AVANT-PROPOS

Personne ne doute aujourd'hui que l'Asie est déjà la principale aire d'expansion économique et sera, demain, le nouveau centre économique du monde.

Moteur de la croissance mondiale, c'est donc dans l'espace asiatique que se joue, au fond, la reprise de notre croissance économique dans les années à venir. De notre capacité à profiter du basculement économique du monde vers l'ère Asie-Pacifique dépend, largement, notre prospérité future, et donc la préservation de notre modèle social.

Au sein de cet ensemble asiatique, qu'il est un peu artificiel de scinder en sous-régions, l'Asie du Sud-Est 2 ( * ) attire pourtant particulièrement l'attention. Trop longtemps délaissée au profit des géants (Inde, Chine, Japon) qui focalisent toute l'attention -et les moyens ?-, elle présente en effet des caractéristiques singulières qui justifient que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées lui consacre une attention particulière.

Zone de prospérité économique, terre d'opportunités pour nos entreprises, pays où nous avons des liens politiques et militaires forts et anciens, champ où s'exercent les grandes forces géopolitiques à l'oeuvre dans le monde contemporain, l'Asie du Sud-Est mérite aujourd'hui de remonter, sans doute à côté de l'Afrique et de la Méditerranée, d'ailleurs, dans la liste de nos centres d'intérêts prioritaires. Il existe un « moment », une opportunité offerte à l'Europe et à la France, dans cette région. L'amaigrissement continu de nos moyens diplomatiques et militaires ne doit pas nous empêcher de saisir cette « chance ». La volonté politique doit nous permettre d'y renforcer notre influence et notre présence.

C'est le double but de ce rapport d'information : sensibiliser aux opportunités que présente le sud-est asiatique, proposer une « feuille de route » d'objectifs concrets pour y renforcer, sur tous les plans (politique, économique, stratégique...) l'influence française.

L'heure est venue de reprendre pied en Asie du Sud-Est.

CHAPITRE 1ER : L'ASIE DU SUD-EST EN ÉMERGENCE, UN ENJEU MAJEUR

I. UNE AIRE AU SUCCÈS ÉCONOMIQUE RETENTISSANT, BIENTÔT COMPARABLE EN TAILLE AU MARCHÉ EUROPÉEN

A. UNE FORMIDABLE CROISSANCE ÉCONOMIQUE RÉSISTANTE À LA CRISE

1. L'Asie du sud-est, quatrième puissance économique mondiale

Agrégées, les 10 économies d'Asie du Sud-Est 3 ( * ) représentent la 4 ème puissance économique mondiale.

L'Asie du Sud-Est est un marché de 640 millions d'habitants. La population en âge de travailler devrait progresser de près de 30 millions, soit davantage que la Chine, d'ici 2020.

Si on le compare avec la France, l'ASEAN représentait 30% du PIB français à la fin des années 1980, 70% en 2010, et devrait le dépasser à l'horizon 2020.

Alors que l'Asie comptait pour moins de 20% du produit intérieur brut mondial en 1980, elle devrait devenir d'ici 2030 le principal foyer de création de richesses, d'innovation scientifique et technique et représenter plus du tiers du produit intérieur brut mondial.

In « La France et la sécurité en Asie Pacifique », ministère de la défense, avril 2014

Sa croissance économique pharaonique semble ne pas devoir s'arrêter. À côté de Singapour qu'on compare souvent à une petite Suisse en Asie, ou de la Malaisie qui a pour objectif de figurer en 2020 dans la catégorie des pays à hauts revenus, l'Indonésie, avec ses 240 millions d'habitants, fait figure de « Chine en devenir », susceptible de supplanter les économies européennes dans quelques dizaines d'années.

Lors de leur mission à Jakarta, vos rapporteurs ont mesuré l'effet, sur place, d'un classement international plaçant l'Indonésie au 10 ème rang mondial en matière d'économie (elle est habituellement classée au 16 ème rang). Porté par une forte demande intérieure, cet archipel de 17 000 îles, déjà membre du G20, talonnerait ainsi bientôt l'Italie, la France...

Le stock d'investissements français dans l'Asean est d'ailleurs déjà supérieur aujourd'hui à celui que les entreprises françaises ont en Chine.

Bien sûr, ce développement est loin d'être uniforme dans une région particulièrement fragmentée.

L'ASEAN est composée de 10 pays ayant des différences de développement marquées : trois « pays moins avancés » (PMA) (Birmanie, Cambodge, Laos), deux pays dont le PIB par habitant se situe entre 1 000 et 3 000 dollars (Vietnam, Philippines), deux pays à revenu intermédiaire (Thaïlande et Malaisie) et deux pays à hauts revenus (Singapour et Brunei). Enfin l'Indonésie, avec un PIB par habitant moyen égal à 3 500 dollars, rejoint les pays à revenu intermédiaire.

Malgré l'hétérogénéité de ses membres, l'ASEAN constitue pourtant indéniablement la « troisième force » de développement asiatique et son PIB 4 ( * ) devrait doubler d'ici 2020 pour atteindre 4 500 milliards de dollars (FMI). Il est actuellement équivalent à 2 500 milliards de dollars et le PIB par habitant atteint quasiment 4 000 dollars.

La croissance moyenne est de 6% depuis cinq ans.

Toutefois, pour 2014, la Banque asiatique de développement a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour la majorité des pays d'Asie du Sud-Est, avec une croissance moyenne dans la région s'établissant à seulement 5% (contre 5,3% prévus en octobre dernier). Les prévisions concernant la Thaïlande connaissent la plus forte correction, la croissance étant révisée à 2,9% (contre 4,9% selon les estimations d'octobre dernier). À rebours de cette tendance régionale, les prévisions de croissance des Philippines, de Singapour et du Vietnam ont été revues à la hausse, à respectivement 6,4%, 3,9% et 5,9%.

PRÉVISIONS DE CROISSANCE DU PIB ET DE L'INFLATION

(Banque asiatique de développement)

2014

2015

Croissance

Inflation

Croissance

Inflation

Avril 2014

Oct. 2013

Avril 2014

Oct. 2013

Avril 2014

Avril 2014

Asie du Sud-Est

5,0

4,3

5,4

4,0

Indonésie

5,7

5,7

6,0

4,8

Malaisie

5,1

3,2

5,0

3,5

Philippines

6,4

4,3

6,7

4,0

Singapour

3,9

3,0

4,1

3,9

Thaïlande

2,9

2,4

4,5

2,6

Vietnam

5,6

6,2

5,8

6,6

(sources : Asian Development Outlook, avril 2014).

Les exportations sont en hausse de près de 7% et les importations de 7%. Les investissements directs étrangers, en forte croissance, atteignent 110 milliards de dollars.

Source : « Panorama ASEAN 2014 », direction générale du Trésor, service économique régional de Singapour

2. Des économies résistantes à la crise

L'impact de la crise économique européenne sur les économies d'Asie du Sud-Est a été finalement assez limité. Là où les économies asiatiques étaient emportées lors des précédentes crises, notamment la crise dite « asiatique » de 1997, qui avait vu s'effondrer en quelques mois les monnaies et les systèmes bancaires de tous les petits « tigres » de la région, les pays de l'ASEAN sont sortis presque indemnes de la crise financière de 2008.

La théorie de plus en plus répandue est donc celle d'un « découplage » entre le cycle des affaires en Asie et les économies occidentales, protégeant ainsi la région des perturbations de la croissance dans le reste du monde.

Les facteurs explicatifs sont nombreux : l'enrichissement progressif de la Chine et de ses voisins, ou encore la montée en puissance de la consommation comme facteur endogène de croissance y figurent en bonne place.

3. Une montée en gamme technologique nécessaire et continue

Le succès économique de cette zone repose entre autres sur une constante montée en gamme technologique.

Ainsi la Malaisie par exemple a-t-elle élaboré un nouveau modèle économique basé sur les technologies de pointe et le savoir, apportant des garanties solides aux investisseurs et partenaires étrangers.

L'Asie (en général) est devenue la première puissance mondiale en matière de dépôts de brevets internationaux depuis 2010. Avec 78 800 brevets internationaux déposés en 2012, elle dépasse nettement l'Europe (57 904) ou l'Amérique du Nord (53 955). Mais ce résultat tient à l'émergence de trois grandes puissances innovantes, qui sont en premier lieu le Japon (43 660 brevets), la Chine (18627) et la Corée (11 848). Toutefois, s'agissant de l'innovation, l'ASEAN se positionne encore très loin derrière la Chine et l'Inde en matière de dépôts de brevets et de dépenses de recherche et développement relativement au PIB. Singapour est le premier avec 2,2% de son PIB consacré à la recherche, contre 0,63% pour la Malaisie et 0,07% pour l'Indonésie.

Parmi les 50 entreprises déposant le plus de brevets internationaux au monde, le leader mondial est le chinois ZTE, devant Panasonic, Sharp et Huawei. Au total, 27 entreprises asiatiques figurent dans ce palmarès, qui comprend par ailleurs 5 groupes allemands et un seul français (Alcatel Lucent).

L'Asie du Sud-Est a collectivement déposé 1 115 brevets internationaux en 2012. Si l'on analyse cette performance par pays, Singapour fait à elle seule près des 2/3 des dépôts de la région, avec 710 brevets internationaux, devant la Malaisie (292), les autres pays de l'ASEAN ayant une présence que l'on peut qualifier de « symbolique ».


* 2 Entendue ici comme les 10 États de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam)

* 3 L'ASEAN est composée de : Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam.

* 4 Source : entretien avec la Direction générale du Trésor

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