B. LA RECHERCHE DE NOUVEAUX FINANCEMENTS POUR L'AIDE JURIDICTIONNELLE

La question de la recherche de financements complémentaires pour l'aide juridictionnelle est déjà ancienne. Cette recherche s'appuie sur le double constat suivant :

- le volume de financement dégagé jusqu'à présent est insuffisant , conjoncturellement , par rapport à des dépenses qui ont tendance à augmenter. Ce constat pourrait simplement conduire à préconiser l'accroissement de la part du budget de l'État consacré à l'aide juridictionnelle ;

- mais ce volume de financement est également, structurellement et substantiellement, très inférieur à ce qui est requis pour assurer de manière satisfaisante l'accès de tous à la justice . Ainsi, le CNB ou encore le rapport des députés Philippe Gosselin et George Pau-Langevin considèrent-ils que le budget de l'aide juridictionnelle devrait être le double de ce qu'il est actuellement pour être satisfaisant, c'est-à-dire environ 700 millions d'euros . De même, vos rapporteurs préconisent l'augmentation du plafond de l'aide juridictionnelle. Cette augmentation, même combinée avec la suppression de l'aide juridictionnelle partielle, aboutira à une nette hausse des dépenses.

Dès lors, il semble nécessaire de dégager de nouvelles ressources financières 66 ( * ) .

Certes, le contexte économique et budgétaire actuel appelle une attitude raisonnable en ce qui concerne l'augmentation tant des dépenses que des recettes de l'État. Vos rapporteurs ont conscience que de nombreux autres secteurs d'intervention de la puissance publique subissent, depuis plusieurs années, des restrictions budgétaires parfois très importantes et qu'il peut sembler illégitime de préconiser un accroissement des flux budgétaires dans un domaine particulier.

Toutefois, ils estiment qu'un effort doit être fait en faveur de l'accès à la justice. Cet accès est en effet la condition de l'effectivité de l'ensemble des autres droits dans la mesure où il permet en dernier recours leur reconnaissance. En outre, et si l'on considère les dépenses faites en faveur de la justice dans son ensemble, le retard pris par la France par rapport à d'autres pays comparables de l'Union européenne est certain et appelle une réponse urgente. Elle est l'un des États-membres qui consacre le moins de crédits à sa justice, avec environ 57 euros par habitant contre 106 euros en Allemagne, 83 au Royaume-Uni ou encore 72 euros en Italie . Cet écart est tout aussi grand en termes de part du PIB consacré à la justice par habitant 67 ( * ) .

Les solutions possibles pour une diversification du financement de l'aide juridictionnelle sont discutées depuis plusieurs années, et cette discussion s'est déjà resserrée autour de quelques grandes options. Le présent rapport n'entend pas à cet égard proposer des pistes totalement nouvelles mais plutôt, compte tenu des principes soutenus de longue date par votre commission en la matière, arbitrer entre ces options.

Les analyses de la commission européenne
pour l'efficacité de la justice (CEPEJ)

La commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l'Europe, dans son rapport d'évaluation des systèmes judiciaires européens paru en 2012, compare notamment les conditions d'accès à la justice dans les pays membres du Conseil de l'Europe. Globalement, la France ne semble pas très bien placée dans ce domaine, les montants d'aide juridictionnelle totale et par affaire se situant plutôt quelque peu en-dessous de la moyenne des pays comparables.

Certes, la CEPEJ souligne qu'afin d'analyser de manière pertinente les politiques d'aide judiciaire mises en oeuvre, il faut tenir compte d'un ensemble d'éléments incluant notamment :

- le niveau des frais et taxes inhérents aux procédures judiciaires ;

- le nombre d'affaires éligibles à l'aide judiciaire (limité soit par la matière juridique ou la procédure concernée, soit par des éléments propres à la qualité ou au niveau de ressources des justiciables) et le montant consacré à l'aide judiciaire publique par affaire ;

- l'existence de dispositifs facilitant l'accès au tribunal en dehors des aides publiques (systèmes pro bono assurés par les barreaux, assurances privées couvrant les frais de procédure).

Toutefois, même en tenant compte de ces éléments, la France n'est pas particulièrement bien placée.

1. Un « ticket modérateur » à la fois contestable dans son principe et pas à la hauteur de l'enjeu financier

Votre commission se félicite tout d'abord de l'abandon de la contribution pour l'aide juridique (CPAJ) à compter du 1 er janvier 2014.

Non seulement la CPAJ constituait une entrave à l'accès à la justice, mais son rendement était très insuffisant pour constituer une contribution significative et pérenne au financement de l'aide juridictionnelle. En effet, étant donné que la CPAJ rapportait environ 60 millions d'euros sur un budget de 370 millions d'euros en lui-même insuffisant, il aurait fallu augmenter la contribution bien au-delà des 35 euros pour obtenir un financement suffisant, ce qui aurait rendu dirimante l'entrave à l'accès à la justice que constituait cette contribution.

Proposition n° 7

Abandonner définitivement l'hypothèse d'une contribution d'accès à la justice.

2. Une exigence d'équité dans le choix des contributeurs : écarter la taxation du chiffre d'affaires des professions juridiques

Parmi les différentes pistes proposées au cours des dernières années, celle d'une taxation du chiffre d'affaires des professions juridiques, en particulier des avocats , est évoquée depuis plusieurs années, ainsi par exemple dans le rapport Darrois (2009).

C'est la voie qui a été suivie de manière indirecte par les ministères de la justice et du budget, par le biais de l'abandon, annoncé fin 2013, de la modulation de l'aide juridictionnelle en fonction des territoires. L'article 69 du projet de loi de finances prévoyait ainsi la suppression de cette modulation géographique et appliquait à tous les barreaux un montant de l'UV de 22,84 euros hors taxes. La profession a toutefois manifesté un fort mécontentement en estimant que cette mesure pénalisait les petits barreaux au détriment des plus grands. Dès lors, la garde des sceaux a présenté un amendement annulant l'application de cette démodulation pour l'exercice budgétaire 2014.

Votre commission estime qu'une taxation du chiffre d'affaires des professions juridiques reviendrait à leur faire financer une mission qui est déjà en partie à leur charge compte tenu, d'une part de la faiblesse de la rémunération liée à l'aide juridictionnelle, d'autre part de l'équilibre économique précaire de certains cabinets dans des territoires ou l'aide juridictionnelle est accordée à une part substantielle des justiciables. L'aide juridictionnelle doit être considérée comme une mission de service public qui ne peut reposer sur la solidarité d'une profession en particulier. Cette option doit donc être écartée.

3. La création de nouvelles taxes

Il convient d'abord de noter que les solutions passant par une augmentation des prélèvements obligatoires sont globalement rejetées par le ministère chargé du budget.

À cet égard, et à la suite de l'audition de représentants de ce ministère, votre commission partage l'opinion exprimée dans leur rapport par les députés Philippe Gosselin et George Pau-Langevin : « à ce besoin de financement urgent, les représentants du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, auditionnés par la mission, se sont contentés de rappeler la volonté du Gouvernement de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires. Si l'on mesure les contraintes très fortes qui pèsent sur nos finances publiques, on ne peut cependant se satisfaire d'une réponse aussi laconique ».

Il semble donc nécessaire de réexaminer les solutions envisageables en la matière avec le double objectif de prévoir une ressource suffisamment dynamique pour couvrir l'augmentation probable des besoins financiers liés à l'aide juridictionnelle et de répartir l'effort nécessaire le plus largement possible.

a) Une taxe additionnelle à certains droits d'enregistrement

Une des pistes le plus fréquemment évoquées consiste en la taxation de l'ensemble des actes juridiques . Cette solution aurait en effet l'avantage d'une assiette très large, permettant de fixer le taux le plus bas possible.

Toutefois, du fait de la difficulté à délimiter plus précisément les types d'actes qui devraient faire l'objet d'une taxation par rapport à ceux, purement privés, qui y échapperaient, et d'assurer le fonctionnement d'un système de taxation très large, il est généralement proposé de retenir une sous-catégorie plus restreinte.

Ainsi, le Conseil national des barreaux propose d'instaurer une taxe affectée perçue sur les mutations et actes soumis à droits d'enregistrement ainsi que sur les actes juridiques soumis à une formalité de dépôt ou de publicité .

Pour leur part, les députés Philippe Gosselin et George Pau-Langevin suggèrent de taxer les actes opérant une mutation de biens ou de droits potentiellement porteurs de litiges .

S'agissant des droits d'enregistrement, rappelons qu'ils sont perçus sur certains actes juridiques en vertu des articles 635 et suivants du code général des impôts.

L'article 635 énumère ainsi les actes qui doivent être enregistrés dans un délai d'un mois. Les principaux sont les suivants :

- droits sur les ventes d'immeubles ;

- cessions de fonds de commerce et opérations assimilées ;

- droits de succession et de donation ;

- cessions de droits sociaux ;

- actes de formation de sociétés ou de groupements d'intérêt économique (GIE) ;

- prorogations et dissolutions, augmentation de capital, fusion, etc.

Ces actes sont donc nombreux et portent sur des sommes souvent élevées. Étant déjà soumis au droit d'enregistrement, il suffirait d'augmenter ces droits, sans mettre en place d'organisation supplémentaire, pour obtenir un financement complémentaire de l'aide juridictionnelle.

Le rapport sur la taxation des mutations et actes juridiques du Conseil national des barreaux 68 ( * ) donne l'exemple suivant : pour une cession de fonds de commerce, l'article 719 du code général des impôts dispose que le taux applicable sur la cession des fonds de commerce d'une valeur de plus de 200 000 euros est de 2,60 %. S'il est augmenté selon la proposition du rapport des députés Philippe Gosselin et George Pau Langevin, soit de 3,5 %, le taux s'élèverait alors à 2,69 %.

Au total, en prenant pour base les tableaux récapitulatifs « Enregistrement, timbre, autres contributions et taxes indirectes » du tome 1 du fascicule Recettes « Évaluation des voies et moyens » du projet de loi de finances pour 2012, le produit résultant de l'augmentation de 3,5 % de ces droits serait de 360 millions d'euros, soit l'équivalent du financement actuel de l'aide juridictionnelle .

Le Conseil national des barreaux propose également de taxer les actes juridiques faisant l'objet d'un dépôt et/ou d'une publicité sans être soumis à la formalité d'enregistrement. Il s'agit notamment du dépôt des brevets, marques, dessins et modèles auprès de l'INPI, ou encore des nombreux actes déposés par les sociétés et les commerçants auprès des tribunaux de commerce.

Au total, selon vos rapporteurs, la solution la plus aisée à mettre en place et susceptible de dégager le plus de ressources consisterait à relever les droits d'enregistrement.

Proposition n° 8

Augmenter les droits d'enregistrement pour contribuer au financement de l'aide juridictionnelle.

b) Une taxation complémentaire des contrats de protection juridique

L'article 991 du code général des impôts prévoit l'assujettissement de toute convention d'assurance, conclue avec une société ou compagnie d'assurances ou avec tout autre assureur français ou étranger, quels que soient le lieu et la date auxquels elle a été conclue, à une taxe annuelle : la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA). Cette taxe est perçue sur le montant des sommes stipulées au profit de l'assureur.

L'article 1001 du code général des impôts (CGI) fixe six taux différents de la TSCA en fonction du risque contre lequel la convention d'assurance prémunit son bénéficiaire.

La protection juridique est ainsi soumise à la taxe spéciale sur les conventions d'assurance au taux ordinaire de 9 %. Les contrats spécialement consacrés à la protection juridique sont globalement soumis à ce taux. En revanche, lorsque le contrat couvre plusieurs risques et comporte par ailleurs une assurance de protection juridique, comme c'est le cas de nombreux contrats, la prime afférente à la couverture de chacun des risques est taxée au taux propre à chacun des risques couverts, la prime unique faisant l'objet, le cas échéant, d'une ventilation. Ainsi, si un contrat d'assurance automobile est soumis à un taux de TSCA de 18 % en vertu de l'article 1001-5° bis du code général des impôts, est en revanche taxée à 9 % la garantie « protection juridique » qui a pour objet la prise en charge des frais de procédure supportés par l'assuré dans l'éventualité d'un recours aux tribunaux suite à un accident automobile.

Compte tenu du grand nombre de contrats de protections juridique ou de contrats d'assurance comportant à titre accessoire, parfois à l'insu de leur détenteur, une telle couverture, il pourrait ainsi être envisagé une augmentation du taux de la TSCA applicable à la protection juridique ou bien la création d'un taxe complémentaire sur la protection juridique afin d'alimenter les ressources de l'aide juridictionnelle.

Bien entendu, cette augmentation ou cette contribution supplémentaire ne devrait pas être trop élevée afin que sa répercussion éventuelle sur le coût des primes versées ne décourage pas la souscription de tels contrats, ce qui aurait finalement pour conséquence d'augmenter les dépenses d'aide juridictionnelle étant donnée la complémentarité entre celle-ci et la protection juridique (complémentarité cependant très limitée actuellement). Considérant que le produit global de la TSCA est d'environ 100 millions d'euros et que l'augmentation du taux de la seule part de la taxe applicable à l'assurance de protection juridique ne pourrait rapporter qu'une fraction de ce produit, cette augmentation ne pourrait pas, en tout état de cause, fournir à elle seule les crédits nécessaires et devrait être combinée avec les autres sources de financement évoquées ci-dessus.

Proposition n° 9

Augmenter le taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) applicable à la protection juridique ou créer une contribution complémentaire sur les contrats de protection juridique.

c) L'affectation des ressources à un fonds géré par l'ensemble des acteurs concernés

Quelle que soit l'origine des nouvelles ressources dégagées, se pose par ailleurs la question de l'affectation et de la gestion du produit de ces nouvelles ressources .

Le rapport des députés Philippe Gosselin et George Pau-Langevin propose ainsi la création d'un fonds d'aide à l'accès à la justice qui pourrait prendre en cas de besoin le relais des crédits de l'aide juridictionnelle et qui serait institué sur le modèle du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), personne morale de droit privée financé par les assurés et les assureurs et placé sous la tutelle du ministre de l'économie, ou encore sur le modèle du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, alimenté par un prélèvement sur les contrats d'assurance (3,3 euros par contrat). Ce fonds serait géré par un conseil d'administration composé de magistrats, de représentants des auxiliaires de justice, de représentants du ministère de la justice et du ministère de l'économie et des finances ainsi que de représentants d'associations intervenant dans l'aide à l'accès au droit.

Le haut conseil des professions du droit préconise 69 ( * ) également la création d'un fonds dédié à la collecte et à la gestion de l'ensemble des ressources dédiées à l'aide juridictionnelle. Les professions du droit intéressées, soit du fait de leurs contributions, soit de leur utilisation des fonds, participeraient à la gestion de ce fonds. Le Conseil national des barreaux propose également un fonds dédié de gestion de l'aide juridictionnelle ayant pour mission de s'assurer du versement des fonds par l'État et de leur répartition auprès des barreaux.

Quant à l'union nationale des CARPA, elle préconise d'utiliser le circuit de financement déjà mis en place pour la contribution pour l'aide juridique (CPAJ). Rappelons que celle-ci est directement affectée au Conseil national des barreaux, qui conclut une convention de gestion avec l'UNCA. Le produit de la contribution est intégralement affecté au paiement des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle par l'intermédiaire des CARPA. Toutefois, bien que la mise en place d'un tel financement se caractériserait en effet par sa simplicité, il ne permettrait pas d'associer les autres professions du droit à la gestion des fonds de l'aide juridictionnelle.

Dès lors, vos rapporteurs préconisent la mise en place d'un fonds dédié à l'aide juridictionnelle qui serait géré conjointement par des représentants des magistrats, des avocats, des notaires et des auxiliaires de justice, enfin du ministère de la justice.

Proposition n° 10

Créer un fonds géré par les professionnels du droit et par des représentants de l'État, alimenté par les nouvelles sources de financements dégagées et destiné à compléter le financement de l'aide juridictionnelle.


* 66 Vos rapporteurs ne considèrent pas que l'amélioration du recouvrement des frais avancés par l'État au titre de l'aide juridictionnelle est susceptible de permettre un gain financier considérable, malgré les progrès récemment réalisés dans ce domaine.

* 67 Données de la commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), 2010.

* 68 Rapport sur la taxation des mutations et actes juridiques comme source de financement complémentaire de l'aide juridique, Rapport présenté lors de l'assemblée générale du CNB des 6 et 7 juillet 2012.

* 69 Propositions pour une réforme du financement et de l'organisation de l'aide juridictionnelle, avril 2013.

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