6. Clôture

6.1. M. JEAN-PIERRE BEL, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Chère Françoise Vergès,

Cher Pascal Blanchard,

Mesdames, messieurs,

Cher(e)s ami(e)s,

Il y a un peu plus de deux ans, le 9 mai 2012, nous nous rencontrions pour la première fois dans ces salons de Boffrand où nous avons abordé des thèmes qui sont chers à chacun de nous. En novembre dernier, j'avais à nouveau le plaisir de vous accueillir ici à l'initiative de la Délégation sénatoriale de l'outre-mer, sur une nouvelle rencontre initiée par le sénateur Serge Larcher dédiée aux chapitres oubliés de l'Histoire de France. Ces journées de dialogue sont des enrichissements nécessaires à la mémoire que nous devons partager pour vivre en paix avec le passé.

Aujourd'hui, c'est avec la même passion que nous nous retrouvons et je suis très fier de la qualité de vos contributions qui participent à la mémoire nationale. On ne peut effacer le souvenir de toutes celles et de tous ceux qui ont perdu la vie sur les champs de bataille. C'est l'histoire croisée des hommes que vous avez voulu évoquer cet après-midi autour de deux tables rondes animées par Pascal Blanchard et par Françoise Vergès et d'une projection de films courts et inédits sur les combattants de ces mondes, et je tiens à les remercier pour leur participation.

Cette année, la France célèbre deux événements majeurs : le début de la Grande Guerre et le 70 ème anniversaire de la Libération de notre pays. Ces deux conflits majeurs s'inscrivent dans notre mémoire collective. Vos rencontres, tout comme les commémorations, participent à ces moments de transmission.

Commémorer ces deux moments historiques, c'est aussi célébrer la victoire de la démocratie et nous rappeler que ce sacrifice a été lourd pour ces jeunes hommes venus des cinq continents et qui sont morts sur les champs de bataille. Commémorer ces deux guerres, c'est aussi délivrer un message de paix.

Cette rencontre est un moment pour moi de rendre hommage aux 430 000 soldats des colonies qui ont pris part à la Grande Guerre, qui n'était pas la leur, et aux 200 000 ouvriers venus des outre-mer pour faire tourner les usines d'armement françaises. Ces hommes, qui ne s'étaient jamais rencontrés, sont venus se battre pour des valeurs et se sont retrouvés sur des terres inconnues et lointaines. Ce sont leurs histoires personnelles qui s'associent aujourd'hui au destin de la France. Ce sont des générations qui se sont forgées avec ce souvenir ; le souvenir de ces deux épouvantables conflits.

Nos frères d'armes des outre-mer et des colonies françaises sont devenus des combattants français sur le sol de l'Europe. Ils ont connu le froid, la faim, la fureur, la peur, l'angoisse, l'épuisement, la mort. Nous ne pouvons les oublier et nous devons être exigeants pour préserver les traces de ces récits individuels car ils appartiennent à notre histoire, à notre passé, à notre héritage et à notre mémoire.

Ces moments d'histoire complexes nous rappellent la force d'une Nation quand elle est rassemblée, cette capacité à mobiliser, parfois de gré ou de force, pour préserver la démocratie et cette énergie pour défendre notre destin.

Ces moments d'histoire ne s'identifient pas forcément à des victoires. Des monuments sur les champs de bataille sont là pour nous rappeler le courage et le sang qui a coulé de ces soldats du monde. Ces soldats du monde, qui étaient-ils ? Des spahis, des goumiers, des annamites, des kanaks, des malgaches, des tirailleurs qui venaient du Maghreb, des Comores, de Djibouti, des Outre-mer, d'Afrique noire. Pendant la Première Guerre mondiale, près de 180 000 tirailleurs du Sénégal sont venus sur notre sol défendre les couleurs du drapeau qui était alors le leur. Trente ans plus tard, leurs descendants sont venus des mêmes territoires pour répondre à l'appel du Général de Gaulle et de la France et combattre les forces ennemies dans leur pays et sur notre sol. De juin 1940 à mai 1945, 55 000 Algériens, Marocains, Tunisiens et combattants d'Afrique noire furent tués. Près de 25 000 d'entre eux servaient dans l'Armée d'Afrique, qui comptait 400 000 hommes, dont 173 000 Africains. On connaît le rôle des goumiers marocains dans la libération de la Corse en 1943, premier département de la métropole à se libérer.

Ces soldats du monde entier étaient venus combattre pour marquer leur fidélité et leur loyauté à ce qui était la nation française ; une nation qui défendait son intégrité et ses valeurs.

De ces combats, la fraternité des armes dans les tranchées, la circulation des hommes et des idées firent naître une légitime exigence d'émancipation et d'indépendance.

Mais ce sont ces combats qui ont libéré la France ; ce sont ces soldats qui sont devenus des compagnons ; ce sont ces hommes qui ont laissé leur vie sur notre territoire. Ces rencontres des Mémoires croisées sont là aussi pour leur rendre justice en reconnaissant nos frères d'armes qui sont tombés pour notre pays. Ces histoires croisées sont des moments de mémoire partagée. Ce sont des moments où les destins individuels doivent être connus et reconnus, mais où ces histoires personnelles se lient à l'histoire nationale. Elles témoignent de notre respect pour les morts d'hier et de ce lien qui unit ces peuples, leurs cultures, leurs religions et notre République.

Si la France est riche de sa diversité, c'est aussi grâce à ce lien.

Ces Mémoires croisées honorent cette partie de notre mémoire nationale et tous ceux qui sont morts pour notre pays. Elles permettent de mieux comprendre ces histoires personnelles qui ont participé à l'histoire de notre pays. Ces histoires qui nous permettent de vivre ensemble le même destin, dans cette communauté qu'est la Nation. Il nous faut maintenant les faire vivre, les faire entendre par nos plus jeunes concitoyens afin que l'erreur de l'oubli ne se reproduise jamais, et que cet héritage perdure.

Au nom de ces histoires personnelles, de cet héritage et de la Nation, je tiens à vous remercier pour votre travail et vous renouvelle mes chaleureuses félicitations pour la qualité de vos échanges et de vos débats.

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