C. DES INCERTITUDES SUBSISTENT

1. Le dispositif fonctionne-t-il ?

Plusieurs étapes devaient être remplies avant la mise à disposition du système.

Les différentes étapes préalables à la mise à disposition

La mise à disposition est conditionnée à la réalisation de plusieurs étapes préalables :

Une recette du dispositif , réalisée par le prestataire , qui rassemble plusieurs tests visant à déterminer si le dispositif est achevé ;

Une vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) , effectuée par l'État , afin de s'assurer que le dispositif est conforme aux prescriptions du contrat et aux textes législatifs et réglementaires en vigueur. Cette procédure permet de vérifier que le système fonctionne dans un environnement de test, proche du réel mais différent du contexte de véritable production, dont il n'atteint pas la même volumétrie ;

Une vérification en service régulier (VSR) , qui désigne « les tests, essais et vérifications qui ont pour objet de mettre en service le dispositif sur une échelle restreinte en vue d'évaluer le comportement des différents composants du dispositif en contexte opérationnel, avant de procéder à sa mise à disposition. » Il s'agit de s'assurer de la fourniture d'un service régulier dans une configuration proche de la production. Elle est réalisée par le prestataire , une fois la fin des opérations de VABF prononcée et suivant une stratégie qu'il a préalablement définie et communiquée à l'État.

Par ailleurs, une procédure d'homologation des chaînes de collecte et de contrôle a été explicitement prévue par la loi 38 ( * ) . Le décret n° 2011-845 du 15 juillet 2011 relatif à l'homologation des chaînes de collecte et de contrôle de la taxe alsacienne et de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises en détermine les modalités. Les essais, inspections ou certifications sont effectués respectivement par des laboratoires d'essais, des organismes d'inspection ou des organismes de certification accrédités par le comité français d'accréditation (COFRAC) ou par tout autre organisme d'accréditation équivalent européen.

Or, dès février 2013, une réunion interministérielle constatait que le rapport de tests remis le 18 février comportait trop d'anomalies (133 dont 18 majeures) pour pouvoir passer à la VABF. Cela a été la cause du premier report de la taxe, du 20 juillet au 1 er novembre 2013. Ce report a été annoncé le 28 février 2013.

En octobre 2013, suite aux assurances et garanties avancées par Écomouv' lors des réunions de revues de projet, le ministère des transports annonçait que la VABF s'achèverait le 8 novembre et que le dispositif serait opérationnel fin novembre. Or, c'était sans doute faux à l'époque, selon divers témoignages ou affirmations, émanant de plusieurs sources, recueillis par votre commission.

De la recette à la fin de la VSR, le calendrier de l'exécution du contrat

En février 2013, l'État a refusé l'entrée en VABF proposée par Écomouv', considérant que la recette présentée par le prestataire était insuffisante. Cela a été la cause du premier report de la taxe, du 20 juillet au 1 er novembre 2013. Ce report a été annoncé le 28 février 2013.

Un mois plus tard, Écomouv' a remis à l'État un nouveau rapport de recette, dans lequel elle annonçait avoir corrigé certains défauts considérés comme « majeurs », c'est-à-dire qui empêchent la mise en oeuvre du dispositif. Ce rapport a été accepté par l'État le 5 avril 2013, ce qui a conduit au lancement d'une première phase de VABF, du 8 avril au 13 juin 2013 .

La première partie de la VABF, relative à l'enregistrement des redevables abonnés , a fait l'objet d'un rapport envoyé à Écomouv' le 23 juin 2013, qui a permis de démarrer une VABF complémentaire du 24 juin au 12 juillet 2013. Le rapport de VABF complémentaire remis par l'État le 15 juillet 2013 a autorisé, sous réserve de la VSR associée à ce service, l'ouverture effective de l'enregistrement des redevables abonnés à partir du 19 juillet 2013. Cinq SHT ont commencé ce travail dès cette date (Axxès, DKV, Eurotoll, Telepass et RESSA), la SHT Total ayant démarré le 12 août 2013.

La seconde partie de la VABF, concernant le reste du dispositif, a fait l'objet d'un rapport global rendu le 1 er juillet 2013 par l'État. Ce rapport énumère 989 défauts , dont 523 défauts sont considérés comme « majeurs » et 466 comme « mineurs », c'est-à-dire n'empêchant pas la mise à disposition du système.

Une VABF complémentaire s'est tenue du 2 juillet au 22 août 2013, et a donné lieu à un rapport de VABF complémentaire daté du 30 août. Ce dernier recense encore, d'une part, 156 défauts majeurs et 254 défauts mineurs déjà repérés lors de la première VABF, n'ayant pas été corrigés, d'autre part, 177 défauts majeurs et 105 défauts mineurs détectés lors de ce nouvel exercice. Ce résultat a justifié un nouveau report de la taxe poids lourds, au 1 er janvier 2014, qui a été annoncé le 5 septembre.

Une dernière phase de VABF, dite « finale », s'est tenue du 16 septembre au 8 novembre 2013 , avec une priorité donnée aux tests relatifs à l'enregistrement des redevables non abonnés. Ce service n'étant caractérisé par aucun défaut majeur, l'État a autorisé Écomouv' à mettre effectivement en service l'enregistrement des redevables non abonnés le 14 octobre 2013.

L'État a établi son rapport de VABF finale le 22 novembre 2013, qui ne relève plus aucun défaut majeur détecté à l'occasion des tests de VABF. L'État n'a cependant pas voulu prononcer la fin de la VABF tant que les chaînes de traitement n'étaient pas homologuées comme le stipulait le contrat, cette absence d'homologation constituant à ses yeux un défaut majeur, position contestée par Écomouv'. La fin de la VABF a été prononcée le 16 janvier 2014, une fois cette homologation acquise.

La VSR a pu être remise à l'État par Écomouv' le 20 janvier 2014 .

Pendant des semaines, Écomouv' n'a pas dit la vérité sur ses difficultés à maîtriser la technologie. L'activité réelle des salariés semble difficile à apprécier, certains membres de la commission ayant ainsi remarqué lors d'une visite sur place que les personnels supposés gérer des dossiers n'utilisaient pas les claviers de leurs ordinateurs.

La lecture des revues de projet pointe les difficultés, renouvelées tout au long de cette phase de mise au point, qu'éprouve l'État à obtenir des réponses à ses questions précises. Les affirmations d'Écomouv' quant aux corrections apportées à certains défauts constatés manquent parfois de l'apport immédiat de la « preuve par la démonstration » demandée par l'État, même si, ultérieurement, l'ensemble du dispositif démontre petit à petit sa capacité de fonctionnement. Un exemple assez prégnant, et dont la compréhension est aisée, est celui de la version logicielle permettant aux équipements embarqués (EE) de fonctionner. Celle-ci a, naturellement, fait l'objet de nombreuses modifications et mises au point. L'État a, lors des réunions de revue de projet, exprimé plusieurs fois des réserves quant à la validité de corrections effectuées sur des versions antérieures à celles utilisées pour la présentation de nouveaux tests. Ce fut par exemple le cas le 16 juillet 2013, Écomouv' ayant modifié la version utilisée par des tests pendant une VABF complémentaire : commencée avec la version V6.71.1, elle se terminera avec la version V.6.73. Au final, le rapport de VSR sera produit lui aussi avec 2 versions différentes, entre le 8 octobre et le 20 décembre 2013 : la BL6.77.6 (version définitive) et la BL6.71. Écomouv' affirme avoir fait les vérifications nécessaires pour que ce changement n'affecte pas les résultats de la VSR, mais ce point confirme combien les calendriers sont encore tendus avant la mise au point définitive du dispositif.

De façon générale, l'analyse du rapport confiée pour l'État à Capgemini confirme des appréciations divergentes entre l'État et Écomouv' en matière de transparence et des obligations faites à Écomouv' quant au contrôle exercé par l'État sur son prestataire, selon les termes du contrat. Par exemple, l'État n'a jamais pu assister à aucune phase de tests et d'enregistrements des données utilisées par Écomouv' dans son rapport de VSR, n'étant informé de ces dates qu' a posteriori . Cela ne pouvait qu'engendrer un sentiment de méfiance quant aux données produites, qui relevaient de ce fait d'un processus de type « auto-contrôle », très éloigné des dispositions du contrat prévoyant un strict contrôle par l'État de son prestataire. Cette propension d'Écomouv' à une trop grande « discrétion » pour ce qui relevait, à son sens, de son fonctionnement interne a aussi été relevée par la DGDDI lors de son contrôle inopiné dans les locaux de la société en septembre 2013. Ainsi la communication de certains documents à dû faire l'objet d'une clarification entre les services de l'État et Écomouv'. Un courrier de la DGDDI récemment transmis à votre rapporteur insiste sur les difficultés rencontrées pour exercer son activité de contrôle « sur place et sur pièce », Écomouv' se montrant toujours très frileuse quant aux opportunités des contrôles inopinés. Votre commission déplore ce fait, sans se prononcer sur ses causes (culture des relations avec l'État différentes en Italie ou au sein de la société Écomouv' elle-même, prudence excessive pour l'exécution d'un contrat d'une grande importance pour le prestataire, ou encore constat par la société de ses défaillances ou fragilités en termes de respect du calendrier contractuel et des conséquences envisageables : aucune de ces hypothèses n'est totalement exclusive des autres).

Le caractère imparfait et incomplet des résultats de la VSR présentés à l'État ne laisse pas présager cependant de données qui seraient fantaisistes ou insincères, mais conforte au contraire l'idée que toutes les données fournies sont bien authentiques. Écomouv' reconnaît ainsi par exemple utiliser des flottes de test non conformes au cahier des charges, tant en termes de taille (parfois 10 fois moins de véhicules testés que ne prévoyait le contrat) que de représentativité des redevables (poids lourds de 3,5 tonnes, particulièrement complexes à traiter, en nombre très insuffisant...), mais argumente sur des choix « partagés » par l'État, ce qui n'est pas le cas. L'État met au contraire en avant sur ce sujet la faiblesse des moyens mis en oeuvre par son prestataire avant le 4 octobre 2013.

Il reste que nombre des résultats présentés par Écomouv' dans son rapport de VSR ne peuvent être considérés comme représentatifs de la population réelle, ni des conditions réelles de fonctionnement (autre exemple : des tests destinés à vérifier l'aptitude du dispositif en conditions de circulation dense, en décembre 2013, n'ont finalement concerné que 13 poids lourds, dont aucun n'était équipé d'un dispositif embarqué...). Capgemini n'a néanmoins qualifié que de « mineurs » les défauts constatés dans les données fournies par la VSR. Outre le fait que, pour certains, leur occurrence ne remet pas en cause le fonctionnement général du système, pour d'autres, ce choix de qualification repose sur les vérifications antérieures de la VABF qui ont permis de constater que des tests « unitaires » avaient été couronnés de succès. Ces résultats permettaient de présumer du bon fonctionnement du système malgré l'insuffisance des données de la VSR. L'opportunité de rendre possible la mise en place du système dans des délais brefs, selon la nature des décisions qui seront prises par le Gouvernement, a parfois aussi guidé cette analyse plutôt bienveillante pour Écomouv'. Des délais ont été fixés par l'État pour la mise en oeuvre des corrections nécessaires le cas échéant.

Il reste des divergences sur le calcul de certains critères de performance, qui n'affectent pas non plus le fonctionnement du dispositif par lui-même, mais nécessiteront des discussions entre l'État et Écomouv' selon les orientations qui seront prises par le Gouvernement quant à la suite qui sera donnée à la mise en place de l'écotaxe. Un certain nombre de domaines relatifs à la fraude, au contrôle des redevables et aux relations entre Écomouv' et ceux-ci, comme aux interfaces entre les systèmes d'information de l'État et du prestataire et les alertes de dysfonctionnement n'ont pas ou insuffisamment été explorés selon Capgemini. Là encore, ces vérifications n'affectent pas irrémédiablement une mise en fonctionnement du dispositif. Néanmoins, dans le contexte sociétal actuel sur ce sujet, il serait exagérément optimiste que de prétendre que des décisions peuvent être prises sans aucune visibilité sur ces sujets : tant en termes de communication, que de relations juridiques ou de risques de contentieux entre l'État et les redevables en matière de fraude ou de contestations, certains sujets ne peuvent plus aujourd'hui souffrir d'approximations.

Le fonctionnement du dispositif n'était donc pas plus acquis au 1 er janvier 2014 qu'au 1 er novembre 2013, ce qui explique probablement l'inertie apparente d'Écomouv', relevée par votre commission, face à la décision Gouvernementale de suspendre l'exécution du contrat. Il n'est pas certain qu'il le soit encore à ce jour. Pour autant, votre commission partage la conviction réitérée de l'État quant à sa confiance en la capacité d'Écomouv' à y parvenir dans des délais raisonnables. En effet, l'analyse des améliorations apportées au dispositif et étayées par les rapports de VABF comme de VSR laisse penser que, si la décision en est prise par le Gouvernement, une mise en place d'une écotaxe utilisant cette technologie peut raisonnablement être envisagée au 1 er janvier 2015. Ce délai devrait alors être mis à profit, dans un cadre contractuel à redéfinir entre l'État et Écomouv', pour procéder aux ajustements des objectifs et du champ de la redevance comme de l'actualisation juridique et réglementaire nécessaires pour l'État, et aux dernières mises au point et vérifications technologiques pour Écomouv'. Une phase de « marche à blanc », d'une durée de quelques mois, s'avèrera au moins utile, voire nécessaire.

Écomouv' avait peut-être en tête fin 2013 l'avis de la Mappp en 2009. Soulignant « le caractère critique du respect de la date de mise en service complet du dispositif » , la MAPPP relevait qu' « il conviendra en particulier de prévoir dans la consultation des dispositions incitatives en matière de délais de déploiement complet du dispositif et au travers d'indicateurs de qualité judicieusement choisis dans l'exploitation afin de se garantir contre des pertes de recettes qui pourraient résulter de failles dans le dispositif technique de détection ». C'était sans doute la situation qu'il fallait dès lors cacher.

Plus précisément, le rapport d'analyse des offres finales de la DGITM relevait qu'Écomouv' s'engageait, sous réserve que l'État tienne ses propres engagements, sur des délais plus contraints que les autres candidats, ce que la DGCCRF jugeait impossible et qui constitua un argument important dans le recours devant le tribunal administratif déposé par la Sanef. Cet argument, ainsi que celui de l'objectif de performance fixé à 99,75 %, pour lequel Écomouv' avait été jugée comme présentant un avantage très net face à ses concurrents alors qu'il paraît quasi inatteignable, semble cependant avoir été déterminant dans l'attribution du contrat. On voit dès lors tout l'intérêt qu'Écomouv' peut avoir eu à masquer ses retards et ses problèmes techniques.

Votre commission rappelle qu'une situation similaire a été rencontrée en Allemagne, lors de la mise en place de la LKW-Maut chez nos voisins. En effet, il a été souligné devant votre commission, lors de son déplacement à Berlin, que si la collecte de la taxe allemande se déroule aujourd'hui dans de bonnes conditions et selon des critères de performance conformes à ceux qui avaient été définis contractuellement, les débuts de la mise en place ont été marqués par des relations tendues entre l'État fédéral allemand et son prestataire, et une montée en puissance jalonnée de difficultés. L'État fédéral allemand soutient pour sa part que Toll Collect lui a caché les difficultés réellement rencontrées et s'est montrée déraisonnablement optimiste dans ses prévisions de calendrier, eu égard à ce que la société privée savait des problèmes qu'elle rencontrait pendant toute la période de mise au point technologique notamment, et même en amont de la signature du contrat. Sans vouloir se montrer déraisonnablement germanophile, votre commission souligne une nouvelle fois que l'exemple allemand, très proche du dispositif tel qu'il était imaginé en France, aurait dû faire l'objet d'une attention plus soutenue des responsables politiques français afin de tirer le plus d'enseignements possibles quant aux difficultés, conséquences et nécessités de suivi liées à la complexité d'un tel projet, y compris en termes de moyens dévolus à l'administration dans ce cadre.

2. Des ambiguïtés juridiques demeurent, notamment sur la répression des fraudes

Votre rapporteur s'interroge sur plusieurs ambiguïtés juridiques entourant le contrat de partenariat et pour lesquelles il n'a pu obtenir de réponses satisfaisantes.

Sur quelle base juridique les douanes dresseraient-elles des procès-verbaux, n'ayant pas elles-mêmes constaté les faits ? Sur ce sujet, on relève une ambiguïté de l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2007 selon lequel le droit de constater les infractions conféré aux agents du prestataire privé ne saurait emporter une participation à l'exercice du pouvoir de police. Dès lors, peut-on engager des poursuites sur des faits que les douanes n'ont pas constatés ?

De même, quelle est la compétence d'Écomouv' à accepter ou à rejeter des recours gracieux sur la perception d'une taxe ? Le recours ultérieur devrait-il considérer que l'administration s'est prononcée en première instance ? Un recours gracieux auprès du ministère des finances serait-il recevable ou doit-on considérer qu'un refus a déjà été signifié par l'administration ? Quelle est l'étendue de l'agrément des agents d'Écomouv' et quelle sera précisément leur compétence ?

Enfin, quid aussi des amendes forfaitaires pour absence d'équipements embarqués ? Comment Écomouv' peut-elle constater les faits sans arrêter les véhicules ? Mais les gendarmes ou douaniers ont-ils vocation à se transformer en collaborateurs d'une société privée, fut-elle chargée d'un service public ?

Ces questions n'ont à ce jour pas reçu de réponses précises.


* 38 Aux articles 276 et 283 ter du code des douanes.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page