B. LE CHOIX DE L'EXTERNALISATION (2007/2009)

1. Une préférence pour un recours au contrat de partenariat affirmée très tôt

Avant même de définir le cadre juridique dans lequel devaient s'organiser les relations entre l'administration et la (ou les) personne(s) privée(s) qui participerai(en)t à ce projet, l'État s'est interrogé, dans un premier temps, sur la possibilité juridique de l'externalisation de certaines missions, principalement celles de collecte et de recouvrement du futur impôt.

La direction de la législation fiscale (DLF) et la direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'économie, saisies de cette question, ont estimé possible cette externalisation en juillet 2007.

a) L'avis du Conseil d'État en 2007

Leurs conclusions ont été confirmées par un avis de la section des finances du Conseil d'État du 11 décembre 2007 17 ( * ) , saisi par les ministres de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, et de l'économie, des finances et de l'emploi, lorsqu'il a été envisagé d'étendre le champ de la taxe poids lourds à l'ensemble du territoire national. La nature de la saisine portait notamment sur la possibilité de confier à un prestataire privé, sous le contrôle de l'État, non seulement la conception, la réalisation et la gestion des moyens électroniques de télépéage, mais aussi l'établissement de l'assiette de la taxe, sa liquidation et son recouvrement.

Selon le Conseil d'État, « a ucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que le législateur confie à un prestataire privé la mission de réaliser les prestations de collecte des éléments d'assiette, de liquidation et de recouvrement de la taxe «poids lourds» sous réserve que cet organisme soit placé dans cette mesure sous le contrôle de l'État, que soient constituées des garanties de nature à assurer le reversement intégral des sommes facturées et que l'exécution du service public soit assurée dans le respect des règles comptables appropriées ».

Cet avis s'appuie en partie sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel du 28 décembre 1990 18 ( * ) , dans laquelle ce dernier a jugé que les personnes privées pouvaient recouvrir un impôt - en l'espèce, il s'agissait de la contribution sociale généralisée (CSG) - sous réserve qu'elles soient strictement contrôlées par l'État. Dans ce cadre, les personnes privées remplissent alors une mission de service public.

Le Conseil d'État a rappelé que relevaient de la compétence du législateur, d'une part, la définition d'un régime cohérent et complet concernant l'assiette, le recouvrement, le contrôle et le contentieux du nouvel impôt, conformément aux dispositions de l'article 34 de la Constitution, et, d'autre part, la fixation du contenu des obligations principales incombant à l'État et au prestataire ainsi que les modalités générales d'exécution du contrat. Enfin, le législateur devait définir l'organisation générale du contrôle de l'État sur cet organisme.

Ainsi, si le Conseil d'État n'interdit pas le recours à un prestataire privé pour les missions de collecte et de recouvrement d'une taxe , il a cependant assorti cette faculté de conditions très strictes : en particulier, l'exercice des missions purement régaliennes - le recouvrement forcé, le contrôle physique ou les sanctions, c'est-à-dire tout ce qui recouvre des prérogatives de puissance publique nécessitant le recours à la force, quelle que soit sa forme - relève exclusivement de l'État et ne saurait faire l'objet d'une délégation à une personne privée.

Dès lors que le recours à l'externalisation de certaines missions - en particulier, celles de la collecte et du recouvrement de l'écotaxe - était juridiquement possible, il restait à définir la formule juridique la plus appropriée .

M. Roland Peylet, président de la commission consultative créée dans le cadre du projet écotaxe, a affirmé à votre commission d'enquête être persuadé que le choix de recourir à un contrat de partenariat avait été pris très en amont, tout en spécifiant qu'il ne disposait d'aucun élément probant permettant de confirmer cette thèse. Il étaye cette déclaration à la fois par la saisine de la Mappp dès le 8 décembre 2008, qui était d'ailleurs représentée au sein de la commission, et par « les contacts établis avec les commissaires du Gouvernement avant l'examen des projets de décrets ».

b) Un périmètre très large dès l'origine

Si l'on se réfère aux questions posées par le ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables et la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, à l'origine de l'avis précité du Conseil d'État du 11 décembre 2007, on constate qu'elles portent sur un contrat global confié à une personne privée, comprenant à la fois la conception, la réalisation et la gestion des moyens électroniques de télépéage mais également l'établissement de l'assiette de la taxe, sa liquidation et son recouvrement.

Il semble que le contexte politique de 2007-2008, marqué par la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la volonté partout affichée de diminuer les effectifs de fonctionnaires, ait été largement favorable aux contrats de partenariat. Ceux-ci permettaient en théorie de transférer le risque et le déficit d'investissement inhérent à tout projet sur la personne privée, tout en préservant la soutenabilité, au moins apparente, des finances publiques.

Il paraît ainsi que le choix d'un contrat de partenariat global, c'est-à-dire intégrant la collecte et le recouvrement de la taxe, a été autant le résultat d'une analyse objective permettant de peser les avantages et les inconvénients d'un tel choix, que la conséquence d'une préférence gouvernementale, comme le montre sans doute la question posée au Conseil d'État en 2007.

2. Un choix finalement limité à deux hypothèses et le rejet des procédures classiques

Dans ce contexte, l'évaluation en 2008 et 2009 des procédures envisageables peut être relativisée.

Deux alternatives seulement ont été privilégiées par la DGDDI et la DGITM, les deux directions générales chargées du suivi du projet : d'une part, la maîtrise d'ouvrage publique dans le cadre d'un marché public global et, d'autre part, le contrat de partenariat, global également.

L'hypothèse d'un marché public alloti n'a pas été retenue, compte tenu de la multiplicité des interlocuteurs qu'il aurait fallu mobiliser selon ces deux directions : l'allotissement des fonctions de collecte de la taxe, du recouvrement, du contrôle et du traitement des informations de la collecte et du contrôle aurait nécessité de définir des systèmes d'échanges d'information - interfaces - entre de trop nombreux systèmes. Cela aurait conduit l'État à piloter en parallèle plusieurs procédures de passation de marchés en s'assurant de la compatibilité des choix faits sur chaque lot.

La DGDDI et la DGITM se sont par ailleurs appuyées sur l'exemple des Pays-Bas, qui avaient souhaité recourir à cette formule mais avaient dû y renoncer. Les Pays-Bas avaient mis en place une structure de pilotage de plus de 200 agents et conseils pendant plusieurs années. Toutefois, l'abandon par les Pays-Bas de l'écotaxe, en février 2010, a surtout été justifié par des considérations politiques, et beaucoup moins par des considérations techniques et juridiques. D'autres exemples auraient pu être donnés, comme la Suisse ou l'Autriche, qui ont délégué à des sociétés privées les risques de construction du système, avant de le racheter, tout en conservant les missions régaliennes. Même si en Suisse, particulièrement, les systèmes étaient différents des choix français, un tel montage aurait pu faire l'objet d'un examen attentif. D'ailleurs, la société Écomouv' elle-même s'appuie sur les choix faits par ces pays pour justifier les options de rachat prévues dans le contrat qui lui a été dévolu (audition du 8 janvier 2014).

C'est ainsi que le seul choix qui a été arbitré a été celui d'une procédure de maîtrise d'ouvrage publique (MOP) sur la totalité du projet, de la conception du dispositif au recouvrement de la taxe, ou son externalisation complète. C'est d'ailleurs sur la comparaison entre ces deux hypothèses que repose l'évaluation préalable soumise à l'avis de la Mappp en février 2009.

MM. François Lichère et Frédéric Marty, entendus par votre commission le 15 janvier 2014, estiment que le fait de retenir un périmètre aussi large d'externalisation aurait mérité une question de constitutionnalité au vu de la décision du Conseil Constitutionnel du 26 juin 2003 19 ( * ) qui précise qu'un PPP ne doit pas déléguer une mission de souveraineté.

La seule alternative étudiée est bien celle d'une mission globale et non d'une succession de contrats. Il est ainsi impossible d'avoir des éléments d'appréciation sur l'intérêt ou non qu'aurait eue pour l'État une dissociation des phases de conception de construction et d'exploitation.


* 17 Conseil d'État, Section des finances - avis n° 381.058 - 11 décembre 2007.

* 18 Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 relative à la loi de finances pour 1991.

* 19 Conseil Constitutionnel, décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 relative à la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

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