III. LA FRANCE EST-ELLE EN TRAIN DE RATER UN TOURNANT STRATÉGIQUE EN ASIE DU SUD EST ?

A. DANS LE NOUVEAU CONTEXTE ÉCONOMIQUE, IL EXISTE UN IMPÉRATIF ASIATIQUE POUR LA FRANCE

1. Une priorité pour la diplomatie économique
a) Un enjeu dont la prise de conscience est désormais partagée

Dans cette région du monde en forte croissance, où la mondialisation s'est traduite par une « asiatisation » des économies, la globalisation s'est globalement faite à notre relatif détriment. Nous sommes loin de tirer tous les bénéfices du décollage du Sud-est asiatique.

Sans parler de nos traditionnels concurrents nord-américains ou européens, aujourd'hui, dans cette région, nos concurrents sont bien souvent des entreprises de Corée du Sud, du Japon, de Chine.

Compte tenu des potentialités de croissance et des nouveaux besoins de consommation, d'équipements et d'infrastructures, l'ASEAN doit être une priorité centrale de notre diplomatie économique.

Le gouvernement français en est désormais bien conscient. Parmi les 47 pays prioritaires pour les exportations françaises, on trouve 6 pays d'Asie du sud-est. L'Asie du Sud-est représente 20% de nos exportations.

Lors des visites officielles qui se sont succédées ces derniers mois, les ministres n'ont pas manqué de faire du volet économique une priorité de leurs déplacements.

L'Asie du Sud-est n'échappe pas au diagnostic général porté sur l'appareil exportateur français. Au-delà du contexte général, des objectifs spécifiques ont toutefois été fixés pour cette région prometteuse.

Car l'Asie n'attendra pas la France. Le 21 e siècle est, déjà, le siècle de l'Asie.

Vos rapporteurs sont convaincus qu'il y a là un enjeu vital pour préserver notre modèle de développement. Il nous faut de la croissance pour permettre sa sauvegarde : nous jouons une partie de notre reprise en Asie ; y sortir des radars par un échec commercial serait un cauchemar durable sur le plan économique.

Réciproquement, notre pays peut être un moteur pour « tirer » l'Asie du sud-est vers des modèles de croissance plus respectueux de l'environnement. Enfin,  les pays de l'ASEAN (Singapour, la Thaïlande, la Malaisie et l'Indonésie, principalement) sont encore des investisseurs modestes en France mais ils sont considérés comme étant « à fort potentiel ». Ils méritent donc toute notre attention. Une cinquantaine de groupes de l'ASEAN sont déjà implantés en France et y emploient 2 300 personnes. Il y a là aussi un fort gisement pour développer l'emploi, en particulier industriel, sur notre territoire.

PNB DE L'ASEAN COMPARÉ AUX AUTRES PUISSANCES ASIATIQUES

(Source: The Institute of Southest Asian Studies)

b) L'accession progressive aux standards de consommation occidentaux : l'exemple de l'automobile

La montée en puissance d'une classe moyenne consumériste a déjà été décrite ci-dessus. Inutile de revenir dessus.

Pour illustrer les potentialités offertes aux entreprises françaises, l'exemple de l'automobile est particulièrement frappant. Aujourd'hui on trouve très peu de voitures françaises en Asie du Sud-Est. La domination japonaise (et coréenne) est frappante, et seules les automobiles allemandes rivalisent, sur les segments haut de gamme.

Douzième producteur mondial, la Thaïlande concentre la production automobile, suivie de l'Indonésie et de la Malaisie. En 2010, la Thaïlande a produit 1,65 million de véhicules 142 ( * ) , soit la moitié de la production totale de la région. En développant très tôt une politique d'attractivité et d'accueil des plus grands constructeurs mondiaux, le pays a réussi à faire de l'automobile un secteur clé de son économie, représentant 12% de son PIB et 9% de ses exportations en 2010. Les constructeurs se recentrent actuellement sur l'Indonésie , attirés par une main d'oeuvre peu coûteuse, un marché prometteur de 240 millions d'habitants et une politique fiscale attractive.

La chaîne de production automobile est dominée par les constructeurs japonais qui, i mplantés dès la fin des années 60, représentent aujourd'hui 70% de la production et 84% de parts de marché. Leur stratégie se concentre principalement sur la Thaïlande comme base d'exportation, mais aussi sur l'Indonésie, en particulier s'agissant des usines à forte capacité de production.

La présence des constructeurs européens reste très faible, et celle de la France, encore marginale (avec une petite exception pour Peugeot en Malaisie 143 ( * ) ).

L'intérêt marqué des pays de l'ASEAN pour le développement d'une filière de véhicules propres, notamment électriques, offre pourtant l'occasion de dynamiser la présence française et de permettre à nos groupes de prendre leur place face à la concurrence asiatique, sur des marchés au très fort dynamisme.

Car les opportunités dans la région sont considérables , en raison tant de la croissance démographique que de l'accroissement significatif des revenus par habitant. L'Indonésie est naturellement l'un des pays les plus prometteurs, pour le secteur automobile comme pour d'autres secteurs. La croissance mondiale de l'industrie automobile repose depuis 2010 sur la région Asie-Pacifique et il faudra sans doute compter d'ici quelques années avec la Thaïlande, l'Indonésie et la Malaisie, qui devraient rejoindre le peloton de tête des pays producteurs, derrière la Chine et l'Inde.

Pour ne prendre que l'exemple du marché automobile indonésien, premier marché automobile de l'ASEAN avec 1,1 million de voitures vendues par an , le taux d'équipement n'est que de 36 voitures pour 1 000 habitants, inférieur à ceux de la Chine, du Brésil et de la Russie. La marge de progression est vertigineuse .

En matière de distribution , la plupart les classes moyennes aisées indonésiennes qui dépensent entre 200 et 300 dollars par mois continue à se déplacer en moto et à faire ses courses dans des points de vente traditionnels, faute d'accès à un grand centre de consommation (le taux de pénétration des hyper et supermarchés demeure limité, ne touchant qu'un tiers de la classe moyenne). Là encore, le potentiel est important.

c) 1000 milliards de dollars de besoins en infrastructures

Les besoins en infrastructures dans cette région sont immenses, évalués à 1000 milliards de dollars .

(1) Le secteur ferroviaire en plein essor

Avec près de 20 000 kilomètres de voie ferrée à réhabiliter ou à construire , pour un montant estimé à près de 160 milliards de dollars , l'ASEAN représente un marché potentiel colossal 144 ( * ) . Face à la position dominante de la Chine, qui bénéficie d'une capacité de financement considérable, la présence des entreprises françaises doit se renforcer. Le rail constitue un domaine d'excellence français, que nos entreprises sont en mesure de valoriser à la fois sur le marché de la grande vitesse, et sur les marchés plus modestes de réhabilitation qui fleurissent dans la région, à condition de se montrer compétitives face à leurs concurrents, notamment en termes de financements. Le rôle de l'ingénierie doit être particulièrement valorisé, son influence sur les spécifications techniques étant déterminante pour positionner l'offre française. Son rôle de levier à l'export dans un secteur très concurrentiel, sera essentiel, tout particulièrement sur le marché de la grande vitesse.

La Malaisie et la Thaïlande sont particulièrement en pointe dans l'effort de modernisation de leur réseau ferroviaire. La Malaisie double l'électrification de sa ligne ouest, pour un coût total de 4 milliards d'euros, outre la ligne à grande vitesse entre Kuala Lumpur et Singapour .

Comme cela a déjà été dit, en Thaïlande on dénombre plus de 30 projets ferroviaires, pour un total de 33 milliards d'euros d'ici 2020, dont 4 000 km de réhabilitation de voies et la construction de 4 lignes à grande vitesse sur 2 500 km, rayonnant à partir de Bangkok.

L'EXEMPLE DU RAIL

L'ASEAN dispose d'un réseau ferroviaire étendu mais datant globalement de l'époque coloniale. Faute d'entretien, ce réseau accuse toutefois, à l'exception de la Malaisie, un retard alarmant. Sous-exploité à la fois pour le transport de passagers et le fret, le rail constitue ainsi l'un des volets de la politique de connectivité régionale portée, encore timidement cependant, par l'ASEAN. Dans ce contexte, si les entreprises françaises occupent des positions limitées, dans un environnement très concurrentiel dominé par la Chine, des opportunités restent à saisir.

Le rythme des projets reste encore modeste malgré des efforts d'identification des besoins. Des travaux d'électrification, de doublement des voies ou de lignes de fret sont en cours dans la plupart des pays. Les projets de grande vitesse, poussés par la Chine, semblent peu réalistes à l'exception du projet de ligne Kuala Lumpur/Singapour, annoncé pour 2020, et du programme lancé par la Thaïlande (ligne reliant Bangkok à Rayong en particulier). La rentabilité d'investissements aussi lourds (en moyenne, 10 à 15 millions d'euros/km) constitue une interrogation majeure dans des pays émergents, le coût de l'investissement imposant un trafic suffisant et une tarification élevée, ou subventionnée. Si la plupart des pays évoquent des projets de grande vitesse, les perspectives restent donc encore limitées. Les projets moins coûteux de réhabilitation et de modernisation sont privilégiés afin de disposer d'un réseau régional de transport ferroviaire fonctionnel, multimodal et ouvert, notamment vers le principal partenaire commercial de la région, la Chine.

Source : Service économique régional de Singapour, Direction générale du Trésor

(2) Une croissance vive des besoins aéroportuaires

La quasi-totalité des pays de la région ont des projets aéroportuaires de grande ampleur.

L'Indonésie est très prometteuse, avec des projets aéroportuaires estimés à plus de 8 milliards de dollars. Premier aéroport de la région, 9 ème mondial avec 57,7 millions de passagers en 2012, Jakarta a distancé Singapour et Bangkok grâce à sa spectaculaire croissance, de 80% depuis 2008. L'aéroport de Jakarta a ainsi quadruplé son nombre de passagers annuels entre 2001 et 2011.

Le marché philippin offre également des opportunités avec 15 projets, pour la plupart en partenariat public privé (PPP), pour plus de 8 milliards de dollars, comparable au marché thaïlandais, qui totalise plus de 7 milliards de dollars de projets, incluant les extensions des aéroports de Bangkok et Phuket. Le Vietnam poursuit son projet phare de Long Thanh, estimé à 7 milliards de dollars, sur un marché global de près de 13 milliards de dollars. Après son terminal 4, opérationnel dès 2017, Singapour lancera en 2014 son projet de terminal 5 (Changi 2), estimé à plus de 4 milliards de dollars, afin de doubler sa capacité à l'horizon 2020 (de 66 à 135 millions de passagers).

LA CROISSANCE DU SECTEUR AÉROPORTUAIRE 145 ( * )

Dans ce contexte de très forte croissance des projets aéroportuaires, les positions françaises sont bonnes dans le secteur des équipements de gestion du trafic aérien, mais peinent à décoller dans l'ingénierie et la construction.

D'après nos services économiques, les entreprises françaises ont en effet parfois du mal à se positionner : « Après une percée en Indonésie pour la réalisation d'études pour l'aéroport de Jakarta, les études pour son terminal 3 ont été remportées par la Corée, redoutable concurrent dans le paysage asiatique. Le projet d'extension de Bangkok Suvarnabhumi a été attribué à la concurrence en avril 2013. Aujourd'hui, le projet de Changi 2 pourrait permettre à l'ingénierie française de se positionner. Les Philippines représentent également un potentiel intéressant avec plusieurs projets, dont celui de Clark, destiné à désengorger l'aéroport Naia, sur lequel l'offre française pourrait se positionner. Sur le volet de l'exploitation, seul Vinci Concessions dispose aujourd'hui d'une solide implantation au Cambodge où Cambodia Airports (détenu à 70% par le groupe) exploite 3 aéroports. Le groupe suit de près le projet de Long Thanh au Vietnam 146 ( * ) . ».

(3) Le premier marché aéronautique mondial pour les 20 ans à venir

En Asie-Pacifique (au sens large), premier marché aéronautique mondial, on estime entre 11 000 et 13 000 147 ( * ) le nombre d'avions qui seront commandés dans les 20 prochaines années , soit un doublement de la flotte. C'est cinq fois plus que le Moyen-Orient sur la même période.

NOMBRE DE COMMANDES D'AVIONS PASSAGERS ESTIMÉ D'ICI 20 ANS

Source : Airbus

Le secteur aéronautique représente 40% de nos exportations en ASEAN, où le secteur aérien est en plein essor. Elle représente 30% du carnet de commande d'ATR qui a encore conforté sa position dominante en 2013 (98% du marché sur son segment). En 2013, 243 Airbus ont été vendus en Indonésie. C'est aussi le premier fournisseur en Malaisie. L'Asie-pacifique représente 30% du carnet de commandes de l'A350, part qui est encore appelée à croître dans les prochaines années.

(4) Des projets de métro pour répondre à des besoins colossaux

Depuis 1984 (Manille) trois capitales du sud-est asiatique ont ouvert un métro : Singapour, Kuala Lumpur, Bangkok, soit 17 lignes pour 600 km de voies. Plusieurs projets sont en cours, comme les métros de Hanoi, Ho Chi Minh ville, Jakarta. 13 nouvelles lignes sont annoncées dans la région pour un total de 200 km de voies supplémentaires .

Les métros sont financés par les bailleurs de l'aide au développement, en particulier le Japon, mais aussi, comme cela a déjà été dit, la France (ligne 3 du métro de Hanoi pour laquelle l'AFD finance 110 millions d'euros sous forme de prêts).

d) L'économie maritime dans des États maritimes et archipélagiques

S'il est un domaine dans lequel les potentialités économiques sont grandes, c'est celui de l'économie maritime . Le secteur maritime français représente aujourd'hui 310 000 emplois directs hors tourisme, 52 milliards d'euros en valeur de production 148 ( * ) . Qu'il s'agisse de construction navale, d'industrie offshore, de recherche scientifique, d'armement, d'assurance, des professions du droit maritime, notre pays a des entreprises très bien placées dans un secteur qui représente 1 100 milliards d'euros de volume d'affaires annuel, et qui croît de 10% tous les 10 ans. 150 milliards d'euros de chiffre d'affaires sont réalisés dans des secteurs qui n'existaient pas il y a 10 ans... Combien de secteurs économiques peuvent se targuer d'une telle perspective ? L'objectif -ambitieux- du Gouvernement 149 ( * ) serait d'ailleurs de conquérir 10% de nouveaux marchés d'ici 2020, ce qui dégagerait un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros.

L'Asie du Sud-est, tournée vers la mer avec des États archipélagiques tels que l'Indonésie, par exemple, est naturellement une cible importante en matière d'économie maritime.

La Malaisie et l'Indonésie, notamment, disposent par exemple d'un potentiel élevé pour les énergies renouvelables marines. Ce secteur est très porteur pour l'industrie française : énergie hydrolienne, éolien offshore, énergie houlomotrice, énergie thermique des mers...

2. Des objectifs fixés et des moyens mobilisés pour accroitre la présence commerciale française

Face à toutes ces opportunités, les parts de marché françaises sont insuffisantes, même si en partie expliquées par les contraintes d'accès aux marchés.

En 2013, la France a réalisé un excédent commercial bilatéral de 2 milliards d'euros avec cette région, contre des déficits de 96 millions d'euros en 2012 et 2,4 millions d'euros en 2011. Notre pays enregistre pour la première fois depuis 10 ans un excédent commercial avec l'Indonésie (51 millions d'euros) et ses excédents avec Singapour et la Malaisie restent élevés à respectivement 2,3 milliards d'euros et 647 millions d'euros. Le déficit avec le Vietnam reste toutefois préoccupant (2 milliards d'euros).

Des objectifs spécifiques de diplomatie économique ont donc été fixés pour l'Asie du Sud-Est et de nombreuses actions sont mises en oeuvre pour les atteindre.

LES OUTILS DE DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE MIS EN oeUVRE EN ASIE DU SUD-EST

Tous les outils financiers sont mobilisés pour accompagner les entreprises et identifier les nouveaux créneaux porteurs ou les secteurs où l'excellence française peut être valorisée.

- Un accent a été mis sur l'accompagnement des entreprises par des financements (Fasep (Fonds d'étude et d'Aide au Secteur Privé), RPE (réserve pays émergents), AFD, Coface). En 2012-2013, 17 projets se sont vus accorder des financements Fasep notamment au Laos, aux Philippines, en Birmanie et en Indonésie et 7 de la RPE (Indonésie, Philippines mais surtout Vietnam) dans les secteurs des transports, de l'énergie et de l'environnement. Ces projets sont destinés à créer un effet de levier pour d'autres projets dans la région.

L' AFD s'est positionnée pour financer 11 projets, toujours dans ces secteurs notamment au Vietnam et en Thaïlande. Des synergies sont recherchées pour que nos entreprises bénéficient également de financements multilatéraux.

La garantie Coface est ouverte sans condition sur la majorité de la zone de l'ASEAN. Seuls le Laos et le Cambodge restent ouverts sous conditions restrictives.

La conclusion d'un accord de réduction de la dette birmane au Club de Paris s'est accompagnée de la levée de la plupart des sanctions de l'UE. La Politique d'assurance-crédit de la Coface a été modifiée pour 2014 et les exportations des sociétés françaises vers ce pays peuvent bénéficier de la garantie souveraine de la Coface.

L'engagement de la Coface dans la zone est confirmé dans la mesure où elle vient d'identifier 10 pays émergents qui talonnent les BRICS. Parmi ces pays figurent l'Indonésie et les Philippines.

Ubifrance organise de nombreux évènements dans la zone (7 en 2014) au bénéfice des PME ainsi que des colloques ou séminaires en France. À ce titre, le dernier colloque intitulé « Cap sur l'Asie du Sud-Est » s'est déroulé au Sénat le 3 avril.

Source : Entretien avec la direction générale du Trésor

Des priorités fortes ont été déterminées au regard des enjeux propres à la zone ou à chaque pays notamment dans la perspective du grand marché de l'ASEAN (communauté 2015).

Outre les transports et l'énergie, dans lesquels une implantation sur place est la plupart du temps nécessaire, la santé, l'agriculture et l'agroalimentaire ont été privilégiés.

La démographie, le manque de structures médicales et de système de soins ainsi que l'émergence d'une classe moyenne sont des facteurs clefs expliquant la croissance des besoins dans le secteur de la santé, qui constitue un secteur de pointe de la France.

Dans l'agriculture et l'agroalimentaire, les opportunités doivent être exploitées au regard des besoins d'assurer la sécurité alimentaire dans la plupart des pays (génétique, machines agricoles), de la nécessité d'accroître la valeur ajoutée des biens agricoles exportés (appui à la création d'une industrie de transformation), et de l'émergence d'une classe moyenne (biens agro-alimentaires, gastronomie, vins et spiritueux).

3. Des intérêts stratégiques très directs
a) Des communautés françaises en Asie désormais aussi nombreuses qu'en Afrique de l'Ouest

Suivant la dynamique de la croissance économique, la communauté française installée en Asie du Sud-est a fortement progressé ces dernières années.

Nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à s'établir dans la région, attirés par sa réussite économique et les opportunités qu'elle offre. Près de 44.000 Français sont inscrits au registre mondial des Français établis hors de France dans la région ( environ 60.000 si on prend en compte les non-inscrits). Ils sont notamment 10.000 inscrits à Singapour (pour 15 000 au total), 9.900 inscrits en Thaïlande et 6.300 inscrits au Vietnam.

La communauté française compte ainsi parmi les plus importantes communautés expatriées non-asiatiques de la région.

À cela s'ajoutent les 1,2 millions de Français qui se rendent en Asie du Sud-est chaque année, pour affaires ou tourisme.

Lors de leur déplacement en Asie du Sud-est, vos rapporteurs ont notamment pu rencontrer la communauté française de Singapour : 15 000 Français, en général jeunes. On note un léger changement de profil : alors qu'autrefois on ne trouvait que le profil « expatrié », on remarque que désormais certains jeunes Français viennent à Singapour soit dans des conditions moins favorables qu'auparavant (en contrat de droit local, phénomène qualifié de « depackaging »), soit directement pour chercher du travail, du fait des conditions économiques en France, sans bénéficier forcément des avantages offerts jusque-là. Certains, compte tenu de son coût, choisiraient même parfois de ne pas prendre de couverture sociale....

Au Vietnam , s'installent désormais non seulement des retraités, mais aussi des entrepreneurs venus se « refaire » après un échec en France, profils qu'on ne rencontrait pas il y a encore quelques années....

b) Un stock d'investissements équivalent à celui détenu en Chine

Les relations françaises avec l'ASEAN se caractérisent également par des investissements directs.

L'ASEAN est la troisième destination des investissements français en Asie avec, en 2011, un stock de près de 12 milliards d'euros 150 ( * ) , derrière le Japon et le monde chinois. Singapour est le premier pays récepteur d'investissements directs français au sein de l'ASEAN, avec près de la moitié du total, devant l'Indonésie et la Thaïlande.

Les implantations françaises montent aussi en puissance pour fournir les marchés locaux et répondre aux besoins d'infrastructures.

Selon le dernier calcul de la direction générale du Trésor, le nombre de filiales françaises (chiffre relatif aux implantations non disponible) est égal à 1 360, dont 475 à Singapour.

C'est un chiffre comparable à notre présence en Chine où nous avons 1 500 filiales recensées (2 200 implantions).

c) Une dépendance directe vis-à-vis du trafic maritime

Intégrée au commerce mondial, la France est dépendante de ses approvisionnements maritimes. Quelques jours après le tsunami et l'accident nucléaire de Fukushima, les entreprises automobiles françaises ont d'ailleurs été très directement impactées par les ruptures d'approvisionnement en provenance de l'archipel nippon, signe de cette dépendance bien réelle.

Car l'essor de la « conteneurisation » a profondément transformé le commerce mondial ces dix dernières années.

La France dépend de ses approvisionnements maritimes à la fois pour ses importations (hydrocarbures, minerais, composants industriels, produits finis), mais aussi pour ses exportations (céréales, produits agricoles, produits manufacturés).

Le trafic de conteneurs à destination ou en provenance de la France a doublé de 2000 à 2010, passant de 2500 à 4900 navires et de 5 à 14 millions d'EVP (équivalent 20 pieds, unité de mesure des conteneurs).

Consciente de cet enjeu, la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense a commandé en 2012 une étude 151 ( * ) sur la vulnérabilité de la France aux flux maritimes, qui met en valeur l'importance majeure de la route maritime traversant l'Asie du Sud-Est (2/3 de nos approvisionnements y transitent) et qui tente de mesurer les conséquences éventuelles d'une crise en mer de Chine méridionale (parmi d'autres scénarii tels que des frappes occidentales sur l'Iran ou encore la déstabilisation d'un État dans le Golfe de Guinée, par exemple).

Dans ce scénario, dont la probabilité de survenue est jugée moyenne, les flux maritimes seraient fortement perturbés en mer de Chine (voire rendus impossibles, pour un temps du moins). La France, dont les deux tiers du trafic conteneurisé total traversent la mer de Chine , serait directement impactée :

- Paralysie des secteurs industriels tels que l'automobile, l'informatique, par pénurie de composants, et mise au chômage technique partiel ou total d'une partie importante des personnels durant la phase aigüe de la crise, puis fonctionnement au ralenti ;

- Arrêt brutal de l'approvisionnement en certains biens de consommation, vidant les commerces pendant une période plus ou moins longue (compte tenu de l'absence de route de substitution aussi satisfaisante) et entraînant des tensions inflationnistes.

d) Une clé de la préservation des ressources de nos espaces maritimes outre-mer

C'est aussi dans l'Océan indien et dans l'Océan Pacifique que se joue la lutte pour la préservation des ressources de nos espaces maritimes outre-mer . Avec ses outre-mer, la France bénéficie de la deuxième zone exclusive mondiale, riche de 11 millions de km2. L'enjeu est d'assurer la protection de ces espaces mais aussi d'être en mesure de faire fructifier leur potentiel économique.

Il s'agit des ressources halieutiques, avec les perspectives de pression alimentaire accrue dans les prochaines années, mais aussi de l'exploitation industrielle des ressources de notre zone économique exclusive (énergies marine, éolien off shore , exploitation du sous-sol marin etc....), particulièrement prometteuse.

Pour cela naturellement, il faut être présent. Pour affermir notre souveraineté sur ces espaces, il faut être capable de s'y montrer.

Faute de quoi, compte-tenu de la pression sur les ressources, en particulier halieutiques, d'autres les accapareront. En particulier, une « descente » vers le sud Pacifique des navires de pêche de certaines nations asiatiques n'est pas à exclure.

C'est ce qu'affirme l'Amiral Anne Cullerre, commandant des zones maritimes de Polynésie française et de l'océan Pacifique (ALPACI) dans un article récent 152 ( * ) qui aborde la question de la zone économique exclusive (ZEE) de la Polynésie, qui s'étend sur près de 5 millions de km². « Cette ZEE (...) est particulièrement riche en ressources halieutiques. Si ces ressources sont actuellement sous-exploitées (...) elles ne manquent pas d'attirer des flottilles asiatiques présentes en nombre aux abords de notre ZEE (...). Si nous ne maintenons pas cette surveillance (...) ces ressources vont diminuer et ne profiteront pas aux intéressés. Quant aux fonds sous-marins de la ZEE, les études menées par l'Ifremer ont révélé qu'ils recéleraient a priori de nombreuses ressources d'importance stratégique. Les campagnes n'ont cependant encore pas permis de mesurer, ni d'évaluer la totalité des ressources exploitables. Les réflexions portent dès lors sur un horizon plus lointain, de l'ordre de 20 à 30 ans, mais rapportés à l'échelle du temps, c'est déjà demain. La ZEE de Polynésie Française est pour le moment protégée du pillage, grâce à la présence des moyens aéronavals hauturiers. »

Qu'en sera-t-il demain, compte tenu des perspectives de réduction de la flotte de la marine nationale outre-mer ?

C'est une problématique que votre commission a déjà souvent abordée dans le cadre notamment de la révision du Livre blanc sur la défense nationale et de la loi de programmation militaire.

Compte tenu des réductions de format et des étalements de programmes en matière de renouvellement de la flotte de bâtiments de la marine nationale, la présence de l'État en mer et tout particulièrement Outre-mer est un sujet de préoccupation. Le chef d'état-major de la marine, l'Amiral Rogel, a fait part à votre commission d'inquiétudes sur la capacité à assurer une présence outre-mer dans les années à venir. « Nous sommes d'ores et déjà confrontés à une réduction temporaire de capacités. Le Livre blanc a prévu que le nombre de frégates de surveillance, qui sont nos principales capacités de haute-mer dans ces régions, soit maintenu. Nous disposons de 6 bâtiments : 2 à la Réunion, 2 dans les Antilles, 1 en Nouvelle-Calédonie et un dans le Pacifique. (...) La question se pose du remplacement des patrouilleurs P400 qui devront être prolongés, en liaison avec le programme BATSIMAR de patrouilleurs qui a déjà été repoussé une fois . »

De fait, un trou capacitaire semble inévitable à compter de 2017.

« Pour la Nouvelle-Calédonie, pour maintenir un niveau de présence minimal, nous aurons une frégate de surveillance, un patrouilleur P400, et un B2M 153 ( * ) pour compenser -en 2018 seulement- le retrait du service actif du BATRAL 154 ( * ) . Avec ces moyens, nous pouvons mener des opérations de lutte antidrogue, d'interception de bâtiments de pêche illicite et de surveillance de notre zone économique exclusive. Mais nous ne pouvons pas tout faire ! Un mot sur le programme BATSIMAR : les patrouilleurs P400, qui ont un âge avancé, devront être prolongés du fait du décalage de 2014 à 2024 de la livraison du premier exemplaire. C'est un facteur de risque, je ne vous le cache pas. », précisait le chef d'état-major de la Marine lors de son audition devant votre commission en novembre 2013.

Cette réflexion plus globale dépasse le strict cadre de ce rapport d'information. Elle doit toutefois être gardée en mémoire.

e) Des soutiens potentiels pour notre politique étrangère
(1) L'Indonésie, « zéro ennemis et des millions d'amis », attachée au multilatéralisme et engagée dans le maintien de la paix

Les pays d'Asie du Sud-est peuvent également être de précieux alliés de notre politique étrangère.

Vos rapporteurs ont constaté en Indonésie la disponibilité et l'ouverture de ce grand pays musulman sur des questions comme le conflit israélo-palestinien (malgré l'inexistence de relations diplomatiques avec Israël) ou encore sur la question de la participation aux opérations de maintien de la paix ou des négociations sur le climat.

Attachée au respect du cadre multilatéral et du système des Nations Unies, l'Indonésie, démocratie stable se veut capable d'aider à la résolution des crises internationales. Pratiquant un islam modéré, elle peut servir de pont entre les cultures et les religions.

Comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de la visite du grand centre de formation aux opérations de maintien de la paix de Sentul, l'Indonésie, qui déploie actuellement 1700 casques bleus au service de 8 opérations de maintien de la paix, notamment avec la FINUL au Liban , a de grandes ambitions en la matière. Au total, depuis 1957, ce sont près de 30 000 Indonésiens qui auront été déployés sous casque bleu. L'Indonésie entend se hisser bientôt parmi les dix plus grands États contributeurs.

ZONES DE DÉPLOIEMENT DES 1700 CASQUES BLEUS INDONÉSIENS

Source : Peace Keeping Center de Sentul

(2) Les négociations sur le climat : des émergents prêts à s'engager

Les pays de l'ASEAN sont des acteurs clefs pour parvenir à l'adoption d'un accord ambitieux et applicable à tous lors de la conférence climat à Paris en 2015.

Alors qu'ils s'inscrivent dans la mouvance des pays émergents qui ne sont pas soumis aux mêmes engagements que les pays développés, certains pays sont prêts à s'engager et pourraient s'avérer des alliés décisifs.

Lors des négociations internationales sur le climat, les pays de l'ASEAN s'expriment en leur nom, et à travers le « groupe des 77 » (parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques adoptée en 1992 et au protocole de Kyoto de 1997, ces pays n'ont pas d'engagement de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, contrairement aux pays développés).

Les pays émergents mettent en avant la responsabilité historique des pays développés dans le dérèglement actuel et l'importance de bien prendre en compte les responsabilités communes mais différenciés des différentes parties. Très vulnérables toutefois aux effets du dérèglement climatique, ces pays demandent des moyens de mise en oeuvre (financements, transferts de technologie, renforcement des capacités) pour parvenir à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre et à s'adapter aux impacts.

Toutefois, leurs positions diffèrent parfois, en fonction de leurs priorités nationales : ainsi plusieurs états de l'ASEAN pourraient-ils être prêts à s'engager.

La conférence de Paris vise à permettre de limiter l'augmentation moyenne de la température mondiale en-dessous de deux degrés par rapport à l'ère pré-industrielle, pour tenir compte des conseils scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

L'Indonésie, cela a déjà été dit, a perdu plus de 20% de ses forêts ces vingt dernières années, ce qui en fait désormais le 8 ème émetteur mondial de gaz à effet de serre. Le pays s'avère particulièrement vulnérable aux perturbations climatiques (montée des eaux, dépérissement des forêts, sécheresse dans sa partie orientale).

Il s'agit du premier pays émergent à s'être engagé avant Copenhague sur un objectif chiffré unilatéral de déviation de -26% de ses émissions en 2020 par rapport à la courbe tendancielle -- 87% de cet objectif devant provenir de la réduction de la déforestation --, et de -41% en cas de soutien financier international. L'organisation de la conférence annuelle des Nations unies sur le climat à Bali en 2007 a en effet déclenché une prise de conscience nationale sur l'importance de l'enjeu environnemental. L'Indonésie est en voie de tenir son objectif unilatéral puisque le chiffre de 20% aurait déjà été atteint.

Contrairement à d'autres États-membres de l'ASEAN, l'Indonésie tient un discours positif et participe au Dialogue de Carthagène qui rassemble les pays les plus progressistes de la négociation. Elle souhaite aboutir en 2015 à un accord juridiquement contraignant compatible avec l'objectif des 2°C. Cet accord devra faire une juste place à l'adaptation au changement climatique et à la lutte contre la déforestation.

La Malaisie a intégré le changement climatique dans ses politiques publiques et a pris des engagements forts de réduction de son intensité carbone (- 40% d'ici 2020 par rapport à 2005), sous réserve de transferts de technologies et de financements de la part des pays développés. Elle insiste sur la responsabilité de ces derniers, tant sur l'atténuation que sur le financement de la lutte contre le dérèglement climatique dans les pays en développement. La question sensible de la déforestation est également une de ses priorités. En mai 2012, la Malaisie a rejoint le groupe des Like-Minded Developing Countries on Climate Change (LMDC) au moment de sa création. Ce groupe de pays (comprenant aussi la Chine, l'Arabie Saoudite et d'autres producteurs d'hydrocarbures) affirme notamment que les pays développés n'assument pas leurs responsabilités en demandant des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux pays en développement. Il s'agit d'un groupe de pays auquel une grande attention doit être accordée afin d'éviter un blocage des négociations.

Les Philippines ont également rejoint le groupe des Like-Minded Developing Countries on Climate Change (LMDC) au moment de sa création. Particulièrement vulnérables aux catastrophes naturelles et ne bénéficiant pas de l'attention et des financements apportés aux petits États insulaires en développement, Manille souligne le besoin que les pays développés adoptent des objectifs de réduction d'émissions plus ambitieux. Les Philippines jouent un rôle clef dans les négociations sur les questions de financement de la lutte contre le changement climatique.

Singapour est un acteur central dans les négociations climatiques, comme l'ont montré les accords de Cancún de 2010 qui ont permis la création du Fonds vert pour le climat. Le pays fait également figure de contributeur important à la réussite des conférences de Durban (2011) et de Doha (2012). Il est par ailleurs membre de l' Alliance des petits États insulaires (AOSIS) qui, compte tenu des effets dévastateurs de la montée des eaux du fait du changement climatique, revêt un poids politique de premier plan dans la négociation multilatérale.

Au niveau national, Singapour a développé une stratégie nationale de lutte contre le changement climatique au service de sa croissance économique et fixe un objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre de 7 à 11% d'ici 2020 par rapport aux niveaux d'émissions de 2005, puis de stabilisation après 2020 .

(3) Des États actifs dans la lutte contre la prolifération nucléaire

L'Indonésie a fait de la non-prolifération l'un des thèmes de sa diplomatie. En 1970, l'Indonésie a signé le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), puis l'a ratifié en 1979. En 1999, elle est devenue le premier État de l'ASEAN à signer un protocole additionnel avec l'AIEA. Enfin, en février 2012, le pays a déposé son instrument de ratification du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

Pendant sa présidence de l'ASEAN, en 2011, l'Indonésie n'a pas ménagé ses efforts pour faciliter la signature du protocole additionnel au traité de Bangkok créant une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du Sud-Est, entré en vigueur en 1997.


* 142 Source : le secteur automobile dans l'ASEAN, Direction générale du trésor, service économique régional de Singapour

* 143 Source : Ibid

* 144 Source : Service économique régional de Singapour, étude sur « L'industrie du rail longue distance en ASEAN »

* 145 Source : étude du service économique régional de Singapour, « l'ASEAN, un marché aéroportuaire en plein envol », Horizon ASEAN n°8, janvier 2014

* 146 Etude du service économique régional de Singapour, in Horizon ASEAN n°8, janvier 2014

* 147 Estimations respectivement Airbus et Boeing

* 148 Chiffres cités par le Premier ministre lors des 9 èmes assises de l'économie maritime et du littoral, le 3 décembre 2013

* 149 Source : ibid.

* 150 Source : entretien avec la Direction générale du Trésor

* 151 « Vulnérabilité de la France face aux flux maritimes », CEIS, disponible en ligne : http://www.defense.gouv.fr/das/reflexion-strategique/etudes-prospectives-et-strategiques/articles-etudes/vulnerabilites-de-la-france-face-aux-flux-maritimes

* 152 « Le Pacifique : un océan stratégique », février 2014, http://www.colsbleus.fr/articles/1321

* 153 Bâtiment multi-mission

* 154 BÂtiment de TRAnsport Léger

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