2. Cette croissance est tirée par les ressources naturelles

Ainsi, au-delà des discours triomphalistes sur l'émergence africaine, il convient de se rappeler que des périodes de croissance forte ont marqué l'histoire africaine sans pour autant constituer des tendances longues.

Si la dynamique de croissance à l'oeuvre suscite autant d'espoir, c'est qu'elle s'appuie sur deux leviers puissants : l'exploitation des ressources énergétiques et minérales et la croissance de la demande intérieure.

Les exportations de produits primaires sont le principal déterminant de la performance économique de l'Afrique depuis les indépendances - même si le secteur manufacturier, les finances, les télécommunications et le tourisme contribuent de plus en plus au PIB. Le profil d'exportation du continent n'a pas vraiment évolué, par rapport à l'époque coloniale, caractérisée par la dépendance à l'égard des produits de base. L'exploitation des matières premières est aujourd'hui, et de loin, la première source d'exportation de l'Afrique.

L'énergie et les mines représentent plus de 63% de l'ensemble des exportations africaines. Ainsi les combustibles minéraux (charbon, pétrole) représentent-ils plus de 90% des recettes d'exportation pour la Guinée équatoriale ou le Nigeria. Les minéraux comptent pour 80% dans celles du Botswana (diamant, cuivre, nickel, carbonate de soude, or), du Congo Brazzaville (pétrole), de la République Démocratique du Congo (diamant, pétrole, cobalt et cuivre), du Gabon (pétrole, manganèse), de la Guinée (bauxite, alumine, or et diamant), de la Sierra Leone (diamant) et du Soudan (pétrole et de l'or). Les minéraux et les combustibles minéraux représentaient plus de 50% des recettes d'exportation du Mali (or), de la Mauritanie (minerai de fer), du Mozambique (aluminium), de la Namibie (diamant, uranium, or et zinc) et de la Zambie (cuivre et cobalt).

Une part non négligeable de la croissance des économies africaines repose donc encore sur des facteurs extérieurs. Le poids dans cette croissance de la variation des prix des matières premières, de la croissance des émergents ou des industries extractives ne peut être ignoré. Étant donné que ces éléments constituent des formes de rentes, le développement africain dépendra de sa capacité à capitaliser sur les richesses du continent, notamment en développant sa capacité à transformer les matières premières sur place.

L'Afrique sub-saharienne est déjà la deuxième région exportatrice de pétrole au monde et elle représente 10 % des réserves hydrauliques mondiales économiquement exploitables. Elle concentre également près de 60% des nouvelles terres arables du monde et une part importante des stocks de certains minerais et métaux rares s'y trouve également.

Si l'on se tourne vers l'avenir, une question essentielle consiste à déterminer si ce bond en avant restera un épisode exceptionnel ou s'il marquera un réel décollage économique de l'Afrique. La croissance du continent s'était également emballée pendant le boom pétrolier des années 70, mais avait ensuite brutalement ralenti lors de l'effondrement des cours du pétrole et des autres matières premières dans les deux décennies suivantes. Notre analyse tend à indiquer que les perspectives de croissance à long terme du continent sont cette fois solides, même si certaines économies africaines pourraient encore essuyer des revers. Ces perspectives positives se fondent en effet tout à la fois sur des tendances globales et sur des changements à l'oeuvre à l'échelle des sociétés et économies du continent.

Tout d'abord, l'Afrique va continuer à bénéficier de la hausse de la demande mondiale en pétrole, gaz naturel, minerais, denrées alimentaires, terres arables et autres ressources naturelles. La demande de matières premières est tirée principalement par les économies émergentes, qui représentent à présent la moitié du commerce africain.

Dans les années à venir, la place de l'Afrique dans l'industrie minière devrait augmenter. En effet, les réserves mondiales se trouvent, pour une part non négligeable, en Afrique dont le sous-sol a été beaucoup moins exploré qu'ailleurs. Selon la direction du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les dépenses d'exploration par kilomètre carré sont encore cinq fois moins élevées qu'au Canada ou en Australie.

L'Afrique est ainsi considérée comme la « nouvelle frontière » de l'industrie minière et les pays les plus explorés sont bien sûr l'Afrique du Sud et la Zambie, mais aussi la Namibie, la Tanzanie, la RDC, le Ghana et, parmi les pays francophones, le Burkina et le Mali. Pour le moment, l'Afrique subsaharienne ne consomme qu'un faible pourcentage de sa production de minerais qui est donc essentiellement exportée.

Les exportations de minerais de l'Afrique subsaharienne

Milliards de dollars et % du total mondial : 2000 2010

Source : à partir de Comtrade.

De même, dans le domaine des hydrocarbures, l'Afrique, comme nous l'ont souligné les dirigeants de Total, offre des perspectives plus qu'intéressantes.

Sur les 2 600 milliards de barils de ressources pétrolières dans le monde, 242 milliards de barils soit 9% sont situées en Afrique. L'Afrique possède également environ 10 % des ressources de gaz du monde.

Les zones traditionnelles sont l'Afrique du Nord (Algérie, Libye, Egypte), le Golfe de Guinée (Nigeria, Angola, Guinée Équatoriale, Congo, Gabon). Les nouvelles zones d'exploitation sont situées en Mozambique, Tanzanie et Ouganda. Les prospections, quant à elles, se diversifient à l'ouest : Mauritanie, Côte d'Ivoire, Ghana, au sud Afrique du Sud et à l'est Kenya, Soudan du Sud.

Le secteur minier et pétrolier est au coeur de la croissance africaine mais également de certains systèmes politiques africains, qu'il les stabilise ou les déstabilise en fonction de l'évolution des cours et de mystérieux jeux de pouvoir qui se déroulent, au-delà du continent, dans des conseils d'administration.

Le secteur minier et pétrolier : une source de conflits locaux, nationaux et régionaux

Du fait des enjeux de pouvoir qu'il cristallise, ce secteur est aussi une source de conflits locaux, nationaux et régionaux comme le démontre la situation de la RDC ou du Darfour. Dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), l'exploitation artisanale des minerais bénéficie en partie aux groupes armés : cette capacité d'autofinancement explique leur effrayante durabilité et est à l'origine de leur pouvoir. En raison de l'importance des hautes technologies, l'approvisionnement en minerais critiques est en train de devenir aussi stratégique que l'approvisionnement en hydrocarbures.

Les conflits armés suscités par les revenus des gisements et des mines ont été tels depuis l'indépendance qu'on a pu parler de « malédiction des ressources », bien que cela soit moins ces dernières qui sont en cause que l'usage qui en est fait.

Malgré cela, ces activités seront un moteur du développement des pays africains qui peuvent en retirer une source de financement majeur de leurs infrastructures à condition que ces ressources naturelles soit exploitées de façon transparente, équitable et optimale.

On observe de ce point de vue, au début de notre siècle, un vaste changement de paradigme des politiques de développement minier et pétrolier qui vise à rééquilibrer les contrats, à assurer un meilleur partage de la rente, à renforcer la transparence et les exigences en matière de responsabilités sociale et environnementale.

La vague de renégociation des contrats qui a débuté en Amérique latine a fini par se répandre en Afrique, notamment sur les conseils de la Banque mondiale. Le mouvement de modification des règles qui lient les États aux firmes multinationales du secteur minier en est une illustration : projet de hausse de la fiscalité en Afrique du sud et en Tanzanie, volonté de révision des contrats miniers au Niger, au Sénégal et au Mozambique, adoption d'un nouveau code minier en Guinée en 2011, doublement des royalties en Zambie. Le Libéria avait ouvert la voie en 2006, puis la Zambie en 2007. Le Ghana entend réformer le secteur aurifère.

Hausse des impôts et taxes, prises de participations publiques, renégociation des contrats et investissements d'origine locale sont des voies suivies déjà par une douzaine d'États africains riches en minerais, et ils le sont probablement tous.

La renégociation tend à devenir la norme en cas de changement de régime. Le président nouvellement élu en Guinée-Conakry a lancé une révision des contrats miniers qui défraie la chronique et, sitôt son putsch commis en Centrafrique, Michel Djotodia a annoncé vouloir relire les contrats signés par le précédent régime avec la Chine et l'Afrique du Sud.

Vers un nouveau partage de la rente minière ?

Parallèlement les sociétés africaines réclament de plus en plus vigoureusement leur part de la rente et tentent de modifier le circuit de redistribution. En conséquence, par le haut et par le bas, l'Afrique semble vouloir exercer un meilleur contrôle sur des acteurs. Cette dynamique triangulaire, dans laquelle s'immiscent en outre des institutions internationales, connaît une évolution rapide.

Au-delà des aspects environnementaux, humains et sociaux, de la gestion et du partage des recettes minières, les réflexions en cours à la Banque mondiale, au FMI et à l'Union Africaine se focalisent sur les stratégies pour promouvoir des partenariats plus axés sur le développement en matière de production et de création de valeurs, d'infrastructures et de mise en place d'industries connexes.

L'idée notamment de la Vision africaine des mines, que les dirigeants du continent avaient adoptée en 2009, était d'augmenter la part de la valeur ajoutée produite en Afrique.

Ce secteur est ainsi au coeur de nombreuses problématiques essentielles au développement du continent : la mobilisation de ressources fiscales propres, l'industrialisation des économies par la captation de la valeur ajoutée et l'intégration au tissu économique local.

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