LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Jeudi 21 novembre 2013

Table ronde : L'état des lieux des violences

Comité ONU Femmes France

Mme Fanny Benedetti

Directrice exécutive

Amnesty International France

Mme Anne Castagnos-Sen

Responsable « Plaidoyer »

M. Régis Bar

Coordinateur Colombie

Mme Martine Royo

Coordinatrice Bosnie

Association française d'étude sur les Balkans

M. Yves Tomic

Vice-président, historien

Fédération Mères pour la paix

Mme Nanou Rousseau

Fondatrice et ancienne présidente

M. Louis Guinamard

Journaliste, auteur de « Survivantes : femmes violées dans la guerre en République démocratique du Congo »

Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF)

Mme Monique Halpern

Ancienne présidente, responsable du déploiement international de Fédération Pionnières

ONG libyenne Observatory on gender in crisis

Mme Souad Wheidi

Présidente

Jeudi 28 novembre 2013

Ministère de la Défense
État-major des armées

Mme Françoise Gaudin

Haut fonctionnaire à l'égalité au ministère de la Défense

Lieutenant-colonel Pierre Duchesne

État-major des Armées

Jeudi 5 décembre 2013

Table ronde : Le point de vue des historiens et de l'anthropologue

Anthropologue

Mme Véronique Nahoum-Grappe

Ingénieure de recherche en anthropologie à l'École des hautes études en sciences sociales et au CNRS

Historiens

Mme Raphaëlle Branche

Maîtresse de conférences en histoire au Centre d'histoire sociale du XX ème siècle (Université de Paris I -Panthéon-Sorbonne)

M. Fabrice Virgili

Directeur de recherche au CNRS

Ministère des Affaires étrangères

Mme Yamina Benguigui

Ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée de la Francophonie

Jeudi 12 décembre 2013

Table ronde : La réponse des soignants et de l'aide humanitaire aux violences

Gynécologie sans frontières (GSF)

Dr Richard Beddock

Vice-président exécutif

Comité international de la Croix Rouge (CICR)

Mme Ghislaine Doucet

Conseiller juridique à la délégation du CICR en France

Médecins sans frontières (MSF)

Dr Marc Gastellu Etchegorry

Médecin épidémiologiste, premier secrétaire médical international

Fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF)

M. Andy Brooks

Conseiller régional pour la protection de l'enfance à Dakar

Mme Amendine Duc

Responsable des relations avec le Parlement et les pouvoirs publics (Direction générale France)

Médecins du monde (MDM )

Contribution écrite

(Comité médical pour les exilés) COMEDE

Mme Yasmine Flitti

Membre de la direction

Mme Laure Wolmark

Responsable du service psychothérapie et santé mentale

I. L'AMPLEUR DU DÉSASTRE : UN ÉTAT DES LIEUX BOULEVERSANT

1. Les populations civiles, victimes des conflits armés actuels

Pourquoi le sort des populations civiles, et notamment des femmes, est-il une dimension omniprésente des conflits actuels ? Pourquoi ces conflits menacent-ils la sécurité des femmes d'une manière aussi grave ?

Richard Beddock (Gynécologie sans frontières) a rappelé que les conflits s'étaient déplacés vers les lieux où vivent les populations . Les guerres d'aujourd'hui ne se font plus sur des champs de bataille, mais au coeur-même de la vie des gens : les victimes sont donc désormais en premier lieu des personnes vulnérables - femmes et enfants - dont le quotidien est directement affecté par la guerre .

Ghislaine Doucet (CICR) a considéré que les risques courus par les femmes pendant les conflits armés étaient liés à leur situation de soutien de famille , qui caractérise généralement les femmes pendant les guerres et qui les expose de manière particulière. Parmi les autres causes de vulnérabilité particulière aux femmes, on peut citer selon elle les déplacements de population , fréquents pendant les guerres : or les femmes se trouvent dans ces circonstances particulièrement démunies, sans papiers ni ressources, ce qui accroît leur vulnérabilité, de même que le fait de ne pas être autorisées, dans certains pays, à voyager seules...

2. Un constat : des violences sexuelles généralisées dans les conflits actuels

Ghislaine Doucet (CICR) a fait observer que les violences sexuelles subies par les femmes du fait des conflits armés, qui font partie des priorités du Comité international de la Croix-Rouge, s'inscrivaient dans un ensemble dont relevaient par ailleurs les pillages, les destructions de biens, les tortures et l'enrôlement des « enfants soldats » .

En Colombie , où un conflit interne oppose depuis plusieurs décennies forces de sécurité et groupes paramilitaires, Régis Bar (Amnesty) a montré que les violences sexuelles répondaient à divers objectifs : terroriser les communautés, faciliter les déplacements forcés de population - domaine dans lequel la Colombie dispute le premier rang mondial avec le Soudan -, se venger des groupes ennemis, intimider les femmes qui participent au combat pour les droits de l'homme et fournir des esclaves sexuelles aux combattants .

En Bosnie , Nanou Rousseau (Mères pour la paix) a rappelé que les viols suivis de grossesses forcées avaient pour objet de faire subir à l'ennemi l'humiliation majeure du « mélange des sangs ». Les camps de viols où les femmes subissaient des viols répétés sont en effet une des spécificités des atrocités perpétrées pendant le conflit en ex-Yougoslavie. Raphaëlle Branche, historienne, a insisté sur le fait que les camps constituaient l'une des innovations de la période actuelle en matière de violences, notant qu'ils étaient le « lieu privilégié de viols collectifs et répétés » pour les captifs. Or les camps de viol font obstacle à l'établissement de statistiques précises sur le nombre d'agressions subies par les victimes, que l'on estime compris pour la Bosnie entre 20 000 et 60 000 femmes. Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, a évoqué le rôle des médecins chargés dans ces camps de s'assurer que les femmes ne portaient pas de stérilets, pour garantir qu'elles puissent être enceintes de l'« enfant de l'ennemi » : « Dans une culture où la filiation est transmise par les hommes, il importe de détruire la filiation de l'ennemi » pour anéantir celui-ci. « C'est un passé qui ne passe pas » 3 ( * ) , a conclu Nanou Rousseau (Mères pour la paix), soulignant ainsi la difficulté de se reconstruire pour les survivantes du conflit en ex-Yougoslavie.

S'agissant de la Libye , le témoignage de la présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis confirme la responsabilité du chef de l'État lui-même 4 ( * ) dans le recours systématique au viol et à l'esclavage sexuel et relève que le viol y a été un aspect des représailles « atroces » exercées contre les populations des villes libérées puis reconquises par le pouvoir : « Des viols systématiques et massifs ont eu lieu dans chaque maison. Personne ne pouvait y échapper : les victimes étaient des femmes, des jeunes filles, des enfants et des vieillards ».

Dans le Kivu , où l'âge des victimes serait compris entre 3 et 80 ans, 400 000 viols auraient été perpétrés entre 2003 et 2008. Nanou Rousseau (Mères pour la paix) cite aussi le chiffre de 40 viols par jour ; 500 000 viols auraient été commis depuis la fin de la guerre au Rwanda.

La ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, qui en République démocratique du Congo a rencontré des victimes de ces violences et qui s'est rendue dans des camps de réfugiés, a évoqué l'image insoutenable de fillettes de quelques mois , originaires du Nord Kivu, dont le bassin a été détruit par le viol : « les petites filles sont transformées en poupées de sang » et les combattants en « monstres pédophiles »...

Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, a relevé l'injustice supplémentaire faite aux femmes du fait de la contamination du Sida liée aux viols : au Rwanda, les bourreaux auraient ainsi reçu des trithérapies en prison, contrairement à leurs victimes .

Anne Castagnos-Sen (Amnesty) a noté la gravité de la situation des femmes et des filles dans les camps de réfugiés , où elles subissent des violences telles que harcèlement, mariage forcé et viols : « la fuite du pays où ont été commis ces crimes ne met pas toujours les femmes à l'abri des violences », mentionnant à cet égard le camp de Zaatari, évoqué par un rapport d'Amnesty international, où sont accueillies de nombreuses réfugiées de Syrie , et où la présence du HCR ne suffit pas à éviter les violences.

Ghislaine Doucet (CICR) a également commenté la situation des hommes victimes des viols, le plus souvent lorsqu'ils sont détenus. Souad Wheidi (Observatory on gender in crisis) a confirmé ce dernier point au sujet de la Libye . Marc Gastellu Etchegorry (MSF) a estimé que 24 % des soldats auraient subi des viols au Congo , cette proportion semblant être de 32 % au Liberia . Il a relevé la difficulté d'évaluer précisément le nombre de victimes car « les hommes ont encore plus de mal à consulter que les femmes », parce qu'ils hommes craignent que le fait d'avoir été violé conduise à les assimiler à des homosexuels, a fortiori dans les pays où l'homosexualité est punie par la loi.

Ghislaine Doucet (CICR) a également évoqué les violences sexuelles subies par les enfants et les jeunes garçons.

Il faut toutefois insister, sans minimiser la gravité des sévices ainsi infligés aux hommes, aux enfants et aux jeunes garçons, que le risque de grossesse non désirée et le fait de mettre au monde un enfant ennemi constituent une dimension spécifique du viol subi par les femmes pendant les conflits .

3. Un lien entre violences du temps de paix et violences du temps de guerre

Selon Andy Brooks (UNICEF), les conflits ne font qu'aggraver la situation antérieure au conflit dans les pays concernés, où le taux de violences, notamment sexuelles, était souvent déjà élevé avant le déclenchement de la guerre. Des études conduites par l'UNICEF en en Afrique de l'Est et en Afrique de l'Ouest sur les violences subies par les enfants révèlent en effet qu'une fille sur trois y aurait subi des violences sexuelles pendant sa vie, en dehors de tout conflit armé.

Les effets de ces violences ne s'arrêtent pas aux frontières des pays où elles sont commises. Selon Yasmine Flitti ( Comité médical pour les exilés) , 65 % des femmes suivies en France dans le cadre d'un parcours migratoire ont subi des violences dans leur pays d'origine ; 16 % ont subi des tortures.

La situation de ces femmes exilées en France confirme la continuité entre les violences du temps de guerre et celles du temps de paix : Laure Wolmark (COMEDE) a ainsi fait état de violences dont ces femmes sont victimes en France du fait des nombreux risques auxquels les exposent leur situation de grande précarité ; elle a également insisté sur le fait que ces femmes n'avaient pas facilement accès aux dispositifs d'aide d'urgence destinés en France aux femmes victimes de violences.

4. La souffrance des victimes

Les conséquences dramatiques de ces agressions sur la santé des victimes ont été relevées par tous les intervenants.

Martine Royo (Amnesty) a estimé « physiologiquement détruites » les victimes des violences subies en Bosnie dans les camps de viols.

S'agissant de la région de la République démocratique du Congo , la ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, a tout particulièrement évoqué les « escadrons de violeurs porteurs du virus du sida » qui « propagent la maladie en toute impunité » : le viol devient ainsi assimilable à une « nouvelle arme biologique » ; il agit à la fois comme un « instrument de génocide » et de « nettoyage ethnique », mais aussi comme une « technique rustique d'extermination à moindre coût ».

Marc Gastellu Etchegorry (MSF) a fait état des nombreuses blessures (dont certains requièrent des interventions chirurgicales spécifiques) liées aux violences sexuelles que traitent les équipes de Médecins sans frontières dans les 80 pays où elles sont présentes (dont 40 connaissent des situations de conflit). Depuis 2007, 75 000 patients ont ainsi été soignés, soit plus de 10 000 par an. Il a montré l'enjeu que représente le suivi régulier de ces patients après l'agression, pour la prévention tant des maladies sexuellement transmissibles, du sida que de l'hépatite B.

En ce qui concerne la prévention des grossesses non désirées , Marc Gastellu Etchegorry (MSF) a commenté les solutions proposées aux femmes pour que leur soit administrée par exemple une contraception d'urgence, voire pour qu'elles subissent une IVG, dans le contexte délicat créé par des législations locales.

Compte tenu de l'ampleur des besoins d'assistance médicale dans les territoires en guerre, relevés par Richard Beddock (Gynécologie sans frontières), le rôle des soignants présents sur place se limite trop souvent à la prise en charge des urgences vitales . Venir à bout des conflits et des violences qui les accompagnent permettrait aux équipes médicales de se concentrer sur la sécurité médicale lors des accouchements et sur les soins de périnatalité , qui constituent un défi en soi.

À cet égard, Richard Beddock a particulièrement insisté sur les conséquences des conflits sur la santé maternelle et infantile , particulièrement fragilisée en temps de guerre . Il a toutefois relevé que les conflits ne faisaient qu' amplifier des difficultés sanitaires qui existent déjà en temps de paix dans ce domaine particulier de la santé publique : « La mortalité maternelle touche 1 000 femmes par jour » ; « sa diminution est trop lente » . Un séisme de 35 secondes en Haïti a fait 200 000 morts : la mortalité maternelle dans le monde représente chaque année en pertes humaines, selon le Docteur Beddock, l'équivalent de près du double d'un tel séisme...

Les statistiques du COMEDE montrent l'état de santé très dégradé des femmes exilées en France et confirme les constats qui précèdent sur la situation des victimes, plus fréquemment atteintes que les hommes de psychotraumatismes graves, de maladies cardio-vasculaires, de cancers et d'affections à VIH.

Les séquelles psychologiques dont souffrent les victimes de ces violences ont été évoquées par Marc Gastellu Etchegorry (MSF) a également mentionné l'importance des « blessures invisibles » pour les victimes : celles-ci souffrent de troubles mentaux (sommeil, comportement, anxiété...). Selon Martine Royo (Amnesty), parmi les victimes rencontrées en Bosnie , nombreuses sont celles qui souffrent de syndrome post-traumatique.

Les conséquences psychologiques dramatiques des viols ont, s'agissant de la situation en Libye , été confirmées par Souad Wheidi (Observatory on gender in crisis) : « Il faut voir le regard de ces femmes : c'est un regard mort » ; les victimes « restent marquées à tout jamais » ; « une part de ces femmes est morte ».

La misère des victimes est unanimement dénoncée.

Les difficultés matérielles que rencontrent les victimes de Bosnie sont, comme l'a souligné Martine Royo (Amnesty), aggravées par leur incapacité fréquente à travailler. Vingt ans après le conflit, l'accès improbable à des soins médicaux gratuits est l'un des aspects de l'extrême précarité de ces victimes, dont le grand dénuement contraste avec la situation des anciens combattants, qui perçoivent pension et indemnisation. Le statut de victime aurait été attribué à 1 000 femmes seulement (une proportion infime par rapport au nombre de victimes), qui reçoivent ainsi 280 € par mois de pension : le coût des traitements médicaux rendus nécessaires par les sévices qu'elles ont subis s'élevant à 80/100 € par mois, cette pension ne permet pas à ces femmes de faire face à leur situation de soutien de famille...

Régis Bar (Amnesty) a relevé combien « le manque d'assistance médicale, sociale, psychologique et financière [était] criant » en Colombie .

D'après tous les intervenants, la nécessité d'élever les enfants nés du viol est un aspect de ces nombreux traumatismes vécus par les victimes survivantes. La question de l'avenir de ces enfants est très problématique : « les enfants soldats sont souvent des enfants nés du viol » , a relevé Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie. Dans la région de l'Afrique des grands lacs, ces enfants, par ailleurs fréquemment séropositifs, sont de surcroît menacés par une extrême précarité 5 ( * ) .

Une autre conséquence dramatique de ces violences réside dans le rejet des victimes par leur propre communauté . La stigmatisation sociale a été soulignée par tous les intervenants comme l'un des fardeaux les plus cruels dont les victimes héritent du fait des agressions qu'elles ont subies.

Dans le camp de Kanyaruchinya, à 5 km de la ligne de front entre les militaires de l'armée régulière congolaise et le mouvement rebelle du M-23, Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie, a fait état de la présence de très nombreuses femmes bannies de leurs familles , dont la situation sanitaire est déplorable et qui vivent en quelque sorte dans une « société en parallèle », « dans un radeau de la méduse immense ». La stigmatisation sociale a été relevée par tous les interlocuteurs de la délégation comme l'un des aspects les plus graves de la situation de ces survivantes. Selon Fabrice Virgili, historien, il s'agit là d'une autre violence, celle exercée par le groupe, qui souligne la particularité du viol du temps de guerre : la victime est en quelque sorte coupable d'avoir survécu.

Selon Souad Wheidi (Observatory on gender in crisis), cette culpabilité conduit en Libye à mettre en danger la vie des survivantes, menacée par leur propre famille : tuer ces femmes permet de « laver la honte ».

Pour limiter l'ampleur de la stigmatisation sociale, Marc Gastellu Etchegorry (MSF) a insisté sur la nécessité d'assurer une confidentialité parfaite des soins reçus auprès des équipes humanitaires : au moindre doute sur la réalité de cette confidentialité, les patients « ne viennent pas ». Dans cet esprit, il a également souligné l'« absence d'armes », impérative dans les centres de soins, afin que l'accès des patients à ces structures soit sécurisé.

5. Les conséquences dévastatrices de ces violences pour l'entourage des victimes

L'une des particularités de ces violences de guerre est que le désastre qu'elles causent ne se limite pas aux victimes elles-mêmes, mais s'étend à tout leur entourage . Souad Wheidi (Observatory on gender in crisis) l'a souligné : le viol d'une jeune fille vise également l'humiliation du père contraint d'assister à son supplice : « Dans une société traditionnelle comme la société libyenne, c'est le pire qui puisse arriver à un être humain ».

Autre caractéristique de ces violences : elles sont dévastatrices pour l'ensemble de la société . Ce point a été régulièrement évoqué. Louis Guinamard, journaliste, distingue ainsi, s'agissant du Congo , les « victimes directes » (« les femmes, dans leur corps, dans leur tête, dans leur âme ») des « victimes indirectes » : l'entourage, les familles, les villages, les communautés « qui sont extrêmement éprouvées, surtout quand les viols sont perpétrés en masse ». La société toute entière enfin est affectée par la chute du tabou du viol, qu'encourage l'impunité des bourreaux. Il semble donc que l'on puisse craindre dans ce pays une sorte de banalisation du viol , susceptible de conduire à sa contagion des militaires vers les civils.

C'est pourquoi Andy Brooks (UNICEF), s'agissant plus particulièrement de la situation des enfants, a insisté sur la nécessité d'une action qui ne se limite pas au traitement médical et au soutien psychologique, mais qui aborde aussi les relations familiales des victimes et les aides économiques qui, de manière très concrète, doivent leur permettre d'avancer dans la vie. Une autre approche, également nécessaire, consiste selon lui à s'attacher aux racines du problème, qui résident dans normes sociales et les inégalités entre hommes et femmes.

Enfin, les intervenants ont attiré l'attention de la délégation sur le du cap franchi en matière d'atrocités à l'époque actuelle. Le rôle des camps a été évoqué plus haut ; Souad Wheidi (Observatory on gender in crisis) a également commenté la torture supplémentaire qui résulte pour les victimes du fait que leur supplice ait été filmé . Selon une des victimes qu'elle a rencontrées, avoir été filmée ajoutait une humiliation et une crainte supplémentaires aux souffrances morales et physiques endurées pendant l'agression. « Ce film [du viol subi en Libye par une fillette] a changé toute ma vie. Depuis que je l'ai vu, je milite pour la cause des victimes ». Ces images de leur agression, largement diffusées notamment par les téléphones portables, sont une menace permanente pour les victimes et pour leurs proches , d'autant plus que la diffusion de ces films est parfois devenue l'objet de chantages. Certaines victimes vivent ainsi dans la terreur que les images de leur agression se retrouvent sur des sites pornographiques.

Dans cette logique, Raphaëlle Branche, historienne, estime que le « rôle de l'image » et de la mise en scène de ces violences constitue l'une des spécificités de la période contemporaine, citant à cet égard, entre autres exemples, les clichés de la prison d'Abou Ghraïb en Irak : l'utilisation de l'image « renforce la violence subie car l'image duplique à l'infini l'avilissement de la victime ».

L'ampleur des conséquences (médicales, psychologiques, matérielles et sociales) de ces violences pour les victimes et leur entourage exige - tous les intervenants l'ont souligné - une approche globale du fléau que constituent les violences sexuelles liées aux conflits qui englobe une action politique et juridique au niveau international.


* 3 Voir le compte rendu de la réunion du 21 novembre.

* 4 Voir Annick Cojean, Les proies dans le harem de Kadhafi.

* 5 Voir le compte rendu de la deuxième audition du 5 décembre 2013.

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