C. LES GAINS D'EFFICACITÉ ATTENDUS D'UNE RATIONALISATION DU CIRCUIT DE GESTION DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

1. L'amélioration du fonctionnement des bureaux d'aide juridictionnelle

Les personnes entendues par vos rapporteurs au cours de leurs travaux ont relevé certains dysfonctionnements des bureaux d'aide juridictionnelle, qui s'expliquent en grande partie par un nombre important de dossiers à traiter et une insuffisance des effectifs de magistrats et de greffiers. Lors de leur audition par vos deux rapporteurs, les représentants du syndicat de la magistrature ont qualifié le bureau d'aide juridictionnelle de « parent pauvre de la juridiction »

Une augmentation des effectifs relevant sans doute du voeu pieux à l'heure actuelle, d'autres pistes doivent être envisagées pour améliorer le fonctionnement des BAJ.

a) La simplification des démarches pour le justiciable comme pour les bureaux d'aide juridictionnelle

Au BAJ de Créteil, dans lequel la mission d'information s'est rendue, la juridiction a mis en place une antenne, située au palais de justice, qui accueille les demandeurs et les oriente. Cette antenne opère un premier filtre des dossiers en vérifiant qu'ils sont complets. Elle indique, le cas échéant, au justiciable les pièces manquantes, pour qu'il puisse revenir compléter son dossier ( cf. supra ).

Ce système de guichet, qui permet un contact direct entre le demandeur et les services du BAJ, est très apprécié des justiciables qui rencontrent parfois de grandes difficultés à comprendre les formalités à accomplir pour obtenir l'aide juridictionnelle.

En outre, ce système présente aussi de réels avantages pour le BAJ lui-même. Le président du tribunal de grande instance de Créteil, M. Gilles Rosati, a fait valoir à la mission d'information que ce travail en amont, s'il peut constituer une perte de temps au départ, facilite grandement l'examen des dossiers ensuite, puisqu'il permet à la commission compétente du BAJ d'examiner des dossiers complets.

À côté de ces mesures d'organisation, plusieurs personnes rencontrées par vos deux rapporteurs ont souhaité une simplification des formulaires de demande d'aide juridictionnelle pour les rendre plus compréhensibles. À cet égard, pour le président du tribunal de grande instance de Créteil, la procédure gagnerait en lisibilité si la notice et le formulaire à remplir étaient fusionnés en un document unique. Il a également souligné la nécessité de diffuser plus largement la liste des pièces à fournir auprès des avocats, des conseils généraux, des mairies, des maisons de la justice et du droit (MJD), pour obtenir les dossiers les plus complets possibles.

Proposition n° 11

Faciliter le dépôt des demandes d'aide juridictionnelle par :

- le renforcement des échanges entre les bureaux d'aide juridictionnelle pour promouvoir les bonnes pratiques d'organisation et d'accueil des demandeurs ;

- la simplification du formulaire de demande d'aide juridictionnelle et sa large diffusion dans les structures d'accès au droit.

Pour alléger la charge de travail des bureaux d'aide juridictionnelle, plusieurs personnes rencontrées par vos rapporteurs ont suggéré une dématérialisation du traitement des dossiers d'aide juridictionnelle.

Si vos rapporteurs se sont montrés favorables à une telle évolution, s'agissant des échanges entre les BAJ et les justiciables, pour la transmission de pièces par exemple, la dématérialisation ne pourra être qu'une simple faculté. Elle ne pourra être imposée en raison de la fracture numérique qui existe encore sur le territoire. Le formulaire de demande pourrait, à cet effet, prévoir la possibilité pour le demandeur de déclarer une adresse électronique et les BAJ devraient être dotés d'une adresse électronique spécifique.

Proposition n° 12

Expérimenter, dans les bureaux d'aide juridictionnelle volontaires, le traitement dématérialisé des dossiers.

Enfin, il apparaît nécessaire de simplifier la procédure applicable lorsqu'une même affaire engendre plusieurs procédures en même temps, en prévoyant l'ouverture d'un dossier unique, centralisant l'ensemble des informations relatives à cette affaire.

À l'heure actuelle, comme l'ont indiqué à vos rapporteurs les représentants du syndicat des avocats de France lors de leur audition, le demandeur doit déposer un dossier complet pour chaque procédure liée à une même affaire. Par exemple, une femme victime de violences conjugales qui saisit le juge pénal mais qui, dans le même temps, demande au juge civil de lui délivrer une ordonnance de protection et dépose une requête en divorce devant le juge aux affaires familiales, doit constituer trois dossiers complets différents.

Proposition n° 13

Simplifier les formalités à accomplir pour le demandeur lorsqu'une même affaire donne lieu à plusieurs procédures ouvrant chacune droit à l'aide juridictionnelle.

b) La révision des règles d'appréciation de la recevabilité des demandes d'aide juridictionnelle


Un contrôle effectif et harmonisé par les bureaux d'aide juridictionnelle des ressources du demandeur

La critique selon laquelle les textes ne sont pas suffisamment précis, ni sur les ressources à déclarer ni sur les pièces qui sont exigées du demandeur, est revenue de manière récurrente au fil des travaux de la mission d'information ( cf. supra ).

Cette imprécision a pu, selon les personnes rencontrées par vos rapporteurs, entraîner le développement de pratiques très différentes d'un bureau à l'autre, dans l'appréciation de la recevabilité des demandes, donnant lieu, dans certains cas, à des rejets injustifiés ou, à l'inverse, à des admissions abusives en raison d'un contrôle très superficiel.

Vos rapporteurs estiment donc souhaitable de revoir la liste des pièces énumérées par l'article 34 du décret de 1991 .

Sans exiger un nombre excessif de documents, ce qui constituerait un véritable obstacle à l'accès à la justice pour le justiciable éligible à l'aide juridictionnelle et un alourdissement de la tâche des BAJ, chargés de vérifier les pièces fournies, la mission estime nécessaire d'étayer la liste actuelle par des éléments permettant de donner une image fidèle du patrimoine de la personne, comme les fiches de salaires, l'état liquidatif du régime matrimonial en cas de divorce, ou les éléments du patrimoine des personnes.

Si l'objectif de cette mesure est bien d' harmoniser les pratiques des bureaux d'aide juridictionnelle pour garantir l'égalité de traitement des demandes , elle n'a pas pour objet de les priver de leur marge d'appréciation , particulièrement utile lors de l'examen de dossiers complexes.

Proposition n° 14

Revoir la liste des pièces justificatives de ressources à fournir par le demandeur, pour permettre une harmonisation des modalités de contrôle de la recevabilité des demandes par les bureaux d'aide juridictionnelle et un renforcement de l'efficacité de ce contrôle.

Il faut également souligner que le contrôle des ressources ne relève pas du coeur de métier des personnes qui composent le bureau d'aide juridictionnelle : magistrats, greffiers, auxiliaires de justice...

Comme l'ont rappelé à vos rapporteurs les représentants du greffe, lors de leur déplacement au BAJ de Créteil, le seul moyen de savoir si le patrimoine de la personne l'exclut du bénéfice de l'aide juridictionnelle repose sur sa propre déclaration , le greffe ne disposant pas des moyens de vérifier ses dires.

Cependant, pour répondre à cette difficulté, l'article 21 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que « les services de l'État et des collectivités publiques, les organismes de sécurité sociale et les organismes qui assurent la gestion des prestations sociales sont tenus de communiquer au bureau, sur sa demande, sans pouvoir opposer le secret professionnel, tous renseignements permettant de vérifier que l'intéressé satisfait aux conditions exigées pour bénéficier de l'aide juridictionnelle ».

En pratique, les bureaux d'aide juridictionnelle utilisent rarement ces prérogatives.

Or, il semble indispensable à vos rapporteurs, comme le souligne également le rapport de la mission de modernisation de l'action publique (MAP) 70 ( * ) , que les BAJ aient accès aux fichiers sociaux , à travers l'application « CAFPRO » gérée par les caisses d'allocation familiale, et aux fichiers fiscaux , pour vérifier les éléments patrimoniaux qui n'apparaissent pas forcément dans les documents fournis par le demandeur.

Proposition n° 15

Systématiser la consultation par les bureaux d'aide juridictionnelle des services fiscaux ou des organismes sociaux pour apprécier les ressources du demandeur.

Comme l'ont souligné vos rapporteurs dans la première partie du présent rapport, la question du contrôle des ressources du demandeur se pose avec une acuité particulière en matière pénale , lorsque l'avocat est commis d'office, en raison, dans les faits, de l'absence de contrôle a posteriori des ressources du demandeur.

Du point de vue de la mission d'information, cette pratique doit impérativement évoluer, dans le sens de la limitation des procédures d'urgence aux affaires qui le justifient pleinement, comme les comparutions immédiates.

Dans le cas où l'admission a été prononcée de manière justifiée, en raison de l'urgence de la situation, mais qu'après vérification par le BAJ des ressources de la personne, il s'avère que l'aide juridictionnelle ne lui était pas due, dans la mesure où l'avocat est déjà intervenu il doit être payé au titre de l'aide juridictionnelle pour le travail effectué, à charge pour l'État de se retourner contre le justiciable qui a bénéficié indûment de l'aide.

En effet, selon la mission d'information, s'il y a un risque pour l'avocat de ne pas être payé, il en résultera une baisse de la qualité de la défense apportée au justiciable.

Dans le cadre de la discussion de la loi de finances pour 2014, notre collègue Catherine Tasca, rapporteure pour avis des crédits de la mission « justice judiciaire et accès au droit » 71 ( * ) avait relevé que le renforcement des contrôles sur l'attribution de l'aide juridictionnelle par les BAJ, lorsqu'elle est destinée à rétribuer un avocat commis d'office, devait constituer une économie chiffrée à 4,8 millions d'euros.

Proposition n° 16

Renforcer le contrôle a priori des ressources pour l'attribution de l'aide juridictionnelle dans le cadre des procédures pénales.


L'appréciation de la recevabilité au fond de l'affaire

Vos rapporteurs ne méconnaissent pas la réalité des abus en matière de recours. Comme l'union syndicale des magistrats (USM) le souligne dans les éléments fournis à la mission, il existe des « demandeurs impécunieux mais plaideurs d'habitude ». De même, le syndicat rappelle qu'il a été signalé, « notamment au niveau des chambres familiales, des " courses à l'aide juridictionnelle " de certains avocats qui multiplient les procédures et relèvent systématiquement appel, même sans chance de succès, compte tenu de la jurisprudence bien établie de la juridiction d'appel ».

De fait, malgré une composition paritaire des bureaux d'aide juridictionnelle, la plupart des dossiers n'est pas examinée par les formations plénières des BAJ . 95 % des décisions résultent d'ordonnances du président du bureau, rendues en application de l'article 22 de la loi du 10 juillet 1991 72 ( * ) . Le seul critère utilisé pour apprécier l'admission à l'aide juridictionnelle est alors celui des ressources . Le contrôle de la recevabilité au fond du dossier, prévu à l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 n'est pas mis en oeuvre 73 ( * )

Or, selon les représentants du Conseil national de l'aide juridique, l'accent doit être mis sur l'évaluation des chances de prospérer de l'affaire examinée. Le renforcement de cette procédure aurait également pour effet positif de permettre un traitement plus qualitatif des dossiers et de redonner de l'intérêt à la fonction de membre du BAJ.

En effet, si ce filtre de l'article 7 n'est pas appliqué en première instance et en appel, et que seul le contrôle des ressources est effectué, vos rapporteurs s'interrogent sur la nécessité de prévoir la présence au sein des bureaux d'aide juridictionnelle, de magistrats, d'auxiliaires de justice...

Comme l'ont souligné les représentants du greffe du BAJ de Créteil, rencontrés par vos rapporteurs lors de leur déplacement, actuellement, il revient aux greffiers de réaliser tout le travail de préparation de la décision. La transmission au magistrat qui délivre l'ordonnance n'est qu'une formalité dans la plupart des cas. La décision d'attribution n'est alors pas une décision juridictionnelle et ne nécessite pas forcément l'intervention d'un magistrat, ou une composition pluripartite des BAJ, sauf pour les cas les plus complexes.

L'idée du renforcement du contrôle fondé sur l'article 7 apparait intellectuellement séduisante mais doit cependant être maniée avec prudence . Comme l'a relevé M. Jean-Luc Forget, président de la Conférence des bâtonniers, entendu par vos rapporteurs, le filtre utilisé devant la Cour de cassation est parfois excessif.

À cet égard, le rapport de la commission Darrois n'avait pas jugé opportun de renforcer l'examen de la valeur juridique de l'action envisagée, « en raison du risque d'atteinte à la substance même du droit à un juge » 74 ( * ) . Selon la commission, si la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a validé le système français d'octroi de l'aide juridictionnelle sous condition de chances de succès pour les pourvois en cassation 75 ( * ) , c'est en raison des garanties accordées aux justiciables par le dispositif français du double degré de juridiction.

Le CNAJ ne partage pas cette analyse. Il considère que la CEDH prend concrètement en compte la qualité du système d'assistance judiciaire proposé par un État et admet la mise en place d'un dispositif de sélection des affaires susceptibles d'en bénéficier. La CEDH a donc considéré que le système français, dans son ensemble, c'est-à-dire incluant l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991, offrait des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire. Il ajoute qu'en application de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, la décision de rejet d'une demande d'aide juridictionnelle peut, en tout état de cause, faire l'objet d'un recours.

Soulignant que l'organisation de la Cour de cassation et du Conseil d'État ne peut pas être aisément transposée à l'ensemble des juridictions, vos rapporteurs appellent à la prudence dans la mise en oeuvre d'un tel contrôle.

La mission d'information propose donc une expérimentation, dans plusieurs bureaux d'aide juridictionnelle volontaires, d'un dispositif à double niveaux. Dans un premier temps, l'appréciation des ressources relèverait des personnels de greffe exclusivement, qui ne transmettraient le dossier au magistrat qu'en cas de difficultés particulières.

Le filtre de l'article 7 serait ensuite exercé dans le cadre de la procédure simplifiée prévue par l'article 22 (ordonnance du président du BAJ) et, pour les affaires plus complexes, par la formation pluripartite du BAJ.

Proposition n° 17

Expérimenter au sein des bureaux d'aide juridictionnelle un circuit d'examen de la recevabilité des demandes en deux temps :

- un contrôle préalable des ressources du demandeur confié aux personnels de greffe ;

- un contrôle de la recevabilité au fond de l'affaire par le bureau d'aide juridictionnelle dans sa composition pluripartite.

Enfin, pour faire suite au constat dressé dans la première partie de ce rapport, concernant l'utilisation limitée des procédures de retrait d'aide juridictionnelle, la mission d'information estime nécessaire d'améliorer les échanges d'informations entre les professionnels intervenant dans le circuit de gestion de l'aide juridictionnelle.

Par ailleurs, concernant en particulier le retrait en cas de procédure dilatoire ou abusive, la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a renforcé ce dispositif en prévoyant que le retrait est directement prononcé par la juridiction saisie, sans avoir à faire intervenir le bureau d'aide juridictionnelle.

Dès lors, la mission d'information juge nécessaire de renforcer la sensibilisation des magistrats à l'utilisation de ces outils.

Proposition n° 18

Améliorer la mise en oeuvre de la procédure de retrait de l'aide juridictionnelle en renforçant les échanges d'informations entre les juridictions, les bureaux d'aide juridictionnelle, les barreaux et les caisses des règlements pécuniaires des avocats et sensibiliser davantage les magistrats à l'application de ce dispositif.

2. Le renforcement de l'efficacité du pilotage des crédits de l'aide juridictionnelle

L'article 27 de la loi du 10 juillet 1991 a dévolu aux barreaux la gestion des fonds versés par l'État pour la rétribution des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle ou au titre des aides à l'intervention de l'avocat. L'État affecte annuellement à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive à ces missions. Il verse cette dotation à la CARPA placée près du barreau et qui, ensuite, paie les avocats. La profession comptait 133 CARPA 76 ( * ) au 1 er janvier 2013 pour 161 barreaux.

La dotation sur crédits budgétaires due au titre d'une année donne lieu à une provision initiale versée en début d'année et ajustée en fonction de l'évolution du nombre des admissions à l'aide juridictionnelle. Elle est liquidée en fin d'année sur la base du nombre des missions achevées.

La trésorerie des CARPA en fin d'année leur permet de payer les avocats en début d'année alors qu'elles n'ont pas encore reçu la dotation initiale. Par exemple, fin 2012, la trésorerie représentait près de deux mois de paiement des avocats pour le début de l'exercice 2013.

Trésoreries en fin d'année des CARPA (en millions d'euros)

2008

2009

2010

2011

2012

49,4

41,2

52,0

71,4

56,0

Source : rapports annuels de performance du programme 101 .

Les CARPA peuvent placer les fonds versés par l'État. Les produits dégagés compensent, plus ou moins partiellement en fonction des taux sur le marché monétaire, les charges de gestion de l'aide juridictionnelle que supportent les CARPA.

À la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a évalué la gestion et l'efficacité des CARPA 77 ( * ) . Dans son rapport remis en 2008, elle n'a pas relevé d'irrégularité grave et manifeste, ou de dérive inquiétante dans la gestion des CARPA.

Cependant, au cours des travaux de la mission d'information, certaines pistes d'évolution de la gestion des crédits de l'aide juridictionnelle par les CARPA ont été avancées.

a) Le regroupement des caisses des règlements pécuniaires des avocats

Lors de l'audition du 29 octobre 2008 pour suites à donner à l'enquête de la Cour des comptes, devant la commission des finances du Sénat, il est apparu qu'un regroupement des CARPA, à leur initiative, était souhaitable. En effet, les frais de gestion de l'aide juridictionnelle engagés par les CARPA ne sont que faiblement couvert par les placements financiers qu'elles réalisent 78 ( * ) .

Ce faible niveau de couverture pourrait être lié au nombre élevé de petites structures, qui ne disposent pas de financements suffisants pour mettre en place des stratégies de placements efficaces.

Les regroupements visent à permettre aux CARPA de faire face aux charges de gestion de l'aide juridictionnelle, en rendant possible la création de structure de taille critique, disposant d'un fond de roulement plus important que les CARPA isolées, bénéficiant d'économies d'échelle (mutualisation des moyens humains et matériels), de moyens structurés et d'une expertise plus approfondie en matière de gestion des placements financiers. Comme le soulignaient dans leur rapport de 2011 les députés Philippe Gosselin et George Pau-Langevin 79 ( * ) , « les CARPA ne peuvent guère trouver d'immobilisation ou de placements susceptibles de couvrir les frais de gestion compte tenu de la faiblesse du rendement attendu mais également de la nécessité pour elles de ne pas immobiliser durablement leurs fonds et de conserver des liquidités ».

Un certain nombre de regroupements ont d'ores et déjà eu lieu. En 2008, le rapport de la Cour des comptes faisait état de 12 regroupements, concernant 43 barreaux 80 ( * ) . Chacun de ces regroupements se traduit par la constitution ou le maintien d'une CARPA entité juridique unique et par la dissolution concomitante de chacune des CARPA regroupées.

Ces regroupements relèvent de l'initiative des CAPRA elles-mêmes, mais vos rapporteurs ne peuvent qu'encourager ce mouvement, appelé de ses voeux par l'UNCA, et recommandé dès 2007 par le rapport de notre collègue Roland du Luart 81 ( * ) , puis par d'autres travaux comme ceux de la commission Darrois (2009) 82 ( * ) , qui préconisait la mise en place d'une CARPA par cour d'appel, ou de la mission d'information des députés Philippe Gosselin et George Pau-Langevin (2011) 83 ( * ) .

Proposition n° 19

Encourager le regroupement des caisses des règlements pécuniaires des avocats.

b) Le retour à la gestion directe des crédits d'aide juridictionnelle par le ministère de la justice

Depuis 2011, les chefs de cour d'appel ont été institués ordonnateurs secondaires des dépenses d'aide juridique de leur ressort. Dès lors, la gestion des crédits versés au titre de l'aide juridictionnelle et des aides à l'intervention de l'avocat leur avait été confiée. Concrètement, ces crédits étaient gérés par les services administratifs régionaux (SAR) des cours d'appel. La situation s'étaitencore « aggravée », pour reprendre le terme utilisé par les représentants de l'union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats, lors de leur audition par vos rapporteurs, avec la mise en place des budgets opérationnels de programme (BOP), au 1 er janvier 2012.

Par cette réforme, les 36 cours d'appel, dotées chacune d'un budget propre, appelé « unité opérationnelle » (UO), ont été regroupées en 14 « budgets opérationnels de programme » (BOP) interrégionaux.

Le principe est que les chefs de cour, responsables de BOP interrégionaux, assurent le pilotage des moyens alloués aux juridictions judiciaires du BOP.

Dès lors, les CARPA, qui recevaient de 1992 à 2010, leurs dotations directement du ministère de la justice, se sont retrouvées tributaires de cette nouvelle organisation.

Entendus par vos rapporteurs, les représentants de l'UNCA ont déploré ce nouveau mode de gestion, les chefs de BOP ayant parfois d'autres priorités que le versement des fonds aux CARPA. Il en est résulté des dysfonctionnements importants du système. Certaines CARPA se sont trouvées en rupture de trésorerie alors que les dotations avaient été versées au niveau des cours d'appel. Cette situation a eu pour conséquence un allongement considérable des délais de paiement des avocats, mettant en péril les cabinets les plus fragiles vivant de l'aide juridictionnelle.

Les représentants de l'UNCA ont donc insisté auprès de vos rapporteurs sur la nécessité de transférer au plus vite les circuits de paiement de l'aide juridictionnelle au service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes (SADJAV).

Ils ont également évoqué une nouvelle piste de réforme consistant à déléguer la gestion des financements de l'aide juridictionnelle aux barreaux, sur le modèle de ce qui se faisait concernant la contribution pour l'aide juridique (CPAJ). La CPAJ était affectée au CNB, qui la répartissait ensuite entre les différents barreaux et confiait, dans le cadre d'une convention avec l'UNCA, la gestion du versement du produit de la CPAJ aux CARPA, pour qu'elles assurent le paiement des avocats.

Si vos rapporteurs se sont montrés favorables à une reconcentration de la gestion des crédits d'aide juridictionnelle au niveau national, revenant ainsi au système de gestion assumé par le service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes, qui s'appliquait de 1992 à 2010, ils estiment nécessaire de faire preuve de prudence avant d'aller plus loin et d'envisager de confier davantage de prérogatives de gestion aux barreaux. En effet, l'accès au droit doit rester une mission régalienne assumée en premier lieu par l'État.

C'est également cette voie progressive et prudente qu'a choisi la mission de modernisation de l'action publique (MAP). Elle indique dans son rapport 84 ( * ) que :

« - dès 2014, la gestion des crédits de l'aide juridictionnelle sera reconcentrée à l'administration centrale du ministère (versement direct des dotations aux CARPA par le SADJAV).

« - Durant 2014, un plan de travail sera conduit par le groupe pour approfondir l'opportunité et préciser les conditions et garanties éventuelles d'une évolution consistant à externaliser plus largement au CNB et à l'UNCA la gestion technique des fonds d'aide juridictionnelle (versement des dotations aux CARPA par le CNB via l'UNCA, comme pour la CPAJ en 2011 / 2013). »

Selon les informations transmises par les services du ministère de la justice, depuis le 1 er janvier dernier, la gestion des crédits de l'aide juridictionnelle a été recentralisée au niveau du SADJAV.

Le versement des financements semble se faire de nouveau de manière satisfaisante. Fin février, le ministère a procédé aux versements des dotations initiales des barreaux d'un montant de 187 millions d'euros, soit une somme quatre fois plus importante que celle perçue en 2013 à la même époque.

Proposition n° 20

Conserver la gestion des crédits de l'aide juridictionnelle au niveau du ministère de la justice, pour éviter l'intervention d'une pluralité d'acteurs, entraînant une complexification des procédures et une augmentation des délais de versement des dotations aux barreaux.


* 70 Rapport d'évaluation de la gestion de l'aide juridictionnelle, rapport de diagnostic, novembre 2013, n° 46-13.

* 71 Rapport n° 162 (2013-2014) p. 28. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a13-162-13/a13-162-131.pdf

* 72 L'article 22 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que « le président du bureau ou de la section compétente ou, en cas d'absence ou d'empêchement du président, le vice-président peut statuer seul sur les demandes ne présentant manifestement pas de difficulté sérieuse. »

* 73 L'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dispose que « l'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement . [...] En outre, en matière de cassation, l'aide juridictionnelle est refusée au demandeur si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé ».

* 74 Rapport précité p. 111.

* 75 Arrêts de la CEDH du 26 février 2002 « Essaadi c/ France » (requête n° 49384/99) et « Del Sol c/ France » (requête n° 46800/99).

* 76 L'Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA) fédère et regroupe la quasi-totalité des CARPA.

* 77 Communication à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation du Sénat, sur le fondement de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, « La gestion et l'efficacité des CARPA », 2008. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCAQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.ccomptes.fr%2Fcontent%2Fdownload%2F47432%2F1334605%2Ffile%2F58_2_CARPA.pdf&ei=UDK8U3qGldAFkpCAOA&usg=AFQjCNGgtNZGQwmC-2fah9g0o5fNpTPByQ&sig2=5CkeSfE8yAzSOy84wWklfw&bvm=bv.70138588,d.bGQ

* 78 Ce taux de couverture était de 26,5 % en 2005.

* 79 Rapport précité p. 75.

* 80 Rapport précité p. 11.

* 81 Rapport d'information « l'aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle », fait au nom de la commission des finances du Sénat, par M. Roland du Luart (n°23, 2007-2008), p. 89.

* 82 Rapport précité p. 113.

* 83 Rapport précité p. 75.

* 84 Rapport précité p. 31 et 32.

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