AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Trente ans ont passé depuis que notre ancien collègue Robert Badinter, alors garde des Sceaux, déclarait à la tribune de notre assemblée, en préambule à l'examen de la loi du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d'infractions : « quiconque a vécu la réalité judiciaire ou tout simplement a partagé la condition d'une victime sait qu'en ce domaine où devrait s'exercer une effective et chaleureuse solidarité règnent le plus souvent l'indifférence et l'égoïsme » 1 ( * ) .
La procédure pénale française reconnaît des droits à la victime d'une infraction : dès 1906, la chambre criminelle de la Cour de cassation lui a ouvert la faculté de mettre en mouvement l'action publique afin de faire valoir ses droits 2 ( * ) . L'article 2 du code de procédure pénale dispose quant à lui que « l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ».
Pourtant, la victime a longtemps été la grande oubliée du procès pénal, dont l'objet est avant tout de rechercher, de poursuivre et de juger les auteurs d'infractions dans l'intérêt de la protection de la société.
Les pouvoirs publics ne pouvaient toutefois rester sourds à des situations d'iniquité manifeste et à une dénonciation croissante des obstacles juridiques et pratiques auxquels les victimes d'infractions se trouvaient confrontées tout au long de leur parcours judiciaire.
Depuis une trentaine d'années, les Gouvernements successifs, de toutes sensibilités, se sont efforcés d'améliorer l'accompagnement des victimes et d'aménager la procédure afin de rendre pleinement effectif leur droit à la réparation du dommage causé par l'infraction. À cette fin, plusieurs lois ont été adoptées et des crédits sont désormais dégagés chaque année au sein de la mission « justice » pour soutenir un important et essentiel réseau d'associations d'aide aux victimes 3 ( * ) .
Afin de dresser le bilan de l'ensemble de ces dispositifs, et, le cas échéant, formuler des propositions susceptibles de les améliorer, votre commission des lois a confié à vos rapporteurs une mission d'information consacrée à l'indemnisation des victimes d'infractions pénales.
À cette fin, vos rapporteurs ont souhaité s'entourer des avis de l'ensemble des professionnels concernés - associations d'aide aux victimes, magistrats, avocats, professeurs de droit, commission nationale consultative des droits de l'homme, représentants des compagnies d'assurance, institutions publiques, ainsi que, naturellement, Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), qui joue un rôle essentiel en matière d'indemnisation des victimes.
Ils se sont également déplacés sur le terrain, à la rencontre des professionnels et des associations, à la cour d'appel d'Angers, à la cour d'appel de Lyon ainsi qu'à la maison de la justice et du droit de Gennevilliers.
Au total se dessine un bilan en demi-teinte : de l'avis très largement partagé par les personnes entendues, la France peut se féliciter d'avoir mis en place un dispositif complet, alliant le droit pour la victime de se constituer partie civile au cours de la procédure pénale et l'existence d'un système d'indemnisation fondé sur le principe de la solidarité nationale pour la prise en charge des dommages les plus lourds. Le rapport établi en 2012 par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), émanation du Conseil de l'Europe, le souligne également (voir annexe) 4 ( * ) , et la France répond largement sur ce point aux obligations désormais posées par l'Union européenne en matière de protection des victimes dans le cadre des procédures pénales 5 ( * ) .
Toutefois, en dépit d'un état du droit relativement satisfaisant, vos rapporteurs ont pu identifier certaines faiblesses ou rigidités, qui, dans les faits, conduisent à compliquer singulièrement l'exercice de ses droits par une victime par ailleurs déjà fragilisée par l'infraction subie. La disparité des pratiques des différents tribunaux sur l'ensemble du territoire national est également patente : l'égalité de traitement entre les victimes n'est pas assurée. Enfin, l'adoption successive de réformes, souvent insuffisamment précédées d'une nécessaire évaluation du droit en vigueur, a conduit à un empilement de textes peu lisible.
Le présent rapport entend attirer l'attention sur ces différents points.
Il distingue deux problématiques complémentaires :
- d'une part, les conditions dans lesquelles la victime d'une infraction est prise en compte par l'ensemble des acteurs du procès pénal tout au long de la procédure et les obstacles juridiques et pratiques auxquels elle est parfois confrontée pour obtenir la condamnation de l'auteur à lui verser des dommages et intérêts et à le contraindre à s'acquitter ensuite de cette obligation ;
- d'autre part, la lisibilité et l'accessibilité des mécanismes d'indemnisation reposant sur la solidarité nationale et mis en place au bénéfice des victimes les plus durement touchées ou les plus fragiles.
Dans le cadre du temps imparti par la présente mission d'information, vos rapporteurs ont concentré leur attention sur l'indemnisation des victimes d'infractions « de droit commun », sans toutefois méconnaître les nombreuses questions soulevées par les régimes spéciaux d'indemnisation (victimes de terrorisme, d'accidents de la circulation, d'une exposition à l'amiante, etc.) sur lesquels votre commission a, par ailleurs, l'occasion de se pencher régulièrement.
Pour l'essentiel, ils ont souhaité formuler des propositions destinées à améliorer la lisibilité du droit et à simplifier les démarches pour les victimes en s'appuyant, dans un souci de pragmatisme, sur les dispositions en vigueur. Ils ne se sont toutefois pas interdit de tracer ponctuellement des pistes d'évolution plus ambitieuses, tout en restant conscients de la nécessité d'en évaluer précisément l'impact avant toute mise en oeuvre.
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* 1 Sénat, compte-rendu intégral des débats de la séance du 25 mai 1983.
* 2 Arrêt « Laurent-Atthalin » de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 décembre 1906.
* 3 Un secrétariat d'État aux droits des victimes, placé sous l'autorité du garde des sceaux et confié à Mme Nicole Guedj, a même existé entre mars 2004 et mai 2005.
* 4 Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/default_fr.asp
* 5 Directive 2001/220/JAI relative au statut des victimes dans le cadre des procédures pénales. Directive 2004/80/CE du 29 avril 2004 relative à l'indemnisation des victimes de la criminalité. Directive - en cours de transposition - 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité.