CONCLUSION

L'allocation temporaire d'attente traduit, par son coût tout autant que par ses dysfonctionnements, les insuffisances du système actuel de gestion de l'asile .

L'ATA souffre d'abord de difficultés internes : barème inadapté, trop attractif pour les demandeurs isolés et peu protecteur pour les familles ; gestionnaire inadéquat, sans lien avec la procédure d'asile ; versement aux demandeurs abusifs (demandes de réexamen, dépôts de la demande plusieurs mois après l'entrée sur le territoire national).

Elle souffre, surtout, des problèmes structurels de la gestion de l'asile sur le territoire national : transformation de la demande d'asile en filière d'immigration économique alternative, délais globaux de traitement des demandes supérieurs à un ou deux ans, concentration des flux dans certaines régions, notamment l'Ile-de-France, insuffisance de l'offre d'hébergement en CADA, complexité des démarches et multiplicité des acteurs impliqués dans la procédure.

Le présent rapport, conçu comme une feuille de route pour l'évolution de l'ATA et comme une contribution à la réforme de l'asile, propose ainsi un système plus intégré, plus rapide et qui donne à la fois plus de place aux autorités publiques et davantage de protection aux personnes ayant subi d'authentiques persécutions dans leur pays .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 octobre 2013, sous la présidence de Mme Fabienne Keller, vice-présidente, la commission a examiné le rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration » et a entendu une communication sur son contrôle budgétaire relatif à l'allocation temporaire d'attente.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - Pour faire suite à notre débat précédent, je tiens d'abord à dire au rapporteur général que mon parti n'a en rien renoncé à défendre la progressivité de l'impôt sur le revenu.

M. François Marc , rapporteur général . - Tel jeune dirigeant de votre parti la rejette.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - Erreur de jeunesse, manque d'expérience ! Ce sont des cas isolés.

Le budget 2014 proposé pour la mission « Immigration, asile et intégration » poursuit les orientations de 2013. Avec 653,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 664,9 millions d'euros en crédits de paiement, il est en légère baisse. Il s'agit en fait d'un rééquilibrage après une forte augmentation des crédits en 2013. De plus, la diminution des crédits est insuffisante pour respecter le plafond triennal, déjà dépassé de 6 millions d'euros - dépassement qui n'est toutefois pas considérable. Enfin, la diminution de certaines dotations en loi de finances initiale devra être confirmée en exécution, car l'État, régulièrement, abonde certains programmes sous-dotés.

Les dépenses liées à l'asile, qui recouvrent pour l'essentiel le financement des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), l'hébergement d'urgence et l'allocation temporaire d'attente (ATA), représenteront 77 % des dépenses de la mission. Elles progressent fortement et de manière désordonnée. C'est que l'augmentation du nombre de demandes s'accélère : sur les sept premiers mois de l'année, 13 % de plus par rapport à la même période de 2012. En 2013, nous aurons environ 70 000 demandes d'asile. Il en résulte une explosion des frais d'hébergement et d'allocation.

L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) traitait les dossiers dans un délai jugé trop long. On a accru son budget de 25 % depuis 2009 et dix postes d'officiers de protection seront créés en 2014 pour accélérer l'étude des dossiers. Mais l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile annihile cet effort et le délai d'examen a encore augmenté au premier semestre 2013, pour s'établir à 204 jours actuellement.

En 2012, l'État a lancé un programme de 4 000 places supplémentaire en CADA, sur deux ans. Celles-ci commencent à être livrées. En 2015, 25 000 places seront disponibles, pour 70 000 personnes à loger. Le ministère de l'intérieur convient du problème mais n'obtient pas de rallonge de Bercy. Au contraire, les crédits de l'hébergement d'urgence et ceux de l'ATA ont diminué respectivement de 10 et 5 millions d'euros. La loi de finances pour 2014 ne sera manifestement pas respectée. Cette année, un décret d'avance a été pris dès le mois de septembre pour abonder une des lignes de l'hébergement d'urgence, celle qui figure au sein de la mission « Égalité des territoires, logement et ville ». Pour ce qui concerne le programme 303, la situation est de même nature et les crédits pour 2014 sont inférieurs à ceux de 2013 !

Je suis inquiet pour le devenir du programme 303 et les crédits de la lutte contre l'immigration irrégulière. Est-ce vraiment sur les centres de rétention administrative qu'il faut faire des économies ? Cela pèsera sur les reconduites à la frontière, au nombre de 21 000 en 2012.

De façon générale, sur l'asile, il est irréaliste de vouloir faire des économies, sauf à assumer un changement de politique. On ne peut laisser entrer les gens et refuser ensuite de payer leur hébergement. Cela ne tient pas.

Surtout, j'exprime mon profond désaccord au sujet du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française ». En effet, les crédits correspondants baissent de 4 millions d'euros, soit 6 % sur un an et 20 % en quatre ans. La première victime en est l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), placé dans une situation intenable, à moins d'une redéfinition de ses missions.

À la baisse des dotations s'ajoute celle, de 10 millions d'euros, du plafond de taxes affectées et la suppression de 15 à 20 ETPT en deux ans. L'Ofii gère l'intégration des étrangers dans la société française, comme les cours de français et de formation civique. Ceux-ci sont remis en cause : une journée de formation est réduite à une session de deux heures, il n'y a plus qu'un niveau unique d'enseignement du français. Il est insensé de ne pas vouloir favoriser l'intégration. Je suis très hostile à la baisse de ces crédits. Le ministre, soumis au rabot, n'en peut mais. Les actions d'intégration hors OFII, subventions aux associations, aides aux foyers de travailleurs migrants, enregistrent une baisse de 4 millions d'euros.

Nous ne pouvons simultanément affirmer que les demandeurs d'asile seront accueillis et ne pas nous donner les moyens de leur intégration. A titre personnel je voterai contre ce budget, qui ne me semble pas convenable ; et comme rapporteur spécial je m'en remets à la sagesse de la commission.

J'en viens aux conclusions de mon contrôle budgétaire sur l'ATA, versée aux demandeurs d'asile majeurs lorsqu'aucune solution d'hébergement en CADA n'a pu leur être proposée. La dépense suit une courbe exponentielle et elle est régulièrement sous-budgétée. L'ATA a coûté près de 150 millions d'euros en 2012, plus de 20 % du total des dépenses de la mission. Le montant prévu pour 2014, 135 millions d'euros, est très sous-estimé. Il faudra l'abonder en cours d'année.

L'ATA et l'hébergement d'urgence ont été conçus comme des solutions subsidiaires, l'accueil en CADA étant la norme. En théorie, du moins, car l'ATA concerne aujourd'hui la majorité des cas. Cet état de fait révèle un système à bout de souffle. Ni les entrées sur le territoire, ni les sorties - en raison des obstacles à la reconduite effective à la frontière - ne sont maîtrisées.

La gestion de l'ATA a été confiée à Pôle Emploi, qui ne connaît pas les procédures et ignore les décisions rendues par l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Un rapport d'inspection de 2013 évalue à plus de 20 % le taux de versements indus, à des demandeurs déboutés ou logés en CADA, soit 30 millions pour 2012. Je propose deux solutions : la mise en place d'un système d'information partagé entre Pôle Emploi, l'OFII, l'OFPRA et la CNDA, et le transfert de la gestion de l'ATA à l'OFII. Les gouvernements, il faut le dire, ne se sont guère donné la peine de former ni d'informer les agents de Pôle Emploi ; aucune circulaire n'a été adaptée au fil du temps, pas même lorsque des dispositions étaient invalidées par la justice...

L'ATA, d'un montant de 336 euros par mois et par bénéficiaire, est en apparence plus élevée que les aides existant dans les autres pays européens. Cependant nous n'avons pas d'ATA familiale, le montant de l'allocation ne tient pas compte du nombre d'enfants à charge. C'est une aberration. Je propose de réduire le montant pour les demandeurs isolés et de l'augmenter pour les familles.

Il y a aujourd'hui des abus. L'aide continue parfois à être versée après rejet de la demande par la CNDA et tant qu'il n'a pas d'obligation de quitter le territoire. Le demandeur présente une demande de réexamen, grâce à quoi il obtient à nouveau l'ATA, et ainsi de suite. Cela peut durer longtemps ! Nous avons visité une plateforme d'accueil des familles de demandeurs d'asile à Paris. La situation y est très difficile, bien que le personnel des associations qui gèrent ces centres soit parfaitement digne et compétent. En pratique, il m'a été dit que les passeurs déposent directement devant la porte du foyer plusieurs familles, qui sont ensuite enregistrées, obtiennent un rendez-vous trois mois plus tard, puis reçoivent l'ATA parfois pendant deux ans, voire deux ans et demi. Or, certains demandeurs ne sont manifestement pas éligibles. L'ATA ne suffit pas pour vivre, mais tout est organisé par les réseaux pour adjoindre à cette part fixe un revenu variable : prostitution, racket, mendicité.

Il faut changer le système d'accueil, le ministère de l'intérieur en convient. Par rapport aux 61 000 demandes d'asile de 2012, 10 000 ont été acceptées par l'OFPRA, 30 000 ont fait l'objet d'un recours à la CNDA, qui en a validé 5 000. Finalement, un quart des demandes reçoit une suite positive. Sur les 45 000 demandeurs d'asile déboutés, 5 000 sont partis d'eux-mêmes, 10 000 ont été reconduits à la frontière et 30 000 sont mécaniquement devenus des sans-papiers. Nous proposons que le premier accueil soit confié à un organisme régalien, en l'occurrence l'OFII, le mieux placé. Il serait habilité à transmettre à l'Ofpra pour traitement immédiat d'une part les demandes à l'évidence légitimes, d'autre part celles manifestement infondées.

Le droit d'asile est un droit ancien de la République, il doit être préservé. S'il devient une voie d'immigration économique, il ne remplit plus son rôle.

M. Philippe Dallier . - Ces crédits sont insincères. Que proposez-vous ? Y a-t-il des solutions, reposant sur la fongibilité des crédits ? Mais faut-il déshabiller Pierre pour habiller Paul ?

M. Philippe Dominati . - Y a-t-il une coordination à l'échelle européenne pour définir les critères du droit d'asile ? Existe-t-il une liste, comme pour les paradis fiscaux, de pays qui font l'objet d'une attention particulière ?

M. Edmond Hervé . - Ces chiffres montrent que la France est plébiscitée, je m'en réjouis. Je veux faire une observation sur la fonction régalienne de l'État et le transfert de ses compétences à des agents extérieurs. Nous sommes en pleine hypocrisie comptable. De 2006 à 2012 les ministères ont perdu 103 100 agents, mais les établissements à caractère administratif en ont gagné 79 000, tout ceci cautionné par la Cour des comptes.

Mme Michèle André . - Il est utile que le premier accueil du demandeur soit pris en charge par des services publics, c'est un des points-clés. Confier cette charge à des associations, aussi sérieuses soient-elles, peut avoir un effet pervers. En toute bonne foi, elles ne peuvent pas faire la différence entre une première demande légitime et des demandeurs déjà déboutés après un refus de la CNDA. Quant aux réseaux de passeurs, il y a évidemment une lutte à mener, car ils vivent d'un commerce de violence et de mort, le drame de Lampedusa l'a rappelé récemment.

Nous voterons ces crédits, mais il faut en effet être attentif. Monsieur le rapporteur, peut-être auriez-vous pu proposer un amendement sur l'OFII ? Il serait logique d'offrir l'asile aux Syriens, comme le fait, je crois, beaucoup plus facilement l'Allemagne. C'est une erreur de confondre l'asile, l'immigration et la délinquance. Nous avions souligné ce problème lors de la discussion sur la loi relative à l'immigration en 2007. Le droit d'asile repose sur la convention de Genève et n'a rien à voir avec l'immigration économique ou climatique.

Mme Marie-France Beaufils . - Ce rapport très riche nous renseigne très précisément sur la situation. Il est essentiel, pour préparer l'avenir, de reconnaître et d'intégrer ceux qui ont un droit à obtenir l'asile chez nous.

Le premier accueil par un service public est essentiel si l'on veut être efficace. J'ai été souvent saisie, comme chacun de vous, du cas de personnes qui ont été mal orientées dès l'origine - j'ose espérer que c'est involontaire - avec pour conséquence un allongement des procédures et bien des difficultés.

Nous nous abstiendrons sur le vote des crédits, car nous apprécions positivement l'augmentation des places en Cada et d'autres points positifs. Quant aux événements de Lampedusa, ils montrent la nécessité de traiter ces problématiques à l'échelle européenne.

M. Yannick Botrel . - Renforcer les moyens humains pour traiter plus rapidement les dossiers aurait aussi pour effet de raccourcir la durée de versement de l'allocation. De quel montant serait l'économie ? Est-il possible de l'estimer ?

Mme Fabienne Keller , vice-présidente . - Dans l'accueil des demandeurs, les problèmes de traduction sont un obstacle considérable à l'efficacité des procédures.

Je signale les travaux du Conseil de l'Europe et en particulier de son commissaire aux droits de l'homme, Nils Muiúniesk, qui travaille sur les conventions internationales et leur application. La bonne échelle sur ces questions est non pas l'Union européenne mais l'Europe. Je cède la parole au rapporteur général.

M. François Marc, rapporteur général . - Je me rallie aux propos de Michèle André.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - J'espérais pourtant que vous m'aideriez à convaincre Bercy. C'est un regret, car je me considère dans une certaine mesure comme l'émissaire de Manuel Valls...

M. François Marc , rapporteur général . - Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'on laisse rentrer les gens et qu'on ne paye pas. Des gens entrent sur le territoire : c'est une donnée sur laquelle nous avons peu de prise. Par ailleurs, la conjoncture budgétaire nous oblige à être pointilleux sur tous les sujets.

M. Roger Karoutchi . - Je dis seulement que nous autorisons ces personnes à rester longtemps sur le territoire, sans avoir les moyens de les accueillir correctement. Pour répondre à Philippe Dallier, étant opposé à la baisse globale des crédits du programme 104, il me serait difficile d'opérer un transfert vers le programme 303.

L'hypocrisie fait qu'il n'y a pas de liste de pays non sûrs, mais une liste, nationale et non européenne, de pays dits « sûrs ». Cependant certains pays, passés depuis longtemps à la démocratie, n'ont pas été inclus dans la liste, ce qui ouvre des opportunités pour une immigration qui est en fait de nature économique.

On ne peut se dire pays d'accueil sans prévoir de crédits d'intégration. Si les moyens sont insuffisants, il n'est pas étonnant que cette intégration soit médiocre. Quant à l'orientation des demandeurs, il faut effectivement un service public efficace au départ. Le seul dépôt d'un dossier de demande peut prendre jusqu'à cinq mois. Les demandeurs sont ballottés entre cinq ou six lieux différents, entre les services de premier accueil, d'hébergement, de contrôle d'identité, de dépôt de la demande, etc. Nous devons donner plus de moyens à l'OFII et redéfinir ses missions, en lui confiant l'accueil. Michèle André a évoqué la convention de Genève : celle-ci est dépassée par la réalité des flux...

Mme Michèle André . - Il y a des fondamentaux à connaître.

M. Roger Karoutchi . - Certes, mais le droit d'asile ne conserve un sens que s'il est concrètement mis en oeuvre au service des personnes réellement persécutées. S'agissant des réfugiés syriens que vous avez mentionnés, la France s'est engagée à en accueillir cinq cents. Dans les trois derniers mois, l'Allemagne en a accueilli dix fois plus.

Pour répondre à Fabienne Keller, les coûts d'interprétariat sont d'autant plus importants que les demandes d'asile doivent être remplies en français.

Le ministère a lancé une mission de récupération des indus versés par Pôle Emploi : entre 9 et 10 millions d'euros ont été récupérés en 2012.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Elle a donné acte de sa communication à M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

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