B. UNE CAPACITÉ DE RELANCE FACE AUX CRISES

L'Europe s'est souvent construite dans les crises. Les réponses qu'elle a apportées à la récente crise des dettes souveraines témoignent à nouveau de sa capacité de résistance dans des contextes difficiles.

1. Une marque de l'histoire de la construction européenne...

La capacité de se relancer après des crises très graves qui auraient pu mettre en cause le projet européen, a marqué toute l'histoire de la construction européenne.

L'échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, suite à son rejet par la France, fut très vite suivi de la création de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) dans le cadre des accords de Paris signés le 23 octobre 1954. Ces accords permirent aussi le rétablissement de la souveraineté de l'Allemagne et son intégration dans l'OTAN. Dès juin 1955, à la conférence de Messine, un accord fut trouvé pour aller vers une intégration économique plus forte. Les négociations aboutirent ensuite à la signature des traités de Rome le 25 mars 1957 qui instituaient deux Communautés : la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA, dite « Euratom »). Les traités entrèrent en vigueur le 1 er janvier 1958 pour une durée illimitée.

Le rejet, en avril 1962, du plan Fouchet tendant à créer une « union d'États » fut suivi, dès l'automne 1962, par le renforcement de la coopération franco-allemande qui permit d'aboutir à la signature, en janvier 1963, du traité de l'Élysée. Après la crise de la politique de la « chaise vide » (1965), déclenchée par la France, le « compromis de Luxembourg » du 30 janvier 1966 permit de trouver une issue en reconnaissant la notion d'intérêt vital d'un État membre qui justifierait de rechercher « dans un délai raisonnable » , des solutions unanimes.

Plus profondément, le sommet de La Haye des 1 er et 2 décembre 1969 relança la construction européenne en affirmant trois priorités : l'achèvement du marché commun pour le 1 er janvier 1970 ; l'approfondissement du projet européen à travers le plan Barre et une union économique et monétaire ; l'élargissement avec des négociations qui seraient ouvertes parallèlement au processus d'approfondissement.

En vue de l'objectif d'une union économique et monétaire, retenu par le sommet de La Haye, la Commission européenne présenta, le 12 février 1969, le plan Barre. Celui-ci avait pour but de faire face aux déséquilibres entre les devises nationales des Six, et d'écarter les risques d'une crise monétaire internationale à travers des mécanismes venant en aide aux monnaies les plus faibles et par la concertation des politiques économiques des États membres. Le plan fut adopté le 17 juillet 1969 par les ministres des Finances des Six.

En juin 1970, le plan Werner - du nom du Premier ministre luxembourgeois de l'époque- , qui tendait à réaliser par étapes l'union économique et monétaire, se heurta à la crise suscitée par l'inconvertibilité du dollar en or à partir de 1971 et aux divergences entre les États membres. Pour autant, en dépit de ces difficultés, le Serpent monétaire européen fut créé (mars 1972). Il permit d'établir une marge de fluctuations entre les monnaies. Il fut lui-même très vite confronté aux effets de la crise pétrolière. Mais quelques années plus tard (avril 1978), le Système monétaire européen (SME) était créé. Le moteur franco-allemand, animé par MM. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, a joué un rôle décisif pour promouvoir ce dispositif qui établissait une monnaie de référence, l'écu, qui était définie par un panier de monnaies. Il en résulta une stabilité monétaire - au moins dans un premier temps - et une plus grande convergence des politiques économiques.

Confrontée à de fortes difficultés, la construction européenne trouva un nouveau souffle avec le projet de réaliser un véritable marché unique sans frontières, que présenta un Livre blanc de la Commission, présidée par M. Jacques Delors, en juin 1985. Cette démarche aboutit très rapidement à la signature de l'Acte unique, le 17 février 1986. L'extension du vote à la majorité qualifiée à de nombreux domaines, à l'exception toutefois de la fiscalité et de la libre circulation des personnes, permit de rendre le processus de décision européen plus efficace.

La chute des régimes communistes posa à l'Union européenne la question de l'élargissement mais aussi celles du sens du projet européen et, de façon plus concrète, de son mode de fonctionnement. Sous l'impulsion de la Commission européenne et du couple franco-allemand composé de MM. François Mitterrand et Helmut Kohl, le traité de Maastricht (1992) modifia sensiblement le processus de décision en étendant le champ de la majorité qualifiée au Conseil et en mettant en place une nouvelle procédure de codécision qui renforçait, dans certains domaines, les pouvoirs du Parlement européen. Le traité approfondit le sens du projet européen en créant l'Union européenne et en lançant l'Union économique et monétaire (UEM) qui aboutit, le 1 er janvier 2002, à la mise en circulation de l'euro. Les politiques européennes purent concerner de nouveaux domaines : l'éducation, la formation professionnelle, la culture, la santé publique, la protection des consommateurs, les réseaux transeuropéens, l'industrie. Parallèlement, le traité affirmait le principe de subsidiarité dans l'exercice des compétences partagées.

La perspective du proche élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale posa à nouveau très vite la question du mode de fonctionnement de l'Union européenne. Le traité d'Amsterdam (1997) apporta de nouveaux changements institutionnels avec notamment l'approbation par le Parlement européen de la désignation du président de la Commission européenne, puis celle de l'ensemble du collège, l'extension du champ de la procédure de codécision à vingt-trois nouveaux domaines, la création de la procédure des coopérations renforcées permettant aux États membres souhaitant avancer dans un domaine déterminé de le faire. Le traité renforça la visibilité de l'action extérieure de l'Union en créant un Haut représentant pour la Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC). Toujours confronté aux effets prévisibles de l'élargissement, le traité de Nice (2001), adopté dans la douleur, modifia les règles de majorité au Conseil en prévoyant qu'un acte devait être approuvé par une majorité d'États membres et que si un État membre en faisait la demande, il fallait s'assurer que la majorité en voix représente au moins 62 % de la population de l'Union ( « clause de vérification démographique »). Le traité prévoyait aussi de plafonner la taille de la Commission mais se gardait de fixer le nombre de commissaires. Il assouplit aussi les règles de recours aux coopérations renforcées qui pourraient notamment être déclenchées à la demande de neuf États membres et être utilisées dans le domaine de la PESC.

L'échec du traité établissant une Constitution pour l'Europe, suite aux résultats négatifs des référendums en France (le 29 mai 2005) et aux Pays-Bas (le 1 er juin 2005), provoqua une nouvelle crise de la construction européenne. Mais là encore, l'Union européenne trouva la ressource pour débloquer la situation lors du Conseil européen de juin 2007 autour de l'élaboration d'un nouveau traité dit « modificatif » destiné, plus modestement, à amender les traités existants, en reprenant les principales modifications institutionnelles issues du traité constitutionnel mais en écartant tout ce qui renvoyait à l'idée « constitutionnelle ». Cette démarche aboutit à la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007. Là encore, l'impulsion des dirigeants français et allemand, M. Nicolas Sarkozy et Mme Angela Merkel, fut décisive.

Chaque fois que des crises sérieuses ont menacé le Projet, l'Union a donc su trouver les ressources pour réagir et rebondir. Dans tous les cas, la volonté politique des dirigeants européens a été déterminante. Le rôle moteur du couple franco-allemand jouant un rôle essentiel dans la relance européenne.

2. ...renouvelée dans la période récente

Sous l'effet de la crise financière et de la crise des dettes souveraines, l'Union européenne a su réagir. Elle l'a fait par étapes et non sans mal, après avoir constaté qu'elle n'était pas suffisamment armée pour faire face à de telles crises et que le défaut de coordination des politiques économiques et budgétaires n'était plus acceptable.

La Banque centrale européenne (BCE) a su prendre les mesures, qui relevaient de ses compétences, pour répondre à la crise. Mi-septembre 2008, la BCE a décidé de réduire son taux d'intérêt à court terme (dit aussi « taux directeur »). Le taux directeur est passé de 4,25 % en octobre 2008 à 1 % en mai 2009. Elle a par ailleurs lancé un programme d'achat d'obligations d'État pour les marchés financiers (Securities Market Program - SMP) et une politique de soutien renforcé au crédit (mesures dites « non conventionnelles »), qui tend à accorder aux banques des facilités de financement, dont elles usent librement, à des conditions très favorables. En septembre 2012, la BCE a annoncé qu'elle allait acheter sans limites les dettes souveraines à court terme des pays européens en crise. Par son action, la BCE a ainsi réduit les tensions sur les marchés et limité les risques d'une restriction de crédit.

Sous l'effet de la crise financière, des étapes ont été franchies en vue de la création d'une union bancaire. En septembre 2010, un Conseil européen du risque systémique, chargé de contrôler les risques portés par le secteur financier et doté d'un pouvoir d'alerte, ainsi que trois agences ont été créés. Un mécanisme unique de supervision des banques a été mis en place. Il sera complété par un mécanisme unique de résolution.

En outre, 28 mesures proposées par le commissaire Michel Barnier ont visé à renforcer la réglementation du secteur financier : règles prudentielles et de solvabilité pour les assureurs fondées sur l'analyse des risques (« Solvabilité II ») ; surveillance renforcée des conglomérats financiers ; nouveau cadre européen de surveillance pour les assureurs (« Omnibus II ») ; règles de transparence renforcées ; encadrement renforcé du secteur de l'audit ou encore renforcement du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux.

La crise des dettes souveraines a conduit à une réforme profonde de la gouvernance économique européenne, dont les défaillances étaient apparues de manière manifeste. Avec le traité entré en vigueur le 27 septembre 2012, l'Union européenne est désormais dotée d'un mécanisme permanent de gestion de crise, le mécanisme européen de stabilité (MES) qui est doté d'une capacité de prêt à hauteur de 700 milliards d'euros. L'Allemagne (27 %) et la France (20,5 %) sont ses plus gros contributeurs.

Un paquet de six textes (Six-Pack), adopté en novembre 2011, a réformé le Pacte de stabilité et de croissance, tant dans son volet préventif que dans son volet correctif. Il permet d'encadrer plus strictement les budgets nationaux et de coordonner plus étroitement les politiques économiques. Il met aussi en place une surveillance plus crédible des déséquilibres budgétaires mais aussi macroéconomiques. Par ailleurs, la procédure du Semestre européen , appliquée pour la première fois en 2011, permet d'évaluer le budget annuel de chaque État pour assurer une coordination des politiques économiques des États membres et une convergence des performances économiques.

Deux règlements (Two-Pack) sont, par ailleurs, entrés en vigueur en mai 2013 afin de mettre en oeuvre une surveillance renforcée de la zone euro . Enfin, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM (TSCG), signé le 2 mars 2012 par 25 États membres (le Royaume-Uni et la République tchèque se tenant à l'écart), a complété l'architecture de l'UEM par un « Pacte budgétaire ». Il fixe la règle (dite « règle d'or »), selon laquelle la position budgétaire des administrations publiques doit être équilibrée ou excédentaire. Il formalise davantage la gouvernance de la zone euro : réunion de sommets informels de la zone euro ; association des parlements nationaux et européens à la gouvernance de la zone euro.

En dépit des graves désordres suscités par la crise financière et par la crise de la dette souveraine, l'Union européenne a donc - par étapes - pu apporter des réponses crédibles comme elle l'avait fait dans le passé face à d'autres situations périlleuses. On ne peut pour autant verser dans un excès d'optimisme car le projet européen apparaît malheureusement bien enlisé et exposé à un vrai risque de dissolution s'il n'est pas relancé.

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