3. Le défi agro-alimentaire à l'épreuve de l'accaparement des terres

Pour assurer son indépendance alimentaire, une Afrique à deux milliards d'habitants devra multiplier par cinq sa production.

Déjà aujourd'hui, une partie de la population souffre de malnutrition qui reste, à l'échelle de la planète, un mal essentiellement africain, comme l'illustre la carte ci-après. En 2011, la sécheresse qui a sévi dans la Corne de l'Afrique, menaçant près de 12 millions de personnes du Kenya à la Somalie, en passant par Djibouti et l'Éthiopie, a montré que l'Afrique pouvait encore être sujette aux famines.

Nous avons constaté sur place que l'Ethiopie s'est engagée, avec les pays voisins et avec le concours des bailleurs de fonds, dans une politique volontariste de prévention des crises alimentaires et de résilience à la sécheresse, avec notamment la construction de silos à grains et le soutien à l'économie pastorale en régions Afar et Somali.

La France participe à cet effort comme elle participe à «  Alliance Globale pour résoudre la crise alimentaire », dont l'un des objectifs est de faire le meilleur usage de la terre en Afrique et donc d'améliorer les droits fonciers.

Toutefois, à long terme, la sécurité alimentaire du continent ne pourra venir que d'une transformation importante des méthodes agricoles. « L'Afrique a urgemment besoin d'une révolution verte » nous a dit Jean-Marc Châtaigner, directeur général adjoint de la mondialisation, du développement et des partenariats.

Paradoxalement, l'Afrique, où 70 % de la population vit encore de l'agriculture et qui dispose d'un potentiel agricole considérable, importe encore 20 milliards de dollars de denrée agricole par an.

Selon M. Serge Michailof, ancien directeur régional à la Banque mondiale : « Le modèle fondé sur l'alimentation des centres urbains par les importations va se gripper » , « les responsables africains ne peuvent plus faire confiance aux marchés mondiaux pour garantir durablement à l'avenir la sécurité alimentaire du continent » 23 ( * )

Seule une révolution verte permettra cela. Aujourd'hui les surfaces cultivées en Afrique ne représentent que 28 % des surfaces cultivables.

Aujourd'hui, les surfaces cultivées en Afrique ne représentent que 28 % des surfaces cultivables. L'avenir de l'agriculture africaine résidera donc dans l'extension, mais aussi et surtout dans l'augmentation de la productivité qui, aujourd'hui, est 200 fois inférieure à celle de l'Europe.

Selon M. Serge Tomasi, directeur-adjoint de la direction de la coopération pour le développement à l'OCDE : « l'augmentation de la production agricole proviendra pour 2/3 de gains de productivité et pour 1/3 de l'extension. C'est tout l'enjeu de la coopération en matière agricole, comment engager l'Afrique dans une révolution verte sur un modèle de développement durable ».

La marge de progression est élevée car les rendements agricoles africains restent inférieurs à ceux de la moyenne des pays en développement. Ainsi les rendements céréaliers demeurent à 1,2 tonne par hectare en Afrique contre 3 tonnes en moyenne dans les autres pays en développement.

L'enjeu est africain, mais pas seulement. Le monde devra doubler sa production agricole d'ici 2050 pour nourrir 9 milliards d'habitants. Avec 80 % des terres arables non cultivées du monde, l'Afrique peut devenir un des greniers de la planète. « C'est de l'or dans les mains de l'Afrique » nous a dit M. Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique des Nations unies.

Les pays émergents ne s'y trompent pas. Entre 2000 et 2010, 35 millions d'hectares ont été cédés à des entreprises des pays émergents. Le cas malgache est connu avec un contrat de 1,3 million d'hectares au Coréen Daweou.

La pression croissante sur les terres agricoles risque de devenir un facteur de conflit croissant. On en a vu les résultats en Côte d'Ivoire où le nombre d'habitants par km 2 s'est accru de 500 % en 40 ans, au Rwanda ou au Kenya. Cette tension sur les terres s'accompagnera de tensions sur les ressources naturelles en eau, en bois, et en pâturages.

Ces risques seront d'autant plus élevés que l'agriculture africaine recèle un énorme potentiel pour les entreprises opérant à tous les maillons de la chaîne de valeur.

Les obstacles à une augmentation de la production agricole africaine sont bien connus et les surmonter ne sera pas chose aisée : manque de semences sophistiquées et d'autres intrants adaptés aux conditions écologiques du continent, infrastructures inadaptées pour commercialiser les récoltes, effets pervers des barrières douanières et des aides fiscales, manque d'assistance technique et de financements pour les agriculteurs.

Mais si le continent noir parvenait à lever ces entraves dans ce sens, le potentiel du secteur agricole et agroalimentaire en Afrique pourrait se chiffrer à 1 000 milliards de dollars à l'horizon 2030, selon un nouveau rapport de la Banque mondiale. Comment ? En s'assurant que les acteurs concernés aient davantage accès aux capitaux, mais aussi à l'électricité, à de meilleures technologies et à l'irrigation, afin de permettre la culture de produits alimentaires nutritifs et à forte valeur ajoutée. Une telle progression tirerait la demande de produits en amont (engrais, semences) tout en stimulant la croissance des activités de transformation en aval (raffinage des céréales, biocarburants).

Une telle évolution exigera des politiques adaptées.

L'Afrique est le principal importateur et le plus gros consommateur de riz, avec 3,5 milliards de dollars d'importations. En augmentant sa production de riz, le Sénégal peut contribuer à répondre à la demande locale, ce qui nécessite toutefois davantage de capitaux, une hausse des investissements dans l'irrigation ainsi qu'un assouplissement de l'accès au foncier.

Madame Nkosazana Dlamini-Zuma, Présidente de la Commission de l'Union africaine, dans son grand bureau d'Addis Abeba nous l'a prédit : « L'amélioration des secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire en Afrique induira une augmentation des revenus et la création d'emplois. Elle permettra aussi à l'Afrique d'être compétitive sur les marchés mondiaux. Demain l'Afrique nourrira le monde ».


* 23 Révolution verte et équilibres géopolitiques au Sahel, Serge Michailof

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