I. POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE LA VICTIME À CHAQUE STADE DU PROCÈS PÉNAL
Vos rapporteurs ont été animés tout au long de leurs travaux par une conviction partagée : lorsqu'une personne est victime d'une infraction pénale, c'est avant tout à l'auteur des faits qu'il revient de réparer le préjudice qu'elle a subi . Il en va tout à la fois de l'équité et du nécessaire apaisement des relations sociales auquel la justice participe ; indemniser la victime est également un élément essentiel de la responsabilisation de l'auteur et un gage de sa réinsertion.
L'article 1382 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » : toute personne victime d'un dommage causé par une infraction pénale peut solliciter réparation de celui-ci devant les juridictions civiles.
Toutefois, depuis le début du XX ème siècle, le droit pénal reconnaît à la victime la possibilité de porter sa demande en réparation devant la juridiction pénale chargée de juger l'auteur des faits, ce qui lui permet le cas échéant, tout à la fois, d'une part de mettre en mouvement l'action publique et de participer ainsi à la manifestation de la vérité et à la condamnation de l'auteur et, d'autre part, d'obtenir réparation.
Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, l'article préliminaire du code de procédure pénale dispose que « l'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ».
Pourtant, dans les faits, l'exercice de cette action civile se révèle souvent être un chemin semé d'embuches, comme vos rapporteurs ont pu le constater au cours de leurs auditions, tant de multiples obstacles pratiques sont susceptibles de se dresser tout au long de la procédure.
A. CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE : UN DROIT PARFOIS DIFFICILE À FAIRE VALOIR
La victime d'une infraction qui souhaite obtenir la condamnation de l'auteur des faits à lui verser des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice subi doit pour ce faire se constituer partie civile devant la juridiction pénale chargée de juger l'intéressé.
Le code de procédure pénale a été modifié à plusieurs reprises pour faciliter les démarches de la victime :
- d'une part, la constitution de partie civile peut être faite à plusieurs stades de la procédure : au cours de l'instruction, avant l'audience de jugement par déclaration au greffe de la juridiction saisie ou au cours de l'audience elle-même. Dans ces hypothèses, il appartient à la victime de se présenter (directement ou par son avocat) à l'audience de jugement. Toutefois, dans le souci de faciliter les démarches pour les victimes, la loi du 2 février 1981 a introduit à l'article 420-1 du code de procédure pénale la possibilité d'une constitution de partie civile par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, qui dispense la victime de comparaître. La loi du 15 juin 2000 précitée a par ailleurs instauré la possibilité d'une constitution de partie civile dès le stade de l'enquête devant l'officier ou l'agent de police judiciaire ;
- d'autre part, afin de rendre ce droit effectif, le législateur a prévu que la victime d'une infraction devrait être spécialement informée de son droit à se constituer partie civile et à obtenir réparation de son préjudice : cette information est délivrée par les officiers et les agents de police judiciaire dans le cadre de l'enquête de flagrance (article 53-1 du code de procédure pénale) ou de l'enquête préliminaire (article 75 du code de procédure pénale). Dans le cadre de l'instruction, cette information est donnée par le juge d'instruction, dès le début de l'information judiciaire (article 80-3 du code de procédure pénale). En ces différentes occasions, la victime est informée de son droit d'être assistée d'un avocat ou d'être aidée par une association d'aide aux victimes, ou encore, le cas échéant, de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) pour obtenir une indemnisation sans attendre l'issue de la procédure pénale (voir encadré).
Extrait des articles 53-1 et 75 du code de procédure pénale « Les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les victimes de leur droit : « 1° D'obtenir réparation du préjudice subi ; « 2° De se constituer partie civile si l'action publique est mise en mouvement par le parquet ou en citant directement l'auteur des faits devant la juridiction compétente ou en portant plainte devant le juge d'instruction ; « 3° D'être, si elles souhaitent se constituer partie civile, assistées d'un avocat qu'elles pourront choisir ou qui, à leur demande, sera désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats près la juridiction compétente, les frais étant à la charge des victimes sauf si elles remplissent les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle ou si elles bénéficient d'une assurance de protection juridique ; « 4° D'être aidées par un service relevant d'une ou de plusieurs collectivités publiques ou par une association conventionnée d'aide aux victimes ; « 5° De saisir, le cas échéant, la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, lorsqu'il s'agit d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 ; « 6° De demander une ordonnance de protection, dans les conditions définies par les articles 515-9 à 515-13 du code civil. Les victimes sont également informées des peines encourues par le ou les auteurs des violences et des conditions d'exécution des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre ». |
La mise en oeuvre de ces dispositions se heurte toutefois fréquemment à des difficultés pratiques.
1. Une information insuffisamment accessible
Dans les faits, l'information délivrée à la victime d'une infraction consiste fréquemment en la remise d'un simple formulaire , rédigé souvent dans des termes peu accessibles et peu compréhensibles.
De nombreux interlocuteurs ont ainsi souligné le caractère profus, trop technique et standardisé des formulaires d'information, tandis que vos rapporteurs ont eu la surprise de constater la disparité des pratiques en la matière sur l'ensemble du territoire national (voir un exemple en annexe).
En outre, M. Jean Danet, maître de conférences à l'université de Nantes, a souligné qu'il arrivait encore, en particulier dans certaines grandes villes, que des officiers et agents de police judiciaire relevant de la police nationale omettent de remettre à la victime le formulaire d'information contenant, entre autres, les coordonnées de l'association d'aide aux victimes.
Cet état de fait est d'autant plus préjudiciable que, d'après une enquête réalisée par le ministère de la justice en 2008, seulement 14% des victimes s'adressent à une association d'aide aux victimes.
De nombreux facteurs peuvent expliquer la faiblesse des dépôts de plainte (voir encadré) ; le manque d'information sur les suites de la procédure et sur la possibilité de se voir indemnisé y contribuent sans doute pour une large part.
Se déclarer victime : de l'atteinte subie au
dépôt de plainte
Environ une personne sur cinq estime avoir été victime d'au moins une agression au cours des deux dernières années. Sur cette sous-population, seulement 24 % font une déclaration à la police et 16 % vont jusqu'à porter plainte. Un peu plus de la moitié de ces atteintes sont des injures, une sur cinq des menaces, autant de vols et tentatives de vols avec ou sans violence et moins d'une sur dix des violences physiques. La part des personnes agressées diminue avec l'âge. La démarche de la victime suite à l'agression, déclaration à la police ou à la gendarmerie et dépôt de plainte, dépend essentiellement de sa gravité. Ainsi, plus de neuf injures sur dix ne seront pas déclarées parce que les victimes ont jugé majoritairement l'atteinte peu grave, alors que la moitié des vols sont déclarés. Lorsque les victimes de vols et de violences physiques font une déclaration à la police ou à la gendarmerie, dans près de huit cas sur dix, elles vont jusqu'au dépôt de plainte, alors que moins de la moitié des victimes d'injures et de menaces qui se sont déplacées portent finalement plainte. Les victimes attendent avant tout de leur plainte qu'elle permette l'identification et la condamnation de leur agresseur (30 % des cas), qu'elle les protège ou qu'elle empêche que l'incident ne se reproduise (27 %). Plus de la moitié des victimes ont jugé utile d'avoir porté plainte (54 %), mais plus d'un quart jugent leur démarche totalement inutile (27 %). Cette insatisfaction s'explique surtout par l'ignorance des suites données à leur plainte, principalement en cas de vol. Source : ministère de la justice, à partir des enquêtes annuelles « cadre de vie et sécurité » 2007 et 2008 (enquêtes « de victimation ») réalisées par l'INSEE, en partenariat avec l'observatoire national de la délinquance et le ministère de la justice. |
En outre, plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné le caractère particulièrement inadapté des formulaires d'information dès lors qu'ils sont remis à des publics vulnérables : personnes âgées, personnes peu éduquées ou maîtrisant mal le français, etc. Pour reprendre les termes de M. Bertrand Nadau, premier vice-président chargé de l'instruction au TGI de Lyon, il est parfois difficile de faire émerger les droits de la victime lorsque celle-ci n'est pas en mesure de les exercer - d'autant plus que, comme l'a souligné M. Marc Cimamonti, procureur de la République au TGI de Lyon, de nombreuses victimes ne demandent pas à bénéficier de l'aide juridictionnelle alors même qu'elles remplissent les conditions pour y avoir accès.
Enfin, comme l'a souligné Mme Annie Guilberteau, directrice générale du centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), ce déficit d'information laisse perdurer dans l'esprit de certaines victimes des stéréotypes sur l' « indécence » ou le caractère inapproprié des demandes en réparation de certains préjudices (notamment en matière de violences sexuelles) - les réticences des victimes à s'engager dans une demande d'indemnisation étant exacerbées dans le cas des violences conjugales, dans lesquelles la crainte est forte de voir la demande de réparation se retourner in fine contre la victime.
Au total, vos rapporteurs estiment indispensable d'améliorer significativement l'information effectivement délivrée aux victimes, en s'assurant que ces dernières ont été mises en mesure de comprendre la procédure qui s'engage et les conséquences d'une constitution de partie civile.
Cela passe par un effort supplémentaire de sensibilisation et de formation des personnels de police et de gendarmerie (notamment par un renforcement des « référents victimes » présents dans les commissariats et les brigades de gendarmerie), mais également par l'établissement d'un formulaire d'information lisible, clair et complet , identique sur l'ensemble du territoire national et facilement accessible.
Le cas échéant, ce formulaire devrait préciser les modalités d'indemnisation spécifiques à certaines infractions ou à des infractions commises dans des circonstances particulières. En particulier, comme l'a relevé Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), une très large majorité de victimes ignore qu'elles ont la possibilité, lorsque les faits ont été causés par un mineur, d'être indemnisées par l'assureur des parents de ce dernier en application des articles L. 113-1 et L. 121-12 du code des assurances : ce droit devrait être expressément dans le formulaire d'information remis aux victimes de faits commis par des mineurs.
Proposition n°1 : améliorer l'information délivrée aux victimes dès leur dépôt de plainte, par un effort supplémentaire de sensibilisation et de formation des personnels de police et de gendarmerie, mais également par l'établissement, au niveau national, d'un formulaire d'information clair, lisible et accessible sur les conséquences de la constitution de partie civile et sur les diverses voies d'indemnisation dont elles disposent. |
2. Des obstacles persistants
La constitution de partie civile peut parfois se heurter à des obstacles techniques - dont certains pourraient presque prêter à sourire s'ils n'étaient pas si lourds de conséquences pour les intéressés.
Mme Brigitte Angibaud, avocat général près la cour d'appel d'Angers, a ainsi souligné les difficultés de transmission des informations relatives à la victime entre la police et la gendarmerie, d'une part, et les services du parquet, d'autre part : en particulier, les fichiers de police et de gendarmerie ne mentionnent pas expressément la demande de constitution de partie civile de la victime, qui n'y figure qu'à titre de « plaignante », si bien que l'information n'est à ce jour pas relayée dans Cassiopée 6 ( * ) . De ce fait, si la victime ne se manifeste pas d'elle-même auprès du greffe du tribunal ou à l'audience, la juridiction de jugement peut ne pas avoir connaissance de sa constitution de partie civile, ce qui est fortement regrettable.
Des travaux sont en cours depuis quelques mois pour améliorer l'interface entre les différentes applications informatiques des services de police de gendarmerie et de la justice : vos rapporteurs ne peuvent qu'insister pour que la transmission des informations relatives à la victime fasse l'objet d'une priorité dans ce cadre.
Proposition n°2 : assurer l'interconnexion des fichiers de police et de gendarmerie, d'une part, et de la justice, d'autre part, afin d'assurer le suivi de la victime - partie civile tout au long de la procédure, ce qui suppose a minima l'utilisation d'une terminologie commune pour désigner la victime. |
Plusieurs magistrats ont également souligné les difficultés de mise en oeuvre de l'article 420-1 du code de procédure pénale. Celui-ci permet à la victime de se constituer partie civile pour demander la restitution d'objets saisis ou des dommages et intérêts par lettre recommandée ou au cours de l'enquête de police, ce qui la dispense de comparaître à l'audience de jugement.
Cette possibilité semble peu utilisée en pratique. Le recours à cette procédure implique en effet que la victime fasse parvenir au service de police ou de gendarmerie qui a enregistré sa plainte les pièces justificatives de sa demande d'indemnisation (certificats médicaux, etc.). À supposer que la victime en dispose suffisamment rapidement (voir infra ), cette étape peut être mal appréhendée par les services d'enquête qui n'établissent pas systématiquement un procès-verbal spécifique de constitution de partie civile, distinct des autres pièces de la procédure, et omettent fréquemment de recueillir les éléments d'information nécessaires sur l'auteur (sa personnalité, ses facultés contributives) et la victime (notamment son numéro de sécurité sociale) pour étayer la procédure.
Quant à la possibilité de faire parvenir ces justificatifs directement au tribunal, l'exigence d'une transmission par lettre recommandée avec avis de réception ou par télécopie peut être regardée comme une contrainte supplémentaire pour la victime, en particulier lorsqu'est mise en oeuvre une procédure rapide de jugement (voir infra ).
Vos rapporteurs ne peuvent donc qu'attirer l'attention sur ce point et appeler à une réflexion sur la nécessaire clarification des conditions dans lesquelles la victime peut se constituer partie civile, au cours de l'enquête, sur le fondement de l'article 420-1 du code de procédure pénale.
Ceci rejoint d'ailleurs les observations formulées il y a huit ans par la mission d'information de votre commission des lois relative aux procédures accélérées de jugement, dont le président était notre ancien collègue Laurent Béteille et le rapporteur notre collègue François Zocchetto, qui notait : « certains parquets ont donné des instructions afin que soit désigné au sein des services de police et de gendarmerie un référent volontaire chargé des victimes et que soient recueillis les renseignements nécessaires à la réparation du préjudice au moyen de procès-verbaux spécifiques relatifs aux capacités contributives de l'auteur de l'infraction. La mission estime cette dernière mesure primordiale pour permettre ensuite une bonne indemnisation de la victime et recommande donc sa systématisation » 7 ( * ) .
Proposition n°3 : améliorer la procédure permettant à la victime de se constituer partie civile au cours de l'enquête de police. |
* 6 Cassiopée est l'application informatique dont sont désormais équipés l'ensemble des tribunaux de grande instance, y compris les services de l'instruction et des mineurs, à l'exception des TGI de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Saint-Martin
* 7 « Juger vite, juger mieux ? Les procédures rapides de traitement des affaires pénales, état des lieux », rapport n°17 (2005-2006), 12 octobre 2005, page 91.