciaux, la réversion correspond à 50 % de la retraite de la personne décédée, sans condition d'âge ni de ressource, à condition que le conjoint survivant ne vive pas en couple. Dans le secteur privé, le taux est, pour les régimes de base, de 54 % sous conditions de ressources et d'âge (le minimum est de 55 ans). Dans les régimes complémentaires, le taux est de 60 % sans conditions de ressources, et le versement est soumis au non-remariage du conjoint survivant.

Depuis le 1 er janvier 2010, la réversion est majorée (son taux passe de 54 % à 60 %) dans les régimes de base de salariés et de non-salariés pour les conjoints survivants dont le total des pensions (droits propres et réversion) n'excède pas un montant fixé à 840 € par mois en 2012. Cette majoration concernait, à la fin de 2011, 228 500 personnes, ce qui représente environ 10 % des bénéficiaires.

3. Des inégalités qui persisteront à l'avenir

Comme l'a souligné le COR lors de son audition par la délégation, le 3 octobre 2013, on ne peut attendre de résorption spontanée du différentiel entre hommes et femmes au regard des retraites à l'échéance des trente à quarante prochaines années , malgré la progression régulière de l'activité féminine. Cette évolution s'explique par le maintien de différences sensibles en matière de temps de travail, qui demeure encore affecté pour les jeunes femmes par l'incidence de la maternité.

Les droits familiaux et conjugaux, qui sont censés compenser les particularités des carrières féminines liées aux contraintes familiales, ne jouent plus pleinement ce rôle de correctif entre hommes et femmes en raison des mutations de la famille.

Ce constat impose une réflexion sur l'avenir des droits familiaux et un effort systématique en faveur des droits propre des femmes.

a) Vers un rapprochement des durées d'assurance des hommes et des femmes

Si l'âge moyen de liquidation des femmes est actuellement supérieur à celui des hommes, car elles doivent attendre l'âge du taux plein pour liquider leur pension, « cet écart s'est réduit au cours des dernières années compte tenu de la progression de l'activité féminine. L'écart au régime général était ainsi de 1 an en 2003 (62,4 ans pour les femmes et 61,4 pour les hommes) et il n'est plus que de 0,4 an en 2009 (61,8 ans pour les femmes contre 61,4 ans pour les hommes) » 11 ( * ) .

b) La persistance des interruptions et réductions d'activité liées aux naissances

On observe néanmoins, depuis le milieu des années 1990, une tendance au tassement de l'accroissement régulier du taux d'activité des femmes jusqu'alors observé.

Ceci s'explique par le fait que, si le maintien des femmes « au foyer » est devenu plus rare qu'il ne l'était pour les générations aujourd'hui à la retraite, les interruptions d'activité demeurent fréquentes aujourd'hui pour les jeunes femmes. Ainsi que l'a relevé le COR lors de son audition par la délégation, le 3 octobre 2013, 38 % des femmes ne travaillent pas après un premier enfant, 50 % après une deuxième naissance et 69 % après un troisième enfant ; ces interruptions, qui restent dans de nombreux cas temporaires, se caractérisent aujourd'hui par une durée plus courte qu'elle ne l'était par le passé (les jeunes femmes interrompent leur activité pendant environ trois ans).

Cette moindre participation des femmes au marché du travail au moment des naissances semble d'ailleurs commune à la plupart des pays européens.

Selon les dernières projections de population active de l'INSEE, les taux d'activité de femmes de plus de 45 ans devraient progressivement rejoindre ceux des hommes. En revanche ceux des femmes de moins de 45 ans devraient se stabiliser à un niveau inférieur de 10 à 15 points en-deçà de ceux des hommes 12 ( * ) . En 2060, le taux d'activité de femmes de moins de 49 ans restera inférieur à celui des hommes.

Carole Bonnet, économiste à l'INED, a confirmé lors de son entretien avec votre rapporteure, le 9 octobre 2013, que les projections dans ce domaine semblent attester le maintien d'un écart de 20 % environ entre les retraites de femmes et des hommes devrait perdurer en projection, en raison principalement du maintien de disparités entre hommes et femmes sur le marché du travail.

c) Les droits familiaux et conjugaux à l'épreuve des mutations de la famille

Ainsi que l'ont souligné les représentants du COR lors de leur audition par la délégation, le 3 octobre 2013, la situation des femmes retraitées ne peut s'appréhender sans intégrer les droits familiaux et conjugaux. La réversion notamment contribue à assurer aux femmes retraitées un niveau de vie comparable à leur situation antérieure à la liquidation de leurs droits.

Pourtant, les évolutions démographiques et sociologiques de la population retraitée conduisent à s'interroger sur la pertinence d'un modèle qui peut sembler désormais dépassé.

En effet, la prédominance du couple marié et stable, sur lequel avait à l'origine été fondé le système des retraites - et notamment la réversion - est désormais en déclin.

Ainsi le nombre des divorcées, qui augmente actuellement, sera-t-il plus important encore pour les générations qui arriveront à l'âge de la retraite au cours des prochaines décennies. Le montant de la pension de réversion dépendra, pour ces femmes, de la durée de leur mariage et de l'éventuel remariage de leur ex-conjoint. Par ailleurs, en cas de divorce, de nombreuses années peuvent s'écouler entre la séparation et le décès de l'ex-conjoint.

Dans la même logique, une proportion croissante de femmes qui n'ont jamais été mariées arrivera à l'âge de la retraite. L'incidence correctrice de la réversion pour elles sera par définition nulle.

L'accroissement du nombre de familles monoparentales, qui concerne essentiellement les femmes, remet par ailleurs en cause une organisation familiale traditionnelle centrée autour de l'homme, principal apporteur des ressources du ménage.

Compte tenu de ces évolutions prévisibles de la population retraitée, il importe de repenser la place des droits familiaux et conjugaux dans le système de retraites.

Cette question pose aussi celle des droits propres, indissociable de toute réflexion sur l'avenir des femmes seules (divorcées, séparées ou célibataires).

Les voix ne manquent pas pour préconiser un renforcement des droits propres des femmes de préférence à l'aménagement des droits dérivés que sont la réversion et les droits familiaux. C'est en particulier le cas du Laboratoire de l'Égalité, auditionné par votre délégation le 10 octobre 2013. Les représentants de cette association ont fait observer, à titre d'exemple, qu'en bénéficiant davantage aux hommes, la majoration de 10 % pour trois enfants et plus pouvait entretenir la dépendance des femmes, la revalorisation des droits propres étant selon eux indispensable pour assurer aux futures retraitées un niveau de vie convenable. On ne peut que souscrire à cette analyse.

Les représentantes de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC), auditionnées le même jour, ont pour leur part souligné la faiblesse du montant de la pension de réversion et relevé l'incidence défavorable de la suppression de la demi-part fiscale sur les revenus des conjoints survivants.

Ainsi que l'ont noté les représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) lors de leur audition par la délégation le 3 octobre 2013, les droits familiaux ont vieilli et ne sont plus tout-à-fait adaptés aux objectifs pour lesquels ils avaient été instaurés, même si ces objectifs restent sur le fond valables.

Parmi les hypothèses envisagées par les spécialistes pour l'évolution des droits familiaux et conjugaux, on peut citer :

- à propos des pensions de réversion : le financement obligatoire, au niveau du couple, d'un « risque veuvage » avec sur-cotisation des deux assurés 13 ( * ) ;

- concernant la compensation des aléas de carrière liés à la maternité : la transformation de l'actuelle majoration pour trois enfants et plus 14 ( * ) en une prestation forfaitaire (sa fiscalisation est par ailleurs prévue par le projet de loi de finances pour 2014) ;

- l' extension de cette prestation dès le premier enfant : Cette formule a pourtant été jugée contestable par l'UNAF qui estime nécessaire une compensation au moment de la retraite, du décalage du niveau de vie entre les familles nombreuses et les autres ;

- le partage des droits entre les deux parents en cas de divorce , afin de neutraliser la répartition dissymétrique des choix d'activité pendant la vie de couple 15 ( * ) : « le financement du risque divorce serait surtout assuré au sein du couple par le conjoint ayant le revenu le plus élevé (en général l'homme) » . Les représentants du COR ont néanmoins estimé cette formule difficile à mettre en place en France compte tenu, notamment de la diversité des régimes ;

- la proratisation de la pension de réversion en fonction de la durée du mariage 16 ( * ) ;

- la transformation de la MDA en revalorisation du montant de la pension : cette suggestion du COR part du principe que les femmes nées après 1960 devraient avoir une durée de cotisation quasiment équivalente à celle des hommes. L'idée serait donc de compenser par le niveau de pensions et non par la durée de cotisation les écarts de revenus imputables à la maternité. Or il apparaît à votre rapporteure que pour de nombreuses femmes, la priorité en fin de carrière soit de pouvoir liquider leurs droits plus tôt : le temps importe au moins autant que les revenus. Il semble donc nécessaire de maintenir un équilibre prestations/allocations et dispositions permettant de partir à la retraite plus tôt.

Par ailleurs, la réforme des droits conjugaux et familiaux doit être abordée de manière à ne pas renforcer un partage traditionnel des tâches au sein de la famille qui confine les femmes dans leur rôle de mère et d'épouse, les cantonne dans la sphère domestique et ne semble pas de nature à favoriser l'émancipation féminine . Dans cette logique, soutenue par exemple par M. Nicolas Castel, sociologue, maître de conférences à l'Université de Lorraine, c'est évidemment par le biais de la revalorisation des droits propres qu'il convient d'agir, par exemple en assurant une meilleure continuité entre le dernier salaire et le montant de la pension, et en mettant fin à l'indexation des retraites sur les salaires pour revenir à leur indexation sur les prix.

De telles propositions semblent toutefois, selon votre rapporteure, se heurter aux réalités financières dans lesquelles s'inscrit le présent projet de loi.


* 1 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), Les retraités et les retraites , avril 2013.

* 2 OCDE, Inégalités hommes-femmes : il est temps d'agir , 2012.

* 3 Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez, Les inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France, Regards sur la parité, édition 2012.

* 4 Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez, Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux ? , Population-F, 67 (1), 2012, 133-158.

* 5 Christiane Marty, Femmes et retraites : saison 2013 , Fondation Copernic.

* 6 Carole Bonnet, Sophie Buffeteau et Pascal Godefroy « Disparités de retraite entre hommes et femmes : quelles évolutions au fil des générations ? » , Économie et statistique, n° 398-399, 2006.

* 7 Étude DREES précitée.

* 8 Christiane Marty, Allonger la durée de cotisation serait discriminatoire envers les femmes et les jeunes , Le Monde , 12 mai 2010.

* 9 Christiane Marty, Le Monde, op.cit.

* 10 Carole Bonnet, Jean-Michel Hourriez, « Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux ? » , Population-femmes, 67 (1), 2012, op. cit.

* 11 Carole Bonnet, Jean-Michel Hourriez, « Les inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France » , Regards sur la parité, édition 2012, op. cit.

* 12 Carole Bonnet, Jean-Michel Hourriez, « Les inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France » , Regards sur la parité, édition 2012, op. cit.

* 13 Proposition de Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez dans « Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux » , op cit.

* 14 Cette hypothèse a été défendue par l'UNAF le 3 octobre 2013 sur la base d'un montant de 122 € par parent, soit 244 € pour un couple.

* 15 Formule évoquée par Carole Bonnet et Jean-Michel Hourriez dans « Égalité entre hommes et femmes à la retraite : quels rôles pour les droits familiaux et conjugaux » , op cit.

* 16 Cette formule a été évoquée par le COR lors de son audition par la délégation le 3 octobre 2013.

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