E. UNE PUISSANCE QUI DOIT CONSTRUIRE SES OUTILS DE DIPLOMATIE ET DE DÉFENSE

Le caractère laborieux de la construction de l'Europe de la défense et le faible enthousiasme de nos partenaires à s'engager budgétairement et militairement ( cf. la difficulté rencontrée pour la génération de forces pour la mission en RCA) , continuent de susciter notre déception , même s'il faut le reconnaître progressivement, des relations de travail se nouent, des habitudes se créent et des résultats, somme toute modestes mais tangibles, sont atteints.

Appeler à jouer un rôle plus important en Europe et dans sa périphérie, l'Union européenne doit construire ses outils de diplomatie et de défense . La position de retenue des États-Unis, leur souhait de travailler avec des alliés et partenaires ouvrent des opportunités nouvelles, y compris de travail en coordination (travail commun ou en complémentarité).

L'Europe doit saisir sa chance et accélérer le mouvement . Votre commission a adopté, en juillet 2013, un rapport d'information 263 ( * ) qui propose d'aller au-delà de l'approche pragmatique et « de franchir le fossé qui prend aujourd'hui des allures de précipice entre « l'Europe de la défense » et la « défense européenne », entre la souveraineté des nations et le projet fédéral », en constituant un « Eurogroupe de la défense ».

1. Une priorité à réaliser

Lors du Conseil européen des 26 et 27 juin, a été adopté un Plan stratégique de l'Union à l'ère du changement, dans lequel figure, parmi les cinq priorités, la politique étrangère et de sécurité.

L'inscription au rang des priorités stratégiques de l'Union, la politique étrangère et de défense ne peut qu'être considéré comme un point positif.

De ce document, somme toute assez classique dans sa formulation, une phrase mérite d'être mise en exergue « il n'a jamais été aussi important de nouer un dialogue avec nos partenaires sur des questions d'intérêts mutuel ou international ». Il serait important de voir derrière les mots l'amorce d'une démarche stratégique au sein de l'Union européenne pour formuler un projet géopolitique 264 ( * ) à partir d'une analyse des menaces, des valeurs, des intérêts et des objectifs partagés. Ce projet pourrait constituer la troisième étape de la construction européenne lui permettant de devenir un acteur réel et complet sur la scène mondiale.

Mais il faudra beaucoup d'opiniâtreté et de volonté pour avancer. La crise ukrainienne sonne comme un avertissement et implique un plus haut niveau d'engagement des Européens.

Plan stratégique de l'Union à l'ère du changement

L'Union, un acteur mondial de premier plan

Les événements récents ont montré avec quelle rapidité l'environnement stratégique et géopolitique pouvait évoluer, en particulier aux frontières orientales et méridionales de l'Union. Dans notre voisinage au sens large, l'instabilité a atteint un niveau sans précédent. Dans le même temps, il n'a jamais été aussi important de nouer un dialogue avec nos partenaires sur des questions d'intérêt mutuel ou international. Pour la défense de nos intérêts et de nos valeurs et pour la protection des citoyens, il est essentiel que l'Union européenne joue un rôle plus important sur la scène internationale.

Les priorités suivantes en matière de politique étrangère seront donc décisives dans les années à venir :


utiliser au mieux notre influence : en veillant à la cohérence entre les objectifs de politique étrangère des États membres et ceux de l'UE et en renforçant la coordination et la cohérence entre les principaux domaines de l'action extérieure de l'UE, tels que le commerce, l'énergie, la justice et les affaires intérieures, le développement ainsi que la politique économique ;


être un partenaire solide vis-à-vis de nos voisins : en oeuvrant en faveur de la stabilité, de la prospérité et de la démocratie dans les pays les plus proches de l'Union, sur le continent européen, autour de la Méditerranée, en Afrique et au Proche-Orient ;


coopérer , sur un plan bilatéral et dans les enceintes multilatérales, avec nos partenaires stratégiques mondiaux, en particulier nos partenaires transatlantiques, sur un large éventail de questions, allant du commerce et de la cybersécurité aux droits de l'homme et à la prévention des conflits, en passant par la non-prolifération et la gestion des crises ;


développer la coopération en matière de sécurité et de défense de manière à être à la hauteur de nos engagements et de nos responsabilités partout dans le monde : en renforçant la politique de sécurité et de défense commune, en pleine complémentarité avec l'OTAN ; en veillant à ce que les États membres maintiennent et développent les capacités civiles et militaires nécessaires, notamment par la mutualisation et le partage des ressources ; en renforçant l'industrie européenne de la défense.

2. Être attentif à la préservation d'une base industrielle et technologique de défense européenne (BITD-E)

La consolidation de l'industrie de défense sur une base géographique européenne est indispensable pour des raisons économiques, mais aussi parce qu'elle est indispensable pour assurer à l'Europe l'autonomie de ses équipements. Elle doit aussi permettre aux groupes industriels d'être plus compétitif à l'exportation .

Le rapport d'information de la commission de juillet 2013 précité avance quelques propositions permettant d'atteindre cet objectif 265 ( * ) .

Les réductions de crédits affectant la défense aux États-Unis et notamment les budgets d'acquisition conduisent les industriels américains à produire un effort important à l'exportation. Cette orientation est soutenue par les autorités américaines (voir supra p. 134). Les industries européennes vont se trouver face à une concurrence plus vive sur les marchés extérieurs, mais aussi si l'on y prend garde, sur le marché européen. Il est donc important de veiller à ce que la défense qui, à la différence de la culture, n'est pas explicitement exclue du mandat de négociation du PTCI, ne soit pas réintroduite en cours de négociation 266 ( * ) . En effet, une ouverture réciproque des marchés de défense conduirait à une mise en concurrence brutale dont les États-Unis sortiraient gagnants. Ils bénéficient d'un avantage comparatif structurel, et n'achètent que 2 % de leurs armements à l'étranger, sous-traitance comprise. Un accord de libre-échange ne permettrait donc que de très faibles gains et serait contraire à l'objectif d'établissement progressif d'un marché européen des équipements de défense et de développement d'une BITDE. Ainsi, la formalisation de l'exclusion des marchés publics de défense et de sécurité de cet accord, sur le modèle des accords classiques de libre-échange négociés par l'Union européenne, demeure un point important de vigilance dans le cadre des négociations.

3. Saisir les occasions d'un travail commun Union européenne-États-Unis

Les États-Unis suivent avec intérêt les politiques mises en oeuvre par l'Union européenne dans le cadre des politiques de voisinage qui tendent à stabiliser les États voisins de la périphérie méridionale et orientale de l'Europe, par le rapprochement des économies et la mise en place d'institutions démocratiques.

De la même façon, s'intéressent-ils aux méthodes employées dans le cadre de la gestion des crises et de la reconstruction des États en crise, qu'il s'agisse du volet institutionnel (reconstruction de l'État, dialogue avec la société civile), ou du volet sécuritaire (rétablissement de forces de sécurité, formation) qui leur paraissent plus efficaces que leurs propres méthodes de « nation building » et de « capacity building ». L'exemple de la Somalie avec EUCAP-Nestor leur paraît plus probant après les échecs qu'ils ont connus dans ce pays.

Ils reconnaissent aujourd'hui les compétences de l'Union européenne pour gérer des opérations de crises de moyenne intensité ou à forte composante de reconstruction . La négociation en cours d'un arrangement administratif pour faciliter les échanges de soutien logistique, de services et de fournitures concernant l'acquisition et les services croisés (ACSA) entre les institutions de l'Union européenne et le département américain de la Défense, sous réserve d'un examen attentif de son contenu, peut être lue comme un signe de reconnaissance par les États-Unis du rôle militaire de l'Union européenne. Ce serait, en outre, la première fois que les États-Unis contractent un tel arrangement avec une institution internationale dont ils ne sont pas membres 267 ( * ) .


* 263 « Pour en finir avec ?L'Europe de la défense? - Vers une défense européenne ». Rapport d'information de MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - Sénat n° 713 (2012-2013), juillet 2013 http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-713-notice.html

* 264 Michel Foucher, dans un article publié dans la revue Futuribles n° 400, mai-juin 2014, formule huit recommandations thématiques d'objectifs et d'intérêts partagés qui pourraient utilement être à la base de ce travail.

* 265 « Pour en finir avec ?L'Europe de la défense? - Vers une défense européenne ». Rapport d'information de MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - Sénat n° 713 (2012-2013) juillet 2013 http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-713-notice.html

* 266 On rappellera que la Commission européenne faisait initialement valoir que l'ouverture des échanges bénéficierait aux entreprises européennes et que le projet initial de mandat incluait les marchés publics de défense. Cette mention a été retirée à la demande de plusieurs États.

* 267 Nicolas Gros-Verheyde « Un accord de fourniture militaire avec les Américains est en passe d'être conclu » bruxelles2.eu 2 juin 2014.

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