2. La régulation financière du littoral

L'instrument fiscal est mobilisé de longue date pour la préservation du patrimoine naturel du littoral. Les activités économiques traditionnelles ou propres au littoral ne sont pas en reste, puisqu'elles bénéficient d'un grand nombre de dépenses fiscales, à l'instar du crédit d'impôt pour les exploitants pratiquant l'agriculture biologique.

L'incitation financière est cependant sous-utilisée. Toute politique d'aménagement réclame un certain degré de solidarité fiscale . La loi Littoral ne fait pas exception à cette règle, la question de l'équité étant au coeur des critiques formulées à son encontre.

LES MESURES FISCALES EN FAVEUR DE LA PROTECTION DU LITTORAL

Le rapport d'étape du Comité pour la fiscalité écologique, publié le 18 juillet 2013, présente un panorama des mesures fiscales en faveur de la protection du littoral. Celles-ci ont peu évolué par rapport au recensement réalisé dans le cadre du Bilan de la loi Littoral et des mesures en faveur du littoral effectué en 2007. La plupart de ces mesures concernent les espaces remarquables, même si elles ne leur sont pas toujours spécifiques.

La loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996 a étendu la faculté de dation en paiement des droits de mutation à titre gratuit au profit du Conservatoire du littoral . Les contribuables pouvaient déjà acquitter leurs droits de mutation en remettant à l'État des oeuvres d'arts, des livres, des objets de collection et des documents de haute valeur artistique ou historique. Ils peuvent désormais le faire en remettant au Conservatoire des espaces naturels littoraux.

La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a instauré une taxe « sur les passages maritimes à destination d'espaces naturels » . Elle est ajoutée au prix payé par les passagers embarqués à destination d'un site naturel classé, d'un parc nationale, d'une réserve naturelle, d'un site protégé par le Conservatoire du littoral ou d'un port desservant l'un de ces espaces. Pour 2013, le tarif est fixé à 7  % du prix hors taxes du titre de transport aller, dans la limite de 1,60 € par passager. Cette taxe est perçue au profit de la personne publique qui assure la gestion de l'espace naturel protégé ou, à défaut, de la commune sur laquelle cet espace se trouve.

La loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a introduit une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties des zones humides et des sites Natura 2000 , pour une durée de cinq ans renouvelable.

La loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 et la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux ont introduit des dispositions ciblant spécifiquement les espaces remarquables :

- une exonération à hauteur de 75 % des droits de mutation à titre gratuit à condition que l'héritier s'engage à préserver l'espace pendant les dix-huit années suivant la succession ;

- une déduction des frais de restauration et de gros entretien de ces espaces au titre des revenus fonciers déclarés par leurs propriétaires ;

- la possibilité de déduire du revenu global les dépenses afférentes à la préservation des espaces naturels remarquables si ces derniers ont reçu le label de la Fondation du Patrimoine.

Ces deux dernières possibilités sont aujourd'hui remplacées par une réduction d'impôt de 18  % dans la limite d'un plafond annuel de 10 000 euros.

Enfin, le droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) perçu au bénéfice du Conservatoire du littoral a fait l'objet de plusieurs aménagements. Son verdissement s'est accéléré à la suite des Grenelle de la Mer et de l'Environnement, les possibilités d'exonération étant réduites depuis 2012.

a) La compensation des effets pervers par un mécanisme de péréquation

La loi Littoral est accusée, à juste titre, de pénaliser les plus vertueux. Seul un mécanisme de péréquation pourrait permettre de compenser cet effet pervers .

Il s'agit en effet de prendre en compte la contribution environnementale de certaines communes « préservées »  mais qui supportent, avec de faibles rentrées fiscales, le poids d'une forte attractivité, par rapport à d'autres qui poursuivent leur développement générateur de richesses (urbanisation, hébergements touristiques). La compensation financière des charges liées à la protection est ainsi justifiée par le fait que les communes avoisinantes tirent bénéfice des espaces naturels en matière de tourisme ou d'agrément pour leurs habitants, sans avoir à en supporter les charges . Cette compensation s'apparente davantage à un juste retour sur investissement de la protection environnementale.

Cette réflexion dépasse le seul champ de la loi Littoral. A terme, elle s'inscrit dans le cadre de la mise en place d'une fiscalité environnementale destinée à générer des ressources pour les territoires qui font le choix de la protection « éco-environnementale » rendant ainsi des services « éco-systémiques » aux territoires voisins.

En attendant que le cadre fiscal de la transition environnementale soit clairement établi, vos rapporteurs préconisent de s'appuyer sur les instruments existants : ils suggèrent d' intégrer un indicateur de protection dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes littorales. A l'heure actuelle, la DGF des collectivités est essentiellement assise sur la superficie et la population : elle ne permet pas de récompenser les communes les plus vertueuses. Son mode de calcul pourrait inclure une composante proportionnelle au taux d'artificialisation des sols des communes littorales . Les communes les plus urbanisées contribueraient ainsi au financement de celles dont le front bâti est peu étendu.

Des solutions similaires ont déjà été mises en oeuvre dans d'autres contextes. Ainsi, la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux a introduit un critère supplémentaire dans le calcul de la DGF au bénéfice des communes situées dans un parc national. Ce critère est fonction de la part de la superficie de la commune comprise dans le périmètre d'un parc national, cette part étant doublée pour le calcul de la dotation lorsque cette superficie dépasse 5 000 kilomètres carrés. À partir du moment où de telles dérogations existent, la mission estime indispensable que la politique d'aménagement du littoral puisse s'appuyer sur un mécanisme de péréquation via la DGF. L'argument fondé sur l'introduction d'un degré supplémentaire de complexité ne lui paraît pas fondé , dans la mesure où le calcul de la DGF est déjà dénoncé pour son opacité.

b) Le lissage des effets de bord par une mutualisation de la rente foncière

Le droit de l'urbanisme repose entièrement sur une démarche de zonage. Dans les secteurs où la pression foncière est forte, ce fonctionnement induit des disparités considérables : la valeur d'un terrain varie fortement en fonction du classement qui lui est attribué . Bien que les choix de zonage résultent en principe de critères objectifs et d'analyses approfondies, l'existence d'effets de seuil pèse sur l'acceptabilité sociale des documents d'urbanisme. Ce problème dépasse le seul cadre du littoral, mais il est exacerbé par la pression foncière particulière qu'il subit . Le classement de terrains à l'urbanisation, dans des sites fortement demandés, crée des plus-values considérables sur le foncier.

Vos rapporteurs préconisent d' introduire une mesure de lissage de l'impact des choix de zonage sur les prix du foncier en s'inspirant, par exemple, du dispositif de transfert de coefficient d'occupation des sols de l'article L. 123-4 du code de l'urbanisme. Concrètement, il s'agirait d'atténuer les effets de seuil : l'écart de prix entre deux terrains voisins, l'un étant classé constructible et l'autre non, pourrait être réduit par un partage local de la rente foncière. La charge de la préservation des espaces naturels littoraux serait ainsi mieux répartie sur l'ensemble des parcelles de la commune ou de l'intercommunalité.

LE TRANSFERT DES DROITS À CONSTRUIRE

Cette technique permet d'orienter l'aménagement sur une partie du territoire de la commune. Elle repose sur un principe d'échange de droits entre une zone réceptrice (peu étendue) sur laquelle il est convenu de développer l'urbanisation, et une zone émettrice (beaucoup plus vaste) fermée à l'urbanisation. Pour que les propriétaires de la zone réceptrice puissent construire, ils doivent acquérir des droits auprès des propriétaires de la zone émettrice. Ce transfert s'accompagne d'une servitude d'inconstructibilité de l'espace émetteur vidé de ses droits. Cette servitude ne peut être levée que par décret pris sur avis conforme du Conseil d'État.

Ce mécanisme économique vise à freiner la course à la constructibilité des terrains en répartissant la plus-value issue de la déclaration de constructibilité. Les propriétaires de la zone émettrice, dont le terrain devient inconstructible, bénéficient de la plus-value issue de la constructibilité de la zone réceptrice , par le biais du rachat des droits. Outre la lutte contre la spéculation, ce dispositif permet d'orienter l'aménagement à long terme. Ce système sécurise la protection d'espaces puisque les territoires vidés de leurs droits sont définitivement inconstructibles. Il s'agit donc d'un moyen de densification et de lutte contre la consommation de nouveaux espaces.

Cette modalité d'aménagement a été introduite par la loi n° 75-1328 du 31 décembre 1975 portant réforme de la politique foncière (« loi Galley ») sous le nom de « transferts de droits à bâtir ». Elle a été réservée à certains secteurs précis, notamment pour organiser les grandes opérations immobilières à Paris et dans les stations de ski. Ce mécanisme a été peu utilisé en pratique, en raison notamment de la complexité des réglages à opérer pour que le système puisse fonctionner et qu'un véritable marché s'organise. Pourtant, il s'est révélé efficace dans les quelques communes qui l'ont mis en oeuvre .

Dans le cadre du Grenelle de la mer, l'ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 a réintroduit un dispositif de « transfert de coefficient d'occupation des sols (COS) » pour les zones naturelles, codifié à l'article L. 123-4 du code de l'urbanisme. Ses dispositions sont entrées en vigueur au 1 er janvier 2013. Le retour d'expérience est pour le moment limité.

Cette solution conduirait également à réduire l'instabilité financière qui résulte structurellement de la loi Littoral : chaque modification de ses dispositions entraîne en effet des conséquences financières qu'il est difficile de maîtriser. L'élaboration des documents de planification qui en déclinent l'application à l'échelle locale serait également facilitée.

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