III. LA PUBLICATION DES RÈGLEMENTS D'APPLICATION : UN BILAN SATISFAISANT POUR LA TROISIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE

Votre commission avait constaté l'an dernier une très nette augmentation du taux de mise en application des lois durant les deux exercices précédents. Ce mouvement se vérifie cette année encore.

Comme le relève, par exemple, la commission des affaires sociales dans son bilan pour 2012-2013, la proportion de lois devenant totalement applicables au cours de leur année d'adoption connaît « une hausse significative » et s'inscrit dans une tendance haussière de plus long terme observée depuis l'année parlementaire 2007-2008.

A. LES LOIS PROMULGUÉES DURANT LA SESSION : DÉJÀ 90 % D'APPLICATION TOTALE OU PARTIELLE

1. Le décompte par loi : des taux au plus haut niveau

Considérées dans leur ensemble, sur les 50 lois promulguées au cours de la session 2012-2013, 20 étaient d'application directe, et 30 appelaient des mesures réglementaires d'application.

Parmi ces 30 lois nécessitant des mesures d'application :

- 12 lois sont devenues totalement applicables,

- 13 lois sont déjà partiellement applicables,

- seulement 5 lois attendent encore d'être mises en application.

Récapitulatif des mises en application des lois
promulguées au cours de l'année parlementaire 2012-2013

Lois promulguées

Application directe

Lois mises en application

Partiellement mises en application

Non mises en application

50

20

12

13

5

en %

40 %

24 %

26 %

10 %

Au total, toutes catégories confondues, on constate que seulement 10 % des lois promulguées durant la période de référence demeuraient non appliquées au 31 mars 2014 , ce qui représente (en tenant compte des lois d'application directe) un taux d'application totale ou partielle particulièrement élevé, puisqu'il atteint 90 %.

Certes, comme l'a très justement souligné M. Philippe Kaltenbach lors de la réunion de votre commission le 17 juin 2014, ces chiffres ne fournissent qu'une image d'ensemble, ne renseignant donc pas sur l'importance respective des textes mis en application totale ou partielle, ni sur ceux qui restaient inappliqués à la clôture de l'exercice. Dans le même sens, le pourcentage par loi, purement statistique, ne rend pas compte des délais de publication des textes en question, critère très important quand il s'agit de mettre en oeuvre des lois présentées comme urgentes ou prioritaires au moment de leur présentation au Parlement et devant l'opinion publique.

À titre indicatif, par exemple, il est intéressant de lister les cinq lois de la session 2012-2013 non mises en application au 31 mars 2014, ce qui permet du même coup d'évaluer le retard affectant chacune d'entre elle :

Lois de la session 2012-2013 non mise en application

Date butoir de publication

des textes d'application

Loi du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A

24 juin 2013

Loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune

27 novembre 2013

Loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale

30 novembre 2013

Loi du 30 mai 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer

30 novembre 2013

Loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

27 mars 2014

Inversement, le Gouvernement fait preuve d'une grande promptitude pour mettre en application tout ou partie des articles de certaines lois. Ainsi, plusieurs articles de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ont reçu leurs décrets d'application dans des délais inférieurs à deux mois (même si d'autres ont été nettement moins rapides) ; c'est le cas, par exemple, des dispositions précisant l'organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur des programmes (article 32 de la loi, codifié sous l'article L. 231-17 du code de l'éducation), publié au Journal officiel le 28 juillet 2013, c'est-à-dire en moins d'un mois.

Quoi qu'il en soit, à s'en tenir au décompte global, on ne peut que partager le sentiment exprimé par la commission des lois dans son bilan 2012-2013 (92 % pour les seuls textes la concernant), lorsqu'elle salue un taux de mise en application « exceptionnellement élevé » au regard de ce que le Sénat a pu connaître lors des périodes de référence précédentes.

2. Le décompte par mesures : un taux d'application aux alentours de 65 %, en accord celui du Gouvernement

Reste que si le décompte en nombre de lois, avec son score de 90 % de mise en application totale ou partielle, a quelque chose de spectaculaire et de rassurant, la réalité mérite d'être examinée au vu d'un décompte « par mesures », approche plus fine et qui débouche sur une appréciation plus prudente , aussi bien d'un point de vue quantitatif que qualitatif.

En effet, comme le rappelle la commission des lois dans son propre bilan, le taux global en nombre de lois « doit être fortement nuancé. D'une part, il ne traduit pas [...] l'aspect qualitatif des mesures prises. D'autre part, a contrario, des mesures d'application « secondaires » peuvent ne pas avoir été prises et diminuer le taux de mise en application d'une loi alors même que celle-ci est parfaitement appliquée sur le terrain et que l'essentiel du dispositif est en place ».

De même, le décompte par mesures rééquilibre le poids relatif des lois d'application directe (des lois généralement assez brèves et qui, par définition, s'appliquent sans nécessiter de décret) et celui des lois n'appelant qu'un nombre réduit de décrets, tout en rétablissant à sa juste valeur l'incidence relative des mesures nécessaires à la mise en oeuvre des différents articles de lois assez longues, notamment les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale, les lois portant diverses dispositions dans tel ou tel domaine, etc...

Tel est l'intérêt d'un décompte par mesures qui, après les ajustements adéquats ( cf. infra ), ramène aux alentours de 64 % le taux effectif de mise en application des textes adoptés par le Parlement au cours de l'année parlementaire 2011-2012 .

a) La détermination du taux brut d'application à partir de la base Apleg

Le tableau ci-après détaille ainsi, par commission, le taux de mise en application des mesures figurant dans les lois promulguées durant l'année parlementaire 2012-2013 :

Mesures prévoyant un règlement d'application

Affaires
économiques

Affaires
étrangères

Affaires
sociales

Culture

Dévelop-pement
durable

Finances

Lois

Nombre total, dont

22

-

132

45

90

190

11

- mises en application

18

-

104

19

22

102

10

- restant à mettre en application

4

-

28

26

68

88

1

Taux partiel de mise en application

82 %

-

79 %

42 %

24 %

53 %

91 %

Données issues de la base APLEG - Statistiques arrêtées au 20 mai 2013 - Aucune loi examinée par une commission spéciale durant la période de référence

Ce tableau montre une forte disparité selon les commissions permanentes , avec un écart presque de un (pour la commission du développement durable) à quatre (pour la commission des lois). Mais il faut rapporter ces écarts au nombre des mesures législatives concernées et à celui des décrets à prendre, paramètre variant beaucoup d'une commission à l'autre, et rendant peu pertinentes les comparaisons. Ainsi, les taux d'application pratiquement similaires concernant la commission des affaires sociales (79 %) et la commission affaires économiques (82 %) correspondent-ils, pour la première, à 28 textes d'application encore en souffrance, contre seulement 4 textes pour la commission des affaires économiques.

La compilation des données de ce tableau (soit, au total, 491 mesures prévues au titre de l'année parlementaire 2012-2013, dont 275 effectivement publiées) permet d'établir un taux brut de mise en application partielle de l'ordre de 56 %, inférieur d'environ 9 points aux résultats calculés par le Secrétariat général du Gouvernement (qui mentionne sur la période considérée 241 mesures sur 367 attendues, soit un taux arrondi de 66 %).

Mais il s'agit d'un simple écart comptable et non d'une discordance de fond, de telle sorte qu'il disparaît moyennant les ajustements adéquats.

Taux brut de mise en application partielle des mesures de l'année parlementaire

Mesures prévoyant un règlement d'application
(toutes commissions confondues)

491

Nombre de mesures mises en application

275

Nombre de mesures restant à mettre en application

217

Taux brut (avant ajustement) de mise en application

56 %

b) Après ajustement, les statistiques du Sénat recoupent pleinement celles du Secrétariat général du Gouvernement

L'écart entre le taux brut déduit de la base informatique du Sénat et les statistiques établies par le Secrétariat général du Gouvernement résultent essentiellement de méthodes différentes de comptabilisation 3 ( * ) . D'où la nécessité d'un état de rapprochement prenant en compte des bases équivalentes ; ce tableau montre qu'il n'y a en réalité pas de différence d'appréciation sur le pourcentage de mise en application entre la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et le Secrétariat général du Gouvernement :

RUBRIQUE

SENAT

GOUVERNEMENT

1.

Mesures prescrivant
un texte réglementaire

491

2.

Décrets sur articles
à entrée en vigueur différée

- 7

3.

Arrêtés ministériels

- 100

Total redressé

384

4.

Mesures mises en application

276

5.

Décrets spontanés

+ 20

6.

Arrêtés ministériels déjà pris

- 50

Total redressé

246

7.

Mesure à prendre

399

8.

Mesures prises

259

Taux de mise en application

64,1%

64,9 %

État de rapprochement des mesures d'application des lois de l'exercice 2012-2013

3. Un indicateur somme toute assez approximatif

Comme le soulignait le rapport de votre commission l'an dernier, le pourcentage « par mesures » n'a qu'une valeur relative dont il serait hasardeux de vouloir tirer des enseignements définitifs.

a) Des écarts notables entre les différentes commissions permanentes

Un décompte globalisant masque des écarts assez sensibles entre les différentes commissions et d'une année sur l'autre , de telle sorte qu'il n'est qu'un des instruments permettant de porter une appréciation d'ensemble sur les efforts d'application des lois déployés par le Gouvernement sur une période donnée.

Cette année, par exemple, la commission des affaires sociales fait état d'une « augmentation de la mise en application des lois : 79 % des mesures prévues ont été prises au 31 mars 2014, ce qui permet de dépasser le taux record de 2010-2011. [...] les deux lois appelant le plus de mesures d'application ont des taux très satisfaisants . C'est le cas de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi : sur les quatorze mesures d'application prévues, dix ont été prises à la date du 31 mars 2013. La mise en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 atteint un taux d'application de 88 % au 31 mars 2014 [...] bien supérieur à celui obtenu au 31 mars 2013 pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui était seulement de 64 % ».

De son côté, la commission des affaires économiques cite un exemple intéressant de variation brutale d'une année sur l'autre, en elle-même peu significative d'une tendance générale. Elle relève ainsi que le taux d'application de la loi du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique est passé de 0 % l'an dernier à 100 % cette année, bond résultant simplement de la publication « de l'unique mesure attendue par le texte ». En revanche, d'autres lois relevant de cette commission font l'objet de taux d'application partielle très variables, compris entre seulement 12 % et 97 %.

b) Des données statistiques à ne pas sur-interpréter

Les terminologies usuelles du contrôle de l'application des lois n'ont qu'une valeur indicative : ainsi, une loi contenant une majorité de dispositions d'application directe peut rester répertoriée parmi les lois « non mises en application » tant qu'elle n'a reçu aucun des textes réglementaires -fût-il unique- demandés par le législateur ; en pareille hypothèse, cette loi, bien que dite « non mise en application », peut fort bien être presque entièrement entrée en vigueur.

Dans le même ordre d'idée, la notion de loi « totalement » ou « partiellement » applicable recouvre des réalités très différentes. Ainsi, un seul décret suffit à faire entrer une loi dans la catégorie « partiellement mise en application », alors même qu'un très grand nombre d'autres textes réglementaires nécessités par cette même loi resteraient en souffrance...

Sur le plan qualitatif, de simples pourcentages de mise en application ne rendent pas compte de l'effort réglementaire réel déployé par le Gouvernement, selon l'ampleur des lois considérées et la complexité des décrets à prendre ; ainsi, la publication de « seulement » 70 % des mesures réglementaires d'un texte qui en nécessite 40 (soit 28 décrets ou arrêtés) représente une production normative bien plus considérable que la mise en application « à 100 % » d'une loi ne nécessitant qu'un seul décret.

Enfin, il peut y avoir un véritable hiatus entre l'applicabilité théorique et l'application réelle , comme l'a bien mis en évidence le rapport d'information de votre commission sur la mise en oeuvre de la loi du 5 janvier 2010 sur la reconnaissance et l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français (rapport n° 856 du 18 septembre 2013). Les deux rapporteurs, Mme Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, ont en effet constaté que cette loi, qui visait à reconnaître et à permettre l'indemnisation des conséquences sanitaires -tant sur les travailleurs que sur les populations locales- des essais nucléaires menés en 1959 et 1996 au Sahara puis en Polynésie française, était pratiquement restée lettre morte, alors qu'elle avait reçu en temps utile ses décrets d'application et que les crédits nécessaires à l'indemnisation des victimes avaient été dûment provisionnés. Ce texte figurait ainsi dans la catégorie des « lois totalement applicables » au sens du contrôle de l'application des lois, tout en restant pratiquement inappliquée dans les faits.


* 3 Ainsi, à une date donnée, l'outil statistique du Sénat (la base APLEG) enregistre comme « disposition législative appelant une mesure d'application » les articles de loi à entrée en vigueur différée que, pour sa part, le Gouvernement ne comptabilise qu'au moment où ils entrent effectivement en vigueur (il considère que par définition, un article qui n'est pas en vigueur est en tout état de cause insusceptible d'être mis en application). De même, le Sénat inclut dans ses statistiques les arrêtés ministériels, là où le Gouvernement ne décompte que les décrets ; inversement, le Sénat ne comptabilise pas en « mesures attendues » les décrets dont le pouvoir exécutif prend l'initiative pour permettre l'application de dispositions législatives qui, au départ, n'en avaient pas envisagé la nécessité (« mesures spontanées »).

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