III. Des questions de principe qui restent à résoudre

A. Quelle autonomie pour les ARS ?

1. Une politique nationale de santé déclinée localement vs. une politique régionale de santé ?

Alors que, au moment du dépôt du projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires », le Gouvernement envisageait que les ARS aient « pour mission de définir et de mettre en oeuvre la politique régionale de santé, dans le cadre de la politique [nationale] de santé publique », la loi HPST a, à l'initiative du Sénat, inversé cette logique, en prévoyant que les ARS ont « pour mission de définir et de mettre en oeuvre un ensemble coordonné de programmes et d'actions concourant à la réalisation, à l'échelon régional et infrarégional [...] des objectifs de la politique nationale de santé ». Ainsi, il ne s'agit pas pour elles de mener une politique régionale mais de mettre en oeuvre au niveau régional la politique nationale de santé.

Cette clarification importante laisse cependant pendantes un certain nombre de questions. La première concerne naturellement la définition de la politique nationale de santé publique qui date de 2004 46 ( * ) et qui devra être actualisée dans le prochain projet de loi relatif à la stratégie nationale de santé. Ensuite, qu'entend-on exactement par le fait de décliner régionalement la politique de santé définie au niveau national ? Jusqu'à quel point les ARS peuvent-elles définir des actions et programmes différents des objectifs nationaux ? Quelles sont leurs marges de manoeuvre, tant politiques que financières ?

On l'a vu, les outils mis à la disposition des ARS sont restés très homogènes entre les régions, tant pour les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens que pour les instructions validées par le CNP, nombreuses et très détaillées. Il n'était certainement pas souhaitable de procéder autrement dans cette phase de démarrage. Les ARS ont pourtant réussi, à partir du travail d'évaluation des besoins réalisé à l'occasion de la préparation du projet régional de santé, à poser les bases d'une adaptation locale de la politique nationale.

Les ARS ne constituent pas des services déconcentrés de l'Etat mais des établissements publics autonomes : cette innovation ne peut vivre réellement qu'en changeant de paradigme dans la manière d'appréhender la mise en oeuvre des politiques publiques. Tous les outils, y compris en termes d'évaluation ex-ante et ex-post sont en place pour passer d'une logique de moyens à une logique d'objectifs.

2. Les marges de manoeuvre financières à la disposition des ARS doivent être confortées mais ne pourront que rester limitées par rapport à l'ensemble de l'Ondam
a) Le Fonds d'intervention régional (FIR) : une opportunité récente...

Le Fonds d'intervention régional a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 ; il vise à donner aux agences régionales de santé une plus grande souplesse dans la gestion de certains de leurs crédits.

Article L.1435-8 du code de la santé publique

Un fonds d'intervention régional finance, sur décision des agences régionales de santé, des actions, des expérimentations et, le cas échéant, des structures concourant à :

1° La permanence des soins, notamment la permanence des soins en médecine ambulatoire ... et la permanence des soins en établissement de santé ... ;

2° L'amélioration de la qualité et de la coordination des soins. Des aides peuvent être accordées à ce titre à des professionnels de santé, à des regroupements de ces professionnels, à des centres de santé, à des pôles de santé, à des maisons de santé, à des réseaux de santé, à des établissements de santé ou médico-sociaux ou à des groupements d'établissements, ... ;

3° L'amélioration de la répartition géographique des professionnels de santé, des maisons de santé, des pôles de santé et des centres de santé ;

4° La modernisation, l'adaptation et la restructuration de l'offre de soins dans le cadre des contrats prévus à l'article L. 6114-1 et conclus avec les établissements de santé et leurs groupements, ainsi que par le financement de prestations de conseil, de pilotage et d'accompagnement des démarches visant à améliorer la performance hospitalière ;

5° L'amélioration des conditions de travail des personnels des établissements de santé et l'accompagnement social de la modernisation des établissements de santé ;

6° La prévention des maladies, la promotion de la santé, l'éducation à la santé et la sécurité sanitaire ;

7° La mutualisation au niveau régional des moyens des structures sanitaires, notamment en matière de systèmes d'information en santé et d'ingénierie de projets ;

8° La prévention des handicaps et de la perte d'autonomie ainsi qu'aux prises en charge et accompagnements des personnes handicapées ou âgées dépendantes.

...

Le FIR est alimenté par des recettes en provenance de l'assurance maladie, de l'Etat et, le cas échéant, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Il regroupe en fait des financements déjà très majoritairement gérés par les ARS mais dans des enveloppes distinctes et cloisonnées, que ce soit dans les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation, le Fiqcs (fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins), le Fmespp (fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés) ou la mission « Santé » du budget de l'Etat. Des fonds auparavant gérés par les caisses d'assurance maladie en faveur de la prévention et l'éducation à la santé s'y sont agrégés.

Le FIR permet le décloisonnement des crédits et finance principalement trois domaines : la permanence des soins, tant ambulatoire qu'en établissement ; la prévention ; la qualité et la performance des soins. Les ARS peuvent redéployer les crédits au sein du FIR sous la réserve que les crédits de prévention et médico-sociaux soient « sanctuarisés » et ne financent pas des dépenses de soins 47 ( * ) .

Les orientations nationales du FIR sont définies par le CNP, qui est également chargé du contrôle et du suivi de la gestion du fonds. Un arrêté répartit par région les crédits du FIR.

En 2012 , les crédits du FIR se sont élevés à 1,3 milliard d'euros 48 ( * ) , dont 910 millions en provenance de l'assurance maladie, 173 millions de l'Etat et 245 millions de deux fonds préexistants (Fiqcs et Fmespp) eux-mêmes alimentés par l'assurance maladie. Un rapport d'activité 2012 du FIR a été transmis par le Gouvernement au Parlement en novembre 2013.

En 2013 49 ( * ) , les crédits alloués au FIR ont été élargis à certaines aides à la contractualisation et missions d'intérêt général, ainsi qu'à des crédits médico-sociaux (GEM et MAIA). Une enveloppe de 5 millions d'euros (192 308 euros par région) a également été insérée au titre du financement de la démocratie sanitaire. Les crédits totaux du FIR se sont élevés à 3,3 milliards d'euros , dont 3,1 milliards de l'assurance maladie, 139 millions de l'Etat (en forte baisse par rapport à 2012) et 73 millions de la CNSA. D'importantes mesures de gels de crédits ont été décidées : 77 millions d'euros au total, soit plus de 2 % des crédits, dont 2 millions sur les crédits de l'Etat et 75 millions sur le reste du FIR au titre de la maîtrise de l'Ondam.

A l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, le Gouvernement a décidé, après avis favorable de la commission des affaires sociales, de créer un septième sous-objectif de l'Ondam consacré au FIR. Cette mesure correspond au souhait émis par le Sénat dès 2011 que le Parlement dispose d'informations complètes sur ce fonds. Pour 2014, la contribution de l'assurance maladie au FIR (hors dotations de l'Etat et de la CNSA) s'élève ainsi à 3,2 milliards d'euros.

b) ... nécessairement limitée

Dans le chapitre consacré aux ARS de son rapport sur la sécurité sociale de 2012, la Cour des comptes met notamment en avant les faibles marges de manoeuvre des agences : elle indique par exemple que les ARS peuvent influer sur environ 3 milliards d'euros soit seulement 2 % des dépenses de leur ressort.

Cette présentation formellement exacte mérite cependant d'être remise dans le contexte global des dépenses de l'assurance maladie. La très grande majorité de l'Ondam correspond en effet à des tarifs, à des prix ou à des honoraires fixés nationalement .

Par exemple, l'objectif de dépenses liées au établissements de santé pour la part MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) s'est élevé à 45 milliards d'euros en 2010, ce qui correspond aux tarifs des GHS, au prix des médicaments ou dispositifs médicaux facturés en sus et aux services financés hors T2A (urgences...). Les autres établissements de santé (soins de suite et de réadaptation, soins psychiatriques, unités de longue durée) ont représenté 18 milliards. Dans le domaine des soins de ville, la part des dépenses qui n'est pas liée à un prix ou à un tarif est marginale : en 2012, la rémunération des médecins liée à des objectifs de santé publique a été inférieure à 300 millions d'euros sur une masse d'honoraires proche de 27 milliards. Autre exemple, les dépenses de médicaments remboursées en ville (23 milliards d'euros en 2011) représentent plus de 13 % des dépenses totales de l'assurance maladie entrant dans le champ de l'Ondam et correspondent uniquement au prix du médicament auquel est appliqué un taux de remboursement.

En conséquence, sauf à leur permettre de fixer le tarif des consultations médicales, le prix des médicaments, leur taux de remboursement ou encore les tarifs hospitaliers, donner des marges de manoeuvre financières aux ARS ne peut porter, par construction, que sur une part très faible des dépenses d'assurance maladie .

Par ailleurs, les lignes de crédits ne sont pas uniquement des inscriptions comptables, elles correspondent au financement des acteurs de terrain : professionnels, maisons de santé, établissements... La marge de manoeuvre effective de l'ARS ne peut donc là aussi que porter sur une part minime des crédits, en particulier dans une période où l'Ondam augmente plus faiblement que les années précédentes.

En définitive, la fongibilité des crédits et la capacité des ARS à les réorienter ne doit pas être surestimée ; elle est extrêmement contrainte par la réalité du terrain et par la construction historique de notre système de santé. Aller beaucoup plus loin que le FIR actuel nécessiterait de réfléchir à différencier les prix et les tarifs selon les régions, ce que personne n'envisage aujourd'hui sérieusement.

Pour autant, il sera utile d'envisager une extension du FIR aux dernières lignes de crédits qui n'y sont pas encore intégrées, en particulier une grande partie du reste des Migac, mais uniquement lorsque l'outil sera pleinement opérationnel et que les ARS seront en capacité d'absorber une telle évolution, tant en termes de personnel que de procédures.

c) Une complexité inutile dans la gestion des crédits

On peut tout d'abord relever que les ARS ne disposent que très tardivement des informations relatives au FIR : en 2013, la circulaire générale date du 14 mai, alors même qu'elle a été validée par le CNP le 15 mars... ; l'arrêté fixant le montant des crédits attribués aux ARS date du 3 mai et n'a été publié au journal officiel que le 29 mai. On peut s'interroger sur ce calendrier qui ne peut que limiter très fortement la capacité de développer la fongibilité des crédits : en effet, les équipes des agences ne peuvent évaluer leurs marges de manoeuvre qu'à partir de cette circulaire et de cet arrêté et elles ne peuvent réfléchir qu'ensuite aux projets que l'agence pourrait ainsi financer. Sans compter les délais éventuels d'appels d'offres ou de consultation et mobilisation des acteurs de terrain qui mettent effectivement en oeuvre ces projets. Il est vrai qu'en 2013, le champ du FIR a été sensiblement élargi, ce qui a peut-être retardé le processus d'élaboration des enveloppes. On peut espérer que ce ne sera pas le cas en 2014.

Surtout, l'article L. 1435-10 du code de la santé publique prévoit que la gestion comptable et financière du fonds est confiée à la caisse nationale d'assurance maladie qui peut déléguer une partie des crédits aux ARS. Cette décision, inspirée d'un objectif de transparence, de contrôle et de continuité dans la gestion des crédits, se révèle finalement porteuse de complexité et de coûts administratifs.

Le déplacement de vos rapporteurs à l'ARS de Corse a particulièrement mis en avant ces difficultés. On les « visualise » d'ailleurs assez clairement en regardant le tableau de la gestion comptable du FIR.

Extrait de la circulaire relative aux modalités de mise en oeuvre du FIR en 2013 :

Toutes les dépenses sont engagées par l'ARS mais, pour la liquidation, le contrôle et le paiement effectif, les rôles sont partagés entre l'ARS et la caisse primaire.

Cette situation, qui ne facilite pas non plus la fongibilité, est particulièrement chronophage tant pour l'assurance maladie que pour l'ARS, au moment où les contraintes sont fortes en termes de personnel, entraîne parfois des doublons et peut générer des relations tendues entre les partenaires, sans nécessairement garantir un meilleur suivi ou une meilleure lisibilité des crédits. C'est pourquoi, à partir du moment où le « reporting » est réalisé de manière satisfaisante, la mission est favorable à ce que les ARS assurent la gestion comptable et financière de l'ensemble du FIR.

Propositions


• Consolider le Fonds d'intervention régional (FIR) :

- stabiliser à court terme son champ d'intervention ;

- transférer la gestion des crédits de l'assurance maladie vers les ARS ;

- lui donner la capacité de financer des projets de manière pluriannuelle.


* 46 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004.

* 47 Plus précisément, les dépenses liées à la prévention ne peuvent être affectées ni à des activités de soins ni au secteur médico-social ; les dépenses médico-sociales ne peuvent être affectées à des activités de soins.

* 48 1,5 milliard en année pleine. Le FIR n'est entré en vigueur que le 1 er avril 2012.

* 49 Circulaire n° SG/2013/195 du 14 mai 2013 relative aux modalités de mise en oeuvre du fonds d'intervention régional en 2013

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