V. LE REVERS DE LA MONDIALISATION : TRAFICS ILLICITES ET RÉSEAUX TERRORISTES

Si l'intégration de l'Afrique dans les réseaux mondiaux d'échanges est un facteur de croissance économique et de découverte scientifique, il s'accompagne également d'une croissance des trafics illicites en provenance ou au départ de l'Afrique, de l'insertion de mouvements rebelles dans des réseaux plus vastes inspirés par le djihadisme armé et d'un développement sans précédents de la piraterie.

La plongée de l'Afrique dans la mondialisation a sa face sombre.

Ces nouvelles menaces se déploient de façon privilégiée dans les déserts du Sahel et dans les océans qui bordent les côtes africaines, deux éléments qui ont en commun de former des espaces creux, mal contrôlés, peu contrôlables, des zones grises qui échappent aux pouvoirs publics des Etats.

Sur les mers ou dans le sable africain, les trafics illicites se développent dans les zones désertées par les puissances publiques.

Sur mer, la criminalité favorisée par des zones de non-droit, le long des côtes africaines à l'ouest dans le golfe de Guinée, à l'est au large de la Somalie, et dont une des conséquences est l'émergence d'une véritable « industrie » de la piraterie maritime, le pillage des ressources halieutiques, des différends territoriaux et, enfin, une privatisation de l'emploi de la force armée en mer aussi qui pourrait devenir préoccupante si on ne canalise pas ce phénomène.

Sur terre, le Sahel et l'Afrique de l'Ouest sont incontestablement devenus une plaque tournante pour le trafic international de drogues dures telles que l'héroïne et la cocaïne en provenance d'Amérique latine et d'Afghanistan.

Parfois en liaison avec ces trafics, l'Afrique est devenue un terrain de manoeuvre de groupes terroristes islamistes plus ou moins reliés à des réseaux internationaux.

A. « L'AFRICAN CONNEXION »

Zone traditionnelle de contrebande en raison de ses multiples voies de circulation entre Afrique subsaharienne et Maghreb, la région du Sahel fut longtemps essentiellement concernée par le trafic et la contrebande de cannabis, principalement cultivé au Maroc. Cependant, depuis le début du XXI e siècle, la partie nord-ouest de l'Afrique est devenue un carrefour de trafic de drogues de toutes sortes, entraînant la formation de groupes criminels mieux structurés et disposant de moyens financiers et « militaires » accrus.

L'une des explications est que la région est moins risquée que les routes plus directes entre les pays producteurs d'Amérique du sud et le continent européen qui s'avère être aussi le premier marché de consommation mondiale.

L'industrie de la drogue du continent sud-américain utilise les routes le long du 10 e parallèle pour pénétrer par l'Afrique de l'Ouest. Ce trafic est en outre aggravé par la présence d'héroïne et cocaïne provenant d'Afghanistan et transitant aussi par cette zone ainsi que par la côte est du continent africain. La drogue est ensuite acheminée à travers le Tchad, le Mali, le Niger, le Maroc et l'Algérie, dont la porosité des frontières facilite les déplacements, pour être vendue et consommée en Europe.

Selon l'Office des Nations unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) 29 ( * ) , en 2012, il était estimé que 50 tonnes de cocaïne d'un montant de 2 milliards de dollars et équivalant au PNB de la Guinée et de la Sierra Leone réunies ont transité par l'Afrique de l'ouest.

Le montant des transactions de drogue en Afrique de l'Ouest dépasse le budget de nombreux Etats sahéliens

L'essentiel de la cocaïne passe par la Guinée-Bissau, le Ghana, la Guinée Conakry, et le Cap-Vert  qui forment des plaques tournantes depuis lesquelles des mules voyageant à bord de vols commerciaux transportent la drogue jusqu'à leur destination finale.

Le nouveau rapport de l'ONUDC souligne toutefois que la cocaïne n'est pas la seule drogue à transiter par la région. Ses auteurs s'inquiètent de l'émergence de la production de méthamphétamine au Nigeria, où deux laboratoires ont été repérés en 2011 et 2012, ainsi que du nombre de mules qui auraient transporté l'équivalent de 360 millions de dollars de ce stupéfiant en vogue vers l'Afrique de l'Est en 2010.

Les zones de départ sont en évolution constante. La baisse de la Colombie a permis la hausse du Venezuela, de la Bolivie et du Pérou. Le Brésil se développe également depuis quelques années comme zone de transit et plaque tournante. Les zones d'arrivée se diversifient et se déplacent vers l'Est du golfe de Guinée, au Ghana, au Togo, au Bénin et au Nigeria.

De même, les modes de transport et les quantités transportées sont en évolution rapide. Les anciennes grosses cargaisons transportées par voies maritimes commerciales laissent la place à de petites quantités à bord de vecteurs multiples, aussi bien maritimes qu'aériens. Ces évolutions permanentes montrent la capacité de réaction et les moyens financiers considérables à disposition des trafiquants.

Le Nigéria, le Ghana, le Togo et le Bénin représentent une zone d'arrivée et de transit sous le contrôle de groupes nigérians. La drogue arrive soit directement dans les grands ports, soit est redistribuée en mer sur des petits navires qui la diffusent sur le littoral.

Dans ces pays, la corruption est solidement installée. Plus au nord, la Sierra Leone, la Guinée, le Sénégal, le Cap-Vert et la Guinée-Bissau sont également des points d'entrée de la drogue, par voie maritime ou aérienne. Les quatre premiers pays cités sont touchés essentiellement du fait de la corruption mais il y persiste une volonté de contrer le trafic. En revanche, la Guinée-Bissau est déjà considérée comme un narco-Etat où tous les pans de la société sont impliqués, rendant de fait impossible toute lutte ou coopération avec ce pays.

25 % de la cocaïne à destination de l'Europe transitent par l'Afrique de l'Ouest

Avec la hausse de la production et de la consommation de drogues, la piraterie et l'instabilité politique, l'Afrique de l'Ouest pose un défi important tant elle ne constitue plus simplement une voie de transit, mais aussi une destination finale pour la revente de stupéfiants.

Ce trafic de drogue est par ailleurs aggravé par les liens tissés entre les narcotrafiquants, les gouvernants et les appareils sécuritaires de la région ainsi que certains groupes terroristes présents au Sahel tel que le Mouvement d'Unité pour le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).

En sus du trafic de drogue et d'armes, l'importante contrebande de cigarettes à travers le Sahel est aussi très rémunératrice pour les trafiquants de la région.

Les cigarettes qui proviennent d'usines de contrefaçon, principalement du Nigeria, sont distribuées dans la région, au Maghreb, au Moyen-Orient et en Europe. Ce trafic est une source secondaire de financement pour les groupes terroristes, qui, même s'ils ne sont pas directement impliqués dans ce genre de contrebande, s'enrichissent toutefois en imposant un impôt contre une « garde rapprochée » aux contrebandiers.

Dans ce mélange des genres, les groupes terroristes tel qu'AQMI ont très rapidement compris l'intérêt qu'ils pouvaient tirer en établissant un gentlemen's agreement avec certains groupes criminels, par exemple s'agissant de la capture d'otages. En effet, alors que les actions violentes d'AQMI sont présentées sous des idéaux religieux, le groupe est néanmoins intéressé par l'appât du gain à travers ses demandes de rançons.

Par ailleurs, la chute de Kadhafi en Libye et l'instabilité géopolitique régnante qui s'ensuit, ainsi que la perméabilité des frontières qui facilite le passage d'armes d'un pays à un autre ont procuré aux terroristes et narcotrafiquants une opportunité supplémentaire de renforcer leur position dans la région, aggravant de ce fait la situation au Sahel.

Une corruption solidement installée

C'est dans ce contexte que la prolifération d'armes, de drogues, de trafics de cigarettes et autres produits illicites s'enracine au Sahel. Mais ce dévolu sur la région est aussi principalement dû à la faiblesse des Etats qui composent cette zone géographique, au manque flagrant de surveillance, à la porosité des frontières ainsi qu'à la corruption qui gangrène les institutions de ces mêmes Etats, telles que l'armée, la douane ou la police.

Afin de combattre ce fléau, la coopération entre les Etats, mais aussi entre les différentes organisations et autres institutions internationales, est une condition sine qua non pour obtenir des résultats probants.

La source de ce problème se trouve évidemment aussi dans la faiblesse des systèmes éducatifs et l'étroitesse du marché de l'emploi. Aussi, c'est en améliorant les conditions de vie des populations locales, en conduisant des programmes d'éducation et de développement économique et en renforçant l'Etat de droit que les trafics en tous genres, en Afrique de l'Ouest et au Sahel, pourront être, sinon éradiqués, tout au moins combattus.

L'augmentation des activités criminelles dans la région souligne le besoin urgent d'actions afin de renforcer la souveraineté des Etats concernés. Car il est incontestable que ce trafic en Afrique de l'Ouest est en train de se propager comme une traînée de poudre à travers tout le continent africain.

La mauvaise passe dans laquelle se trouve actuellement le Mali est sans nul doute préoccupante. Mais les origines de cette crise sont présentes dans d'autres Etats de la région, et la complaisance de certains gouvernants envers les trafics en fait partie.


* 29 Source : ONUDC : Criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest, février 2013

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page