INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Ce rapport est né d'une interrogation : d'abord sur l'évolution de l'Afrique, hier présentée comme un continent perdu, aujourd'hui louée comme le prochain continent émergent, ensuite sur la présence de la France dans ce continent hier ignoré, aujourd'hui convoité et, enfin, sur l'adaptation de notre politique étrangère à la transformation de pays africains qui furent longtemps un axe majeur de notre diplomatie.

Ce rapport est né d'une préoccupation, celle d'enrayer le déclin de l'influence de notre pays dans le monde en général et en Afrique en particulier. Il est animé par une priorité : favoriser la croissance et l'influence d'une France qui doute en dépit de ses nombreux atouts et notamment de cette connaissance, de cette intimité avec un continent africain en pleine transformation qui par ailleurs exprime souvent une « demande de France ».

Car la situation est paradoxale à plus d'un titre.

D'un côté le 50 e anniversaire de l'Union Africaine en 2013 a été l'occasion pour l'ensemble des chefs d'Etat africains d'affirmer collectivement leur conviction que le temps de l'Afrique était arrivé. Et force est de constater que, dans de nombreuses capitales africaines et occidentales, les responsables politiques et économiques mondiaux, notamment asiatiques, se bousculent pour annoncer le décollage d'une nouvelle Afrique, soulignant haut et fort des taux de croissance qui font pâlir l'Europe.

De l'autre, les innombrables défis posés par la croissance démographique, le niveau de la pauvreté qu'une croissance, même élevée, n'arrive pas à enrayer, l'état souvent médiocre des infrastructures, des systèmes sanitaires et éducatifs, en un mot la faiblesse des Etats, notamment au Sahel, comme en témoigne la crise malienne, laisse penser que ce continent présente tout autant, sinon plus, de risques que d'opportunités.

Nous avons voulu comprendre les deux faces de ce même visage.

A cinq ans d'intervalle, deux analyses témoignent du chemin parcouru : l'une, de Stephen Smith, en 2004, dans son livre « Négrologie », arborait comme sous-titre « Pourquoi l'Afrique meurt », l'autre, de MM. Jean Michel Severino et Olivier Ray dans « Le temps de l'Afrique », prenait à contre-pied la vision misérabiliste de l'Afrique pour souligner son émergence et se demandait si l'Europe et la France n'étaient pas en train de rater le tournant pris par ce continent.

Sont-ce les regards qui ont changé ou est-ce la réalité ?

Quelles sont les évolutions effectivement en oeuvre ? Cette nouvelle donne est-elle durable ? Quel sera le visage de cette Afrique émergente dans 20 ans ? Comment les Etats d'Afrique accompagnent-ils ces mutations ? Quels rôles y jouent les pays occidentaux ? Quels objectifs poursuivent les pays émergents qui investissent massivement sur le continent africain ? Quelle place la France y occupe-t-elle encore ? Voilà l'objet de ce groupe de travail sur « la place de la France dans une Afrique convoitée ».

Car l'autre paradoxe de la situation actuelle est que la France, après avoir été un des seuls pays à avoir poursuivi, après les indépendances, une vraie politique en Afrique, semble être dépourvue de stratégie à long terme. Les Chinois, les Indiens, les Brésiliens, les Américains ont défini des stratégies africaines qu'ils mettent méthodiquement en oeuvre. La France, faute de savoir ce qu'elle veut et ce qu'elle peut sur ce continent qu'elle connaît pourtant bien, navigue à vue.

Ce choix n'exclut pas des actions fortes au profit de la sécurité du continent, comme en témoigne l'intervention au Mali ; mais il ne permet pas de définir un cap.

Regardons la dernière décennie, et cela indépendamment des clivages partisans. Ce qui domine dans l'opinion française et même dans une grande partie de la classe politique envers l'Afrique, c'est l'indifférence sauf en cas d'événement médiatisé. Même au Quai d'Orsay, l'Afrique est à la marge, loin de la grande politique, loin des organisations internationales et des enceintes qui font et défont les carrières diplomatiques.

Evidemment, il y a quelques entreprises, quelques hommes politiques, quelques médias, des hommes et des femmes de culture qui restent liés à l'Afrique et passionnés par elle. Mais ce sont des groupes très minoritaires ou spécialisés. Il y a bien des générations formées à l'Afrique par le service national de coopération. Mais celui-ci n'est plus et les jeunes générations séduites par d'autres horizons semblent avoir perdu le goût de l'aventure africaine.

La gauche, quand elle s'en préoccupe, est souvent partagée entre le paternalisme et la hantise de la compromission. La droite hésite entre retour illusoire au « pré carré », souci de protection migratoire et banalisation économique et libérale.

Nous avons voulu comprendre, au-delà des postures, quels étaient les intérêts partagés de la France et des pays africains dans les prochaines décennies.

Si l'opération Serval au Mali et la perspective d'un sommet Afrique-France semblent sonner le retour d'une politique africaine, les chiffres de notre présence sur le continent ne dessinent-ils pas un recul sur tous les plans de la présence française ? Non seulement les pays africains se lancent dans une diversification des partenariats qui, cinquante ans après les indépendances, semble mettre fin, sinon à cette relation particulière avec la France, du moins à ce « colloque singulier » qui faisait une partie de notre influence en Afrique et dans le monde, mais les entreprises françaises perdent des parts de marché et parfois quittent le continent au moment même où il décolle.

Face à la formidable progression de la présence des pays émergents, la Chine en tête, l'Inde ensuite, mais aussi le Brésil, la Turquie, les pays du Golfe, Israël ou même certains pays du Maghreb, la France se cherche et hésite : entre la tentation du retrait et la volonté de maintenir des liens privilégiés avec le continent ; entre la « normalisation » et le maintien de relations personnalisées ; entre des tendances à l'européanisation avec des partenaires au demeurant plus ou moins intéressés, et le souci de conserver une politique d'influence bilatérale ; entre la conservation d'un pré carré francophone et l'affermissement des liens avec de nouveaux partenaires politiques et commerciaux ; entre la modernisation de notre appareil de coopération militaire et le maintien de forces d'intervention rapide ; entre conditionnalités démocratiques et tolérance à l'égard des régimes autoritaires, entre aide-programme et aide-projet, etc.

La France semble tétanisée par des procès d'intention liés à son passé colonial, incapable de se projeter sur le long terme, avec un continent qui, quoiqu'il arrive, avec 2 milliards d'habitants en 2050, sera un partenaire majeur de la France et de l'Europe pour le meilleur ou pour le pire.

A cette hésitation correspond l'ambivalence des Africains francophones eux-mêmes à l'égard de la France, qui oscillent entre attirance et répulsion. A la politique française du « ni ingérence, ni indifférence » répond l'accusation africaine d'immixtion ou d'inaction suivant la posture adoptée.

L'opération Serval marque-t-elle un nouveau départ ? L'histoire jugera.

Mais il suffit de lire la presse, qui après avoir salué l'opération Serval, présente bien souvent le sommet France-Afrique comme une survivance du passé tandis que n'importe quel Sommet Afrique-Chine annonce l'avenir pour comprendre que le sens même de la politique africaine fait encore débat.

Nous avons essayé de saisir pourquoi, mais, surtout, comment sortir de cette situation : en prenant conscience des enjeux de la transformation en cours sur le continent, mais aussi en mesurant nos atouts et nos faiblesses dans une Afrique de plain-pied dans la mondialisation, qui multiplie les partenariats.

À un moment où le monde est en train de fermer la parenthèse de la domination européenne ouverte au XVI e siècle, nous avons tenté d'analyser en quoi une politique africaine rénovée portée au niveau national et européen pouvait constituer un élément structurant pour l'avenir de notre politique étrangère. Pour cela, la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées a constitué un groupe de travail composé de sénateurs de toutes tendances politiques qui ont en commun un intérêt pour l'Afrique.

Chacun a apporté son expérience.

En tant que vice-présidents et rapporteurs, nous avons mis à disposition du groupe notre expérience de l'Afrique, acquise pour Jeanny Lorgeoux (PS) au début de sa carrière professionnelle au Zaïre puis dans ses fonctions de député proche du Président de la République François Mitterrand et enfin au Sénat où il préside les groupes d'amitié interparlementaires avec le Congo-Brazzaville, la Mauritanie et le Sud-Soudan, pour Jean-Marie Bockel (UDI-UC) pendant de nombreuses années dans le cadre de la coopération décentralisée à la mairie de Mulhouse, en tant que secrétaire d'État chargé de la Coopération et de la Francophonie, puis à la Défense et aux Anciens combattants.

Les autres membres du groupe ont également largement contribué à la réflexion, Robert Hue (RDSE) grâce à une expérience approfondie de l'Afrique et notamment de l'Afrique du Sud dont il préside le groupe d'amitié interparlementaire, Jean Claude Peyronnet (PS) qui est notamment co-rapporteur du budget de l'aide au développement et membre du conseil d'administration de l'Agence française de développement, Kalliopi Ango Ela (EELV), sénatrice des Français de l'étranger qui a habité plus de 20 ans en Afrique, René Beaumont (UMP) qui est notamment Président du groupe d'amitié interparlementaire France-Djibouti ainsi que les autres membres du groupe d'amitié : Jean-Pierre Demerliat (PS), Bernard Piras (PS), Gilbert Roger (PS), Jacques Gillot (PS), Jean-Paul Fournier (UMP), Jean-Pierre Cantegrit (UMP), Christian Namy (UDI-UC).

Le groupe de travail a procédé, tous les jeudis matin, pendant huit mois, à des auditions d'acteurs de haut niveau : économistes, démographes, financiers, diplomates, universitaires, militaires. Pour ne pas être prisonnier d'une vision exclusivement française, le groupe de travail a auditionné aussi bien des personnalités françaises qu'étrangères susceptibles de les éclairer sur les attentes des responsables africains. Ces rendez-vous hebdomadaires, attendus par ses membres, ont été l'occasion de nombreux échanges particulièrement riches, grâce à l'engagement de chacun et à la qualité des personnes auditionnées qui doivent ici être remerciées.

Les membres du groupe de travail se sont également rendus sur le terrain : en Afrique du Sud, puissance continentale, en Éthiopie, acteur majeur de la Corne de l'Afrique et siège de l'Union Africaine, et en Côte d'Ivoire, pays influent s'il en est de l'Afrique de l'Ouest, de la Francophonie et de la CEDEAO. Nous n'avons pas pu multiplier autant que nous l'aurions souhaité les déplacements faute de moyens et de temps. Mais nous sommes conscients que parler de l'Afrique est une gageure et souvent un raccourci intellectuel tant les différences sont nombreuses entre l'Afrique de l'Ouest et la Corne de l'Afrique, l'Afrique australe et l'Afrique centrale, mais également entre pays voisins. Nous n'avons pas voulu ignorer la diversité ethnique et culturelle des pays africains, mais tenter une réflexion d'ensemble en s'appuyant sur la diversité des expériences nationales. Toutefois pour illustrer la diversité du continent, le groupe de travail a fait produire par l'Atelier de cartographie de l'Institut d'Études politiques de Paris de nombreuses cartes qui témoignent des différences entre pays africains, mais également des caractéristiques communes du continent. La qualité des cartes produites par l'équipe de l'Atelier de cartographie de l'IEP mérite d'être soulignée et ses membres remerciés.

Dans chaque pays visité, les membres du groupe de travail ont rencontré universitaires, ministres, diplomates, journalistes, officiers généraux. Ils ont eu l'occasion de confronter les points de vue en rassemblant, lors de déjeuners de travail, l'ensemble des ambassadeurs africains et européens en poste. Ces échanges informels et des visites de terrain nous ont permis de croiser les regards sur la politique africaine de la France. Le groupe de travail a également pu bénéficier de l'éclairage des membres qui se sont déplacés en Afrique dans différents cadres, en Mauritanie, à Madagascar ou au Mali. Le groupe de travail s'est également enrichi des travaux des deux autres groupes de travail créés par notre commission, sur le Mali, co-présidé MM. Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher, et sur la Méditerranée, co-présidé par Mme Josette Durrieu et M. Christian Cambon, ainsi que des nombreuses auditions organisées par la commission dans le cadre de la préparation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire.

A quelques semaines du prochain Sommet de l'Elysée, ces travaux nous ont permis d'apporter notre contribution aux réflexions en cours sur l'avenir de la politique africaine de la France. Quelle place la France peut-elle jouer dans l'avenir de l'Afrique ? Quelle place l'Afrique doit-elle occuper dans l'avenir de la France ? Voilà, au fond, les questions que nous nous sommes posées en essayant d'observer le présent et d'anticiper l'avenir. Car il n'y a de stratégie que sur le long terme. Souvent empêtrée dans les querelles du passé, la réflexion sur l'Afrique doit aujourd'hui se tourner vers le futur d'un continent dont la population est composée pour moitié de femmes et d'hommes de moins de 25 ans qui n'ont connu ni la colonisation, ni la décolonisation, sont nés avec un portable et Internet et se préoccupent avant tout de l'avenir.

En résumé, il y a eu, dans l'histoire des relations entre la France et les pays africains, la période coloniale, la décolonisation, la période postcoloniale ou néocoloniale avec ce que certains ont appelé la Françafrique ; nous avons voulu dessiner les contours de ce que devrait être demain une relation adaptée à un continent en pleine transformation, une relation adulte, revisitée, renouvelée autour d'un partenariat fondé sur des intérêts respectifs assumés. Nous avons voulu dessiner le visage d'une nouvelle stratégie pour l'Afrique avec à la clef une réflexion d'ensemble mais aussi des propositions concrètes.

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