C. LA DÉPENSE D'INVESTISSEMENT COMME LEVIER DE DÉVELOPPEMENT : LA MISE EN oeUVRE VOLONTARISTE DU CRITÈRE ENVIRONNEMENTAL ET SOCIAL

L'investissement public est depuis longtemps en France l'un des principaux moteurs du développement. Par ce levier, l'Etat est en capacité de jouer son rôle d'entraînement et d'impulsion en faveur du dynamisme économique national . Réfléchir à la politique d'investissement en sécurité intérieure, c'est donc aussi se poser la question du bénéfice retiré par notre économie de cet effort financier massif. Financée par l'impôt, la dépense d'investissement donne-t-elle lieu à un juste retour pour les entreprises et les salariés produisant dans notre pays ?

A cet égard, l'attribution de marchés emblématiques (véhicules notamment) de la police et de la gendarmerie a pu provoquer il y a quelques mois un certain émoi au sein de l'opinion publique. Seule une volonté politique forte et courageuse permettra d'apporter une réponse claire à cette problématique majeure. Elle doit notamment s'appuyer sur une approche repensée et modernisée des marchés publics : la valorisation du critère environnemental et social .

1. La répartition actuelle des marchés

Au-delà de commentaires parfois trop rapides et du prisme médiatique facilement déformant sur ces questions, quelle est la réalité de l'état des lieux des marchés attribués par la police et la gendarmerie ?

Pour la police, sur 49 marchés notifiés au cours de l'année 2012 par le bureau des marchés publics de la DRCPN, 48 sociétés titulaires sont françaises (hors sous-traitance).

Pour la gendarmerie, on recense au total 26 marchés supérieurs à un million d'euros et concernés par une production hors de France, sans qu'il soit possible de distinguer la part produite ou assemblée en France.

Les marchés de la gendarmerie supérieurs à un million d'euros et concernés par une production hors de France

Objet des marchés

Titulaire

GAIA - Acquisition de matériels, progiciels et services informatiques - Lots 4 (serveurs et solutions de stockage), 6 (solutions d'impression bureautique à technologie laser ou équivalente) et 8 (matériels micro-informatiques résistant aux chocs)

COMPUTACENTER

GAIA - Acquisition de matériels, progiciels et services informatiques - Lot 5 : fourniture de solutions d'impression multi-usages

LARGE NETWORK ADMINISTRATION

Acquisition de matériels actifs et passifs - Lot A (câble à fibre optique et câble cuivre) et lot B (matériels d'infrastructure de réseaux)

APM France

Acquisition de matériels actifs et passifs - Lot C : commutateurs de réseaux

ITNI

Acquisition de matériels actifs et passifs - Lot D : matériels de sécurité

OBIANE

Acquisition de matériels actifs et passifs - Lot E : onduleurs

NITRAM

Fourniture et installation de systèmes de poursuite et acquisition de sessions de formation à l'utilisation et à la maintenance de ces systèmes au profit de la gendarmerie nationale (DATONG) - Marché subséquent

COFREXPORT

Fourniture de lecteurs de cartes à puce à contact et leur intégration dans le système d'information de la gendarmerie

INGENICO (XIRING)

Fourniture d'antennes radioélectriques destinés à l'équipement des véhicules - Lot 3

ACOMO

Fourniture de matériels informatiques et électroniques et de progiciels destinés aux enquêteurs en technologies numériques (N-TECH) et aux services les supportant

TRACIP / PCM assistance

Systèmes étanches et filaires de surveillance vidéo jour / nuit

ALLWAN SECURITY FRANCE

Tenue maintien de l'ordre (pantalon et blouson)

LEOMINOR

Vêtement isolant de la tenue maintien de l'ordre

ALFREDO GRASSI

Ethylotests électroniques

DRAGER SAFETY

Kits de prélèvement ADN

GE HEALTHCARE

Gilet pare-balles

MEHLER VARIO SYSTEM

Matériels d'éclairage et de signalisation

RIVOLIER

Cartouches 9mm

RUAG AMMOTEC

Kit de dépistage stupéfiants salivaire

SECURETEC FRANCE

Projecteurs d'éblouissement

SUNROCK

Télémètre laser et accessoires

WILCO INTERNATIONAL

Désignateurs d'objectifs électroniques pour HK UMP 9x19

TR EQUIPEMENT

Habillement, couchage et équipements divers pour les OPEX

SNC INTERNATIONAL

Divers consommables pour la PTS

VWR INTERNATIONAL

Location de photocopieurs

RICOH

Divers véhicules (DACIA, VW, BMW...)

UGAP

Source : DGGN

Dans cette liste figurent des produits industriels intermédiaires assez traditionnels (commutateurs de réseaux, onduleurs...), des véhicules , de l' habillement , des photocopieurs ... Mais on trouve aussi des biens à fort contenu technologique (progiciels, télémètre laser...).

La PTS requiert en effet l'emploi d'équipements analytiques, dont nombre sont de conception étrangère et protégés par des brevets . Compte tenu de la spécificité des besoins en criminalistique (chaîne de génotypage, matériels analytiques lourds, logiciels ou outils de saisie en 3D, consommables associés...), cette situation peut ainsi placer certaines sociétés en situation de quasi monopole .

2. Le caractère inopérant en droit de la référence à un « achat français »

Face à une telle situation, un réflexe consiste souvent à revendiquer une clause d'achat de « produits français » afin de préserver notre économie d'une concurrence jugée déloyale ou tout simplement encourager l'économie nationale.

Outre qu'elle n'autoriserait pas l'approvisionnement pour certains achats concernant la PTS comme on vient de le voir, que vaut une telle clause au regard du droit ?

Tout d'abord, en application de l'article 24 du code des douanes communautaires, il suffit que « la dernière transformation » ait eu lieu en France pour que les entreprises soient autorisées à indiquer « fabrication française ». On constate ainsi que la garantie recherchée serait d'un faible niveau et assez aisément contournable .

Le « fabriqué en France » demeure donc une notion au caractère flou, l'Union européenne (UE) estimant par ailleurs que cette information apposée systématiquement entraverait la libre circulation des marchandises.

En outre, le droit français, comme le droit européen, interdisent l'utilisation d'une marque dans le cadre d'un marché public ainsi que l'achat en fonction d'une origine géographique. L'article 6-IV du code des marchés publics précise, comme la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, que « les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire de référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à condition qu'elle soit accompagnée des termes : « ou équivalent » ».

Ainsi, en l'état actuel de la réglementation, il est difficile de privilégier des labels , comme par exemple la marque « Origine France garantie », créée en 2011 et qui concerne les produits dont au moins 50 % du prix de revient unitaire est acquis en France.

En outre, la préférence locale, comme la préférence nationale, sont contraires aux principes de libre concurrence et de non discrimination 52 ( * ) .

3. L'approche volontariste à privilégier : la valorisation du critère environnemental et social

Si une marque telle qu'« Origine France garantie » ne peut être utilisée, ce n'est en revanche pas le cas d'un label environnemental ou social .

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) , dans son arrêt Commission européenne c/ Royaume des Pays-Bas, rendu le 10 mai 2012, a ainsi précisé que les autorités contractantes peuvent choisir un critère d'attribution fondé sur des considérations environnementales ou sociales si celles-ci sont une condition d'exécution du marché.

L'utilisation d'un label environnemental ou social par le pouvoir adjudicateur doit alors s'inscrire dans la procédure prévue par l'article 14 du code des marchés publics qui prévoit que « les conditions d'exécution d'un marché ou d'un accord-cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental qui prennent en compte les objectifs de développement durable en conciliant développement économique, protection et mise en valeur de l'environnement et progrès social ».

Cette référence permettrait de promouvoir de façon indirecte les produits français , dans la mesure où notre pays est en concurrence avec des pays où les normes sociales et fiscales sont bien en deçà des standards européens.

Plus largement, le code des marchés publics n'interdit pas à l'autorité attributaire d'un marché d'introduire un critère environnemental ou un critère social dans sa grille d'analyse des offres. De tels critères se retrouvent d'ailleurs déjà fréquemment. Ils souffrent toutefois encore d'une trop faible pondération dans l'analyse des offres pour être décisif dans la détermination du « mieux disant » 53 ( * ) .

Recommandation n° 23 : renforcer significativement la valorisation du critère environnemental et social lors de la passation des marchés, pour faire de l'investissement en sécurité intérieure un véritable levier de développement.

4. Le perfectionnement des conditions de passation des marchés

Les conditions de passation des marchés publics peuvent aussi utilement faire l'objet d'aménagements afin de valoriser l'offre nationale. En amont des appels d'offre, le « sourcing » permet de faire émerger de nouveaux candidats. L'allotissement permet quant à lui, au moment de la rédaction du marché, d'élargir les possibilités d'attributaires. La DGPN et la DGGN doivent perfectionner leurs techniques dans ces deux domaines, en lien avec le SAE et l'UGAP.

a) Le développement du « sourcing »

Le « sourcing » consiste en la recherche d'opérateurs économiques et en la mise en relation avec les acheteurs en amont du processus d'achat. Cette méthode de travail est aujourd'hui répandue au niveau de toutes les grandes centrales d'achat ou les directions des achats, du privé comme du public. Elle est parfaitement admise par la jurisprudence à condition qu'elle s'effectue dans le cadre déontologique fixé par le code des marchés publics (au risque de voir les contrats futurs contestés dans leur validité au motif de l'existence d'un délit d'avantage injustifié).

Les montants et la fréquence des marchés pour subvenir aux besoins d'investissement de la police et de la gendarmerie justifient amplement de consacrer des moyens humains à cette forme de prospection.

L'avantage est réciproque . D'une part, les prospects sont tenus informés des marchés et des besoins exprimés par les forces de sécurité. Cette circulation d'information est d'autant plus importante pour les petites et moyennes entreprises (PME) qu'elles n'ont bien souvent pas les moyens d'assurer un suivi régulier des publications relatives aux lancements d'appels d'offre. Ces échanges peuvent également leur permettre d'orienter leurs produits ou de saisir une tendance en mesure de satisfaire les attentes de la police et / ou de la gendarmerie. D'autre part, les responsables des achats pour les deux forces se tiennent au courant au plus près des innovations et de l'évolution des produits. La rédaction des cahiers des charges des marchés, comme la satisfaction des besoins, en sont par la suite améliorées.

Le recours à cette technique doit aujourd'hui être intensifié afin de faciliter l'accès à la commande publique issue de la police et de la gendarmerie . Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une rupture radicale, puisque d'ores et déjà la DGGN par exemple participe régulièrement aux rencontres thématiques avec les PME intéressées dans le cadre de forums tel que le « Pacte PME ».

Recommandation n° 24 : intensifier la pratique du « sourcing » en amont de la passation des marchés.

b) L'allotissement

La technique de l'allotissement consiste à segmenter un marché en plusieurs lots (géographiques ou selon une clef de répartition technique, par exemple). Elle peut éventuellement se combiner à une clause de non cumul venant limiter le nombre de lots attribués à un même candidat. Cette seconde disposition peut se justifier notamment par l'incapacité financière, humaine ou technique des candidats pressentis à assumer la totalité du marché.

L'allotissement, a fortiori s'il est combiné à une règle de non cumul, constitue un bon moyen de lisser les attributions de marché et, le cas échéant, de préserver un producteur national face à une concurrence étrangère très vive.

En 2012, sur les 49 marchés centralisés notifiés par la DGPN, 33 étaient des lots .

Recommandation n° 25 : recourir autant que possible à la technique de l'allotissement lors de la conception des marchés, en la combinant éventuellement avec une règle de non cumul.

c) Les circuits courts

Dans certains cas, laisser une plus grande marge de manoeuvre au niveau local dans la décision d'achat peut également se révéler utile et bénéfique. Au cours de sa mission de contrôle budgétaire, votre rapporteur spécial a ainsi recueilli des témoignages de policiers et de gendarmes regrettant l'achat d'essence, via un marché passé au niveau national, dans des conditions financières moins avantageuses que celles qu'ils pourraient obtenir localement.

Un recours accru aux circuits courts de distribution présente à cet égard un bénéfice réel :

- en permettant une meilleure adaptation aux besoins exprimés par les agents sur le terrain ;

- en offrant la possibilité de réduire la dépense budgétaire ;

- en favorisant le développement des bassins d'emploi ;

- en limitant l'impact énergétique et climatique des circuits approvisionnements.

Recommandation n° 26 : laisser des marges de manoeuvre au niveau local dans la décision d'achat afin de favoriser les circuits courts.


* 52 Néanmoins, l'obligation d'implantation géographique à proximité de l'acheteur public peut constituer une condition d'obtention d'un marché, si elle est justifiée par son objet ou ses conditions d'exécution. Le Conseil d'Etat reconnaît ainsi que le pouvoir adjudicateur peut imposer au titulaire de s'engager à créer une antenne locale en cas d'obtention du marché ( Cf . arrêts du Conseil d'Etat des 29 juillet 1998 et 14 janvier 1998).

* 53 La directive précitée du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services prévoit l'attribution du marché à l'offre économiquement plus avantageuse, c'est à dire à celle qui présente le « meilleur rapport qualité / prix ».

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