CHAPITRE 2 : HIER IGNORÉE, AUJOURD'HUI CONVOITÉE, L'AFRIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES

Dans les années quatre-vingt-dix, on pouvait lire dans un traité de relations internationales, sur lequel ont planché plusieurs générations d'étudiants en sciences politiques et futurs diplomates, la phrase suivante : « En cette fin de XX e siècle, dominée par la poursuite du formidable processus d'intégration mondiale, des régions demeurent en marge. ..... Ainsi en est-il de l'Afrique au sud du Sahara 25 ( * ) ».

On croyait l'Afrique isolée, déconnectée des transformations et des bouleversements en cours au sud de la planète.

Certes, l'Afrique a pris le train en retard, mais elle évolue désormais de plain-pied avec la mondialisation. Le décollage économique du continent n'aurait pas été possible autrement.

Non seulement les secteurs les plus évolués du continent sont directement branchés sur les réseaux financiers mondiaux, mais, même dans les zones les plus reculées, les nouvelles technologies ont fait entrer la modernité en Afrique pour le meilleur et pour le pire.

L'Afrique du siècle nouveau : c'est à la fois le Kenya qui concentre 50 % de l'activité mondiale du mobile banking , mais aussi les réseaux terroristes du Nord Mali qui se coordonnent par téléphone satellitaire.

Que l'on trouve des iPhones à Bamako est symbolique, mais finalement assez anecdotique. Ce qui a changé, c'est plus fondamentalement l'insertion de l'Afrique dans les échanges internationaux des biens, des capitaux et des idées.

I. UNE AFRIQUE DÉSORMAIS INTÉGRÉE DANS LA MONDIALISATION

Comme l'a déclaré le Président Barak Obama devant le Parlement du Ghana le 11 juillet 2009, « Le XXI e siècle sera influencé par ce qui se passera non seulement à Rome ou à Moscou ou à Washington, mais aussi en Afrique. C'est la simple vérité d'une époque où nos connexions font disparaître les frontières entre les peuples. ».

L'Afrique est entrée dans l'ère des économies intégrées et de l'instantanéité de l'information, dans une époque d'accélération des flux de capitaux et des échanges de biens et services, dans une période de montée en puissance des mouvements de population.

Il est vrai que longtemps l'Afrique est restée en marge des évolutions économiques et technologiques mondiales.

Symbole de cet isolement, l'Afrique subsaharienne représentait une part très limitée du commerce mondial et des investissements directs à l'étranger (IDE).

L'Afrique subsaharienne était la région du monde la plus confrontée aux difficultés d'accès aux marchés locaux, régionaux et mondiaux. Un manque d'infrastructures et la dépendance à l'exportation de matières premières constituaient des freins importants au développement du commerce au sein du continent et dans le monde.

Les pays d'Afrique subsaharienne faisaient aussi face à des barrières commerciales comme les taxes sur les importations ou les quotas, qui rendaient inopérante la mise en concurrence de leurs produits sur des marchés importants tels que les Etats-Unis, l'Europe et le Japon.

Au-delà des aspects économiques, l'Afrique était en butte à une fracture technologique avec un faible accès à Internet et à la télévision. En 2004, le dernier rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) titrait sur la fracture numérique et soulignait le fossé qui séparait l'Afrique du reste du monde.

Or depuis 10 ans, l'Afrique connaît une intégration dans les réseaux mondiaux à une vitesse et à un niveau sans précédent. Des difficultés demeurent, mais les dynamiques en cours illustrent l'intégration croissante du continent dans la mondialisation.

Les échanges dans les domaines du commerce, des voyages et des télécommunications se développent à un rythme soutenu dans la majeure partie de l'Afrique.

Le nombre de ressortissants africains qui se déplacent en dehors du continent n'a jamais été aussi élevé, notamment les professionnels des affaires, les touristes et les migrants.

A. LA FIN D'UN ISOLEMENT RELATIF

Premier témoin de cette interconnexion croissante de l'Afrique : le développement du trafic aérien qui a augmenté ces huit dernières années de 8,75 % en moyenne par an, soit le deuxième taux de croissance mondiale.

L'Europe reste la principale destination des vols intercontinentaux et concentre 56 % du trafic, mais les échanges avec la région Asie-Pacifique ne cessent de croître.

Le trafic global du pavillon africain sur les vols internationaux, avec notamment les trois premières compagnies africaines -South African Airways, Kenyan Airways et Ethiopian Airlines- a doublé au cours de la dernière décennie.

D'après les prévisions de l'association du transport aérien international en Afrique, le nombre d'avions de ligne devrait plus que doubler dans les vingt années à venir sur le continent. Et si les compagnies locales peinent à se regrouper pour atteindre des tailles critiques, les compagnies européennes ou du Moyen-Orient, mais aussi certaines compagnies africaines profitent déjà de l'augmentation du trafic.

Un nouvel eldorado pour les géants Boeing et Airbus et leurs concurrents

Ainsi pour John Leahy, le directeur commercial d'Airbus, « l'Afrique sera, d'ici une dizaine d'années, pour le transport aérien, « l'équivalent du Moyen-Orient», aujourd'hui. » 26 ( * ) .

Des taux de croissance du trafic maritime et aérien entre 8 et 12 % depuis une décennie

L'avion mais aussi le transport maritime profitent de l'ouverture du continent africain.

Les flux maritimes, tous modes confondus, affichent en Afrique des taux de 10 % à 12 % de croissance par an.

La croissance et les destinations du trafic maritime africain sont à l'image des exportations qui transitent à 95 % par voie maritime.

Les compagnies maritimes ne s'y trompent pas et réorganisent leurs flottes pour répondre au mieux aux évolutions de la demande africaine.

L'Afrique ne représente toujours que 3 % des volumes mondiaux, avec une quinzaine de millions d'EVP 27 ( * ) manutentionnés sur l'ensemble du continent en 2011.

Mais, au rythme actuel, le continent pourrait en traiter 38 millions dès 2020, selon les prévisions concordantes du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale, et devrait atteindre 176 millions d'EVP à l'horizon 2040.

Cette augmentation est liée à la croissance du trafic enregistrée depuis 2000 sur l'axe Afrique-Asie, qui représente aujourd'hui un bon quart du commerce africain grâce à la Chine, pays avec lequel le continent échange le plus. 129 milliards de dollars ont été échangés par voie maritime entre la Chine et l'Afrique en 2010, soit 10 fois plus qu'il y a 10 ans.

Sur l'ensemble du continent, une hiérarchie portuaire sous-régionale s'orchestre autour de quelques grandes portes d'entrées adossées la plupart du temps à des marchés intérieurs régionaux importants : Abidjan, Tema et Dakar à l'Ouest, Luanda, Pointe Noire et Douala au Centre, Mombasa, Port Soudan et Dar es Salam à l'Est.

Une véritable révolution portuaire subsaharienne est en marche.

En moins d'une décennie, la part des intérêts privés dans l'exploitation des terminaux conteneurisés africains est passée de moins de 15 % à plus de 70 % : une véritable révolution portuaire subsaharienne est en marche avec des investissements colossaux à la clef.

Sur la façade ouest-africaine, le port marocain de Tanger a investi 7,5 milliards d'euros entre 2004 et 2012 qui ont permis la mise en service de Tanger Med et de ses infrastructures modernes, il y a cinq ans. Tanger Med n'est cependant pas un cas isolé.

Dans son sillage, les ports de toute la façade ouest-africaine ont clairement entrepris leur mue, à grand renfort de centaines de millions d'euros. Les installations obsolètes et les infrastructures sous-dimensionnées de la région entravaient le développement des pays côtiers comme de ceux de l'intérieur -en jouant le rôle de goulet d'étranglement à l'import comme à l'export. Mais la donne change. Entre Dakar et Cotonou, tous les grands ports généralistes ont, depuis le milieu des années 2000, lancé des projets de concession pour l'exploitation, la gestion et le développement des activités conteneurisées.

Sur la rangée Dakar-Douala, ce sont près de 2 milliards de dollars qui devraient être investis par les acteurs privés sur les terminaux à conteneurs.

« Nous investissons en moyenne 250 millions d'euros par an sur les ports africains », nous a indiqué Dominique Lafont, président de Bolloré Africa Logistics (BAL). Depuis que le groupe a remporté une première concession à Abidjan en 2003, les chantiers se succèdent, de la Guinée au Congo en passant par le Nigeria.

Longtemps la façade est-africaine a été caractérisée par sa pauvreté en infrastructures portuaires d'envergure. Seuls une quinzaine de ports disposent de quais, moins d'une dizaine de grues et de portiques. Déconnectés des grandes routes maritimes, installés historiquement sur des sites peu favorables à l'établissement de ports en eau profonde, les ports de la façade est ont également pris du retard en ne suivant pas le mouvement de passage au privé opéré sur la façade occidentale.

Mais la situation évolue à grande vitesse. DP World est arrivé en 2000 à Djibouti, où il a bâti le port à conteneurs de Doraleh, et en 2006 à Maputo, au Mozambique. Le gigantesque projet portuaire à Lamu, au Kenya, dont le budget s'élève à 19 milliards d'euros et celui - concurrent - de Bagamoyo, en Tanzanie, d'un montant de 7,6 milliards d'euros, ont été officiellement lancés en mars dernier. Ces projets succèdent aux investissements de l'Afrique du Sud dans les nouvelles infrastructures de Ngqura à quelque 20 km au nord-est de Port Elizabeth.


* 25 Philippe Moreau Defarges, relations internationales, point seuil, page 177.

* 26 69 e édition de l'assemblée générale de l'IATA Association du transport aérien international en Afrique.

* 27 L'équivalent vingt pieds ou EVP  (en anglais, twenty-foot equivalent unit : TEU) est une unité approximative de mesure de conteneur qui regroupe à la fois les conteneurs de 20 pieds et de 40 pieds. On l'utilise pour simplifier le calcul du volume de conteneurs dans un terminal ou dans un navire. Un conteneur de 20 pieds vaut 1 EVP et un conteneur de 40 pieds en vaut 2.

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