B. LES AUTRES ÉTATS DE L'ARCTIQUE

1. La stratégie de la Norvège

La Norvège a depuis longtemps la politique la plus proactive de tous les pays occidentaux de la région, avec le Canada désormais. Elle a manifesté son regain d'intérêt pour l'Arctique par une Stratégie pour le Grand Nord établie au niveau intergouvernemental en 2006 et mise à jour en 2009. Pour beaucoup de raisons, l'Arctique est sa première priorité.

Un tiers du territoire de la Norvège, 80 % de ses eaux territoriales et 10 % de ses 5 millions d'habitants se situent au-delà du cercle polaire. Les réalités du Grand Nord sont une réalité quotidienne pour de nombreux Norvégiens même si une grande partie de la zone norvégienne de l'Arctique reste le plus souvent libre de glace (influence du Golf Stream). La construction de l'identité nationale de ce pays accorde d'ailleurs une place essentielle à des personnalités qui incarnent le Grand Nord comme Fridjof Nansen ou Roald Amundsen.

L'Arctique est donc logiquement et depuis longtemps une priorité à tous égards pour la Norvège. Elle l'est autant d'un point de vue de politique intérieure que de politique extérieure. Les grandes lignes de cette politique transcendent les partis politiques. De nombreux documents ont été produits et le langage sur ce sujet est aujourd'hui parfaitement intégré par tous les responsables norvégiens. La politique mise en oeuvre aujourd'hui s'est construite au cours des vingt dernières années avec l'identification des principaux enjeux pour le pays ; la Norvège devrait y rester fidèle dans la définition des perspectives à l'horizon 2030.

a) Définition des enjeux et de la politique norvégienne pour le Grand Nord entre 1990 et 2010

La politique norvégienne pour le Grand Nord s'est construite progressivement depuis la fin de la guerre froide. L'ambition du gouvernement a été de renforcer les connaissances, les activités et la présence dans le Grand Nord. Les ministères et acteurs publics et privés concernés se sont fixés des objectifs pour mettre en oeuvre une politique convergente en faveur du Grand Nord. Les bases de cette politique ont été mises en place autour de sept grandes orientations :

1. La coopération avec la Russie, qui est un pilier de la politique de la Norvège en faveur du Grand Nord.

2. L'ouverture du Grand Nord à d'autres pays que les États côtiers (notamment dans le cadre de la Coopération euro-arctique en mer de Barents et du Conseil Arctique).

3. La prise en compte des questions climatiques (le climat est devenu une priorité en Norvège).

4. La gestion globale et durable des ressources marines (modèle de gestion innovant en Norvège et en coopération régionale dans le Grand nord).

5. L'exploitation de gaz, notamment en mer de Barents.

6. Le règlement juridique des conflits avec application du droit de la mer.

7. L'émergence d'un réseau dynamique de coopération (les questions autour des populations locales et notamment autochtones constituent un des volets essentiels de la coopération).

Sur la base de ces fondements de la politique Arctique norvégienne, la préoccupation est aujourd'hui de poursuivre le développement économique de la zone dans le respect de l'environnement et des populations locales. Les autorités se défendent toutefois de vouloir accélérer le développement et se préoccupent d'abord de faire de la zone arctique une région disposant d'une réglementation stricte en termes de sécurité pour l'environnement et pour l'activité économique. La Norvège estime également que les pays arctiques sont parvenus pour l'essentiel à gérer les questions de paix et de stabilité en dépit des enjeux importants sur les ressources existantes. Cette situation permet désormais de se concentrer davantage sur le développement (mobilisation des connaissances et du savoir, pôles d'expertise, formation, investissements, partenariats publics privés, coopération entre État et collectivités locales, et entre acteurs norvégiens et étrangers).

b) Perspectives et ambitions à l'horizon 2030

Les autorités norvégiennes ont ainsi identifié ces trois dernières années sept priorités qui doivent guider la politique norvégienne dans le Grand Nord et reprennent en partie les orientations initiales.

1) Une nouvelle région énergétique en Europe : la Norvège souhaite faire de la Mer de Barents une région énergétique européenne majeure notamment du fait des ressources importantes en gaz (sécurité et approvisionnement). Sa place dépendra des progrès technologiques, des découvertes, de l'évolution des énergies renouvelables, du marché, de l'évolution des autres industries, des infrastructures). D'ici à 2050, si l'Union européenne et chaque pays européen développent les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, d'autres sources d'énergie resteront nécessaires pendant cette période et le gaz devrait garder un rôle à long terme. Pour mémoire, plus de 98 % de l'électricité consommée en Norvège est d'origine hydroélectrique, mais le pays est dans le même temps le deuxième exportateur mondial de gaz et un des tous premiers exportateurs de pétrole.

2) Un nouveau développement industriel dans le Grand Nord : l'exploitation responsable des ressources d'hydrocarbures s'avère prometteuse. L'ambition du gouvernement norvégien est que l'essor de ce secteur engendre une croissance économique forte et un développement local. La gestion durable des ressources de la pêche continuera d'être au centre du développement économique du Grand Nord (aquaculture, connaissances sur les organismes marins...). Le potentiel de hausse de l'activité industrielle stimule la coopération économique dans le Nord avec la Russie, la Suède et la Finlande et au-delà. Une coopération renforcée entre les pays nordiques sur les industries terrestres dans le Grand Nord offre des opportunités.

3) Une région pilote pour la gestion globale du milieu marin : le gouvernement norvégien a l'ambition d'être un futur leader dans ce domaine. Le changement climatique, l'acidification des mers et l'augmentation des activités sont sources de défis en termes de gestion de l'environnement et des ressources et nécessiteront d'approfondir encore nos connaissances et de nous adapter aux futures évolutions.

4) Attractivité croissante pour l'océan Arctique : pour la Norvège, l'augmentation du trafic maritime le long de ses côtes est source de défis, de risques et d'opportunités (prestation de services aux navires) notamment avec la Russie et exige une coopération bilatérale renforcée sur la sécurité. Cette évolution a des conséquences géopolitiques. La Chine, le Japon, la Corée du Sud ou Singapour manifestent leur intérêt pour les voies maritimes septentrionales. Ces évolutions accentuent l'importance stratégique, le besoin de capacités portuaires et de réglementation ( Search and rescue , pollution).

5) Un lieu important de connaissance sur le climat et l'environnement : la Norvège a créé des pôles de compétences pour développer et diffuser les nouvelles connaissances. (Centre Bjerknes à Bergen, pôles de compétences à l'Université de Tromsø et au Centre Fram, l'Université du Nordland, le Centre pour la recherche internationale sur l'environnement et le climat (CICERO), les bases de Ny-Ålesund et l'Université du Svalbard (UNIS).

6) Une coopération innovante dans le Grand Nord : le gouvernement souhaite le renforcement du Conseil Arctique, du Conseil euro-arctique de Barents et de la Dimension septentrionale de l'Union européenne avec une ouverture à des États et partenaires au-delà de la région arctique (contacts entre les pôles de compétences universitaires et autres, par-delà les frontières nationales dans le Grand Nord). Il veut créer, notamment avec la Russie, un programme de surveillance et de gestion de l'environnement. La coopération devrait déboucher sur des accords comme la mise en place d'un instrument de prévention de la pollution par les hydrocarbures dans l'Arctique. La Norvège est attentive à répondre aux manifestations d'intérêt des États et des acteurs extérieurs aux régions arctiques. La nouvelle déclaration de Barents doit encourager la coopération en ce sens.

7) Une nouvelle géopolitique du Grand Nord : le Grand Nord présente toujours un intérêt militaire stratégique, notamment parce qu'une partie de la force nucléaire russe y est localisée et qu'il constitue un espace d'entraînement important. Au sein de l'OTAN, la Norvège a encouragé l'Alliance à s'intéresser à nouveau davantage au Grand Nord. La Norvège a transféré son Centre opérationnel des forces armées à Bodø et déplacé vers le Nord l'essentiel de ses ressources et activités marquant ainsi sa responsabilité particulière et la concentration de leurs missions dans le Grand Nord.

En outre, la Norvège adopte la position la plus ouverte au Conseil de l'Arctique, puisqu'elle est la plus favorable à une extension du rôle des pays observateurs.

c) Un allié des pays non membres au sein du Conseil Arctique

Depuis la création du Conseil Arctique en 1996, la Norvège a soutenu un élargissement autant géographique (plus d'observateurs) que sectoriel pour les sujets traités par le Conseil (climat, navigation maritime, gestion des ressources, hydrocarbures, tourisme, éducation, recherche, santé...).

Sur la gouvernance, le soutien de la Norvège au rôle et à la présence des observateurs affiché depuis la création du Conseil s'est concrétisé en 2013 lorsque la question de la candidature de l'Union européenne et de la Chine s'est posée. Elle a, de fait, joué un rôle positif pour faciliter l'entrée de l'UE comme observateur contre l'avis d'autres membres.

Plus récemment, elle a pris l'initiative de réunir à Tromsø en marge du séminaire international « Arctic Frontiers » , le 21 janvier 2014, l'ensemble des pays observateurs au Conseil afin de recueillir les positions et de réfléchir à la manière de travailler plus efficacement en valorisant le rôle de chacun. Elle entend donner suite à cette démarche acceptée sans enthousiasme par les autres pays membres du Conseil. Elle a, par ailleurs, incité les observateurs à prendre toute leur part dans les travaux des groupes de travail thématiques qui se mettent en place et qui réunissent des experts des pays membres en préparation et appuie des travaux du Conseil.

Concernant le régime juridique applicable en Arctique, la doctrine norvégienne est constante : elle cherche d'abord à appliquer le droit existant plutôt que de construire un nouveau cadre juridique. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer reste la base et elle est d'autant plus appropriée que les États-Unis devraient à terme y adhérer. Les travaux dans le cadre de l'OMI depuis 2002 avec l'élaboration d'un code de navigation polaire sont également des contributions utiles.

Les premières discussions dans le cadre des groupes de travail du conseil sur la prévention de la pollution marine par les hydrocarbures en Arctique montrent que la Norvège tend d'abord à privilégier la concertation et les échanges sur la manière de mieux utiliser les normes juridiques existantes plutôt que d'engager un travail aléatoire et de longue haleine de création de nouvelles règles. Elle privilégie une approche empirique et un dialogue « décrispé » avec la Russie.

Enfin, la Norvège accueille depuis janvier 2013 dans les bâtiments du centre FRAM de Trømso le secrétariat permanent du Conseil Arctique.

2. L'Islande

Ce pays de 320 000 habitants se situe juste en-dessous du Cercle polaire. Aussi, il est parfois considéré comme n'appartenant pas à la région arctique, même si ses eaux très riches en poissons en font bien partie. En outre, son identité, sa culture, son environnement font de l'Islande un pays véritablement arctique.

La vie politique islandaise est dominée par la figure de son Président, Olafur Ragnar Gimsson, qui débute son cinquième mandat. Si celui-ci n'est pas un fervent partisan de l'adhésion de son pays à l'Union européenne, il est en revanche persuadé que l'avenir de son pays passe par le développement des activités en Arctique. Il a, à ce titre, noué des relations privilégiées avec les autorités chinoises, dans le but de profiter de l'arrivée plus importante de navires chinois par la route du Nord-Est en cas de fonte estivale de la banquise de l'Océan Arctique.

En Islande, cependant, c'est le Parlement et non le Président qui a défini une politique pour l'Arctique. À l'image de ce qui s'est passé en Norvège, le changement de majorité au Parlement en 2013 n'a pas remis en cause cette stratégie.

a) La stratégie islandaise pour la zone Arctique

Le Parlement islandais a adopté, à l'unanimité, une stratégie arctique, en février 2011. L'importance de l'enjeu stratégique s'est traduite par la création d'un comité interministériel présidé par le chef du gouvernement entré en fonction en mai 2013. Les priorités sont les suivantes :

- l'Islande revendique le statut d'État « côtier » en vertu d'une conception de l'Arctique s'étendant du pôle nord à l'Atlantique nord ;

- le Conseil arctique est « l'enceinte consultative la plus importante » et doit prendre des « décisions internationales », mais des coopérations et des accords avec d'autres États et parties prenantes sont nécessaires ;

- l'accent est mis sur le développement économique : Les acteurs économiques sont plus réalistes que leurs dirigeants politiques ; plutôt que de miser sur d'hypothétiques et lointains projets énergétiques, la ville d'Akureyri, au nord de l'Islande, se verrait bien comme une base arrière de l'exploitation des mines de zinc et d'or du nord et de l'est du Groenland et travaille à l'aménagement de son port ;

- la coopération sous-régionale Islande-Groenland-Îles Féroé doit être développée dans tous les domaines ; l'Islande considère que le Groenland pourra, à terme, financer son indépendance, mais aura des difficultés à la gérer en raison de la faiblesse de ses cadres dirigeants. C'est pouruqoi Reykjavik respecte les prérogatives de Copenhague et incite à la prudence. Dans le même temps, les relations entre le Groenland et l'Islande connaissent de nombreux développements récents : formation ; santé ; négociation d'un accord de libre-échange ; ouverture d'un consulat général islandais à Nuuk en novembre 2013 ; création d'une chambre de commerce islando-groenlandaise...

- la sécurité juridique doit être assurée sur la base de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et la sécurité au sens large renforcée, mais toute forme de militarisation bannie ;

- la nouvelle politique à l'égard de l'Union européenne de la majorité élue au printemps 2013 place l'Arctique au premier rang.

b) Le positionnement au sein du Conseil arctique

L'Islande rejette tout format à 5 des États bordant l'océan Arctique :

- elle pousse à la conclusion d'accords « juridiquement contraignants », comme ceux sur le sauvetage en mer (SAR) ou les marées noires ( oil spills ) ;

- elle est fortement impliquée, que ce soit par le truchement du secrétariat permanent dont le premier titulaire est islandais, dans les négociations des accords ou les groupes ad hoc , comme ceux chargés de préparer la stratégie de communication du Conseil Arctique ou la création du Conseil économique arctique ;

- elle est favorable à la participation des observateurs en général, européens comme asiatiques, et de l'Union européenne en particulier.

3. La Suède
a) La stratégie suédoise pour l'Arctique

La Suède a été le dernier des huit pays du Conseil arctique à disposer d'une stratégie pour la région, adoptée par le Gouvernement le jour où la Suède prenait la présidence tournante du Conseil pour deux ans (12 mai 2011). Le relatif retard des Suédois s'explique en grande partie par le fait que, aussi bien par son centre de gravité (près de 80 % de la population suédoise habite au sud de Stockholm) que par ses attractions naturelles (historiques, économiques, culturelles...), la Suède est nettement plus tournée vers son sud que vers son nord. L'Arctique est d'ailleurs, depuis la fin de la présidence du CA, devenu une moindre priorité de l'agenda suédois. En témoigne le fait que l'ambassadeur suédois pour l'Arctique, M. Gustaf Lind, n'est plus désormais qu'un ambassadeur à mi-temps, le gouvernement lui ayant récemment attribué le portefeuille de l'APD.

La stratégie suédoise rappelle les liens historiques avec l'Arctique (faisant appel à la figure tutélaire d'Adolf Erik Nordenskiöld et oubliant un peu vite que ce dernier était Finlandais) et expose l'ensemble des arguments qui font d'elle un État arctique à part entière. La stratégie décline ensuite pas moins de 14 priorités, rassemblées en trois piliers : le climat et l'environnement, le développement économique, la dimension humaine. Cet ordre n'est pas un hasard, le point d'entrée suédois dans l'Arctique étant très clairement celui des questions climatiques et environnementales. La présidence suédoise du CA a vu les efforts de la ministre de l'environnement, Mme Lena Ek, récompensés par une réunion de ses homologues du CA à Jukkasjärvi en février 2013, réunion notamment consacrée à la lutte contre les polluants atmosphériques de courte durée de vie dans le cadre de la Coalition pour le climat et l'air pur du Programme des Nations unies pour l'environnement.

Par ailleurs, la présidence suédoise du CA a renforcé l'ouverture sur le monde économique et des entreprises. De ce point de vue, la Suède assume ses intérêts économiques liés à l'exploitation des ressources minières et énergétiques. Cette approche était toutefois couplée à un souci de durabilité et de responsabilité sociale des opérateurs économiques intervenant dans l'Arctique.

Si la Suède réaffirme le rôle primordial du CA dans les questions arctiques, elle s'affiche aussi en faveur d'une véritable stratégie arctique européenne . La présidence suédoise du CA a beaucoup oeuvré pour obtenir à l'UE son statut d'observateur, en vain. De l'aveu même de Gustaf Lind, les principales oppositions sont, sans surprise, venues de la Russie et du Canada, la première dans un « traditionnel jeu de pouvoir entre blocs » et le second en raison de la question des produits dérivés du phoque. Toujours selon Gustaf Lind, l'UE devrait faire plus et apparaît pour l'heure comme un acteur peu investi et crédible ; il semble que l'absence d'une stratégie européenne partagée et clairement établie nuise à la capacité d'influence de l'Union européenne dans les négociations pour l'acquisition du statut d'observateur. La Suède appelle donc l'Union à définir rapidement une feuille de route lisible et à investir sur le développement d'une véritable « compétence arctique ».

b) Une position confortée au sein du Conseil de l'Arctique

La Suède partage avec la Finlande et, dans une moindre mesure, l'Islande un léger complexe du strapontin. Ne disposant pas de frontière avec l'Océan arctique, elle a parfois été considérée comme un membre de seconde catégorie du Conseil de l'Arctique, ce que les réunions en format à cinq en 2008 et 2010 avaient rappelé de façon cuisante. Cette mauvaise manière a pris fin pendant la présidence suédoise du Conseil Arctique et celle-ci a été appréciée : un travail important a été accompli sur les questions institutionnelles qui étaient restées ouvertes à Nuuk (statut et direction du secrétariat permanent à Tromsø, ainsi que l'épineuse question du statut des observateurs).

Toujours selon Gustaf Lind, le forum que constitue le CA est, pour la Suède, un espace privilégié de dialogue avec la Russie. L'Arctique, que la Suède définit comme un espace à l'abri des tensions, est une thématique non conflictuelle de choix. Par ailleurs, en dehors de la question du statut de l'Union européenne, la position canadienne n'est pas particulièrement allante. Vu de Suède, le Canada a fait de la défense de sa souveraineté arctique une priorité et adopte un discours de fermeté qui ne favorise pas toujours le dialogue ouvert au sein du Conseil. Le problème des produits dérivés du phoque reste bloquant, les Canadiens jalousant notamment l'exception à l'export dont bénéficient Suédois et Finlandais.

La Suède est enfin particulièrement attentive à l'état du trafic maritime transitant par le passage du Nord-Est. D'après M. Lind, la volonté de réduire sa dépendance au détroit de Malacca pousse la Chine vers la route maritime du nord, sans que celle-ci ne soit techniquement capable de la pratiquer. M. Lind souligne que la Chine est en revanche fine connaisseuse de toutes les problématiques arctiques.

4. La Finlande

La Finlande a publié au début du mois d'octobre 2013 une nouvelle stratégie pour l'Arctique. Comme la Suède et l'Islande, elle est un État contesté au Conseil Arctique, mais veut profiter des atouts et du potentiel de la Laponie pour développer son grand nord.

a) La stratégie de la Finlande pour l'Arctique

La Finlande a publié sa première stratégie arctique en 2010 et a décidé en octobre 2012 de l'actualiser en mettant en place un groupe de travail interministériel mené par l'Ambassadeur Hannu Halinen. Le document de 70 pages adopté en octobre 2013 présente les priorités du pays pour l'Arctique, qui se déclinent en 53 objectifs et 125 actions à mettre en oeuvre d'ici 2015 à 2030.

Comme aime le rappeler Hannu Halinen, la Finlande est un État arctique. Elle fait partie des 8 pays fondateurs du Conseil arctique en 1996, car, bien que n'étant pas un État côtier, un tiers du territoire finlandais est situé au nord du cercle polaire (soixante-sixième parallèle) et 250 000 Finlandais y vivent (sur 4 millions de personnes dans cette région). En outre la totalité du territoire finlandais et ses 5,7 millions de personnes (sur 20 millions dans cette région) sont au nord du soixantième parallèle.

Trois axes façonnent la stratégie finlandaise :

- la Finlande a une expertise sur l'Arctique qu'elle veut faire valoir. Cette expertise est très importante pour saisir les opportunités économiques dans la région et la Finlande doit privilégier le maintien d'un haut niveau technologique et d'innovation. L'Arctique est d'ailleurs l'une des missions prioritaires du réseau Team Finland de promotion de l'image, des intérêts économiques, des investissements et des entreprises finlandais à l'étranger. La Finlande dispose également d'excellentes infrastructures dans la région ;

- par ailleurs, la Finlande insiste sur le développement durable et les contraintes environnementales. L'idée d'un moratoire sur l'Arctique ne lui semblant pas réaliste, elle souhaite en particulier promouvoir le rôle des peuples autochtones (dont les Sames sur son territoire), les études d'impact avant tout projet et la mise en oeuvre de règles concernant les réseaux de conservation pour protéger les espaces les plus fragiles ;

- enfin, la Finlande tient à promouvoir la coopération internationale dans la zone Arctique. Cela implique un soutien au développement d'une politique européenne pour la région et un rôle plus important pour les observateurs au Conseil de l'Arctique.

b) La position finlandaise au Conseil de l'Arctique

La Finlande considère que la situation au Pôle Nord évolue plus vite que prévu. La couche de glace pérenne est de plus en plus mince et selon l'ambassadeur Halinen, même le passage du Nord-ouest au large du Canada sera accessible plus rapidement que prévu. Il faut donc progresser en matière d'infrastructures, de communications et de coordination entre les acteurs impliqués pour rendre la navigation sûre et compétitive le plus vite possible. De nombreux pays asiatiques (Chine, Inde, Singapour) en sont conscients.

La Finlande considère que le Conseil de l'Arctique doit rester l'instance principale dans cette zone, mais en lien avec d'autres acteurs importants, dont l'Union européenne.

En outre, la Russie est considérée comme un partenaire primordial en Arctique, et les deux pays ont engagé un partenariat arctique depuis 2010, parfois difficile mais nécessaire. La Finlande est pragmatique et se satisfait des progrès en matière commerciale et de toute opportunité. Ainsi, elle se réjouit du passage sous capitaux russes, fin octobre 2013, d'Arctech, le chantier naval d'Helsinki, qui valorise le savoir-faire finlandais en matière de construction navale arctique.

c) La Laponie, une région d'avenir

La Finlande souhaite accélérer le développement de son septentrion. Elle considère que la Laponie a de multiples atouts et des handicaps que l'on peut surmonter. Elle semble redécouvrir une région qu'elle voit comme la « dernière frontière ».

Les atouts de la Laponie sont, selon la Finlande :

- des ressources minières : la Laponie est encore riche de ressources souvent inexplorées et bientôt très rentables en nickel, cuivre, or et argent, uranium, chrome, cobalt, platine, fer et talc. Canadiens et Australiens sont déjà activement présents. La législation est ouverte aux investissements étrangers. De nombreux observateurs s'attendent à une arrivée prochaine des Chinois.

- une offre touristique accrue : la beauté sauvage des grands paysages attire, en hiver comme en été, et suscite, au côté d'un tourisme de masse (Santa Claus-Joulupukki à Rovaniemi, ski à Levi, Luostotunturi...), un tourisme "vert" plus individuel, respectueux de la nature, des traditions et populations locales (minorité Same de 7 000 membres en Laponie finlandaise).

- des ressources naturelles fondées sur la forêt, largement propriété de l'État dans cette région, sur la pêche, les grands élevages de rennes et les baies en été.

- des aéroports à capacité significative (Oulu, Rovaniemi, Kittilä, Ivalo) permettant d'absorber les surcapacités des fêtes de Noël. Les moyens de communication sont bons, en hiver.

- une situation géographique unique : la Laponie représente un tiers du territoire de la Finlande et se situe au centre du Grand nord européen avec deux villes importantes, pour cette latitude (Oulu, même si elle se trouve à la périphérie, et Rovaniemi).

Néanmoins, la Laponie est handicapée de plusieurs faiblesses :

- la démographie : la Laponie représente un tiers du territoire de la Finlande mais 3,4 % de sa population. Rovaniemi, avec près de 60 000 habitants est la ville la plus importante au-delà du cercle polaire, mais seulement la treizième de Finlande. La densité de population n'est que de 1,9 habitant au km 2 .

- des infrastructures perfectibles : c'est particulièrement le cas pour les chemins de fer. Le gouvernement finlandais investit dans la rénovation de la voie ferrée de Laponie occidentale entre Tornio et Kolari. Il estime que les dépenses en infrastructures devraient atteindre au moins 600 millions d'euros pour desservir les nouvelles mines. La Finlande est en outre privée depuis 1944 de tout accès direct à la mer Arctique (Petsamo).

- des insuffisances énergétiques : les collines ne sont pas assez hautes pour permettre, contrairement à son voisin norvégien, des ressources hydroélectriques significatives. La construction d'une nouvelle centrale nucléaire à Pyhäjoki, dans les marches méridionales de la Laponie, pourrait cependant accompagner à terme l'essor du secteur minier.

- des contraintes climatiques fortes : un hiver rigoureux (jusqu'à moins 50°C) facilitent paradoxalement depuis des siècles les communications (du traîneau ski, au pneu à clous, à la motoneige et à l'avion). Les marécages et moustiques estivaux peuvent sembler en comparaison plus hostiles. La Laponie est aussi directement affectée par le changement climatique. Les études de l'IMF et de ses stations météo de Sodankylä et de Pallas en révèlent clairement les manifestations, en termes de réduction continue de la surface enneigée, de risques de feux de forêt, de fonte des glaces et d'élévation globale de température. La station de Pallas, située dans l'une des zones les plus pures au monde, a pourtant relevé une augmentation de 10 PPM en concentration de CO 2 entre 1997 et 2006. En contrepartie certains chercheurs relèvent des avantages possibles pour la Laponie : augmentation de 35 à 40 % de la période de croissance agricole d'ici 2070 et extension des zones arables...

Toutefois, il existe une réelle volonté de développer cette région en s'appuyant sur ses deux villes principales :

- Rovaniemi (60 000 habitants) est géographiquement centrale en Laponie . Sa situation lui donne une réelle importance et lui vaut de regrouper un certain nombre d'infrastructures dont l'université de Laponie (la moitié des 10 000 étudiants vivant à Rovaniemi). Le Centre arctique de l'université de Laponie devrait prochainement, continue-t-on à espérer ici, recevoir son label Union européenne et abriter aussi le centre d'information sur l'Arctique de l'Union.

- pour autant, alors qu'elle ne se situe pas géographiquement en Laponie, c'est la ville d'Oulu (200 000 habitants) qui aspire à dominer le Nord du Nord et à fédérer de nombreux projets régionaux dont elle a l'initiative. Le maire d'Oulu comme le président de la Chambre de Commerce et la très grande majorité insistent sur la localisation d'une ville où la moyenne d'âge est de 34,5 ans, dont l'université attire 30 000 étudiants (dont le premier quota Erasmus est français) qui réunit, au-delà d'un centre de recherches Nokia maintenant concurrencé, 800 compagnies TIC. Oulu serait donc bien la capitale incontestée du Nord du Nord. Démographiquement, économiquement, technologiquement aucune ville boréale ne pourrait lui contester ce titre, aussi bien en Norvège, qu'en Suède ou en Russie. Mourmansk, pourtant plus puissante démographiquement, est considérée comme complémentaire et beaucoup moins centrée sur l'innovation. Les responsables d'Oulu développent, cartes à l'appui, une vision parfaitement cohérente du Nord du Nord avec des projets d'infrastructure menés à partir de leur ville, en termes de communication routière et de chemins de fer débouchant sur la voie maritime du Nord-Est et les projets de la région de Barents, dans lesquels ils sont déjà fortement impliqués.

En auront-ils les moyens ? Ces ambitions reposent sur une coopération étroite avec les sociétés russes, une attente à peine dissimulée des Chinois et de grands espoirs, au sud, sur l'apport énergétique de la centrale nucléaire de Pyhäjoki pour laquelle ils ont déjà budgété 5,1 milliards d'euros en accompagnement. Areva y est en concurrence avec Toshiba. Il convient de mentionner également la société finlandaise Aker, très active sur le marché des brise-glace et des tankers spécifiques pour le passage maritime du Nord-Est.

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