CONCLUSION

« La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles,

mais d'échapper aux idées anciennes. »

John Maynard KEYNES

« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. »

Proverbe Touareg

Après deux terribles guerres mondiales qui ont ensanglanté notre continent, occasionné tant de morts et créé tant de souffrances, la courageuse et géniale inspiration des Pères fondateurs a permis d'établir la PAIX en Europe.

À travers bien des crises et parfois des échecs tel celui de la Communauté européenne de défense (CED), l'Europe s'est fortifiée et agrandie dans une ambiance de très large consensus. Elle a démontré au monde qu'après l'impérialisme, par lequel un peuple en domine d'autres, après le nationalisme qui conduit inévitablement à l'affrontement, il était possible d'inventer une autre forme de relation entre les peuples : la COMMUNAUTÉ, fondée sur la libre adhésion, le respect de chaque État, la démocratie et la solidarité. La réussite du couple franco-allemand avec DE GAULLE et ADENAUER, GISCARD D'ESTAING ET SCHMIDT, MITTERRAND et KHOL, ainsi que l'action des « pères continuateurs » tels que Jacques DELORS, ont pu laisser croire que l'avenir de la construction européenne était définitivement assuré. C'était oublier qu'au plus profond de la nature des peuples le Bien et le Mal ne cessent de cohabiter, que la tension entre le Passé et l'Avenir ne cesse d'exister.

À la faveur d'une crise financière, économique, sociale et morale de grande ampleur, nous assistons à la renaissance du nationalisme, du populisme et du séparatisme qui vont jusqu'à rendre silencieux ou prudents ceux-là même qui, il n'y a pas si longtemps, s'affichaient comme d'authentiques Européens, tandis qu'à l'extérieur, en Ukraine, des peuples manifestent pour conserver une chance de rejoindre un jour notre Union européenne... Cent ans après le déclenchement de la Première guerre mondiale, notre continent est à nouveau à l'heure du choix.

Face à la mondialisation, face aux pays émergents, en passe de devenir submergents, le choix est clair : il s'agit de savoir si nous avons encore l'intention d'être un des principaux acteurs de la scène internationale et de participer à l'élaboration du destin de la planète ou si, fatigués, désabusés et impuissants, nous nous replions sur chacune de nos nations ou de nos provinces. Nous laisserions ainsi libre cours à la démagogie populiste et abandonnerions progressivement à d'autres ce qui nous reste d'un glorieux passé, et surtout toutes les espérances dont nous sommes capables. Nous prendrions alors le risque de réveiller les affreux démons qui nous ont déjà conduits à deux guerres mondiales. Car ne l'oublions jamais : l'histoire et ce qui se passe aujourd'hui dans d'autres parties du monde nous le montrent, la paix et la stabilité ne sont jamais définitivement assurées. Elles doivent être en permanence consolidées.

Sur le plan intérieur, le modèle de société que nous avons patiemment construit et qui, quoi qu'on en dise, est le meilleur du monde, fondé sur la liberté, la démocratie, le progrès et la solidarité, serait très difficile à maintenir.

Si nous voulons relever ce défi, l'Europe doit devenir un PROJET DE CIVILISATION , servi par une PUISSANCE , organisée sur le mode du FÉDÉRALISME DÉCENTRALISÉ, et constituant une COMMUNAUTÉ DE NATIONS .

Il faut unir sans asservir, harmoniser sans uniformiser.

De même que les provinces ont fait la France, les États feront l'Europe mais sans défaire les Nations.

Mais il est clair que cette ambition ne pourra être partagée par toutes les nations européennes ; l'histoire et la culture politique de certains pays, comme par exemple le Royaume-Uni, ne leur permettent pas d'embrasser une telle perspective. Il ne faut pas en faire un drame, il suffit de bâtir une nouvelle architecture de l'Europe et réviser la nature des relations entre ceux qui veulent avancer vers une « Europe puissance » à pouvoir intégré, décentralisé certes, mais à visée fédérale, et ceux qui sont plus à l'aise dans une « Europe espace » refusant toute idée d'intégration et qui se contentent du marché unique, d'un mode de relations intergouvernemental, voire d'une diplomatie classique, au demeurant quelque peu dépendante des États-Unis. Ainsi s'esquisserait UNE Europe différenciée à plusieurs étages ou plusieurs cercles que votre rapporteur a proposée dès 1983 43 ( * ) .

Pour assurer cette clarification et cette mutation, nous devons retrouver le chemin du volontarisme politique. L'Europe attend un souffle nouveau. C'est bien d'un saut qualitatif dont elle a besoin. Elle doit à nouveau offrir des perspectives à long terme et faire rêver. Ses dirigeants doivent proposer un PROJET, une vision stratégique et prospective qui dessine ce que notre continent devra être dans trente ou cinquante ans. Ils doivent rompre avec la politique à court terme et au fil de l'eau, avec les égoïsmes nationaux qui mettent en cause l'intérêt commun. Ils doivent retrouver la confiance mutuelle sans laquelle rien n'est possible.

L'approfondissement doit être la priorité. Le couple franco-allemand doit retrouver son rôle d'impulsion. L'intégration renforcée doit associer les États membres qui ont la volonté de construire une « Europe puissance ». La zone euro doit en être le centre de gravité. Elle constitue - sans exclusive - le cadre approprié à travers le développement de coopérations renforcées qui permettent de tisser des « solidarités de fait ». Des institutions renouvelées, plus démocratiques, plus visibles et plus efficaces, permettront à ce projet européen refondé d'ouvrir une nouvelle ère de son édification.

Cette ambition retrouvée doit permettre de construire une Europe compétitive, une Europe de la croissance et de l'emploi, respectueuse des grands équilibres naturels, proche des citoyens, capable de relever les défis de la réindustrialisation et de l'ère du numérique. Elle suppose des efforts de tous mais aussi de la solidarité et de la cohésion sociale. Elle implique de recentrer l'Union européenne sur ses missions essentielles en faisant vivre le principe de subsidiarité, en remédiant à l'inflation normative qui lui a fait tant de mal. Elle doit se garder d'une « Europe à la carte » où chacun ne prendrait que ce qui l'intéresse et qui conduirait à une organisation kaléidoscopique ingérable et inefficace.

Cette Europe renforcée sera ainsi capable de rayonner dans le monde à qui elle proposera, sans les imposer, ses valeurs et son modèle de société.

Après le renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne, le moment sera venu d'éclairer l'avenir et de proposer aux peuples d'Europe un PROJET qui leur redonnera espoir.

Il conviendra également de ne pas oublier que le choix des femmes et des hommes en charge des plus hautes responsabilités européennes est essentiel.

Si les chefs d'État et de gouvernements croient sincèrement à l'avenir de l'Europe, ils ne doivent plus craindre de désigner pour la présidence du Conseil et pour celle de la Commission, ainsi que pour le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères, des personnalités expérimentées qui croient à l'avenir d'une Europe forte et pourvues d'un tempérament et d'une vision d'Homme ou de Femme d'État.

En formulant 24 propositions soumises à discussion et dont nous sommes bien conscients qu'elles ne pourraient s'inscrire que progressivement dans la réalité, nous espérons contribuer à ce nouvel élan.


* 43 « Le Monde » - 13 décembre 1983

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