B. DISCUSSIONS AUTOUR DE L'OUVERTURE

1. Des avantages espérés

Le rapport de la commission n° 1 des Assises du ferroviaire met en avant les avantages qu'il serait possible d'attendre d'une ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, si elle est bien organisée et adaptée aux spécificités du secteur. Ces principaux avantages attendus sont présentés de manière résumée ci-après :

- une meilleure transparence des coûts de production des services, notamment pour les autorités organisatrices ;

- une baisse des coûts de production du service pour la maintenance de l'infrastructure, du matériel, et pour la conduite des trains, améliorant la compétitivité du ferroviaire par rapport aux autres modes ;

- des opportunités d'adapter les services publics : « maintien de lignes d'aménagement du territoire, développement de services "de niches" par réouverture ou redynamisation de lignes délaissées ou, au contraire, développement d'autres solutions modales plus adaptées à la desserte de territoires diffus » ;

- une attention accrue aux attentes des usagers et des clients ;

- un aiguillon de modernisation et de performances sur le marché intérieur pour l'opérateur historique, qui reste en général dominant ;

- l'opportunité pour l'opérateur historique de se concentrer sur ses grandes missions nationales et de s'affirmer comme un acteur européen d'avenir, dans l'intérêt de l'industrie nationale 78 ( * ) .

2. Des inconvénients possibles, des risques dénoncés79 ( * )

- la complexité ;

- le risque d'une hausse des tarifs, d'un amoindrissement de la qualité de service et des conditions sociales pour les salariés 80 ( * ) ;

- l'absence de débat citoyen et de bilan des précédents paquets ferroviaires ;

- le risque de dumping social pour les salariés ;

- l'affaiblissement de l'entreprise publique SNCF, perte de compétences ;

- l'inopportunité de la réforme au moment où est lancé un important programme de travaux de rénovation ;

- la moindre polyvalence des personnels et matériels ;

- les coûts de structures élevés (du fait d'un recours accru au contrôle de gestion, aux sociétés de conseil...) ;

- l'absence de péréquation.

Un consensus existe pour dire que la concurrence ne réglera pas tout (mauvais état du réseau, complexité de la gouvernance, financement). La multiplication des intervenantes, avec des logiques pouvant être très différentes, suppose une parfaite coordination (risque de dépense supplémentaire). L'important est de bien veiller au respect des principes de service public, aux conditions des personnels, à la préservation réfléchie des lignes non-rentables.

Finalement, tout dépend de la manière dont la concurrence s'exerce : chacun peut comparer la méthode allemande (progressive et régulière) à la méthode britannique (brutale et éclatée).

Pourquoi faudrait-il que la concurrence soit à notre désavantage ? 20 % de la branche voyage SNCF sont réalisés à l'étranger. Notre société nationale a la moitié du marché européen de la grande vitesse.

En octobre 2008, la SNCF a pris 20 % du capital de Nuovo Transporto Viaggiatori, société privée italienne. Sa filiale KEOLIS est présente en Allemagne et en Angleterre.

VEOLIA TRANSDEV est présent en Allemagne, en Suède, aux Pays-Bas, en Nouvelle Zélande et aux USA.

La position de la Fédération nationale des associations des usagers de transport sur l'ouverture à la concurrence des TER

La FNAUT est favorable à la mise en place d'une expérimentation visant à ouvrir à la concurrence les dessertes en TER, notamment pour les lignes menacées de disparition. Cette volonté de recourir à de nouveaux exploitants n'est pas nouvelle puisque dès 1992, elle réclamait l'ouverture à la concurrence du réseau secondaire en raison du désintérêt de la SNCF pour celui-ci. Aujourd'hui, si beaucoup de progrès ont été faits pour les lignes régionales, notamment grâce à la régionalisation des transports ferroviaires, elle plaide pour une ouverture à la concurrence pour deux raisons :

- d'une part, pour améliorer la qualité du service ;

- d'autre part parce que les coûts de production de la SNCF sont plus élevés que ceux de la Deutsch Bahn : 17 euros par train*km contre 11 euros en Allemagne.

Cette ouverture ne doit pas être générale et brutale, mais progressive à l'image de ce qui s'est passé en Allemagne à partir de la réforme ferroviaire de 1994. Aujourd'hui, 1/3 des services font l'objet d'un appel à la concurrence. La FNAUT constate une « baisse durable des coûts (de 20 à 30%), une nette amélioration de la qualité de service et une forte hausse (30%) de la fréquentation qui était déjà élevée » . La Deutsch Bahn a remporté la moitié des marchés lui permettant d'exploiter aujourd'hui plus de 80% du transport ferroviaire régional (en train*km) et a amélioré sa qualité de service.

Elle ne doit pas non plus conduire à une « balkanisation du transport ferroviaire régional ». C'est pourquoi, dans chaque région, « l'essentiel du réseau doit être attribué à un opérateur principal, apte en particulier à traiter correctement les gros trafics », le recours à l'allotissement devant être utilisé pour essayer de vivifier une ligne menacée de fermeture. En effet, un réseau régional ne se résume pas en une juxtaposition de lignes indépendantes les unes des autres, mais forme un tout.

Enfin, l'ouverture à la concurrence ne doit pas se faire au détriment de la sécurité et de la tarification. C'est pourquoi la FNAUT insiste sur la nécessité d'un même niveau de sécurité et de tarification sur toutes les lignes d'une région, quel que soit l'exploitant.

3. La position des régions

Dans son avis sur le rapport Grignon, l'ARF précise que « les régions ne sont pas demandeuses de cette libéralisation qui semble devoir être décidée dans l'urgence. » Curieusement, le rapport Auxiette fait l'impasse sur ce sujet.

Selon Gilles Savary, les régions « ont un intérêt particulier à un changement radical de gouvernance » et l'ouverture constitue une avancée de la « décentralisation française ».

Très favorable à l'engagement rapide d'un plan transitoire expérimental pour éviter, selon lui, l'improvisation en 2017-2020, il préconise :

- l'allotement (ouverture à la concurrence d'un nombre limité et complémentaire de lignes et de services) ;

- la création de compagnies de chemins de fer régionale (soit sous forme de sociétés d'économies mixte ou de sociétés publiques locales)

À ce processus, il y a un préalable : le règlement de la question sociale. Dès lors qu'on s'entoure de certaines précautions et précisions, la fin du monopole de la SNCF ne doit pas être taboue : « La mise en place de la concurrence européenne n'est pas une dérégulation, mais au contraire une re-régulation. »

Gilles Savary propose, en France comme en Europe, la négociation d'une convention collective des cheminots permettant de découpler le statut du salarié de son employeur.

Ce type de garantie sociale constituerait une première limite aux excès de la libéralisation : « Il appartient aux pouvoirs publics d'exiger de l'Europe et/ou de mettre en place en France une régulation sociale standard adaptée aux exigences de qualification et de sécurité du chemin de fer pour accompagner l'ouverture des réseaux 81 ( * ) »

Si la « garantie sociale » s'avère un sujet sensible et important, la recherche d'un équilibre financier pour les différentes parties prenantes n'en est pas moins un autre thème délicat.

Il concerne l'Etat, les différents exploitants, les usagers et les autorités organisatrices des transports.

Dans le chapitre qui suit nous n'aborderons qu'un seul sujet : le financement régional.


* 78 » L'ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux de voyageurs », avis du CESE de Jean-Marie Geveaux et Thierry le Paon, op.cit. page 21.

* 79 Op. cit. pages 22-23.

* 80 Dans son audition du 16 septembre 2013, la fédération FO Cheminots rappelle que l'ouverture à la concurrence du secteur des télécoms s'est traduite par une perte d'emplois, tandis que celle du secteur de l'énergie n'a pas conduit à une baisse des coûts pour le client.

* 81 Gilles Savary, op. cit. page 11.

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