D. L'ENGAGEMENT RÉSOLU DANS UNE DÉMARCHE D'ACHAT ÉCO-RESPONSABLE

En tant que grand ministère régalien, le ministère de l'intérieur se doit de donner l'exemple en matière de développement durable . De par le poids de sa commande publique pour répondre notamment aux besoins d'investissement de la police et de la gendarmerie, les orientations qu'il peut prendre sont à même de produire un fort effet d'entraînement sur l'offre. Comme toute administration, il lui incombe en outre de travailler à l'amélioration de son bilan environnemental.

Si des avancées intéressantes ont eu lieu au cours des dernières années, beaucoup reste néanmoins encore à faire. Le taux de diésélisation du parc de véhicules des forces de sécurité intérieure demeure trop élevé. La lutte contre l'obsolescence programmée représente un chantier encore en friche.

1. Les textes en vigueur

La démarche environnementale du ministère de l'intérieur et des deux forces dont il a la charge s'inscrit dans le cadre de différents textes de portée variable . Votre rapporteur spécial les rappelle brièvement ci-dessous pour mémoire.

a) Le socle législatif

Le socle législatif repose sur la Charte de l'environnement du 25 juin 2003 , adossée à la Constitution.

Il comprend en outre la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement .

Enfin le code des marchés publics liste une série de dispositions importantes à caractère social et environnemental.

La démarche environnementale intégrée dans le code des marchés publics

Les dispositions prévues par le code des marchés publics dans le domaine environnemental sont les suivantes :

- l'article 5 indique la nécessité de prendre en compte les objectifs de développement durable dans la détermination des besoins à satisfaire ;

- l'article 6 précise que les spécifications techniques peuvent inclure des caractéristiques environnementales ;

- l'article 14 stipule que le marché peut comporter des clauses sociales et environnementales qui prennent en compte les objectifs de développement durable en conciliant développement économique, protection et mise en valeur de l'environnement et progrès social ;

- l'article 53 autorise que les critères de performance en matière de protection de l'environnement et d'insertion professionnelle des publics en difficulté puissent faire partie des critères d'attribution des marchés.

b) Les dispositions réglementaires

A partir de ce socle législatif, plusieurs circulaires visent explicitement la mise en oeuvre de la démarche environnementale au sein de l'Etat.

La circulaire du Premier ministre en date du 3 décembre 2008 insiste sur l'exemplarité de l'Etat au regard du développement durable dans le fonctionnement de ses services et de ses établissements publics. Ainsi, par exemple, la DGGN a-t-elle créé à la suite de cette circulaire une structure de projet afin de recenser les actions à mener en vue d'une gestion plus écologique. Elle s'est fixé des objectifs à atteindre dans le cadre d'un échéancier quadriennal courant sur la période allant de 2009 à 2012.

Par ailleurs, chaque année des circulaires fixent les indicateurs annuels du fond dit de l'« Etat exemplaire », en complément de la circulaire n° 5451/SG du 11 mars 2010 relative au dispositif financier accompagnant la mise en oeuvre des « Plans administration exemplaire » (PAE).

Concernant plus particulièrement le parc automobile , la circulaire du Premier ministre en date du 2 juillet 2010 porte sur la rationalisation de la gestion du parc de l'Etat et de ses opérateurs. La circulaire du Premier ministre en date du 3 décembre 2012 vise pour sa part à la mise en oeuvre du plan de soutien à la filière automobile pour les services de l'Etat et ses opérateurs.

c) Les stratégies ministérielles

Deux stratégies ministérielles (allant de 2007 à 2009 puis de 2010 à 2013) ont successivement décliné les stratégies nationales du développement durable , portant l'une sur la période de 2003 à 2008 et l'autre sur 2010 à 2013.

Ces stratégies nationales et ministérielles comportent des années de référence. Elles n'ont pas de valeur juridique contraignante, mais elles constituent la ligne directrice et stratégique à respecter sur une période pluriannuelle. Les objectifs fixés dans ces documents sont suivis par des indicateurs de mesure annuelle que le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) publie chaque année. Un rapport au Parlement est également réalisé par le MEDDE.

2. Les avancées réalisées
a) La professionnalisation et la sensibilisation des acheteurs

Afin de contribuer à la professionnalisation des acheteurs et de les aider à mieux appréhender les outils et les techniques qui s'offrent à eux pour mettre en place des clauses de développement durable dans les marchés, la formation continue des personnels de la police propose régulièrement des stages portant sur « le développement durable dans les marchés publics ».

Par ailleurs, toujours au sein de la DGPN, un échange de bonnes pratiques relatives à l'achat éco-responsable fonctionne entre le bureau en charge de la passation de la plupart des marchés centralisés, les services prescripteurs et les SGAP.

Recommandation n° 27 : développer une plateforme d'échanges, commune à la police et à la gendarmerie, pour faciliter la diffusion des bonnes pratiques relatives à l'achat éco-responsable.

b) L'amélioration du bilan énergétique des bâtiments

En matière de gestion énergétique des bâtiments, la politique engagée a conduit à la réalisation d' audits énergétiques .

Le label « Haute qualité environnementale » (HQE) ainsi que la démarche « Haute performance énergétique » (HPE) sont mis en oeuvre pour la construction ou la rénovation des bâtiments.

Outre la réglementation thermique dite « RT 2012 » 54 ( * ) , les constructions neuves s'orientent désormais vers la « RT 2020 » pour parvenir à des bâtiments à énergie positive (c'est-à-dire produisant davantage d'énergie qu'ils n'en consomment). Il convient toutefois d'observer que, dans un contexte budgétaire immobilier très contraint, ce type de démarche exemplaire peine encore à réellement se développer.

Recommandation n° 28 : privilégier autant que possible la construction et la rénovation de bâtiments à énergie positive (c'est à dire produisant davantage d'énergie qu'ils n'en consomment).

S'agissant de la consommation d'eau et d'électricité , les incitations à la modération peuvent désormais s'appuyer sur des outils techniques de suivi des fluides 55 ( * ) . Il est alors possible notamment d'identifier les bâtiments les plus énergivores afin de cibler prioritairement les travaux de maintenance à y engager et de relever les alertes de surconsommation.

Pour ce qui est de la gestion écologique des espaces verts au sein des casernes, elle a permis de remplacer de nombreux équipements thermiques par des équipements électrique s et de limiter, voire d'interdire, le recours à tout produit phytosanitaire non naturel 56 ( * ) .

c) Le souci apporté à la gestion des déplacements

Un cercle vertueux peut se mettre en place en intégrant les préoccupations de développement durable à la réflexion sur l'investissement. Ainsi, afin de limiter les déplacements, le nombre de sites équipés en visioconférence est passé de 30 en 2009 à plus de 400 en 2012 pour la seule gendarmerie. Le bénéfice est double : la réduction du nombre de déplacements impacte positivement le niveau de pollution (baisse des pollutions atmosphériques et des nuisances sonores) et le besoin d'investissement en véhicules (moindre usure du matériel, recul du taux d'utilisation des voitures).

Par ailleurs, toujours dans le domaine du déplacement, un vaste plan de formation à l'éco-conduite a été mis en oeuvre entre 2011 et 2012. Près de 9 000 personnels de gendarmerie ont ainsi été formés en ciblant prioritairement les conducteurs professionnels et personnels effectuant plus de 5 000 km par an.

Recommandation n° 29 : poursuivre l'effort de formation à l'éco-conduite.

3. Le taux de diésélisation trop élevé du parc de véhicules

Au regard des conséquences du moteur diesel sur la pollution atmosphérique, votre rapporteur spécial déplore le taux encore beaucoup trop élevé de diésélisation du parc de la police et de la gendarmerie .

Au 1 er janvier 2013, la répartition des véhicules de police , suivant leur motorisation, était la suivante.

Un taux de diésélisation de 55 % pour les véhicules de police

Motorisation

Total

Electrique / hybride

Essence

Diesel

0,1 %

44,9 %

55,0 %

100,0 %

Source : DGPN

Interrogé par votre rapporteur spécial, le responsable du programme « Police nationale » indique que : « la progression ces dernières années de l'achat par la police de véhicules à motorisation diesel a répondu à deux impératifs, l'un relatif aux économies d'énergie , l'autre relatif au respect des taux de rejets de CO 2 , conformément aux directives gouvernementales. Dans la mesure où les nouvelles motorisations des véhicules essences ou hybrides sont compatibles avec ces deux impératifs, la police nationale se donnera les moyens d'acquérir ces véhicules » 57 ( * ) .

Le parc automobile de la gendarmerie fonctionne quant à lui à 86,3 % au diesel , à 13,6 % à l'essence et à 0,1 % au gaz de pétrole liquéfié (GPL).

Egalement interrogé par votre rapporteur spécial, le responsable du programme « Gendarmerie nationale » indique que : « les contraintes budgétaires ne permettent pas à la gendarmerie de s'engager dans la réduction de son parc de véhicules diesel. En revanche, la gendarmerie cherche à s'équiper de véhicules conformes aux normes « Euro 5 » avec l'objectif d'acquérir des véhicules se situant en-deçà du seuil de l'écotaxe (120 grammes de CO ² émis/km) ».

Recommandation n° 30 : engager résolument une politique du « véhicule propre » avec pour objectif le « zéro diésel ».

4. La lutte impérative contre l'obsolescence programmée
a) Le contexte général

La nécessité de prendre des mesures fortes face à l'urgence écologique s'impose plus que jamais dans nos politiques publiques. La France consomme actuellement 50 % de ressources naturelles de plus qu'il y a trente ans et la production de déchets n'a jamais été aussi élevée. Plus de 500 kg de déchets sont jetés chaque année et par personne , sans compter les déchets indirects (issus du processus de production).

Le phénomène qualifié d' « obsolescence programmée » des produits , théorisé par Bernard London ou encore Brooks Stevens, a donné lieu à une prise de conscience générale des médias, des économistes, des consommateurs, des associations environnementales et des Etats 58 ( * ) .

Bien que la plupart des entreprises cherche à proposer des produits de plus en plus fiables et innovants, différentes stratégies sont parfois mises en place pour accélérer artificiellement l'obsolescence des produits et leur renouvellement . Cela peut passer par une innovation technologique ou esthétique, mais également par des procédés techniques visant à concevoir un produit en raccourcissant délibérément sa durée de vie potentielle.

Selon la définition de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), « la notion d'obsolescence programmée dénonce un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d'usage pour des raisons de modèle économique ». Ces techniques peuvent notamment inclure l'introduction volontaire d'une défectuosité, d'une fragilité, d'un arrêt programmé, d'une limitation technique, d'une impossibilité de réparer ou d'une non-compatibilité logicielle.

Le renouvellement accéléré des biens contribue fortement à la surexploitation des ressources non renouvelables et nous mène à une impasse écologique, sociale et économique . L'abondance de déchets, notamment ceux d'équipements électriques et électroniques, se caractérise par des impacts environnementaux dramatiques 59 ( * ) . La finitude des ressources et les défis énergétiques auxquels nous sommes confrontés, nous imposent de repenser notre modèle économique et nos modes de consommation.

b) Les mesures à prendre

Comme acheteurs (ou consommateurs), la police et la gendarmerie subissent cette dérive induite par l'obsolescence programmée . Lors de ses auditions au cours de sa mission de contrôle, votre rapporteur spécial a eu à entendre des personnels surpris de la courte durée de vie et du renouvellement anticipé de certains matériels, notamment informatiques.

Dans ces conditions, votre rapporteur spécial formule trois recommandations .

Recommandation n° 31 : introduire autant que possible dans les marchés publics une clause relative à une durée de conformité du produit de cinq ans, afin d'inciter les fabricants à produire des biens plus fiables.

Recommandation n° 32 : mettre en place des filières afin de prélever des pièces détachées sur les équipements et les matériels arrivés en fin de vie, en vue de constituer des stocks de pièces détachées d'occasion.

Recommandation n° 33 : favoriser l'ouverture à l'achat de véhicules de seconde main pour faire des économies budgétaires et valoriser la réutilisation des produits dans le cadre d'une économie responsable.


* 54 Conformément à l'article 4 de la loi précitée du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, la RT 2012 a pour objectif de limiter la consommation d'énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kWhEP / (m².an) en moyenne, tout en suscitant :

- une évolution technologique et industrielle significative pour toutes les filières du bâti et des équipements ;

- un très bon niveau de qualité énergétique du bâti, indépendamment du choix de système énergétique ;

- un équilibre technique et économique entre les énergies utilisées pour le chauffage et la production d'eau chaude sanitaire.

* 55 Comme par exemple l'outil de gestion développé par la gendarmerie et adossé à la base de données immobilière GEAUDE 2G AI.

* 56 En ce qui concerne le nettoyage des locaux et la gestion des déchets, des normes sociales et environnementales, ainsi qu'une gestion des déchets, ont été imposées. Ces décisions se sont traduites par la mise en place de dispositifs de tri sélectif et l'introduction de clauses sociales et environnementales dans les marchés d'entretien.

* 57 Réponse à la question 39 du questionnaire adressé par votre rapporteur spécial au ministère de l'intérieur.

* 58 En Belgique, le Sénat a adopté une résolution, le 2 février 2012, en vue de lutter contre l'obsolescence programmée des produits.

* 59 Les populations des pays du Sud (Afrique et Asie surtout), devenus de véritables pays « décharges », sont soumises à de graves problèmes sanitaires en raison de la toxicité des déchets qui arrivent à leurs frontières par containers entiers en provenance des pays industrialisés.

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