II. Présentation du rapport d'information

Mercredi 26 février 2014

Présidence de Mme Catherine Génisson, vice-présidente

Mme Catherine Génisson, présidente . - Mes chers collègues, nous allons entendre la présentation du rapport d'information, établi au nom de la Mecss, sur les agences régionales de santé, qui devait être conjointement présenté par MM. Alain Milon et Jacky Le Menn, rapporteurs. Je vous prie d'accepter les excuses de M. Milon pour son absence, qui est due à un empêchement d'ordre familial.

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Après une vingtaine d'auditions, quatre tables rondes, une soixantaine de personnes rencontrées à Paris, deux déplacements en province, en Corse et dans les pays de la Loire, nous vous rendons compte aujourd'hui des résultats d'une année de travaux consacrés aux agences régionales de santé (ARS). La Mecss souhaitait en effet, je vous le rappelle, dresser le bilan des ARS trois ans après leur mise en place effective et proposer des pistes d'évolution.

Même si des débats avaient eu lieu sur certaines modalités de mise en oeuvre ou de gouvernance, le principe de la création des agences n'a pas constitué le point de friction le plus important de la loi HPST. Dans ce même esprit, nous n'avons pas entendu remettre en cause cette réforme mais en évaluer la mise en oeuvre.

Revenons tout d'abord et en quelques minutes sur l'histoire, sur les objectifs et sur le champ de compétences des ARS.

Tout en représentant un changement profond dans l'organisation du système de santé et la régulation des dépenses d'assurance maladie, la création des ARS est le fruit d'une évolution administrative engagée de longue date. Dès les années 1970 et la naissance de la carte sanitaire, des outils ont été mis en place pour planifier et réguler l'offre de soins sur les territoires, plus spécialement en ce qui concerne les établissements de santé.

En 1991, la création des schémas régionaux d'organisation sanitaire, les Sros, a contribué à faire de la région le territoire de référence pour l'organisation du système de santé. A la même époque, le rapport « Hôpital 2010 », rédigé par un groupe de travail présidé par Raymond Soubie pour le compte du Commissariat général au plan, préconisait la création d'agences régionales des services de santé qui auraient été chargées d'assurer au niveau local la régulation des dépenses d'assurance maladie, considérée comme indispensable pour réduire efficacement les inégalités sociales et territoriales de santé.

Nombre des enjeux relatifs au fonctionnement actuel des ARS étaient déjà abordés dans ce rapport : les relations entre le directeur de l'agence et le conseil d'administration, ainsi que la façon dont tous deux auraient été amenés à rendre compte de leurs actions ; le recentrage des administrations centrales sur des missions de pilotage stratégique ; l'accompagnement et la formation des personnels ; le partage des compétences entre les agences et le préfet de région... Plus globalement, le rapport appelait à une clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie ainsi qu'à une démocratisation du pilotage du système de soins, préoccupations qui trouveront un premier écho dans la révision constitutionnelle du 22 février 1996 créant les lois de financement de la sécurité sociale.

Cette même année, les ordonnances Juppé ont consacré encore un peu plus l'échelon régional avec la création des unions régionales des caisses d'assurance maladie (Urcam), des conférences régionales de santé et des agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Ces dernières étaient organisées sous la forme de groupements d'intérêt public devant assurer une représentation paritaire de l'Etat et de l'assurance maladie. Conçues comme des structures légères et souples, les ARH étaient davantage dotées d'un rôle d'impulsion et de coordination que d'une réelle capacité de pilotage sur les territoires. Elles ont rencontré de ce fait d'importantes difficultés pour mobiliser les moyens humains nécessaires à l'exercice de leurs missions.

La loi HPST du 21 juillet 2009 a donc opéré une réforme longuement mûrie mais d'une tout autre ampleur que les précédentes. Mise en oeuvre dans le contexte de la révision générale des politiques publiques et de la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat, elle visait trois objectifs principaux :

- garantir davantage d'efficience dans la mise en oeuvre des politiques de santé ; il s'agissait en particulier d'assurer le respect de l'Ondam voté chaque année en loi de financement ;

- renforcer la territorialisation de ces politiques dans une perspective de réduction des inégalités : les territoires de santé, qui avaient été créés en 2003, ont pour cela été redéfinis sur des bases nouvelles devant prendre en compte les spécificités de chaque région ;

- assurer le décloisonnement des prises en charge grâce à un pilotage unifié de quatre secteurs : l'hôpital, les soins de ville, le médico-social et la santé publique, à laquelle ont été associées les missions de veille et de sécurité sanitaires. Cet objectif de décloisonnement constitue la pierre angulaire de la réforme des ARS qui doivent prendre en charge de manière transversale et globale des politiques auparavant éparpillées.

La loi a prévu la création de deux commissions de coordination au sein des ARS, chargées d'assurer « la cohérence et la complémentarité » des politiques menées par les différents partenaires. L'une est compétente dans le secteur médico-social, l'autre sur les sujets de prévention, de santé scolaire, de santé au travail et de protection maternelle et infantile.

Les ARS ont été constituées à partir de la réunion de sept services ou organes préexistants. Les ARH et les Urcam ont ainsi été regroupées avec les groupements régionaux de santé publique (GRSP), créés en 2004 pour associer l'Etat, les collectivités territoriales et l'assurance maladie autour d'enjeux relatifs à la prévention et à la santé publique, ainsi qu'avec les missions régionales de santé (MRS), constituées la même année entre les ARH et les Urcam pour traiter de sujets communs, tels que la gestion du risque ou la démographie médicale. S'y sont adjointes une partie des directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales - Ddass et Drass - ainsi que des caisses régionales d'assurance maladie (Cram). On voit bien ici que les ARS ont largement simplifié le « paysage » administratif.

Regroupant des personnels et des financements d'origines diverses - Etat et assurance maladie - les ARS ont été dotées du statut d'établissement public administratif, qui devait en outre leur permettre de disposer d'une autonomie administrative et financière.

Leurs relations avec l'administration centrale ont été formalisées dans le cadre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) structurés autour de trois grands objectifs : améliorer l'espérance de vie en bonne santé ; promouvoir l'égalité devant la santé ; développer un système de santé de qualité, accessible et efficient. La première génération des Cpom, conclue pour la période 2011-2013, a fixé des objectifs et indicateurs très nombreux et peu différenciés selon les ARS. Peut-être était-ce inévitable dans un premier temps. Il serait cependant utile, à l'avenir, de recentrer les Cpom sur des objectifs plus stratégiques et prenant davantage en compte les spécificités territoriales auxquelles sont confrontées les agences.

Placée sous la houlette du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales et confiée à des responsables préfigurateurs sélectionnés par appel à candidature, la phase de préfiguration destinée à préparer la mise en place des 26 ARS a été particulièrement rapide. Elle s'est en effet étendue du mois d'octobre 2009 à la fin du mois de mars 2010, s'achevant même trois mois avant le butoir défini par la loi HPST, le 1 er juillet. L'ensemble des responsables préfigurateurs ont alors été confirmés en tant que directeurs généraux et les ARS ont été officiellement créées au 1 er avril 2010.

S'en est suivie jusqu'à la fin de l'année 2012 l'élaboration des projets régionaux de santé (PRS), première étape importante dans l'appropriation par les ARS de leur champ de compétences et dans la construction de leurs relations avec les professionnels de santé, les élus et les représentants des usagers. Cette période de démocratie sanitaire, menée tambour battant, semble avoir laissé un sentiment mitigé chez beaucoup d'interlocuteurs. Les concertations ont été nombreuses - peut-être trop ? - mais il demeure difficile de mesurer quelle a été leur portée réelle dans le processus d'élaboration et de définition des documents.

Désormais achevés, les PRS qui, rappelons-le, sont composés d'un plan stratégique, de trois schémas thématiques et d'un grand nombre de programmes destinés à appliquer ces schémas, constituent des documents exhaustifs mais particulièrement lourds, qui peuvent difficilement constituer des outils d'aide à la décision et d'accompagnement des ARS dans l'exercice de leurs missions. En outre, leur articulation avec les autres documents de programmation, notamment dans le secteur médico-social, demeure perfectible. Il serait nécessaire à l'avenir d'allonger les délais d'élaboration des PRS ainsi que leur durée d'application et d'envisager des procédures de révision simplifiées qui ne conduisent pas à une remise en question des documents dans leur ensemble.

Au final, a-t-on confondu volontarisme et précipitation dans cette phase de démarrage des ARS ? Peut-être était-il indispensable d'agir ainsi pour assurer la mise en oeuvre de la réforme et éviter tout risque d'enlisement. Mais il nous semble cependant que cette installation « à la hussarde », selon les termes que l'on a pu entendre lors des auditions, contribue aujourd'hui à expliquer une partie des difficultés auxquelles sont confrontées les agences ainsi que la déstabilisation qu'elles ont pu susciter chez leurs partenaires.

La loi HPST était en effet porteuse de bouleversements profonds dont la portée a été insuffisamment anticipée au moment de la conception puis de la mise en oeuvre de la réforme.

Il en est ainsi du rôle confié au directeur général de l'ARS.

Alors qu'un grand nombre des décisions prises par les ARH nécessitaient une délibération ou un avis de leurs commissions exécutives, c'est le directeur général de l'ARS, nommé par décret en conseil des ministres, qui assume seul l'essentiel des décisions relevant de son champ de compétences. S'il doit bien rendre compte de son action devant le conseil de surveillance et la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), il n'est pleinement responsable que devant son ministre de tutelle, chargé d'évaluer chaque année son action sur la base des objectifs inscrits dans sa lettre de mission. L'expression de « préfet sanitaire » avait d'ailleurs été répétée à l'envi au moment de la loi HPSTet le récent renvoi du directeur général de l'ARS de Rhône-Alpes lui donne de la substance.

Une telle situation suscite des questionnements voire des inquiétudes. Alors que la création des ARS devait constituer une étape nouvelle vers un pilotage des politiques de santé plus déconcentré, elle peut être paradoxalement vécue comme une forme de recentralisation d'un système qui continue d'apparaître rigide et hiérarchisé. Autre difficulté, la concentration des pouvoirs dans les mains d'une seule personne conduit à identifier de façon plus ou moins systématique l'action globale de l'agence avec la personnalité de son directeur général. Nous avons ainsi été frappés de noter, au cours de nos auditions, que les appréciations portées sur telle ou telle politique menée par une ARS dépendaient très largement de la relation de confiance qu'avaient pu nouer les acteurs concernés, qu'il s'agisse des établissements, des personnels ou des élus, avec le directeur général.

Faut-il pour autant remettre en cause le rôle des directeurs généraux, alors que la plupart des difficultés que nous avons identifiées ressortent en fait de « bonnes pratiques », voire des simples relations humaines ? Il nous semble à tout le moins nécessaire d'aller vers davantage de concertation interne - nous évoquerons un peu plus loin la nécessité de renforcer les contre-pouvoirs « externes ».

Des comités exécutifs (Comex) et des comités de direction (Codir), qui regroupent les personnels dirigeants travaillant directement auprès du directeur général, existent dans chaque agence. Leur rôle gagnerait à être davantage formalisé, tout en respectant l'autonomie dont doivent disposer les ARS pour leur organisation interne. Sans toucher à l'étendue des pouvoirs dont disposent les directeurs généraux, des gains substantiels pourraient être réalisés en termes de transparence. La politique menée par l'agence serait par exemple bien plus lisible et par conséquent mieux comprise si la lettre de mission délivrée à chaque directeur général était systématiquement rendue publique. Dans le contexte particulièrement contraint de nos finances publiques, il apparaît d'autant plus nécessaire de montrer que l'action des directeurs généraux des ARS va bien au-delà de la seule maîtrise de la masse salariale et des enveloppes de financement.

La gestion des ressources humaines, dans un contexte de restructuration administrative et d'évolution des missions, constitue un autre bouleversement qui a été trop peu anticipé.

En la matière, il est frappant de constater la coexistence de deux discours antagonistes : alors que la plupart des personnels de direction témoignent de leur enthousiasme pour l'exercice de missions rénovées au sein de structures administratives innovantes, nombreux sont les salariés qui expriment au contraire le malaise profond engendré par la création et le mode de fonctionnement des ARS.

L'enjeu était de taille puisqu'il s'agissait de faire travailler ensemble des personnels de l'Etat et de l'assurance maladie aux cultures professionnelles diverses. La création d'un statut propre aux ARS, jugée prématurée au moment du vote de la loi, n'a pas été retenue. Les agents ont donc été transférés au sein des ARS tout en demeurant régis soit par le statut de la fonction publique d'Etat, soit par l'une des neuf conventions collectives applicables aux personnels de la sécurité sociale. En pratique, cela signifie que la plupart des agents n'ont pas fait le choix d'intégrer les ARS : ils y travaillent parce que leurs missions ont été transférées vers les nouvelles agences.

Au-delà de la grande complexité pour les directions des ressources humaines des agences de suivre au quotidien l'ensemble des statuts et conventions, cette situation crée deux types de difficultés qui se cumulent et s'alimentent. D'une part, des différences de salaires ou d'organisation du temps de travail persistent entre personnels d'origine différente, même lorsqu'ils exercent des missions équivalentes. D'autre part, les marges de manoeuvre dont pourraient disposer les ARS pour limiter ces divergences et plus largement mener une politique de ressources humaines autonome sont fortement limitées par les règles qui entourent le statut de la fonction publique et le cadre conventionnel. Ces difficultés cumulées sont inévitablement sources de frustration, les différences de traitement entre agents étant légitimement perçues comme des inégalités. De surcroît, certains personnels, en particulier de l'assurance maladie, coupés de leur structure d'origine, peinent à véritablement percevoir leur intégration au sein des ARS comme une opportunité de carrière.

Le malaise est accentué pour les personnels dont les missions ont profondément évolué avec la création des ARS. Il s'agit en particulier des médecins et des pharmaciens inspecteurs de santé publique. Alors qu'ils avaient pris l'habitude de développer de façon relativement autonome une expertise propre dans des domaines précis, ils sont aujourd'hui amenés à exercer des missions beaucoup plus transversales de conduite de projet. Tous les métiers des ARS sont touchés à un degré plus ou moins important par cette évolution qui ne fait en réalité que refléter la logique même qui a présidé à la création des agences. Une mutation profonde est en cours dans la manière même d'exercer les missions et les métiers ; or les personnels, déjà affectés par le changement de structure, n'ont pas été préparés ou accompagnés en ce sens.

Le souci de décloisonnement et de transversalité se retrouve d'ailleurs dans les organigrammes de quelques ARS, notamment celle des Pays de la Loire, où les principales directions ne sont plus organisées par secteur mais par type de métier. L'on peut d'abord se féliciter que l'administration centrale ait laissé les directeurs généraux libres de leur organisation interne, qui varie donc selon les ARS. Mais cet exemple est aussi révélateur des attentes contradictoires vis-à-vis des agences : les organigrammes par secteur - sanitaire, médico-social - sont critiqués, car reproduisant les cloisonnements souvent décriés, mais les autres organigrammes sont plus difficilement compris par les acteurs, notamment les établissements, qui ne sont plus suivis par un interlocuteur spécifique au sein de l'agence.

Ces difficultés interviennent, en outre, dans une phase de réduction progressive du plafond d'emplois des ARS. Fixé à 9 591 équivalents temps plein (ETP) en 2010, il était de 9 281 ETP en 2012, soit une diminution de plus de 3 % sur la période. Comme l'ont souligné plusieurs directeurs généraux d'ARS, ces dernières, à peine créées, doivent déjà faire mieux avec moins de moyens...

Une enquête a été lancée en 2011 pour mesurer le degré d'exposition des personnels aux risques psychosociaux. Ses résultats sont édifiants : 42 % des agents ayant répondu au questionnaire avaient le sentiment de manquer de reconnaissance au travail et plus de la moitié d'entre eux estimaient avoir besoin d'une formation.

Comment répondre à ce mal-être, à cette « perte de repères » pour reprendre une expression que nous avons régulièrement entendue ? La création d'un statut propre aux ARS, si elle peut apparaître comme la solution la plus rationnelle à long terme, risquerait dans l'immédiat de déstabiliser encore plus des personnels qui demeurent très attachés à leur structure d'origine. Il faut donc agir à partir de l'existant : travailler de façon poussée à l'harmonisation des conditions de travail, engager une véritable politique de prévention des risques psychosociaux, renforcer la formation des personnels et améliorer la fluidité des parcours. Ces chantiers doivent être impulsés par le niveau national : le comité national de concertation, qui regroupe des représentants du personnel de l'ensemble des ARS, doit devenir une instance d'orientation et ne plus être cantonné à un rôle d'information et de débat. De telles évolutions apparaissent indispensables pour faire véritablement des ARS les « maisons communes » dans lesquelles l'ensemble des personnels puissent se sentir valorisés et correctement intégrés.

Un dernier enjeu est lié au champ de compétences des ARS.

Cette question a régulièrement été soulevée au cours de nos auditions. Leur champ de compétences est certes très large mais il nous apparaît, malgré tout, doté d'une certaine cohérence. L'extension au secteur médico-social et à la médecine ambulatoire est par exemple indispensable dans une perspective d'organisation du système de santé autour du parcours des patients. L'intégration du secteur médico-social, concomitante avec la mise en oeuvre de la procédure d'appels à projets, a constitué un bouleversement que ne semblent pas regretter les acteurs, malgré les ajustements et simplifications qui pourraient être envisagés, notamment en matière d'autorisation et de financement. Si la création des ARS constitue donc un progrès, il faut aller plus loin pour rendre effectif le décloisonnement des secteurs et donner aux parcours une dimension autre qu'expérimentale.

Nous nous sommes beaucoup interrogés sur les missions de veille et de sécurité sanitaires, qui sont assez facilement « détachables » du coeur des compétences des agences, celles liées à l'organisation du système sanitaire et médico-social. Elles posent en effet des difficultés d'articulation avec le préfet, qui continue de détenir le pouvoir de décision et les responsabilités afférentes, en particulier en cas de crise, mais pas l'autorité sur les services opérationnels. C'est le constat que dresse un rapport de l'Igas en décembre 2011 ; il y est par exemple indiqué que « la rupture créée dans la chaîne de décision se double d'un problème de responsabilité ».

Pour autant, les protocoles conclus entre les préfets et les ARS semblent fonctionner et revenir en arrière sur cette question ne nous apparaît finalement pas comme un bon signal alors que nos auditions ont bien montré l'impérieux besoin de stabilité. En outre, les missions de veille et de sécurité peuvent être légitimes pour les ARS, mais à la condition de les articuler correctement avec leurs compétences en matière de prévention et de santé publique.

Nous privilégions donc une stabilité dans le champ de compétences des ARS, tant dans le sens de sa diminution que de son accroissement. Toutefois, il est nécessaire d'agir sur les modalités d'exercice de ces compétences.

D'un côté, il faut simplifier les procédures, par exemple en matière de contrôle des établissements ou d'appels à projets dans le secteur médico-social. Certaines tâches purement administratives, notamment dans les domaines de la veille et de la sécurité sanitaires ou dans le contrôle des formations des professionnels de santé, pourraient être abandonnées. Tout cela nécessite une remise à plat qui a été entamée avec le programme de simplification et transformation des ARS, dénommé « Stars »... Il faut aller plus loin et préférer, encore une fois, le pilotage et la stratégie aux procédures trop administratives et tatillonnes.

De l'autre côté, les ARS ne doivent pas elles-mêmes élargir leur champ de compétences en s'immisçant dans la gestion des établissements. Durant les auditions, certains exemples d'intrusion des ARS dans la vie des établissements nous ont été rapportés ; il s'agit naturellement de cas précis qui ne constituent pas une généralité. Cependant, il s'agit d'un point important : si nous demandons à l'administration centrale - nous allons en parler à l'instant - de développer une vision stratégique et non procédurière dans ses relations avec les agences, ces dernières doivent également « jouer ce jeu » avec les acteurs locaux et faire confiance à leurs partenaires extérieurs.

Cet exemple pose la question de la nature des relations que nouent les ARS avec les établissements de santé et médico-sociaux. Comme elles le font elles-mêmes avec l'administration centrale, elles concluent des Cpom avec chaque structure. Cela signifie-t-il pour autant que s'instaure une relation de type partenarial ? Il est permis d'en douter, notamment au regard de la précision de certains contrats qui les font davantage ressembler à des instructions. Plus fondamentalement, l'Igas s'est interrogée dans son rapport de 2012 consacré à l'hôpital sur la coexistence de missions de régulation avec celles d'inspection/contrôle, voire de tutelle s'agissant des établissements publics. La question s'est posée à plusieurs reprises au cours de nos travaux. Elle est particulièrement prégnante s'agissant des pouvoirs dont dispose l'ARS concernant les procédures de nomination et d'évaluation des directeurs d'hôpitaux. Y répondre implique de clarifier les rôles et responsabilités de chacun en veillant à ce que les ARS ne puissent pas être assimilées à des « holdings hospitaliers régionaux », pour reprendre l'expression employée par l'une des personnes que nous avons auditionnées.

Enfin, en ce qui concerne l'exercice de leurs missions par les ARS, il sera nécessaire de faciliter leur accès aux données de santé, notamment celles de l'assurance maladie, car développer leurs politiques implique un niveau élevé d'informations. Toutefois, le législateur devra, à notre sens, fixer un cadre sécurisé et protecteur des libertés publiques car la manipulation de données médicales ne peut être anodine même si elle est indispensable.

L'administration centrale n'a pas connu une évolution parallèle à celle de l'échelon territorial.

On l'a vu, les ARS résultent de la fusion de sept structures préexistantes. Or, parallèlement, les administrations centrales ont conservé le même format, principalement autour de la DGS pour la santé publique, de la DGOS pour « l'offre de soins », de la DGCS pour le médico-social et de la DSS pour les équilibres financiers, sans pour autant que ces frontières soient aussi clairement définies... Dans le secteur médico-social, s'ajoute le partage des compétences et des responsabilités entre la DGCS et la CNSA.

Certes, la loi HPST a prévu la création d'un conseil national de pilotage (CNP). Tous les quinze jours, il réunit les directions durant une heure et demie à un niveau de responsabilité élevé puisque les directeurs ne peuvent pas s'y faire représenter. Il dispose de compétences larges : il veille à la cohérence des politiques menées par les ARS, leur fixe des objectifs, anime le réseau et évalue leur action. Théoriquement présidé par les ministres compétents, le CNP l'est en pratique par le secrétaire général des ministères sociaux.

Elément innovant, les directeurs des organismes de sécurité sociale participent au CNP, ce qui en fait potentiellement le creuset d'une coopération étroite entre l'Etat et l'assurance maladie. Nous conclurons notre intervention sur cette question. Il nous semble que les agences sanitaires - HAS, ANSM, Anses... - qui sont des autorités autonomes voire indépendantes, devraient participer au CNP. Cela ne pourrait que renforcer la concertation et l'élaboration collective des politiques menées.

Si le CNP constitue donc une avancée intéressante, force est de constater qu'il n'a pas encore trouvé sa place : il joue un rôle de filtre entre les directions d'administration centrale et les ARS, alors qu'il devrait plutôt avoir celui de catalyseur. Comme l'avait déjà relevé la Cour des comptes, toutes les conséquences n'ont pas été tirées, sur ce point, de la création des ARS. La question se situe en fait en amont du CNP. Malgré ce que nous ont répété les directeurs d'administration centrale, il y a très peu de coordination entre les directions et chacune développe sa politique qu'elle « fait passer » en CNP... Le CNP constitue ainsi une instance collégiale mais hybride, qui n'est ni purement consultative, ni réellement délibérative.

Pour contrer ce phénomène de « tuyaux d'orgues », nous proposons la nomination d'un secrétaire général à la santé et à l'autonomie, chargé de présider le CNP et disposant d'un pouvoir hiérarchique sur les directions « métiers » du ministère.

L'actuel secrétariat général des ministères sociaux, qui dépend de quatre ministres de plein exercice - Marisol Touraine mais aussi Michel Sapin, Valérie Fourneyron et Najat Vallaud-Belkacem - est d'abord chargé, pour ces ministères, des missions « support » -ressources humaines, affaires juridiques et financières. C'est la loi HPST qui lui a adjoint la fonction de pilotage des ARS qui n'a que peu à voir, au fond, avec ses missions traditionnelles. Si les différents secrétaires généraux ont pris à coeur de mener l'ensemble de leurs missions à bien, force est de constater qu'institutionnellement, il serait préférable de désigner un secrétaire général doté de compétences élargies et chargé de mener la politique de santé et médico-sociale décidée par le Gouvernement.

Cette proposition nous semble meilleure que celle d'inciter plus fortement les ministres à présider le CNP, car ce dernier reste une instance administrative et ses réunions régulières ne peuvent pas coïncider avec les obligations des différents ministres potentiellement concernés - santé, assurance maladie, médico-social.

Au-delà de cet aspect institutionnel, toutes les conséquences de la création des ARS n'ont pas été tirées en termes de méthodes. Ainsi, l'administration centrale reste trop dans le registre de l'instruction adressée à des services déconcentrés, alors qu'elle devrait s'orienter vers le « pilotage » stratégique des politiques publiques. De manière symbolique, on ne peut que regretter le grand nombre d'instructions envoyées chaque année aux ARS, autour de 300, même si le vaste champ de leurs compétences explique largement ce phénomène. Surtout, ces instructions sont beaucoup trop prescriptives, détaillées, et ne laissent pas suffisamment de marges de manoeuvre aux ARS pour l'adaptation territoriale.

Autre aspect dont nous avons commencé de parler : la faiblesse des contre-pouvoirs, pourtant indispensables au regard du champ d'action des ARS.

On l'a vu, le directeur général de l'agence est nommé en conseil des ministres et dispose de compétences étendues. Cette responsabilisation n'est pertinente que si elle est accompagnée de la mise en place de contre-pouvoirs qui, sans bloquer l'action publique, sont à même de peser sur les principales orientations. Or, tant le conseil de surveillance que la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) n'ont pas encore trouvé cette place.

Composé de quatre représentants de l'Etat, de six représentants de l'assurance maladie, de quatre représentants des collectivités locales, de trois représentants des associations d'usagers et de quatre représentants de personnalités qualifiées, le conseil de surveillance est présidé de droit par le préfet de région. Grâce à un droit de vote triple pour les représentants de l'Etat, ce dernier est aisément majoritaire en son sein.

De toute manière, les compétences du conseil sont très limitées : par exemple, il approuve le budget de l'agence, « sauf majorité contraire des deux tiers », ce qui est pour le moins étrange car les délégués de l'Etat y pèsent à eux seuls 36 % et même 42 % en Ile-de-France du fait de la présence du préfet de police... En outre, le conseil émet des avis, limitativement énumérés, sur la politique menée par l'ARS. En pratique, certains conseils de surveillance se sont d'ailleurs saisis de sujets qui n'étaient pas explicitement prévus par la loi.

Nous proposons, d'une part, d'améliorer la composition du conseil de surveillance, d'autre part, d'élargir son champ de compétences. Ainsi, le conseil pourrait être composé de quatre collèges composés d'un nombre égal de membres : Etat ; assurance maladie ; collectivités locales ; usagers et personnalités qualifiées. Chaque membre du conseil ne serait doté que d'une voix et son président serait élu parmi les membres du conseil représentant les collectivités territoriales afin de disposer d'une légitimité démocratique à même de peser effectivement à côté du directeur général de l'agence. Cette solution permettrait en outre de replacer les élus au coeur de la concertation et de l'élaboration de politiques publiques qui les concernent directement.

Au-delà, la mise en oeuvre de la politique sanitaire et médico-sociale doit reposer sur une démocratie sanitaire forte et indépendante. Au niveau territorial, la loi HPST a conforté les instances préexistantes en créant une conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA). Si le nombre de membres de la CRSA - entre 91 et 100 selon les régions - peut apparaître pléthorique, il est aussi gage de la diversité de représentation et d'opinion. Ainsi, elle est composée de huit collèges : au minimum 10 représentants des collectivités territoriales, 16 représentants des usagers, 4 représentants des conférences de territoires, 10 représentants des partenaires sociaux, 6 représentants des autres branches de la sécurité sociale et de la mutualité française, 9 représentants des acteurs de la prévention et de l'éducation pour la santé, et 34 représentants des offreurs de soins, auxquels s'ajoutent 2 personnalités qualifiées.

Contrairement au conseil de surveillance, les compétences de la CRSA sont vastes, puisqu'elle peut notamment faire toute proposition au directeur général de l'ARS sur l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation de la politique de santé dans la région. En outre, elle peut organiser des débats publics sur les questions de santé de son choix.

Il nous a semblé, à la suite des auditions et des déplacements que nous avons effectués, que les CRSA ont trouvé leur place à côté des ARS pour faire entendre leur voix, même si les situations sont très variables selon les régions. Certes, toutes les CRSA ont été largement « asphyxiées » par le travail lié au projet régional de santé qui constituait un exercice nouveau et gigantesque, au moment même où elles se mettaient en place. Sans qu'il soit aisé de l'évaluer précisément, un certain nombre de leurs avis ou recommandations ont été finalement pris en compte dans le PRS. Ce n'est toutefois pas vrai partout.

Maintenant que nous sommes sortis de cette phase de démarrage, il nous semble indispensable de conforter les CRSA, lieux privilégiés de la démocratie sanitaire.

Pour cela, elles doivent disposer librement de moyens financiers pour organiser elles-mêmes leurs travaux et les débats publics qu'elles sont chargées d'animer. Le président de la CRSA du Nord-Pas-de-Calais nous a par exemple indiqué, lors de son audition, qu'une ARS avait refusé de donner à la CRSA les moyens nécessaires à l'organisation d'un débat public. Il existait peut-être des arguments pertinents du point de vue de l'ARS mais, sur le principe, ce sont les CRSA qui sont chargées d'organiser ces débats et elles doivent le faire en toute indépendance. D'autant que ces débats sont justement des moments essentiels de cette vie démocratique que nous souhaitons tous, à la fois pour diffuser la culture sanitaire et médico-sociale, mais surtout pour entendre les opinions et sentiments de la population.

Les ARS devraient également donner aux CRSA un temps suffisant entre la transmission des documents - souvent volumineux et techniques - sur lesquels elles sont amenées à délibérer et l'adoption de leur avis.

Par ailleurs, nous devons nous interroger sur l'intérêt réel de prévoir obligatoirement dans chaque territoire de santé une conférence de territoire, sorte de CRSA miniature. Aujourd'hui, les textes n'envisagent quasiment aucune articulation entre CRSA et conférences de territoire. En outre, l'existence de multiples instances tend à décourager les bonnes volontés car, il faut le rappeler, la démocratie sanitaire fonctionne sur la base du bénévolat. Si nous voulons que ces différentes conférences regroupent une diversité de profils et apportent réellement une valeur ajoutée à la réflexion, nous devons tenter une certaine rationalisation qui permette de renforcer le poids des avis ainsi adoptés.

Pour autant, une conférence des acteurs concernés est particulièrement pertinente sur le territoire d'un contrat local de santé. Nous pourrions ainsi rendre facultative la réunion des conférences de territoire mais la prévoir en cas de conclusion d'un contrat local de santé, ce qui n'existe pas aujourd'hui.

Si la démocratie sanitaire doit jouer son rôle, il faut également que les élus locaux soient en mesure d'échanger d'égal à égal avec l'ARS. Or les témoignages que nous avons pu recueillir prouvent qu'il n'en est pas toujours ainsi, notamment dans des régions étendues où le siège de l'ARS apparaît bien éloigné des réalités auxquelles font face les élus sur leurs territoires. Les propositions que nous formulons concernant la composition du conseil de surveillance vont dans le sens d'une affirmation de la place des élus dans le fonctionnement et la prise de décision. Mais il convient également de fluidifier les relations quotidiennes, d'améliorer le transfert et le partage d'informations entre collectivités territoriales et ARS. Le rôle des délégations territoriales est à ce titre essentiel. Elles constituent en effet le maillon indispensable à la construction de relations de confiance entre élus et ARS, en particulier dans le secteur médico-social où les compétences des agences et des conseils généraux sont inextricablement liées. En arriver à la situation rencontrée récemment en Rhône-Alpes n'est satisfaisant pour personne. Eviter cette difficulté passe par plus de concertation et de dialogue en amont.

En définitive, on peut estimer que la mise en place des agences régionales de santé s'est réalisée sans rupture dans l'accomplissement des missions qui leur étaient transférées, ce qui n'était pas le moindre des défis. Elles ont toutes adopté leur projet régional de santé, processus qu'il faudra certainement alléger et rendre plus opérationnel pour la population et les acteurs. Malgré les difficultés de fonctionnement, la démocratie sanitaire se met progressivement en place.

Diverses critiques ont été émises à l'encontre des ARS, nous les avons entendues lors de nos auditions. Elles relèvent souvent de la pratique plus que de l'environnement législatif ou réglementaire et découlent notamment de la manière dont les responsabilités sont exercées. Au-delà des « bonnes pratiques », voire du bon sens, nous avons proposé un certain nombre de mesures pour mieux équilibrer les pouvoirs et faciliter la gestion des ressources humaines.

Mais l'une de nos recommandations principales ne peut se traduire dans un texte : il s'agit de la simplification ! Il faut absolument alléger et simplifier les procédures, le fonctionnement, les instructions, etc.... Certes, des tentatives de synthèse et de vulgarisation des projets régionaux de santé ont été menées, mais le PRS lui-même fait souvent autour de... 1 000 pages ! Qui peut utiliser un tel document alors même que son élaboration a mobilisé tant de personnes, au sein comme à l'extérieur de l'ARS ? Il est vrai que le législateur n'est pas exempt de tout reproche en la matière puisqu'il a décidé que le PRS se décomposait en multiples schémas ou programmes...

Cette simplification est indispensable pour accompagner le profond changement de paradigme que les ARS doivent représenter : d'une administration classique qui définit en détail les voies et moyens pour mettre en place une politique publique, nous devons progressivement nous orienter vers une administration plus stratégique qui définit les objectifs de cette politique en laissant aux acteurs locaux le soin de mettre en oeuvre les moyens adaptés. D'une obligation de moyens, nous devons donc passer à une obligation de résultat. Or aujourd'hui, l'administration centrale n'est pas entrée dans cette nouvelle logique de la subsidiarité, c'est-à-dire finalement de la confiance.

Ceci pose la question plus générale du niveau de l'autonomie qui doit être accordée aux ARS. Après des débats nourris, la loi HPST a fait le choix de confier aux agences la définition et la mise en oeuvre d'actions concourant à la réalisation des objectifs de la politique nationale de santé. Il n'est donc pas question de politiques régionales, mais de la mise en oeuvre, au niveau régional, d'une politique nationale. Pour autant, jusqu'à quel point de liberté cette mise en oeuvre peut-elle aller ? La réponse ne peut être que pragmatique et se décliner au cas par cas.

Par exemple en matière financière, il a souvent été souligné que les ARS ne disposaient que de très peu de marges de manoeuvre au regard des enveloppes globales. Depuis, le Fonds d'intervention régional (FIR) a été mis en place et représente un montant d'un peu plus de 3 milliards d'euros en 2013, après 1,3 milliard en 2012, année de sa création. Il regroupe de nombreuses lignes de crédits précédemment indépendantes et cloisonnées : permanence des soins en établissement et ambulatoire, prévention, modernisation des établissements de santé, missions d'intérêt général (MIG) - éducation thérapeutique, centres périnataux, soins palliatifs, addictologie, télé santé, équipes mobiles de gériatrie... -, démocratie sanitaire - 192 000 euros par région en 2013 -, etc.

L'intérêt du FIR réside dans la fongibilité, c'est-à-dire la capacité pour l'ARS de réaffecter des crédits d'une ligne à l'autre dans certaines conditions. Toutefois, il ne faut pas surestimer l'importance de cette fongibilité : elle ne peut s'appliquer que sur une toute petite partie des enveloppes puisque les structures, programmes ou acteurs existants doivent bien continuer de recevoir des crédits. Les ARS ne peuvent pas chaque année faire table rase du passé.

En outre, dans ce débat sur la régionalisation des financements - l'Assemblée nationale a beaucoup travaillé par exemple sur la notion d'Ordam pour décliner l'Ondam dans les régions - soyons bien conscients que la très grande majorité des crédits de l'assurance maladie correspondent à des tarifs, à des prix, à des honoraires fixés nationalement. Donner plus de marges de manoeuvre aux ARS signifie-t-il fixer des tarifs hospitaliers, des prix de médicaments ou des honoraires médicaux différents selon les régions ? Les esprits ne nous semblent pas prêts pour nous engager sur cette voie !

En ce qui concerne le FIR, nous proposons, à la demande des directeurs généraux d'ARS, de stabiliser son champ à court terme pour le mettre en place correctement et évaluer les opportunités qu'il dégage. Sur le plan technique, il nous semblerait moins coûteux et plus efficace de transférer complètement la gestion des crédits aux ARS, alors qu'aujourd'hui beaucoup de dépenses sont encore liquidées et effectivement payées par l'assurance maladie, ce qui complique les circuits de financement. Enfin, contrairement aux procédures classiques de l'Etat et de l'assurance maladie, il est nécessaire de donner une perspective pluriannuelle au FIR : il serait plus aisé pour les agences de financer des expérimentations ou des projets innovants si elles pouvaient s'engager sur plusieurs années auprès de leurs partenaires.

Le dernier point que nous voulons soulever concerne la dichotomie persistante entre l'assurance maladie et l'Etat, vaste question s'il en est ! Les ARS ont largement bénéficié d'une politique développée par la Cnam, à savoir la gestion du risque. Cette notion large recoupe l'ensemble des actions mises en oeuvre pour améliorer l'efficience du système de santé, c'est-à-dire le rapport entre sa qualité et son coût : sur la période 2010-2013, le programme national porte notamment sur l'insuffisance rénale chronique, « l'efficience » dans les Ehpad, la chirurgie ambulatoire, les transports sanitaires, les prescriptions hospitalières exécutées en ville, l'imagerie ou la pertinence des actes et des séjours... Déployée de manière volontariste par la Cnam à compter de la réforme de l'assurance maladie de 2004, cette politique est maintenant partagée avec l'Etat.

Même si on nous a affirmé que la Cnam et l'Etat se coordonnent quasi parfaitement, on peut s'interroger sur la complémentarité ou la concurrence entre les acteurs, voire sur la confusion qui peut apparaître dans les priorités politiques.

Au-delà de cet exemple, se pose de manière plus prégnante la question de la régulation des soins de ville. Une répartition des rôles s'est historiquement imposée en France : l'Etat régule le secteur hospitalier ; l'assurance maladie l'ambulatoire. Les ARS disposent ainsi de très peu d'outils pour organiser le volet soins de ville du système de santé. Or, cette dichotomie n'est plus acceptable au moment où la mise en place de parcours de santé est si importante, non seulement pour des raisons financières mais surtout pour des questions de qualité de la prise en charge et de bien-être des patients.

Les relations entre l'assurance maladie et les professionnels de santé passent principalement par la négociation des conventions qui fixent les tarifs mais organisent aussi d'autres éléments, que ce soit en matière de prévention, de prise en charge de malades chroniques, d'organisation du cabinet, d'objectifs de santé publique, voire de répartition sur le territoire pour les infirmières et les masseurs kinésithérapeutes. Or, nous assistons à un déplacement progressif des enveloppes financières du paiement de l'acte vers des rémunérations plus forfaitaires ou liées à des objectifs de santé publique. On pourrait donc imaginer a minima que l'Uncam continue de négocier les conventions qui fixeraient les tarifs et honoraires, mais qui définiraient en outre une enveloppe globale pour les autres types de rémunérations, enveloppe qui pourrait être gérée en tout ou partie par les ARS selon les besoins de santé propres au territoire. Cette solution, qui ne manquerait pas de compliquer la tâche de négociateur de l'Uncam car elle aurait peu de visibilité sur la répartition de cette enveloppe, entraînerait des différences de rémunérations entre professionnels selon le lieu d'exercice ce qui n'aurait pas nécessairement la faveur des syndicats représentatifs, mais elle serait neutre pour le patient. Elle mérite donc d'être expertisée plus avant dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de financement.

Après une phase d'installation certainement précipitée, les ARS ont besoin de stabilité et de temps pour « métaboliser » les innovations qu'elles constituent. Nous ne proposons donc pas un bouleversement mais une amélioration des procédures existantes. Ce sujet nous permet malgré tout d'ouvrir le débat sur deux questions de nature différente :

- la subsidiarité, c'est-à-dire la manière dont un acteur fait confiance à ses partenaires pour réaliser un objectif défini ;

- le lien entre l'Etat et l'assurance maladie. Ce thème, ancien mais qui a été relancé par deux études publiées récemment, l'une de Didier Tabuteau, dans son dernier livre sur la démocratie sanitaire, l'autre du think tank présidé par Gérard Larcher, devra être abordé dans la future loi sur la stratégie nationale de santé. L'assurance maladie doit-elle se cantonner strictement à un rôle de payeur des prestations ? Comment doivent se répartir les compétences de régulation du système, notamment pour l'ambulatoire ?

Nous concluons donc notre présentation par des questions, ce qui n'est pas très conventionnel...

Mme Catherine Génisson, présidente . - Merci à nos rapporteurs pour l'importance et la qualité de ce rapport.

M. René-Paul Savary . - On parle de simplification, mais avec un PRS de mille pages, on en est loin ! D'ailleurs, la partie corrélée à la politique de l'ARS représente une part considérable du courrier d'un responsable de collectivité...

Je voudrais intervenir à propos de la culture du personnel. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont rencontré des difficultés similaires. On demande à des personnels qui n'ont pas la même culture, les mêmes statuts, voire le même objectif professionnel de travailler ensemble. On voit bien les problèmes que cela peut engendrer, ainsi que les répercussions que cela peut avoir sur les usagers, les personnels n'ayant pas été préparés à exercer d'autres métiers que le leur !

Par ailleurs, vous parlez de progrès dans l'articulation entre le sanitaire et le médico-social, notamment grâce aux appels à projets. Depuis la création des ARS, il y en a eu très peu dans mon département ! Les crédits consacrés à la création d'établissements et services médico-sociaux sont encore donnés à la petite semaine. Je trouve qu'il n'y a pas eu d'améliorations dans ce domaine et qu'il s'agit plutôt d'une complication par rapport à ce qui existait.

Troisième remarque : les difficultés d'articulation entre ARS et préfets sur les questions de sécurité sanitaire sont les mêmes que celles rencontrées entre services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et préfets. Il faut travailler à une meilleure collaboration entre l'administration d'un établissement et les décisions opérationnelles. On arrive en effet à une confusion des genres, qui n'est guère facile et qui peut s'avérer préjudiciable.

Les Cpom posent un problème de fond : l'ARS fixe les objectifs, mais les moyens viennent en fin d'année. On n'a donc pas les moyens de notre politique et il faut améliorer cette situation.

Le fait que les élus aient davantage de poids au conseil de surveillance de l'ARS et que l'un d'entre eux le préside peut constituer une bonne proposition. Cela permettrait de reprendre la main et de mener une politique territoriale !

Le rapport ne me semble toutefois pas avoir réglé un problème qui me semble devoir être travaillé : il s'agit de l'articulation entre sanitaire et médico-social. Le sanitaire se traite en effet sur le plan régional, un CHU étant un élément essentiel. Quant au médico-social, il relève à 90 % de l'échelon départemental. La future loi sur l'autonomie va apporter de nouvelles modifications. Des conférences de financeurs vont être créées pour financer des mesures de prévention, notamment des aides techniques. Voilà un véritable enjeu qui peut permettre de différencier le sanitaire du médico-social.

Il s'agit en tout cas d'un très bon rapport !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Je fais mienne la conclusion de René-Paul Savary à propos du rapport : il est excellent. Il s'agit là d'un sujet compliqué compte tenu du caractère encore récent des ARS. Nous avons bien ressenti que les pratiques étaient très variables. J'insisterai peut-être plus que vous ne l'avez fait - mais c'était délicat - sur l'importance du management.

La qualité des hommes a en effet été primordiale durant la phase d'installation des ARS. Certaines personnes venaient de l'administration, du médico-social, de l'assurance maladie ou du secteur privé. Dans notre région, le directeur général de l'ARS est dorénavant un médecin, que je trouve excellent dans son approche. La qualité du directeur général influe beaucoup sur les relations avec le personnel, sur l'organisation et sur l'application du principe de subsidiarité et de confiance. On n'insistera jamais assez sur ce point.

En second lieu, vous l'avez dit - et nous étions déjà intervenus à ce sujet au moment de l'examen de la loi HPST - le conseil de surveillance, présidé par le préfet, est très mal équilibré. Selon moi, ce n'est pas l'outil qui convient. Vous faites donc bien de le souligner et de faire des propositions que, pour ma part, j'approuve !

Enfin, vous ouvrez un vaste champ de réflexion sur la dichotomie entre l'assurance maladie et l'Etat. Cet aspect des choses sera-t-il véritablement traité dans la future loi sur la stratégie de santé ? On peut le souhaiter ; dans le cas contraire, voilà un beau sujet pour la Mecss dans les prochains mois...

M. Hervé Marseille . - Une question prospective, au-delà du rapport, que je salue également pour sa qualité : pour les Franciliens, quel va être le rôle de l'ARS dans l'hypothèse de la disparition des départements, qui sont au coeur de l'action sociale ? Il n'y aura plus qu'une seule agglomération - la métropole - et plus de départements : comment articule-t-on les politiques sociales et quel va être le rôle de l'ARS en l'absence de structures intermédiaires ?

Je pose la question pour l'avenir proche, la métropole étant prévue pour le 1 er janvier 2016 et la disparition des départements franciliens pouvant intervenir à tout moment !

Mme Catherine Génisson, présidente . - Vous avez beaucoup insisté, monsieur le rapporteur, sur l'importance que revêtent les qualités humaines des directeurs généraux d'ARS, compte tenu de la diversité de leurs profils, ainsi que sur la solitude à laquelle ils sont confrontés. Vous avez d'ailleurs insisté pour que le Comex et le Codir puissent voir leurs prérogatives réaffirmées et approfondies. Ces questions me semblent aussi importantes que celles relatives aux statuts des personnels.

Je voulais évoquer la situation particulière de la région Nord-Pas de Calais, qui a utilisé la possibilité pour les conseils régionaux de participer aux Comex des ARH. Cette expérience a été extrêmement positive, par exemple pour l'aménagement du territoire en matière d'équipement d'imagerie médicale, et pour la prise en compte du développement des pathologies cancéreuses. Cette idée pourrait-elle être reprise ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - L'administration française produit beaucoup de règles et de normes. Nous-mêmes, en tant que législateurs, ne sommes pas exempts de critiques. On voudrait tout maîtriser ; or, on ne le peut pas. A force, on risque de décourager ceux qui sont obligés de faire appliquer les règles, à commencer par le personnel !

Il n'existe pas encore de culture commune, on l'a bien senti lors des tables rondes auxquelles nous avons participé ou lorsque nous avons rencontré les différents responsables, hiérarchiques ou syndicaux. Hormis dans la haute administration, la fusion n'a pas encore eu lieu. Il est vrai qu'il en allait de même dans les MDPH, où l'origine professionnelle conditionnait beaucoup de choses et posait des problèmes de gestion, ne serait-ce qu'en matière d'organisation des congés. La même chose eut lieu à Pôle emploi, où il existait des cultures très différentes. Tout ceci demande de la formation et de l'écoute à l'échelon central et local. Il s'agit d'un travail énorme, très pénalisant en temps, mais dont dépend l'efficacité du nouvel ensemble.

Le problème de l'articulation avec le préfet est en effet le même que celui qu'on rencontre dans les SDIS : les uns décident et les autres paient. Cela peut convenir un temps mais, même dans un couple, ce n'est pas ainsi que les choses se passent en général !

Par ailleurs, la loi HPST a été beaucoup critiquée quant à la place qu'elle avait donnée aux élus, qui se sont sentis écartés...

Mme Muguette Dini . - Exclus même !

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Ce n'est pas le mot que j'emploierais mais j'y souscris. Or les élus ont une certaine connaissance du terrain !

L'articulation entre le sanitaire et le médico-social va continuer d'évoluer. La loi sur le vieillissement sera le moment d'ajuster les choses. Les travaux doivent être menés de manière concertée avec les services des départements, qui disposent d'une grande expertise en la matière : un plan gérontologique départemental, ce n'est pas rien. On va parfois rechercher les mêmes documents, et ceci irrite les uns et les autres.

Certes, la qualité du management est essentielle, mais un effet système se créée à partir de la personnalité du directeur de l'ARS. La qualité de l'homme emporte donc effectivement l'ambiance, la manière de travailler, de décider. C'est une question de confiance. C'est un problème humain que l'on rencontre de manière générale, mais qui est ici particulièrement sensible. Ce n'est en effet pas anodin de passer d'une culture perpendiculaire à une culture horizontale. Nous l'avons bien ressenti lors de nos rencontres avec les médecins inspecteurs, par exemple. Pour certains, on niait leurs compétences en mettant en cause leur identité professionnelle, alors que le but était de « changer de focale ». À partir du moment où on instaure un parcours de soins, on ne peut plus fonctionner de la même manière. Encore faut-il qu'il y ait de la formation, de l'écoute, etc.

La disparition des départements constituera un aspect des discussions sur la réforme de la décentralisation en Ile-de-France mais je ne peux pas imaginer qu'il n'y ait pas d'échelon de proximité pour gérer les questions sociales...

Mme Isabelle Debré . - Félicitations pour ce rapport très complet ! Vous parlez de faciliter l'accès aux données de santé, et vous dites qu'il faut fixer un cadre sécurisé et protecteur. Ceci m'amène à vous poser une question parallèle : avez-vous une évaluation de la situation du dossier médical personnel (DMP) ? Quel est leur nombre, et qu'en est-il en matière de confidentialité ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur . - Vous le savez, la Cour des comptes a dressé un bilan très sombre sur cette politique qui s'apparente à un fiasco. Le Gouvernement est en train de le revoir entièrement, notamment en resserrant le public qui sera visé dans un premier temps. Beaucoup d'argent a été dépensé à ce sujet, assez largement en vain... Pourtant, un DMP pleinement opérationnel est très important pour préparer cette révolution intellectuelle et culturelle qui consiste à assurer la prise en charge du parcours de soins.

Le problème de la confidentialité se pose déjà dans le codage des actes dans le cadre de la T2A. Dans certains établissements, ce codage est sous-traité à des sociétés privées qui font relativement fi de ce problème. Selon moi, sans confidentialité, on rompt la confiance du patient dans son médecin !

Mme Catherine Génisson, présidente . - Le DMP remonte à dix ans. On peut se demander comment une idée aussi simple n'arrive pas se concrétiser !

M. Yves Daudigny . - Je voulais, au nom du groupe socialiste, souligner l'opportunité de ce rapport de la Mecss ainsi que la qualité, la perspicacité, la pertinence et la densité des travaux menés par nos deux rapporteurs, qui sont fortement imprégnés, l'un et l'autre, même s'ils n'ont pas la même sensibilité, par les questions de santé.

Votre rapport met fort justement en lumière la question de l'évolution des relations entre l'Etat et l'assurance maladie à travers une interrogation toute simple : qui dirige, dans notre pays, la politique de santé ? Si l'on pose la question de cette façon, il n'y a qu'une seule réponse possible : c'est le ministre de la santé ! Il existe cependant des mécanismes qu'il conviendra de faire évoluer dans les mois ou les années à venir. Peut-être faudra-t-il redessiner les compétences des uns et des autres. Nous mesurons tous, et sur tous les bancs, la difficulté d'aborder ce sujet !

M. Gérard Roche . - Je rends également hommage aux rapporteurs pour la richesse du dossier qu'ils nous ont présenté. Il y a tant d'argent en jeu que la Cnamts ne peut plus être autonome. C'est donc l'affaire de l'Etat, qui a créé les ARS, mais laissé à la Cnamts les questions relatives à la rémunération des professionnels libéraux.

Des contre-pouvoirs ont été mis en place ; ils ne sont pas tout à fait efficaces et n'ont guère d'influence... Les gouvernements n'y ont peut-être pas intérêt...

Beaucoup de protagonistes tournent autour de ce rempart que constitue l'ARS. Il y a d'abord les médecins, certains de façon très honorable, pour défendre la qualité de leur travail, d'autres pour défendre simplement leurs privilèges. Il y a les syndicats de personnels des structures hospitalières, qui sont à bout et exsangues. Il y a les élus que nous sommes, en particulier lorsqu'ils exercent des compétences dans le secteur médico-social. Sur ce dernier point, il convient malgré tout d'indiquer que nous avons été fort bien associés aux travaux préparatoires du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. Il y a enfin les malades, qui n'ont pas assez accès à la parole.

Le travail est immense et nous ne ferons pas l'économie, dans les années à venir, d'une loi pour remanier tout cela !

Mme Catherine Génisson, présidente . - Au nom de l'ensemble de la commission, je renouvelle nos félicitations à nos deux rapporteurs.

La commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information.

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