C. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

1. Sur la priorité qui doit s'attacher à l'égalité professionnelle entre hommes et femmes pour assurer la constitution de droits propres par les femmes

Les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite résultent des inégalités entre hommes et femmes au travail. Celles-ci s'accumulent au cours de la carrière et ne sont pas favorables à la constitution de droits propres.

Or l'objectif doit être, en matière de retraite, d'encourager la constitution de droits propres par les femmes.

Les lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes jouent à cet égard un rôle important, de même que la revalorisation des emplois féminins. À cet égard, il est nécessaire, comme l'a précédemment fait valoir la délégation dans le cadre de son rapport d'information précité Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation (2012-2013, n° 279), que de nouvelles grilles de classification professionnelle interviennent pour que soit établie une nouvelle hiérarchie des emplois qui ne soit pas discriminante pour les femmes.

La délégation réaffirme la priorité qui doit s'attacher aux droits propres des femmes. Dans cette perspective, elle sera vigilante à l'application des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et appelle les partenaires sociaux à engager une refonte des grilles de classification professionnelle dans la perspective d'une nouvelle hiérarchisation des emplois non discriminante au regard de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

2. Sur la pénibilité

Le projet de loi ne prévoit aucune mesure qui prenne en compte la spécificité des professions féminines en matière de pénibilité.

L'article 5 bis , qui prévoit le dépôt d'un rapport, à l'échéance de 2020, sur « l'évolution des conditions de pénibilité auxquelles les salariés sont exposés » , réaffirme le principe d'une « concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau syndical et interprofessionnel » aux fins d'une « éventuelle négociation » sur tout projet d'actualisation du décret définissant les critères de pénibilité. Il serait souhaitable que le rapport prévu à cet article intègre systématiquement la dimension de la pénibilité au féminin.

Or, il semble que cette concertation avec les partenaires sociaux n'ait pas, à ce jour, conduit à une véritable prise en compte de la pénibilité que subissent les femmes au travail. On ne dispose d'ailleurs pas sur ce plan de statistiques précises concernant la pénibilité subie par les femmes. Une étude établissant un bilan des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes devrait également être établie.

Par ailleurs, les dispositions du projet de loi relatives à la pénibilité ne prennent pas en compte cette pénibilité particulière qui résulte d'une organisation du travail fondée sur des horaires fractionnés et sur une amplitude horaire quotidienne disproportionnée par rapport au temps effectivement travaillé.

La délégation propose donc :

1.- que soit assimilées à un facteur de pénibilité, au regard du code du travail, les conditions de travail impliquant pour les salarié-e-s des horaires fractionnés avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport à leur temps de travail effectif.

Les personnes subissant ce type d'organisation du travail auraient ainsi vocation à bénéficier des nouvelles mesures prévues par le projet de loi pour les travailleurs exposés à la pénibilité : accumulation de points permettant au choix de liquider leurs droits plus tôt ou de se former à des professions non exposées.

À partir de quelle amplitude horaire quotidienne ces personnes seraient-elles réputées exposées à un facteur de pénibilité ? On peut envisager un rapport du simple au double entre l'amplitude horaire quotidienne et le temps effectivement rémunéré. Ainsi une personne qui travaillerait 5 heures par jour, par exemple de 7 h 30 à 10 h 30 puis de 16 h 30 à 18 h 30, et qui connaîtrait une amplitude horaire de 11 heures, soit plus du double du temps de travail effectué, devrait être réputée exposée à un facteur de pénibilité ;

2.- que soit élaboré, en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de statistiques précises de pénibilité sur la base d'une différenciation par sexe et que soit établi un bilan de l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes ;

3.- que, en cas de négociation sur une actualisation des facteurs de pénibilité définis par l'article D. 4121-5 du code du travail, les organisations syndicales assurent une représentation équilibrée des hommes et des femmes.

3. Sur le temps partiel

Les femmes représentent 80 % des actifs à temps partiel. Cette formule est parfois privilégiée pour concilier vie familiale et vie professionnelle ; ce choix peut aussi d'ailleurs être contraint par des raisons liées à l'insuffisance ou au coût des solutions d'accueil de la petite enfance.

Or les jeunes femmes qui demandent à bénéficier d'un temps partiel ne semblent pas toujours prendre pleinement en considération le fait que cette organisation, qui leur permettra certes de davantage prendre en charge leurs enfants, aura pour effet un salaire partiel et, partant, une retraite partielle ...

Certes, il est naturel que l'échéance de la retraite leur semble trop éloignée pour qu'elles en fassent un sujet de préoccupation.

Il est toutefois indispensable que les personnes qui demandent à bénéficier d'un temps partiel soient systématiquement informées des conséquences de ce choix sur leur future retraite.

Cette information n'aurait pas à évaluer très précisément le manque à gagner attendu sur leur pension future, mais à sensibiliser les intéressés au fait que leur choix pourra avoir sur leur retraite des conséquences dont ils méconnaissent la portée. Cette information doit passer par les responsables des ressources humaines ; le relevé de situation individuelle pourrait aussi en être le support. Dans ce cas, l'âge au premier relevé (35 ans) devrait probablement être avancé.

La délégation souhaite donc que les salarié-e-s demandant à travailler à temps partiel soient informé-e-s des conséquences de leur choix sur leur future retraite. Elle demande que cette information devienne obligatoire pour les responsables des ressources humaines, tant dans les fonctions publiques que dans le secteur privé. Elle appelle à une information systématique sur les conséquences du temps partiel en matière de retraite dans les relevés de situation individuelle et à l'aménagement de l'âge de l'envoi du premier relevé, si nécessaire, pour intégrer cette information.

Le temps partiel peut aussi être subi et assorti d'horaires atypiques et fractionnés.

Cette organisation du travail a des conséquences très négatives sur la vie quotidienne des travailleurs concernés, qui sont pour une grande part des femmes. Cette formule concerne notamment le secteur de la grande distribution et les prestations de nettoyage .

Dans ce dernier cas, dans de nombreuses d'entreprises et d'administrations, les personnels d'entretien sont contraints de travailler à des horaires atypiques (très tôt dans la matinée ou très tard le soir), quand les bureaux sont vides. Pourtant, dans bien des situations, le nettoyage pourrait probablement se faire à des heures de travail normales, sans conséquences excessives pour l'organisation du service. Certaines entreprises du secteur privé et certaines administrations et collectivité territoriales ont d'ailleurs déjà intégré cette dimension.

Il est important que sur ce point, l'administration soit exemplaire et que les marchés publics prennent en compte cette dimension dans leurs cahiers des charges.

La délégation souhaite que les donneurs d'ordre publics soient incités, dans leur cahier des charges lors de la passation de marchés publics, à inclure des critères sociaux permettant d'éviter les horaires atypiques ou fractionnés et les temps partiels à amplitude horaire quotidienne excessive.

Par ailleurs, il importe, comme la délégation l'a souligné dans un précédent rapport d'information 46 ( * ) , de « décourager les employeurs qui souhaitent recourir de façon trop systématique » aux contrats de travail à temps partiel.

La délégation réaffirme donc la nécessité de décourager le recours excessif au temps partiel en prévoyant une majoration des cotisations sociales patronales dans les entreprises de plus de vingt salarié-e-s dont le nombre de salarié-e-s à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salarié-e-s dans l'entreprise.

4. Sur la prise en compte, dans le calcul des droits, des carrières courtes

Comme votre rapporteure l'a rappelé plus haut, le passage aux 25 meilleures années - dans le secteur privé - pour déterminer le salaire de référence pris en compte dans le calcul de la pension a pénalisé les carrières courtes , majoritairement féminines.

La délégation aux droits des femmes de l'Assemble nationale préconise de fixer le nombre d'années prises en compte dans ce calcul « en fonction du nombre d'années de carrières concrètement réalisées en pratiquant une proratisation » par rapport à une carrière complète.

Par exemple, si pour une durée de cotisation de 40 ans sont retenues les 25 meilleures années, on pourrait appliquer la même proportion à une carrière de 20 ans, cas auquel il conviendrait de se référer aux 13 meilleures années.

Une autre formule est proposée par le Défenseur des droits. Elle consisterait à se référer non pas aux 25 meilleures années , pour le calcul des droits à la retraite, mais aux 100 meilleurs trimestres , soit une durée équivalente.

Il serait intéressant de faire établir une étude des conséquences de ces deux modes de calcul.

La délégation rappelle la nécessité de mettre en oeuvre un système qui ne pénalise plus les carrières courtes dans le calcul du salaire moyen servant de référence pour la détermination du montant des retraites.

À cet effet, elle demande qu'il soit procédé à une étude permettant d'évaluer les conséquences, sur la détermination du salaire de référence, pour les salarié-e-s ayant connu des périodes d'interruption de carrière :

- du passage aux 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années ;

- de la proratisation de la période de travail prise en compte par rapport à la durée totale d'activité professionnelle.

5. Sur l'évolution des droits conjugaux et familiaux

Interrogée par votre rapporteure sur la date d'entrée en vigueur de la réforme qui résultera des travaux de réflexion prévus par les articles 13 et 13 bis , Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a estimé, lors de son audition du 16 octobre 2013 par la commission des affaires sociales, que cette date devait assurer une certaine prévisibilité à ceux qui doivent prochainement partir en retraite, ce qui excluait une entrée en vigueur trop rapide.

Les réformes auxquelles conduiront les rapports prévus aux articles 13 et 13 bis du projet de loi, relatifs aux droits familiaux et conjugaux, ne devraient donc pas être destinées à une entrée en vigueur immédiate.

Différentes orientations peuvent être suggérées d'ores et déjà par la délégation au sujet de l'avenir des droits familiaux et conjugaux, qui permettent de corriger l'insuffisance des droits propres des femmes, droits propres dont l'augmentation doit demeurer l'objectif prioritaire.

Selon les scénarios envisagés, ces orientations ne sont pas nécessairement toutes compatibles entre elles ; il s'agit à ce stade de pistes de réflexion.

1.- La délégation souhaite que les réflexions prévues par le projet de loi sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux prennent en considération la nécessité d'éviter absolument d'encourager l'interruption ou le ralentissement d'activité professionnelle des femmes et proscrivent tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Si les droits familiaux et conjugaux contribuent à atténuer et à compenser les écarts de pension entre les hommes et les femmes, la délégation estime en revanche que la priorité doit être donnée aux droits propres.

La délégation estime que la transformation de l'actuelle majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant est une piste à envisager.

2.- La délégation est favorable au fait que les droits familiaux soient centrés sur la maternité afin d'éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser l'incidence de la maternité sur la vie professionnelle et la retraite des femmes.

Dans cette logique, elle estime que l'économie qui pourrait être réalisée du fait de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères devrait être consacrée à l'amélioration des compensations versées aux femmes, voire au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si en revanche la majoration de 10 % était maintenue, y compris au bénéfice des pères, elle souhaite que son effet inégalitaire soit neutralisé par l'attribution de la totalité de cette prestation au parent qui n'atteindrait pas le taux plein en raison d'une carrière courte.

L'objectif est de mutualiser au niveau du couple les conséquences, en matière de retraite, des interruptions de travail subies par l'un des parents, en partant du principe que, dans un couple, celui qui atteint le taux plein est redevable à celui qui a interrompu son activité professionnelle pour consacrer du temps à l'organisation familiale.

3.- Dans la redéfinition des droits familiaux, la délégation juge souhaitable de trouver un équilibre entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés permettant de partir à la retraite plus tôt.


* 46 « Sécurisation de l'emploi : sécuriser aussi l'emploi des femmes », rapport d'information de Catherine Génisson, sénatrice, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, sur les dispositions du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi (n° 490, 2012-2013), 10 avril 2013.

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